1 In«La“communicationpublique“comme«mondesocial»:uneapproche réflexive»,inLesmondesdelacommunicationpublique,Aldrin(Philippe),Hubé (Nicolas),Ollivier-Yaniv(Caroline),Utard(Jean-Michel)(eds.),Rennes,Presses UniversitairesdeRennes,coll.ResPublica,2014,pp.31-42. La«communicationpublique»comme«monde social»:uneapprocheréflexive» CarolineOllivier-Yaniv «Selimiterauxconceptsprochesdel’expériencelaisseunethnographebarbotantdans l’immédiat aussi bien qu’empêtré dans le dialecte; se limiter aux concepts éloignés le laisse échouédansl’abstractionetétouffédanslejargon.» Clifford Geertz, «“Du point de vue de l’indigène“: sur la nature de la compréhension anthropologique1». Danslesinstitutionspubliques(àl’échellenationaleetgouvernementaleenparticulier), le développement des activités relevant de l’ingénierie symbolique et dites de communication est continu depuis le milieu des années 70. Ce phénomène fait l’objet d’une reconnaissance sociale au moyen d’une désignation spécifique, qui est devenue particulièrement visible et qui fait l’objet d’usages routinisés dans le discours des acteurs sociaux : la «communication publique». Il en est ainsi dans les institutions, en France et dans d’autres pays de l’Union Européenne,àlafoisdelapartdesesspécialistes(fonctionnairesoucontractuels)etdelapart desacteurspolitiques,danslesecteurd’activitésdelacommunicationetenparticulierdansla sphère des agences de conseil. Il en est également ainsi dans le champ de l’enseignement supérieuretdelarecherchefrançaisetplusprécisément,dansdesformationsuniversitairesen sciencesdel’informationetdelacommunicationouensciencespolitiques.Danscesdifférents univers professionnels, tout se passe comme si, en disant «communication publique», on pouvait bel et bien se faire comprendre, comme s’il y avait production et échange de sens. Autrement dit le syntagme «communicationpublique» apparaît constituer une catégorie 1 Savoir local, savoir global, Paris, PUF, 1986, p. 73. 1 2 descriptive qui permet de saisir et de caractériser les activités relevant de l’ingénierie symboliquedanslesinstitutionspubliques.Telestlepointdedépartdecetexte,quinevisepas à revenir sur l’analyse socio-historique du développement des pratiques d’information et de médiatisation dans l’administration d’Etat. J’ai eu l’occasion de développer ailleurs2 en quoi ce phénomène, considéré à l’échelle de l’Etat central français, avait à voir avec les réformes de l’administration,ladéfinitiond’unEtatgestionnaires’appuyantsurlenewpublicmanagement, les activités de certains hauts-fonctionnaires ainsi que l’utilisation accrue des médias par les représentantspolitiquesgouvernementaux. Constituer en observable l’expression «communication publique» permet de l’interroger en tant que catégorie reconnue et partagée par des acteurs sociaux diversifiés. La thèse plus particulièrement développée ici est donc la suivante: cette désignation est une catégorie dont la naturalisation est imputable aux interactions et aux coopérations entre des groupessociauxhétérogènesdupointdevuedeleursdispositions,deleursvaleursetdeleurs objectifs,surlabasedeconventionsconstruitesparlapratique. D’unpointdevuethéorique,la«communicationpublique»peutainsiêtreconsidéréecommela trace discursive d’un «monde social», selon l’acception que propose de cette notion la sociologie interactionniste de l’action collective et des professions3. Le monde social de la «communicationpublique»mobiliseeneffetdesgroupessociauxplusdiversifiésqueceuxqui semblent structurellement intéressés au développement de la communication dans les institutions publiques en général: agents de l’Etat (fonctionnaires et contractuels), professionnelsdelacommunication,responsablespolitiquesmaisaussi,enseignants-chercheurs et étudiants. Il s’agit ici de considérer l’ensemble de ces acteurs comme «coopérant dans l’accomplissement d’activités spécifiques» et d’analyser «la façon dont les acteurs s’accordent ous’affrontentpourinventerdescatégoriesetdesclassements,ettracerdesfrontières4». Danscecadre,c’estladéfinitiondela«communicationpublique»commecatégoriedescriptive – à savoir comme une classe permettant de définir des acteurs et des pratiques sociales au moyen de critères spécifiques - et la transformation de cette catégorie que l’on souhaite reconsidérer,àpartirdedeuxhypothèsescomplémentaires:la«communicationpublique»est une catégorie indigène; la «communication publique» est une catégorie instituante. Par catégorieinstituante,onentendsignifierquecetteexpressions’estprogressivementnaturalisée 2 OLLIVIER-YANIV C., L’Etat communiquant, Paris, PUF, 2000 ; « La communication publique : communication d’intérêt général et exercice du pouvoir. », S. OLIVESI (dir.), Sciences de l'information et de la communication Objets, savoirs, discipline, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, p. 97-112 ; « De la “voix de la France“ à “l’Etat annonceur“ : genèse de la communication gouvernementale – Les années 70 ou l’alchimie des formes d’instrumentalisation de l’information par l’Etat français », Communication, n°21, 2001, p.42-65. 