Mise au point clinique L`amylose cardiaque

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Mise au point clinique
L’amylose cardiaque
Une affection curable au diagnostic trop souvent négligé
Rodney H. Falk, MD
bservation clinique : une femme de
55 ans, jusqu’alors physiquement
très active, a noté que sa tolérance à
l’effort avait progressivement diminué
au cours des trois ou quatre derniers
mois au point de devoir reprendre son
souffle chaque fois qu’elle gravit des
escaliers. Il y a six mois de cela, elle
a consulté un dermatologue pour
de petites ecchymoses palpébrales
récidivantes, sans qu’aucune cause
n’ait été identifiée. Un ECG montre
des signes en faveur d’un infarctus du
myocarde ancien ainsi qu’un axe
cardiaque orienté de manière peu
courante (Figure 1) et, lors d’une
consultation cardiologique, l’échocardiographie met en évidence une
hypertrophie ventriculaire gauche
symétrique sans altération de la fraction d’éjection ventriculaire gauche,
des valves cardiaques fonctionnant
normalement et une légère hypertrophie ventriculaire droite. La
patiente ne présente aucun antécédent
familial de trouble cardiovasculaire
ou neurologique. L’examen physique
objective une discrète élévation de la
pression veineuse jugulaire, des bruits
du cœur normaux, une absence de
souffle cardiaque, un discret œdème
périphérique, des champs pulmonaires
clairs et une légère congestion hépatique. La pression artérielle est de
110/65 mmHg. Il existe une protéinurie
de grade 1+. L’électrophorèse des
protéines sériques ne montre pas
de bande anormale, mais l’immunofixation sérique décèle la présence d’un
pic d’immunoglobine monoclonale qui
se révèle être une IgGλ. Une biopsie
O
médullaire est pratiquée, qui met
en évidence 5 à 10 % de plasmocytes
d’un même type prenant la coloration
caractéristique des chaînes légères λ.
Le dosage des chaînes légères libres
montre une augmentation du taux
d’éléments λ libres et un rapport
κ/λ anormal. Le taux de peptide
natriurétique de type B est de 1 019
pg/ml (la normale se situant en dessous
de 100 pg/ml) et celui de troponine I
de 0,07 ng/ml (taux normalement
inférieur à 0,01 ng/ml). La biopsie
endomyocardique (Figure 2) révèle
la présence de matériel extracellulaire
amorphe prenant la coloration au
rouge Congo et au bleu Alcian sulfaté
et qui, en immunohistochimie, réagit
aux anticorps anti-chaînes légères λ
mais non à ceux dirigés contre les
chaînes κ, AA et de la transthyrétine.
Le diagnostic d’amylose de type AL
(c’est-à-dire à chaînes légères) à IgGλ
est dès lors porté.
Les amyloses constituent un
groupe de maladies caractérisées par
l’accumulation extracellulaire d’un
matériel protéinique appelé substance
amyloïde. Ces dépôts résultent du
mauvais repliement d’un précurseur
protéique, dont les types les plus
fréquents sont les chaînes légères, la
transthyrétine et l’amyloïde A sérique.1
Bien que la microscopie optique
ou électronique ne permette pas de
déterminer quel est le précurseur
protéique à l’origine des dépôts
observés, un typage précis peut
être réalisé en ayant recours à des
colorations spécifiques, ce qui est
indispensable à l’instauration du
traitement approprié (en écartant ainsi
les approches inadaptées). L’amylose
est une affection systémique qui peut
affecter de multiples organes (dont le
cœur), la sévérité du trouble au niveau
d’un organe donné variant selon le
précurseur protéique en cause. Les
Tableaux 1 et 2 décrivent les formes
d’amylose les plus courantes. Nous
nous limiterons ici aux amyloses AL
et à transthyrétine, qui sont les deux
formes les plus fréquemment observées
en pratique clinique.
L’amylose AL
La patiente qui nous occupe est
atteinte d’amylose AL. Il s’agit d’une
dyscrasie plasmocytaire étroitement
apparentée au myélome multiple, mais
qui en est généralement distincte.
