1939-1945
PENDANT LA SECONDE GUERRE MONDIALE
LA
MANUFACTURE
DARMES DE TULLE
Depuis le XVIIe siècle, l’activité de l’industrie d’armement s’est développée hors les murs de la cité médiévale tulliste, dans des ateliers
d’arquebusiers situés dans les faubourgs ou dans des moulins le long des cours d’eau, Corrèze, Montane, Solane et Céronne. C’est ainsi
que, en 1690, suivant une tradition de travail du métal reconnue depuis longtemps déjà sur le territoire, un atelier de fabrication de canons
de fusils s’installe dans les moulins de Souilhac et de Fès. Sa reconnaissance en tant que Manufacture Royale en 1777, puis l’obtention du
statut de Manufacture d’Etat en 1886 participent à l’essor de cette usine qui rythme dès lors la vie de la cité tulliste au son de sa sirène.
Durant la seconde guerre mondiale, la présence de cette industrie à Tulle et la nécessité impérieuse de son contrôle constituent un enjeu
fondamental pour l’occupant allemand.
De la période 1939-1945, la mémoire a retenu les évènements dramatiques vécus par la population de Tulle les 7, 8 et 9 juin 1944, occultant
la vie et l’action résistante de l’établissement. Tout au long du conflit, l’histoire de la MAT est, en effet, étroitement liée aux évènements
politiques nationaux et internationaux, subissant les conséquences de la guerre, de la défaite et de l’occupation allemande.
La France entre en guerre le 4 septembre 1939, mais dès 1937, dans un contexte européen marqué par les tensions politiques et la montée
des fascismes, la MAT se mobilise et se prépare à l’effort de guerre. Entre 1940 et 1942, la production militaire se développe, puis décline
après l’armistice dans un contexte de reconversion vers des productions civiles réalisées sous un « discret » contrôle allemand.
L’envahissement de la zone libre le 11 novembre 1942, entraîne une évolution de la situation de l’entreprise qui passe dès le début de
l’année 1943 sous domination allemande. La Manufacture devient alors pour l’Etat Français un outil de la collaboration économique avec
l’Allemagne.
C’est dans ce contexte que s’organisent au sein de l’usine des résistances aux formes multiples, individuelles ou collectives, actives ou
passives, faisant de la MAT un foyer de la Résistance locale. Jusqu’à la Libération, la répression sévit tant dans l’enceinte de l’usine qu’à
l’extérieur.
A partir de l’étude des fonds d’archives de la Manufacture, aujourd’hui conservés par l’association des Amis du Patrimoine de l’Armement
de Tulle, des Archives Municipales et de ceux provenant de l’ancien musée associatif de la Résistance et de la Déportation, complétée
par des témoignages, cette exposition propose de mettre en lumière l’histoire de l’entreprise et la vie des ouvriers depuis la période
précédant la déclaration de guerre jusqu’à la Libération. L’exposition rassemble documents d’archives et objets, témoins des actions des
hommes et des évènements qui s’y sont déroulés.
A travers cette exposition, c’est une page méconnue de l’histoire de cet établissement, de ses hommes et de ses femmes, qui vous est
présentée.
Réalisation Maugein imprimeurs - RCS B 825 680 119
Vue de la Manufacture d’Armes de Tulle en 1903 (Collection APAT)
01
1937-1939 : la Manufacture
d’Armes de Tulle (MAT), un
établissement préparé à la guerre
L’équipe de direction de la Manufacture avant la guerre (1934). Nombre d’entre eux vont être des
acteurs majeurs de cette période (©Ville de Tulle)
La défense, une préoccupation de la MAT
La Direction de la défense passive est créée par décret le 29 juillet 1938 pour protéger les populations civiles
en période de guerre. Face à la menace d’un bombardement, les questions de défense active (mise en place
de 8 mitrailleuses, etc.) et passive (tranchées abris, etc.) de la MAT sont également développées : information
et sensibilisation des ouvriers, distribution de masques à gaz, organisation des secours, consignes aux veilleurs
de nuit contre les incendies, exercices d’évacuation. Elles restent cependant limitées par manque de matériel
de défense contre les avions (DCA), de véritables moyens de camouflage des lumières et de mise à l’abri du
personnel en cas d’attaque.