3 BECKER H. S., Les mondes de l’art, Paris, Champs Flammarion, 2006, STRAUSS A., « Une perspective en termes de monde social », STRAUSS A., La trame de la négociation. Sociologie qualitative et interactionnisme, Paris, L’Harmattan, 2003, p. 269-282. 4 MENGER P.-M., « Présentation » ; BECKER H.S., Les mondes de l’art, op. cit., p. 9. 2 3 du fait des interactions entre ses professionnels-promoteurs d’une part et ses observateursanalystesd’autrepart. Ce texte présente enfin un intérêt réflexif: il entend contribuer à éclairer les rapports entre les catégories mobilisées par les chercheurs pour désigner leurs objets d’étude et les dénominations utilisées dans les discours des acteurs étudiés. Il fait ainsi écho à des interrogations développées dans l’un des deux mémoires de mon Habilitation à diriger des recherches (HDR) en sciences de l’information et de la communication, intitulé Enseignantchercheur en «propagande» ou en «communication publique»?5. Le présent texte aborde plus particulièrementlesinteractionsentreenseignants-chercheursanalystesdela«communication publique» et acteurs professionnels, aussi afin d’éclairer les conditions sociales de la mobilisation de l’expression «communication publique» dans les discours d’enseignantschercheurs. Cette analyse s’appuie sur les résultats d’enquêtes auprès de professionnels et d’analystes (universitaires) de la «communication publique» en France. Ces enquêtes ont permisdeconstituerdes«assemblagesdedonnéesdiscursives»hétérogènes6,allantdestextes dedéfinitiondelacatégorie,produitspardesassociationsprofessionnellescontribuantàl’autoorganisation et à l’auto-légitimation du groupe, jusqu’à des entretiens semi-directifs avec les acteurs sociaux, qu’ils soient des professionnels ou des analystes de la «communication publique». La«communicationpublique»,catégorieindigène L’hypothèse de la «communication publique» comme «catégorie indigène» peut s’appuyersurlaconceptiondecettenotiondupointdevuedel’anthropologieinterprétativeou symbolique7,quienproposeunedéfinitionprécise.Lesconditionsd’inventionetlesusagesdela désignation «communication publique» répondent aux trois caractéristiques constitutives d’une catégorie dite indigène, c’est-à-dire de ce que C. Geertz appelle un «concept proche de l’expérience»: «Un concept dont quelqu’un – […] dans notre cas un informateur – pourrait lui-même naturellementetsanseffortseservirpourdéfinircequeluiousescompagnonsvoient,pensent, 5 « Enseignant-chercheur en “propagande“ ou en “communication publique“ ? Auto-socioanalyse et généalogie de la politique du discours », Université Paris 12 Val-de-Marne, novembre 2008. 6 OGER C., OLLIVIER YANIV C., « Analyse du discours et sociologie compréhensive. Retour critique sur une pratique de recherche transdisciplinaire », S. BONNAFOUS et M. TEMMAR (dir.), Analyse du discours et sciences humaines et sociales, Paris, Ophrys, 2007, p. 48-57. 7 GEERTZ C., « “Du point de vue de l’indigène“, sur la nature de la compréhension anthropologique », op. cit., p. 71-90. 3 4 sentent, imaginent, et ainsi de suite, et qu’il comprendrait facilement quand ce concept serait appliquépard’autresdelamêmefaçon8.» Il s’agit en effet d’une construction discursive basée sur une culture locale et des savoirs pratiques, en l’occurrence caractéristique de la haute fonction publique. Son sens est peu polysémiqueetnefaitguèrededoute:ils’agitdelacommunicationdesinstitutionsoudeservice public.Ellecontribueenfinàrequalifierlesactivitésetlasituationdesacteursainsiqu’àtracer une frontière symbolique avec d’autres acteurs ou d’autres périodes dans le temps: «communication publique» permet d’éviter de parler de «communication politique», mais encorede«propagande». En premier lieu, l’expression «communication publique» est peu polysémique et ne