Environ 2 000 nouveaux cas d’amylose
AL sont annuellement enregistrés aux
Etats-Unis, dont environ la moitié
comporte une atteinte cardiaque
marquée. L’âge médian d’apparition
du trouble se situe vers 55 à 60 ans. Les
principaux organes communément
affectés par l’amylose AL sont les reins
(l’affection se manifestant généralement par une importante protéinurie),
le cœur, les nerfs (neuropathie périphérique et syndrome neurovégétatif),
le tractus digestif (amaigrissement,
troubles du transit) et le foie (élévation
des phosphatases alcalines sans modification des transaminases, les formes
ictériques étant rares). La fragilité
capillaire occasionnée par les dépôts de
substance amyloïde est cause de
l’apparition de lésions cutanées
purpuriques au moindre choc ainsi que
Programme d’étude de l’amylose cardiaque, Brigham and Women’s Hospital et Harvard Vanguard Medical Associates, Boston, Massachusetts,
Etats-Unis.
Le supplément de données uniquement disponible en ligne peut être consulté, tout comme la version anglaise de cet article, sur le site :
http://circ.ahajournals.org/lookup/suppl/doi:10.1161/CIRCULATIONAHA.110.010447/-/DC1.
Correspondance : Rodney H. Falk, MD, Department of Cardiology, Harvard Vanguard Medical Associates, 133 Brookline Ave, Boston MA 02215,
Etats-Unis.
E-mail : [email protected]
(Traduit de l’anglais : Cardiac Amyloidosis; A Treatable Disease, Often Overlooked. Circulation. 2011;124:1079–1085.)
© 2011 American Heart Association, Inc.
Circulation est disponible sur le site http://circ.ahajournals.org
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Figure 1. Tracé électrocardiographique du cas décrit. Celui-ci fait apparaître un faible voltage limite dans les dérivations périphériques et une
déviation axiale droite extrême. Il existe également des extrasystoles auriculaires et, bien que le voltage des dérivations précordiales soit
normalement conservé, celles-ci montrent une très médiocre progression des ondes R, ce qui est en faveur d’un infarctus du myocarde
ancien (les artères coronaires épicardiques étaient normales).
d’un purpura périorbitaire (comme
cela est le cas chez la patiente dont il
est ici question).
Le pronostic de l’amylose AL
dépend du nombre d’organes affectés
et de la sévérité de leur atteinte ; la
localisation cardiaque est celle dont le
pronostic est le plus sombre, la durée
médiane de survie chez un patient non
traité étant d’environ 6 mois à compter
de l’installation de l’insuffisance
cardiaque congestive.2 Dans l’amylose
cardiaque de type AL, le décès est
secondaire à l’aggravation progressive
de l’insuffisance cardiaque ou revêt
la forme d’une mort subite. Celle-ci est
le plus souvent la conséquence d’une
asystolie ventriculaire ou d’une dissociation électromécanique, la pose
d’un défibrillateur dans un but préventif n’étant que rarement efficace.3
Les signes électrocardiographiques
peuvent orienter à tort vers une coronaropathie. Il arrive fréquemment
que le diagnostic d’amylose ne soit
porté qu’avec beaucoup de retard, car,
face à la normalité de la coronarographie, le médecin juge inutile de
poursuivre les investigations plus
avant. L’épaississement de la paroi
myocardique mis en évidence par
l’échocardiographie dans l’amylose
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cardiaque symptomatique est souvent
faussement assimilé à une « hypertrophie » (comme dans le cas présent),
ce qui conduit à formuler un diagnostic
erroné de cardiopathie hypertensive ou
de cardiomyopathie hypertrophique.