Des notices de défense passive en cas de bombardements
sont distribuées à la Manufacture (1938-1939). Dès 1939,
des masques à gaz sont distribués à tous les ouvriers par
l’infirmière, Mme Barrat. (©Ville de Tulle)
En juin 1939, l’organisation d’un exercice de défense passive est
relayée dans le Courrier du Centre. (Almanach de la Manufacture
d’Armes de Tulle 1777-1977, GIAT Industrie)
La France entre en guerre le 4 septembre 1939, mais dès 1937 des protocoles relatifs au renforcement
en personnel des établissements constructeurs d’armement sont mis en place par la Direction des
Etudes et Fabrications d’Armement (DEFA) en vue d’une éventuelle mobilisation.
A la suite de la montée du nazisme et de la crainte croissante d’une guerre en Europe, les gouvernements du
Front Populaire puis du radical Daladier relancent l’industrie militaire française et la préparent à un possible
conflit.
Alors que les tensions politiques et militaires s’accroissent en Europe, le Ministère de l’Armement, en charge
de l’économie de guerre est créé en septembre 1939. Les ateliers en service sont progressivement aménagés
de façon à permettre l’emploi d’une partie du personnel de renforcement dès son arrivée.
Dès 1937, la Manufacture d’armes s’organise et renforce son personnel
Le recrutement et l’organisation de personnel de renforcement nécessaire aux établissements constructeurs de
la XIIIe région militaire sont étudiés dès 1937 par la DEFA. Selon l’état des besoins en main-d’œuvre demandé
cette année-la, 10 usines seraient mobilisées en cas de guerre dont la Manufacture d’Armes de Tulle. Le 26
février 1937, Charles Brion alors directeur de la MAT, transmet les besoins en personnel en cas de mobilisation
au général de la XIIIe région : l’usine qui emploie alors 1260 ouvriers travaillant 44 heures par semaine en
nécessiterait 4380.
Dès le vote de la loi du 11 juillet 1938 sur l’organisation de la nation en temps de guerre, les propositions se
multiplient sur le type de main d’œuvre à intégrer à la Manufacture (chômeurs, soldats,etc.), tandis que la
direction avertit du besoin absolu de spécialistes. Parallèlement, des exercices de préparation à la mobilisation
ont lieu à Tulle le 25 avril 1939
Plan de la Manufacture d’Armes de Tulle à
la veille de la Seconde Guerre Mondiale.
(©Ville de Tulle)
02
1939-1940 : la Manufacture d’Armes
de Tulle entre en guerre,
mobilisation et constructions
La mobilisation industrielle s’engage dès septembre 1939, mais en raison du départ au front d’une partie de
la main-d’œuvre et d’un équipement industriel vieillissant, la production n’atteint pas les objectifs attendus.
Afin de relancer l’activité, Raoul Dautry, Ministre de l’Armement, décide de faire appliquer aux usines françaises
de nouvelles techniques de gestion, d’employer des femmes, des chômeurs, des travailleurs des colonies et
de faire revenir du front 600 000 spécialistes.
Le 1er septembre 1939, les maires des communes françaises
sont avertis de l’imminence de la déclaration de guerre à
l’Allemagne. Jacques de Chammard, maire de Tulle, informe
la population que l’ordre de mobilisation débute le 2
septembre à partir de minuit.
(©Ville de Tulle)
L’apport de main d’œuvre féminine
pallie les départs au front des
ouvriers mobilisés. Deux femmes de
dos travaillent sur les chaînes de
production. (Collection APAT)
Un important programme de constructions militaires et civiles
Commencé en 1937, le programme de construction est étendu entre 1939 et 1940 pour adapter l’outil de
production de la MAT. Plusieurs grands travaux sont lancés dont la reconstruction et l’aménagement du
bâtiment 1, l’agrandissement de l’atelier central, la construction d’une gaine de tir de 200 m, ou encore celle de
l’atelier annexe à partir de novembre 1939, route de Cosnac à Brive, destiné aux chaines de canons 20HS404.
Pour régler la question du logement des ouvriers, le Ministère de l’Armement s’oriente vers la construction de
maisons individuelles. Dès 1940, 200 maisons sont construites par la municipalité à proximité du stade, dans
la prairie Mignaudet, à Roussolles et au Cloutiéroux. Parallèlement à ce programme, des réquisitions de terrains
permettent l’édification par la MAT, à partir du mois de mai, d’une cité ouvrière à Virevialle à Tulle et d’un camp
aux Chapélies à Brive.
Les spécialistes, tels les dresseurs de canons, sont
indispensables au fonctionnement de la MAT.
(Collection APAT)
Vue générale de la MAT depuis la côte de
Poissac en avril 1939. Au premier plan, la
reconstruction du bâtiment 1.