susciteguèrededoute.D’unpointdevueformel,«communicationpublique»sembleavoirété construite autour d’une élision et constitue une réduction syntagmatique: la «communication publique»estlacommunicationàlafoisduoudeservicepublic,del’administrationpubliqueet elle apparaît donc d’utilité publique. Une autre hypothèse formelle conduit à considérer que «communication publique» fonctionne en miroir avec «fonction publique». Le syntagme «communicationpublique»peutêtrelucommeuneversionabrégéedelacommunication[de l’administration] ou [de la fonction] et surtout, [de service]9 public. Parce qu’il présente un caractèretautologique,cesyntagmedonnedesindicationsévidentesethomogènessurlestatut del’émetteurimpliqué.Ils’agitdesinstitutionspubliquesengénéraletcelles-cisetrouventen quelquesorteagrégées,commesiellesappartenaientàunmêmeensemble,quellequesoitleur échelle – locale ou nationale. A défaut de parvenir à unifier les pratiques et les acteurs ainsi désignés, le syntagme contribue à estomper leur hétérogénéité en mettant en exergue des valeursfédératrices:leservicepublicetl’intérêtgénéral. «Communication publique» est donc une désignation qui fait sens dans une culture locale, en l’occurrence celle de la fonction publique et à ses origines, plus particulièrement de la haute fonction publique. Dans les années 60 et surtout 70, en France, sont produits de nombreux textesportantsurledéveloppementdesservicesàrendreauxadministrés,puisauxusagers,de l’appareil administratif de l’Etat10. L’apparition de «l’information publique» et de «l’information de service», dans le cadre des réformes de l’appareil administratif de l’Etat de l’époque, permet de désigner une information que les auteurs des rapports, hauts 8 Ibid., p. 73. « Charte déontologique de la communication publique », Club Cap Com, 2002. 10 Voir en particulier les deux rapports préparatoires à l’établissement du SID, écrits par deux hautsfonctionnaires : Marceau Long, alors secrétaire général du gouvernement est l’auteur, en novembre 1975, du « Rapport à Monsieur le Premier ministre sur la réorganisation des structures et des missions de la Délégation générale à l’information » ; Raphaël Hadas-Lebel, à l’époque membre du cabinet du Premier ministre, signe une note datée du 20 janvier 1976 à ce sujet. Cf. L’Etat communiquant, op. cit., p. 187-193. 9 4 5 fonctionnaires, qualifient d’«objective» car relevant de l’intérêt général et non partisane. Le développement des relations entre administrations et administrés est alors déjà construit commeunlevierdelamodernisationdel’appareiladministratifdel’Etat. Deuxièmement, l’analyse montre encore que «l’information publique» désigne dès ses originesunedémarcheentensionavecledéveloppementdel’informationémanantdesacteurs politiques et faisant l’objet d’une médiatisation – autrement dit par le secrétaire général du gouvernement en 1975, M. Long, ce qui relève d’une «expression personnalisée, à un niveau politique élevé» - et qui préfigure le développement de la communication politique. Commentantledéveloppementdecespratiques,danslerapportauPremierministrede1975, M.Longécritainsi: «Le message ainsi diffusé sur les décisions gouvernementales est plutôt prétexte à des débats partisans et risque de susciter plus de confusion dans les esprits que d’assurer une réelle informationdescitoyenssurleursdroitsouleursdevoirs.» Toujoursaumilieudesannées70,deuxjeunesénarques(unadministrateurciviletunconseiller d’Etat) signent un article dans «La revue administrative» portant sur la nécessité juridique d’une «politique de communication» des administrations qui se trouve explicitement différenciéedela«propagandepolitique»etimplicitement,delapublicité,ausenscommercial duterme:«[Lapublicitédel’actionadministrative]nedoitpasservirdesupportàuneactionde propagandepolitique[…];elleestplusunserviceàrendrequ’unserviceàvendre11.» Ladifférenciationd’aveclacommunicationpolitiqueestuneconstantedanslestextesayantune visée définitoire de la «communication publique»: la charte de l’association éponyme inscrit, parmiles«règlesdecomportement»prescrites,lefaitd’«éviterlemélangedesgenresentrela communication institutionnelle (moyens, fonds, procédures publics) et la communication politique», afin de garantir «le bon usage de l’argent public12». Ce principe fait l’objet de rappelsrécurrentsetce,mêmeplusieursannéesaprèsquelaloidu15janvier199013n’aittenté declarifierlesactivitésrelevantdelacommunicationdesinstitutionsenpériodeélectorale. Dans un article publié dans un numéro de la revue professionnelle Acteurs publics de 2009, célébrant «20 ans de communication publique», le fondateur de l’association Communication publiquedésigneencore«levoisinage»entrelacommunicationpubliqueetlacommunication 11 AULAGNON T., JANICOT D., « La communication entre Administration et Administrés », La revue administrative, n° 165, 1975, p. 316. 