En réalité, l’épaississement pariétal
décrit dans l’amylose résulte d’un
infiltrat et, contrairement à ce que l’on
observe dans l’hypertrophie ventriculaire gauche vraie, à savoir une augmentation du voltage des complexes
électrocardiographiques, dans l’amylose le voltage est diminué, ce qui est
fortement en faveur d’une affection
myocardique infiltrante.4 Les signes
échocardiographiques caractéristiques
sont décrits dans la Figure 3 et dans les
clips vidéo inclus dans le supplément
de données uniquement disponible
en ligne. Outre l’échocardiographie,
l’imagerie par résonance magnétique
cardiaque contribue utilement au
diagnostic de l’amylose cardiaque en
objectivant un aspect relativement spécifique de rehaussement diffus tardif
myocardique sous-endocardique après
injection de gadolinium (Figure 4) et
un ralentissement de la disparition
des images contrastant avec une élimination accélérée du gadolinium du
courant circulatoire et du myocarde.5
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Le précurseur protéique en cause
dans l’amylose AL est un fragment
d’immunoglobuline
monoclonale.
L’immunofixation
des
protéines
sériques et urinaires met en évidence
une bande monoclonale anormale
dans près de 90 % des cas. La protéine
monoclonale
est
généralement
présente à un taux nettement inférieur
à celui observé dans le myélome
multiple. C’est pourquoi l’on ne peut
s’en remettre à la seule électrophorèse
des protéines sériques et urinaires pour
confirmer une suspicion d’amylose
AL. Le dosage des chaînes légères
libres est un test quantitatif dont le
résultat est anormal dans plus de 95 %
des cas. Chez un patient présentant une
suspicion d’amylose cardiaque ou
reconnu atteint d’une telle affection
au vu des données de l’examen biopsique, un excès de chaînes λ (ou plus
rarement κ) oriente préférentiellement
vers une amylose AL.
L’amylose cardiaque à
transthyrétine
L’amylose cardiaque peut également
être causée par l’accumulation de
substance amyloïde secondaire à une
mutation de la transthyrétine, une
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Falk
Figure 2. Biopsie endomyocardique. A, la coloration à l’hématoxyline-éosine met en
évidence la présence d’un matériel extracellulaire amorphe rose-clair séparant les
myocytes, dont la coloration est plus intense. Bien que compatible avec le diagnostic de
dépôts amyloïdes, cet aspect demande à être approfondi par l’emploi de colorations plus
spécifiques. La coloration au rouge Congo (non présentée) était positive ; le bleu Alcian
sulfaté (B) colore les dépôts amyloïdes en bleu turquoise et les myocytes en jaune.
L’immunocoloration des dépôts amyloïdes aux anticorps anti-λ était fortement positive
(coloration verte en C), alors que les colorations faisant appel aux autres types d’anticorps
étaient négatives, confirmant par là même le diagnostic d’amylose AL. (Figure
gracieusement prêtée par le Dr Gayle Winters, du Service d’Anatomopathologie du Brigham
and Women’s Hospital.)
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protéine synthétisée par le foie. La
transthyrétine est une petite protéine
composée de 127 acides aminés.
Plus d’une centaine de mutations
ponctuelles ont été décrites, dont la
plupart sont pourvoyeuses d’amylose.
La transthyrétine mutée tend à former
des monomères instables qui, du fait de
leur repliement incorrect, provoquent
des
dépôts
amyloïdes
siégeant
préférentiellement au niveau du cœur
et du système nerveux. L’atteinte de ce
dernier se traduit par une neuropathie
sensorimotrice progressive, à laquelle
vient fréquemment s’ajouter un
syndrome neurovégétatif de degré
variable. Etonnamment, l’insuffisance
cardiaque congestive peut être minime,
voire absente, même en cas de
dépôts intracardiaques massifs. Cette
observation a conduit à considérer que
l’insuffisance cardiaque congestive
rapidement progressive observée dans
l’amylose AL a une composante
toxique liée à la circulation des chaînes
légères libres, alors que l’amylose à
la transthyrétine est essentiellement
une cardiomyopathie infiltrante.6 La
propension des chaînes légères à
induire une amylose a été par la
suite confirmée par des études
animales.7
Un variant de la transthyrétine est
particulièrement fréquent chez les
individus d’origine africaine. Environ
4 % des Afro-américains sont hétérozygotes pour une substitution de la
valine par l’isoleucine en position 122.