(Collection APAT)
Le 3 septembre 1939, la France et le Royaume-Uni déclarent la guerre à l’Allemagne. La mobilisation
est générale et concerne plus de 4 millions de Français qui rejoignent les centres mobilisateurs.
Dans le même temps, dans le cadre de l’effort de guerre, le Ministère de l’Armement tente de
s’organiser pour assurer le fonctionnement des usines françaises.
La mobilisation au cœur de la MAT
Au cours des premières semaines du conflit, la MAT n’est pas épargnée par les réquisitions d’hommes dont
l’absence perturbe l’organisation des services. Néanmoins, les effets des mesures engagées par le ministère
Dautry se ressentent dès le mois de novembre 1939 et les effectifs se montent, en avril 1940, à 4761 ouvriers dont
770 personnels de renforcement et 1112 femmes. Des mesures sont prises pour éviter que ces établissements
soient démunis de spécialistes indispensables à la mise en place d’une fabrication en temps de guerre. Certains
voient leur mise en appel différée à 45 jours pour diriger et former des équipes d’ouvriers de renforcement.
D’autres, les affectés spéciaux, sont rappelés du front et des dépôts pour 30 jours ou plus.
De nombreuses entreprises tullistes (Trarieux et Rogard, Pinardel, Lemaire, Veyres-Périé,etc.), prestataires
importants de la MAT, bénéficient du statut d’affecté spécial pour leurs employés et matériels. Face à la
méfiance des autorités militaires de la XIIIe région, notée le 22 avril 1940, le nouveau directeur Germain Pic se
justifie par l’importance de ces entreprises dans les constructions engagées à la MAT.
03
1939-1940 : produire pour soutenir
l’effort de guerre
Fraiseuse Bariquand (1889), collection Musée des Armes,
2007.1.72. Ces machines ont équipé les ateliers de la MAT
dès 1886 pour la production du fusil Lebel. Nombre d’entre
elles sont encore utilisées au début du second conflit
mondial. (©Ville de Tulle)
La MAT développe ses productions
A la suite des initiatives du ministère Dautry, la production d’armes et d’accessoires augmente sensiblement jusqu’en
juin 1940. La MAT est chargée, à ce titre, de produire plusieurs types et pièces d’armes : canon de fusil modèle
1936, fusil R 35, fusil mitrailleur FM 24-29, mitrailleuses de 7,5 mm modèle 1931 et 1934, canons automatique
d’aviation de 30 mm, de 25 mm à cadence accélérée, anti-char 20/16 mm ou encore canon 20 mm HS 404.
De 1939 à 1940, dans le cadre de l’effort de guerre, le fonctionnement de la MAT connaît des
évolutions sensibles marquées par l’augmentation des effectifs, des machines-outils et de la
production d’armement.
Si l’ennemi principal du soldat français au front est le désœuvrement lors de la « drôle de guerre » (septembre
1939 - avril 1940), à l’arrière, la solidarité est totale. L’objectif du plan du Grand Quartier Général pour l’industrie
de l’armement est clair : atteindre en 1941 une supériorité matérielle suffisante pour permettre à l’armée française
de passer à l’offensive.
L’établissement renouvelle son parc de machines-outils
En août 1939, à l’image des différents ateliers français de productions, l’activité insuffisante de la MAT est le
résultat d’une trop grande quantité de machines vétustes : la moitié d’entre-elles ont plus de 25 ans. Suivant la
politique d’amélioration de l’appareil productif français, le parc des machines-outils de la MAT s’accroît entre
août 1939 et juin 1940. Au début du conflit, l’établissement est doté de 4010 machines pour atteindre un total
de 4881 en juin 1940.
Surpris par la guerre éclair
(Blitzkrieg)
menée par l’armée allemande, à partir du 10 mai 1940 lors
de la Bataille de France, l’armée anglaise et des unités françaises battent en retraite à proximité de
Dunkerque. Après quelques semaines de combat, les alliés sont submergés. Le 4 juin, Dunkerque
est prise par l’armée allemande. Le 14 juin 1940, Paris est déclarée ville ouverte.
D’autres types de productions complètent le cahier de commandes : des outillages (forets, alésoirs), des
fausses balles. Au-delà des activités de productions, la MAT est également chargée de la remise en état de
pièces d’armes, notamment pour la réparation de mitrailleuses Lewis et Hotchkiss.
Portrait de Raoul Dautry en 1928. Ancien directeur
des chemins de fer de l’Etat, il est ministre de
l’armement du 20 septembre 1939 au 16 juin 1940,
au sein des gouvernements Daladier et Reynaud.