12 « Charte de déontologie de la communication publique », supplément au n°72 de de la Lettre de l’association « Communication publique », 1998. 13 Loi n°90-55 relative à la limitation des dépenses électorales et à la clarification du financement des activités politiques. 5 6 politiquecommeétant«peufréquentable»etcomme«unobstacleàcontourner»:lavertude la«communicationpublique»quisetrouvealorsaffirméeestsoncaractère«durable14». Enfin il est frappant de noter à quel point le caractère disqualifiant de la référence à la «propagande» perdure dans l’histoire de la définition de la « communication publique», telle qu’elleestproduiteparsesanimateurs-promoteurs.Onentrouveencorelatraceaudébutdes années 2000, dans la charte de l’association professionnelle Club Cap’Com, qui en propose la reformulation de «falsification des faits» et l’oppose à la «transparence»: «Elle [la communication publique] doit s'exercer hors de toute propagande ou falsification des faits et respecter la nécessaire transparence des informations dont elle dispose, tant à l'intention des décideursquedesusagers15.» Les emplois de l’expression «communication publique» contribuent également à construireunefrontièreavecd’autresdomainesdusecteurd’activitésdelacommunicationen général.Ilenestparexempleainsideladistinctionétablieavecla«publicité»quirenvoieàdes intérêtscommerciauxetprivésainsiqu’aux«artificesdelaséduction16»:autantderéférences qui sont construites de manière antinomique à l’idéal de «transparence», à celui de «l’explication»etdelacirculationd’informationsdites«neutres»et«d’utilitépublique17».Le rappel de cette distinction perdure, lui aussi, comme en témoigne encore l’article en forme de bilansignéparP.Zémordanslenumérospéciald’Acteurspublics: «Les transpositions hâtives de la promotion publicitaire ou du marketing des entreprises en situation concurrentielle ont fait leur temps. Le mimétisme de leurs méthodes a été utile pour fairedescendrelesacteurspublicsdeleurpiédestal[…].Maisseborneraumodèleduclientest une facilité, voire une dérobade, pour quoi émet au nom de l’intérêt général des messages formelsetsouventcomplexes18.» Il est frappant d’observer que ce phénomène de clôture est opéré à l’égard de deux groupes d’acteurs avec lesquels les «communicants publics» sont précisément en interaction permanente:lesacteurspolitiquesd’unepart,lespublicitairesoulesconsultantsd’agencesqui interviennentcommeprestatairesdeservicesauprèsdesinstitutionsd’autrepart. La troisième caractéristique qui fait de la «communication publique» une catégorie indigène repose donc aussi sur le fait que cette désignation objective cristallise une identité 14 ZEMOR P., « Les 5 défis de la communication publique », Acteurs publics, supplément au n°59, décembre 2009, pp. 37-38. 15 Charte dite « de Marseille », publicisée le 25 novembre 2002 à Marseille, en ouverture du 14e Forum de la communication publique et territoriale organisé par l’association. 16 « Charte de déontologie de la communication publique », supplément au n°72 de la Lettre, op. cit.. 17 Ibid. 18 ZEMOR P., op. cit., p. 37. 6 7 professionnellepourdesacteursinstitutionnelsquidemeurentsouventdépendantsdupolitique – ne serait-ce que parce qu’en France, il n’existe pas de corps de fonctionnaires spécialisés en communication dans les institutions nationales et locales. Si la culture et les valeurs de la «communicationpublique»relèventbiend’uneéthiquedelafonctionpublique,toutescelleset ceux qui en sont les spécialistes sont loin d’avoir un statut de fonctionnaire. La désignation «communication publique» permet de proposer une référence identitaire à des acteurs du champpolitico-administratifquisontglobalementcaractérisésparunetrèsgrandediversitéde statuts, de trajectoires professionnelles et de formation, ainsi que d’institutions d’appartenance19. Cette référence identitaire est construite et publicisée par plusieurs groupes professionnels: l’association Club Cap’Com depuis 198820, l’association Communication publique créée