Cette mutation est à l’origine d’une
amylose cardiaque qui débute vers
la fin de la soixantaine et se caractérise par une insuffisance cardiaque
congestive progressive s’accompagnant
assez fréquemment d’une insuffisance
tricuspidienne cliniquement significative.8 La neuropathie est rare mais peut
survenir à un stade tardif de la maladie ;
de plus, contrairement à ce que l’on
observe dans l’amylose systémique
sénile, elle touche communément la
femme. La constatation troublante de
ce que le pourcentage d’individus
présentant une isoleucine en position
122 est plus élevé dans les essais
cliniques sur l’insuffisance cardiaque
que dans la population générale9
conduit à se demander si cette mutation ne contribuerait pas au développement d’autres formes d’insuffisance
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Tableau 1.
Type
AL
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Principaux types d’amyloses
Précurseur
protéique
Organes cibles
Chaînes
légères
Rein
Cœur
Principaux moyens
diagnostiques
Traitement
Immunofixation des
protéines sériques
et urinaires
Chimiothérapie
dirigée contre
les plasmocytes
Chaînes légères libres
Système nerveux
Biopsie médullaire
Tractus digestif
et foie
Téguments
ATTR
SSA
Transthyrétine
mutée
Système nerveux
Cœur
Absence d’anomalie
de type AL
Transplantation
hépatique
Dépistage génétique
positif de la
transthyrétine mutée
Traitements
expérimentaux
visant à stabiliser
la transthyrétine
Absence d’anomalie
de type AL
Traitements
expérimentaux
visant à stabiliser
la transthyrétine
Transthyrétine
de type
sauvage
Cœur
AA
Amyloïde A
sérique
Rein
Foie
Néant
Traitement de
l’inflammation
sous-jacente
AANF
Facteur
natriurétique
atrial
Oreillette
Néant
Néant
Tableau 2.
Dépistage génétique
négatif
cardiaque, peut-être en induisant la
formation de petits dépôts amyloïdes.
De faibles quantités de substance
amyloïde peuvent être décelées dans les
ventricules de 50 à 80 % des individus
âgés de plus de 80 ans. Ces dépôts ont
généralement pour origine une transthyrétine de type sauvage et n’ont pas
ou que peu de conséquences cliniques.
En revanche, l’accumulation myocardique massive de substance amyloïde issue de ce même type sauvage,
qui est toutefois relativement rare,
provoque une insuffisance cardiaque
congestive progressive et constitue
le syndrome désigné sous le nom
d’amylose cardiaque sénile (ou
amylose systémique sénile). Pour des
raisons inexpliquées, ce trouble frappe
principalement les hommes, généralement au-delà de 70 ans, le rapport
hommes/femmes étant de l’ordre de
20/1.10 Alors que l’autopsie des patients
atteints d’amylose systémique sénile
met en évidence l’existence de dépôts
pulmonaires, l’accumulation rénale de
substance amyloïde est très rare dans
cette forme de la maladie et l’amylose
à la transthyrétine de type sauvage
Eléments différenciant l’amylose cardiaque de la cardiopathie hypertensive et de la cardiomyopathie hypertrophique
Amylose
Cardiopathie hypertensive
Cardiomyopathie hypertrophique
Répartition de
l’épaississement VG
Globale
Globale
Habituellement
segmentaire
Taille de la cavité VG
Normale à faible
Normale, mais dilatation
possible au stade terminal
Normale, mais dilatation
possible au stade terminal
Fraction d’éjection
Faible mais normale, ou
légèrement diminuée
Varie d’hyperdynamique à
faible
Souvent hyperdynamique
Epaisseur du VD
Fréquemment augmentée
Normale
Rarement augmentée
Echogénicité myocardique
Fréquemment augmentée
Normale
Normale
Contrainte
longitudinale/vélocité
en Doppler tissulaire
Fortement réduite
Diminution discrète à modérée
Diminution segmentaire
Anomalies valvulaires
Possible épaississement
généralisé
Aucune anomalie
particulière
Insuffisance mitrale en cas de
déplacement systolique
vers l’avant
Souvent restrictive
(grade 3 ou 4)
Le plus souvent de
grade 1 ou 2
Absence d’anomalie
pathognomonique
Voltage de l’ECG
Fréquemment bas dans les
dérivations périphériques
HVG
HVG
Pression artérielle
Normale à faible ; rarement élevée
Augmentée
Normale
IRM cardiaque
Fréquent rehaussement tardif
généralisé après injection de
gadolinium, intéressant notamment
le VD et les oreillettes
Rehaussement tardif
absent ou minime
Variable ; un léger
rehaussement tardif est
fréquent, généralement
limité au VG
Insuffisance mitrale le plus
souvent minime
Fonction diastolique
VG : ventriculaire gauche ; VD : ventriculaire droit ; IRM : imagerie par résonance magnétique ; HVG : hypertrophie ventriculaire gauche.