Le 20 avril 1940, il se déplace à Tulle pour visiter la
Manufacture d’Armes. (©Ville de Tulle)
Affiche « Souscrivez aux bons d’armement » (1939). Le
ministère de l’Armement lance un appel à la population
française afin de soutenir son industrie de guerre. Le but
est de permettre à l’armée française de rattraper son retard
par rapport à l’armée allemande puissamment équipée.
(©Ville de Tulle)
Les productions de matériel pour le fusil mitrailleur
24-29 de septembre 1939 à mai 1940. (©Ville de Tulle)
04
1940-1942 : la défaite française
et la collaboration industrielle
Le 24 octobre 1940, lors de l’entrevue de Montoire,
Pétain engage personnellement et officiellement le
régime de Vichy dans la collaboration avec le IIIe Reich.
(©Droits réservés)
Les conséquences de l’armistice
A la MAT, l’arrêt immédiat de toutes les fabrications entraîne le licenciement du personnel mobilisé. Les effectifs
chutent, passant de 4516 employés en juin 1940 à 1619 en juillet, et les femmes disparaissent pratiquement de
l’établissement. La plupart des travailleurs militaires sont rendus à leurs compagnies le 30 juin 1940. En 1942,
les ouvriers de l’annexe de Brive, désormais fermée, sont affectés à Tulle.
Malgré la chute des effectifs, l’apprentissage reste un maillon essentiel de la nouvelle politique de Vichy.
Dès septembre 1940, l’Ecole de Formation Professionnelle Normale (EFPN) de la MAT devient l’une des 20
écoles rattachées aux établissements de l’armement.
La signature de l’armistice met un terme provisoire aux travaux lancés à la MAT. L’activité est pourtant relancée
dès l’automne : aménagement d’un camp d’ouvrier à Uzerche, achèvement des baraquements de Virevialle et
de la gaine de tir fin 1942, constructions (poste de transformation, etc.) et reconstructions.
Vers la collaboration industrielle
A la MAT, les mois suivant l’armistice sont marqués par une baisse sensible de l’activité et par la reconversion
vers des productions privées ou civiles : visserie, brouettes, pièces pour gazogènes Panhard, pour machines
agricoles, pour moteurs d’aviation Gnome et Rhône, etc.
Etat des Etablissements constructeurs en
fonctionnement à l’armistice en 1940
Manufactures
Ateliers de construction
Ateliers de fabrication
Cartoucherie
Atelier de pyrotechnie
Ligne de démarcation (jusqu’en novembre
1942)
Puteaux
Brive
Issy les Moulineaux
Châtillon
Le Havre
Rennes
Tarbes
Nîmes
Roanne
Lyon
Irigny
Rueil-Malmaison
Vichy
Paris
Tulle
Châtellerault
Saint-Etienne
Levallois
Toulouse
Vincennes
Caen
Le Mans
Besançon
Saint-Priest
Valence
Bourges
Le nouveau gouvernement Pétain demande la cessation des combats le 17 juin 1940 et l’armistice est
signé le 22 juin à Rethondes. En zone occupée, le rythme est désormais imposé par les Allemands:
reprise des fabrications et mises en garde contre les premières manifestations de résistance.
En zone libre, le gouvernement de Vichy s’applique à faire respecter les clauses de l’armistice.
Dès la défaite, l’appareil productif d’armement français passe sous le contrôle de la commission allemande
d’armistice. La fabrication de nouveaux matériels de guerre en territoire non occupé doit cesser.
Les établissements sont placés sous la tutelle du ministère de la Production Industrielle de René Belin et la DEFA
devient le Service des Usines Mécaniques de l’Etat (UME) dirigé par le général Brochard.
Le passage à la guerre totale en 1942 est un tournant dans la politique allemande marquée par l’exploitation
des ressources matérielles et humaines des territoires occupés. A la MAT, des fabrications sous licence des
commissions allemandes sont lancées : pièces de mitrailleuses, canon mitrailleur de 25 mm à cadence accélérée
et canon 20 mm HS 404. Cependant, l’armée d’occupation choisit de ne pas faire fabriquer des armes entières
dans un même établissement afin d’éviter les vols. Cette situation rend difficile la vérification des pièces et
facilite les actions de sabotage.
Photographie de l’équipe de
direction de la Manufacture en
mai 1942. Parmi eux, au premier
plan, François Delamaire à la droite
du directeur Montlaur au centre.
(Collection APAT)
La Manufacture d’Armes de Tulle,
vue de la côte de Poissac.
(©Droits réservés)
Carte des établissements constructeurs
en France au lendemain de l’armistice.
(©Ville de Tulle)
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