en 198921, mais encore la plus éphémère Fédération européenne des associations de communication publique (FEACP) créée en 2004 à Bologne22, ou le plus récent «réseau des jeunes communicateurs publics» créé en octobre 2010 sous l’égide de l’association Communicationpublique. L’analyse des activités23 et des publications24 de ces organisations permet de dégager un processusdeconstructiond’espacesdesocialisationdeleursmembresainsiqued’«universde discours25». Si les différences de positionnement entre ces différentes associations ne doivent pas être occultées, la désignation «communication publique» n’en demeure pas moins transversaleetpartagée:elleapparaîtainsiporteused’unereconnaissancepolitiqueetsociale, maisaussiprescriptricedepratiquesetdeposturesspécifiquesàl’égarddesacteurspolitiques, desprestatairesdeservicedanslesagencesetdesjournalistes. La désignation concourt donc à mettre l’accent sur les ressemblances et à favoriser les mimétismesquisontàl’œuvredanstoutprocessusdeconstructiond’uneidentitécollective.Elle 19 Rien qu’à l’échelle gouvernementale, la reconnaissance en tant que spécialiste de la « communication publique » peut se trouver fortement brouillée, voire supplantée, par le sentiment d’appartenance à un secteur ministériel et à ses domaines de compétences (questions de protection de l’environnement, lutte contre l’insécurité routière…). 20 http://www.cap-com.org/ (consultation avril 2012). 21 http://www.communication-publique.fr/ (consultation avril 2012). 22 A l’initiative de la française « Communication publique » et de son homologue italienne, « Communicazione Pubblica ». 23 Rencontres thématiques réservées aux membres, mais aussi colloques et forums professionnels partiellement ouverts à des journalistes, à des enseignants-chercheurs ou à des chercheurs. 24 Certaines de ces publications (lettres, intranet) ont une diffusion limitée aux membres des associations ; d’autres (ouvrages) sont distribuées par des éditeurs commerciaux professionnels ou grand public. L’association Club Cap’Com a mis en ligne un portail portant sur les pratiques et les sources documentaires en matière de « communication publique et territoriale », le « site ressources Cap’Com » : cf. http://ressources.capcom.org/apropos.html (consultation avril 2012). Le réseau des Jeunes communicateurs publics, plus récent et dont les membres doivent avoir moins de trente ans, est caractérisé par sa communication digitale : blog (http://jcp.communication-publique.fr/), page Facebook. 25 STRAUSS A., « Une perspective en termes de monde social », op. cit., p. 271. 7 8 constituesimultanémentunmodèleàl’auneduquellesacteurspeuventpositionnerouévaluer leurspratiques,leursvaleursetleursdiscours. La«communicationpublique»,catégorieinstituante «Communication publique» est également devenue une catégorie utilisée et reconnue dans des domaines sociaux qui débordent largement les institutions publiques et l’administration.Ilenestévidemmentainsidanslesecteurd’activitésdelacommunicationen général,danslequeldesagencessedésignentcommeétantpourtoutoupartiespécialiséesen «communication publique26»: il existe vraisemblablement un marché de la prestation de servicesen«communicationpublique»,particulièrementàl’échelleterritoriale. Dans le secteur de l’enseignement supérieur et de la recherche, la «communication publique» constitue également une catégorie utilisée par les enseignants-chercheurs et les étudiants. En premier lieu, «communication publique» apparaît comme une catégorie académique en matièredeformation:uncertainnombredecursus,dansdesuniversitésoudansdesinstituts d’études politiques, comprennent des formations et/ou enseignements consacrés à la «communicationpublique».Sil’onconsidèreleniveauduMaster,lacartographiedel’offrede formation quadrille l’ensemble du territoire français. En Ile-de-France coexistent plusieurs Masters spécialisés, cités ici dans un ordre respectant globalement la chronologie. Le Master «Communicationpolitiqueetsociale»,ensciencespolitiquesàl’UniversitéParis1,estl’héritier delapremièreformationspécialiséeprofessionnelle-unDESS–crééeàlafindesannées70par le politiste Jean-Marie Cotteret. Un autre Master professionnel, plus centré sur l’échelon local, existe à Paris 1: «Communication politique locale». Il a été créé au début des années 90, au mêmemomentqueledépartementdecommunicationpolitiqueetpubliquedel’UniversitéParis 12(désormaisUniversitéParis-EstCréteil),quicomprendaujourd’huiunMaster–professionnel etrecherche–intitulé«CommunicationpolitiqueetpubliqueenFranceetenEurope27».Unpeu plustarddansladécennie90,leCelsa,écoleinterneàlaSorbonne(Paris4)trèsreconnuedans le secteur de la communication d’entreprise, crée un DESS «Communication et politiques de développement territorial». L’école délivre aujourd’hui un Master professionnel «Communication politique et des institutions publiques» ainsi que deux formations continues partenariales avec des institutions représentatives de la fonction publique (l’Ecole Nationale d’Administration et le Centre National de la Fonction Publique Territoriale): Master 26 Voir par exemple les agences Etat d’Esprit (http://www.etat-desprit.fr/), Adverbia (http://www.adverbia.fr/), Esprit public (http://www.esprit-public.fr/), Statis – Agence de communication publique (http://www.stratis.fr/), Sous tous les angles (http://www.soustouslesangles.fr/)… (Consultation mai 2011). 27 Master dirigée par l’auteure de ces lignes depuis 2008. 8 9 «Communication des institutions publiques» et Master «Communication des collectivités territoriales». L’Ecole de la communication, ouverte à Sciences Po Paris en 2010 avec une vocation généraliste, comprend des cours portant sur la «communication publique et territoriale».Onrappelleraquelareconnaissancedelacommunicationengénéraldansl’offre de formation de l’IEP date également du milieu des années 90, avec la création de la filière «communicationetressourceshumaines»,ajustéeàunsecteurd’activitésenpleineexpansion etsusceptibled’assurerdesdébouchésauxétudiants28.Enfinilconvientégalementdeciteren Ile-de-FranceleMaster«Politiquesdecommunication»,créésouslaformed’unDESSaudébut des années 90 à l’Université Versailles-Saint-Quentin qui, tout en étant généraliste mais dans une faculté de sciences politiques, a toujours dispensé des enseignements consacrés à la communication politique et/ou des institutions publiques. Sur le reste du territoire français, il est frappant d’observer la multiplication de Masters spécialisés dans les Instituts d’Etudes politiques,souventenlienaveclesuniversitéslocales:leMaster«Communicationpubliqueet politique»àBordeaux,leMaster«Communicationpubliqueetcorporate»àLille,quiprésente laparticularitéd’avoirétécrééen2007enpartenariatavecl’associationéponyme,maisencore le Master «Communication politique et institutionnelle» ouvert à la rentrée 2011 par l’IEP de Grenoble. L’Université de Metz (dans l’Université de Lorraine) délivre le Master «Communicationterritorialeetinterculturalité»etl’UniversitéCatholiquedel’Ouest,àAngers, le Master «Communication publique et animation des territoires». Le Master «Recherches et études en information-communication» de l’Université Stendhal-Grenoble 3 comprend un séminairesur«lacommunicationpubliqueetpolitique». Qu’ellessoientdisciplinairementinscritesensciencespolitiquesouensciencesdel’information et de la communication, ces formations comprennent des enseignements consacrés à la communication des institutions publiques avec, souvent, un fort ancrage territorial, lequel assure généralement une part non négligeable des débouchés de la formation. Bon nombre d’entreellescomprennentégalementdescoursconsacrésàlacommunicationetaumarketing électoral, à la médiatisation et à la communication des acteurs politiques. Ces formations s’attachentdoncdemanièregénéraleàcerneretàanalyserlapluralitédesactivitésinduitespar l’importance prise par la médiatisation et les nouveaux rapports aux citoyens ou aux publics danslasphèrepolitiqueetinstitutionnelle. Si la grande majorité de ces formations ne sont donc pas spécialisées au point de reproduirelaclôtureconstitutivedel’identitéprofessionnelledela«communicationpublique», leur développement n’en reste pas moins dépendant de l’importance prise par la fonction communication dans les institutions, territoriales en particulier. L’institution progressive de la 28 LEGAVRE J.-B., « Certains mots d’une réforme : Sciences-Po et la communication », D. GEORGAKAKIS, J.-M. UTARD (dir.), Science des médias. Jalons pour une histoire politique, Paris, L’Harmattan, 2001. 9 10 désignation«communicationpublique»peutégalementêtreimputéeauxinteractionsentreles enseignants-chercheurs responsables de ces formations et les acteurs spécialistes de la communication dans les nombreuses institutions où elle se développe, au point que l’on peut observer des trajectoires d’acteurs multipositionnés entre domaine académique et secteur d’activitésprofessionnelles. Les associations professionnelles dont il a été question dans la première partie de ce texte s’assurent de la collaboration d’enseignants-chercheurs, lesquels sont régulièrement amenés à intervenir dans les manifestations ou les publications organisées par les associations professionnelles, ou sont associés aux structures de pilotage de ces associations29. Il existe égalementdesacteurssociauxmultipositionnésissusduchampprofessionnel:parallèlementà leurs activités de spécialistes du maniement des signes et des discours dans une agence de conseil, une structure administrative ou un cabinet, ils dispensent des cours dans une ou plusieurs formations d’enseignement supérieur (à l’université, dans un institut d’études politiques,ouencoreàl’EcoleNationaled’Administration).Ilsontuneproductionéditorialequi nourritlesbibliographiesdistribuéesauxétudiantsdepuisledébutdesannées90etquirelève plus généralement d’un phénomène de socialisation «par anticipation des professionnels en devenir à leur futur univers (y compris dans l’apprentissage d’un vocabulaire spécifique d’initiés)30». -AndréHartereau,cadreterritorial,ancienformateurencommunicationauCentreNationalde la Fonction Publique Territoriale puis directeur de cabinet en collectivité: Communication publique territoriale et démocratie participative, Paris, Lettre du cadre territorial, 2002; Sécuriser les pratiques de la communication publique territoriale, Paris, Editions du Papyrus, 2008. -DominiqueMégard,déléguéegénéraledeCap’Com,chargéedecoursdansplusieursMasters: Lacommunicationdescollectivitéslocales,Librairiegénéralededroitetdejurisprudence,2009 (avecBernardDeljarrie),Lacommunicationpublique,Paris,Dunod,2011. - Jean-Emmanuel Paillon, énarque, successivement responsable de la communication au ministèredelasantéetàBercy,secrétairegénéralduSIGetchargédecoursdansunMaster: Comment organiser une campagne de communication publique? Guide pratique à l’usage des ministères,desétablissementspublicsetdescollectivitésterritoriales,Ladocumentationfrançaise, 1995(encollaborationavecClaudeNisenbaum). 29 Le comité de pilotage de Cap’Com comprend trois universitaires ; le CA de Communication publique, un universitaire. 30 RIUTORT P., « Sociologiser la communication politique ? A propos de quelques tendances de la science politique française », Politique et sociétés, vol. 26, n°1, 2007, pp. 77-95. 10 11 - Pierre Zémor, conseiller en communication de Michel Rocard, conseiller d’Etat, fondateur de l’associationCommunicationpublique:Lesensdelarelation,rapportauministredelaFonction publique surl’organisationdelacommunicationdesservicespublics,LaDocumentationfrançaise, 1992 (avec Frédéric Scanvic); La communication publique en pratique, Paris, Les éditions d’organisation, 1994, La communication publique, Paris, PUF, coll. «Que Sais-je?», 1995 (4ème édition2007),Lacommunicationpubliqueenpratiques,Paris,LaDocumentationfrançaise,2008. La reconnaissance réciproque entre monde universitaire et monde de la «communication publique» est encore rendue manifeste par l’existence, depuis 2006, du «prix du meilleur mémoiredecommunicationpublique»,dit«prixPierreZémor»,décernéchaqueannéeparun comitédemembresdel’association«Communicationpublique». On voit donc s’instituer un processus d’échanges de biens et de services portant sur la mise en œuvre de cours (dans des filières de formation qu’il est convenu de qualifier de «professionnalisées» dans le monde universitaire), de conférences (dans des rencontres professionnelles),ouencoredefinancementdecontratsderecherche. Les intérêts des groupes d’acteurs à participer à ces interactions qui configurent, de manière dynamique, le «monde social» de la «communication publique» n’en sont pas moins diversifiés. Pour les professionnels de la communication, la sollicitation d’enseignantschercheurs à participer aux activités d’associations relève de la recherche d’une caution académique ainsi que de la volonté affirmée de «prendre du recul» ou d’avoir accès aux «notions fondamentales» dans lesquelles les pratiques seraient ancrées31. De même, l’implication dans une filière de formation, dans une université ou un institut d’études politiques, peut être mobilisée comme une ressource symbolique par un acteur professionnel vis-à-vis de ses clients, mais encore comme une potentialité de trouver de bons stagiaires ou futurscollaborateurs. Pourdesacteursuniversitaires,lesenjeuxapparaissentautantmatérielsquesymboliques.Ces interactions sont l’occasion de contribuer à la notoriété d’une formation et par suite à l’obtention de stages ou d’emplois pour ses étudiants. La recherche de ressources, au sens le plusmatérielduterme,faitégalementpartiedesintérêtsdesacteursacadémiques,qu’ils’agisse desusciteruncontratderechercheoudefaciliterl’accèsàdesarchives,àdesdonnéesproduites parl’institutionmaisaussiàsesacteurs,àleurspratiquesetàleursdiscours. Conclusion 31 On s’appuie ici sur des échanges oraux et par courriel autour de notre participation au Forum Cap’Com 2011. 11 12 Le lien existant entre l’émergence de la communication politique comme objet académique(àpartirdel’analysedesmanièresdefaireetdevoirdesacteurs,àl’articulationdes années80et90)etledéveloppementdel’offredeformationencommunicationaétésouligné dans différents travaux. Notre perspective est dans leur continuité, tout en s’en distinguant. Danslacontinuitécarils’agittoujoursde«deprendreausérieuxlessavoirspratiquescomme lesmythologiesprofessionnelles32»desacteurs.Démarcationtoutefoiscarils’agitégalementici desaisircequeledéveloppementdela«communicationpolitiqueetpublique»doitauxacteurs académiques, chercheurs sur et enseignants dans les formations spécialisées. Assumer, en l’objectivant et en l’interrogeant, cette position apparaît d’autant plus nécessaire aujourd’hui que l’analyse du succès de la «communication publique» permet de révéler les activités d’acteurs bien plus nombreux, bien plus visibles et bien plus investis dans une entreprise d’autonomisationqueles«conseillersencommunicationpolitique»desannées9033. Analyser la «communication publique» en termes de «monde social» permet ainsi de rendrecomptedeladiversitédesituationsempiriquesdecoopérationsetd’interconnaissance, sansêtrecontraintpardescadresd’analyse–telsquelanotiond’organisationoucelledechamp parexemple–quicontribuentà«réifierlessystèmesdecoopérationétudiés».Decepointde vue, le recours à la perspective en termes de «monde social» permet de prendre acte de la «fluidité des situations sociales et des interactions», ainsi que de «prendre en considération des chaînes de coopération qui ne sont pas limitées par des a priori quant aux acteurs qui seraient importants et ceux qui ne le seraient pas34». En l’occurrence, elle permet de saisir ce que la naturalisation d’une catégorie émanant des activités et des discours d’acteurs de la fonctionpubliqueoudusecteurprofessionneldelacommunicationdoitauxinteractionsetaux conventionsavecdesprofessionnelsdel’enseignementsupérieuretdelarecherche. Enfin,lanaturalisationde«communicationpublique»danslesdiscoursdesacteursde l’enseignement supérieur et de la recherche mérite d’être plus particulièrement explorée pour deux raisons au moins. Tout d’abord parce que l’enseignement supérieur est un lieu de production, de transmission et de légitimation des connaissances et de leurs désignations. Ensuite parce que ses acteurs – les enseignants-chercheurs – se doivent de faire preuve de réflexivitésurlaconstructionetladésignationdeleursobjetsd’étude,toutenétant,commetout acteur social, susceptible de «garder à l’esprit les savoirs issus de [ses] apprentissages explicites» et d’éprouver des difficultés à objectiver «les dispositions cognitives, évaluatrices, 32 RIUTORT P., op. cit. LEGAVRE J.-B., « Conseiller en communication politique. L’institutionnalisation d’un rôle », thèse de doctorat en sciences politiques, Université Paris I, 1993 et GEORGAKAKIS D., « La double figure des conseillers en communication politique », Sociétés contemporaines, n° 24, 1995, p. 77-94. 34 CHAMPY F., La sociologie des professions, Paris, Presses Universitaires de France, 2009, p. 58-59. 33 12 13 affectivesetc.,construitesnonconsciemmentdanslesliensd’interdépendancequi[les]relientà d’autresacteurs35». Bibliographie BECKERH.S.,Lesmondesdel’art,Paris,ChampsFlammarion,2006. CHAMPYF.,Lasociologiedesprofessions,Paris,PressesUniversitairesdeFrance,2009. GEERTZ C., «“Du point de vue de l’indigène“: sur la nature de la compréhension anthropologique»,Savoirlocal,savoirglobal,Paris,PressesUniversitairesdeFrance,1986. GEORGAKAKIS D., «La double figure des conseillers en communication politique», Sociétés contemporaines,n°24,1995,p.77-94. LAHIRE B., «Logiques pratiques: le “faire“ et le “dire sur le faire“», B. 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