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L’amylose cardiaque
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cardiaque. Il a été publié que l’acide
3,3-diphosphono-1,2-propanodicarboxylique marqué au 99mTc, qui est un
traceur utilisé en scintigraphie osseuse,
est très fortement capté par le myocarde dans l’amylose à la transthyrétine. Certains ont proposé
d’utiliser la scintigraphie au dicarboxypropane
diphosphonate
comme
méthode simple de diagnostic non
invasif de l’amylose cardiaque à la
transthyrétine, car elle permet de la
distinguer de l’amylose AL, dans
laquelle la captation myocardique est
généralement plus faible.11
Traitement
Figure 3. Aspect caractéristique d’une cardiomyopathie amyloïde. A, image en incidence
parasternale selon le grand axe montrant l’épaississement concentrique du ventricule
gauche, dont la cavité demeure néanmoins de taille normale, ainsi que l’augmentation de
l’échogénicité myocardique. L’oreillette gauche est dilatée et il existe un petit épanchement
péricardique. B, image en incidence sous-costale chez un autre patient. On note une
dilatation des deux oreillettes, alors que les cavités ventriculaires droite et gauche sont de
taille normale, ainsi qu’un épaississement des parois ventriculaires droite et gauche avec
augmentation de l’échogénicité. C, Doppler tissulaire enregistré à hauteur de la portion
basale du septum objectivant une diminution de la vélocité systolique, un raccourcissement
de la durée de contraction longitudinale systolique et d’importants ralentissements des
vélocités diastoliques précoce et tardive. AVO : ouverture de la valve aortique ; AVC :
fermeture de la valve aortique.
n’induit quasiment jamais de neuropathie cliniquement manifeste. La
réticence à pratiquer des biopsies
endomyocardiques chez les patients
âgés et l’erreur diagnostique consistant
à qualifier de cardiopathie hypertensive
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ce qui est en réalité une amylose
cardiaque contribuent très certainement à une sous-estimation diagnostique de l’amylose à la transthyrétine
mutée par substitution d’une isoleucine
en position 122 et de l’amylose sénile
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Quelle que soit la forme d’amylose
cardiaque en cause, la prise en charge
comporte deux volets : le traitement
de l’insuffisance cardiaque congestive
et la prévention de l’accumulation
des dépôts amyloïdes. L’élimination
pharmacologique des dépôts préexistants n’est pas encore possible, bien
que de récentes données préliminaires
dans un modèle de souris transgénique
aient montré l’intérêt potentiel d’une
approche combinant médicaments
et anticorps.12 Si le traitement de
l’insuffisance cardiaque ne diffère que
peu suivant que l’amylose qui en est
responsable est à chaînes légères ou à
transthyrétine, celui de l’affection
sous-jacente, en revanche, diffère
totalement selon la forme en cause.
Dans l’amylose AL, peut-être en raison
de la présence conjointe d’un syndrome neurovégétatif, les inhibiteurs
de l’enzyme de conversion de l’angiotensine et les inhibiteurs des récepteurs
à l’angiotensine II sont rarement
tolérés et peuvent provoquer une
hypotension majeure, même lorsqu’ils
sont prescrits à faibles doses. Les
bêtabloquants n’ont pas d’efficacité
démontrée et peuvent aggraver l’hypotension ; de leur côté, les inhibiteurs
calciques tendent à aggraver l’insuffisance cardiaque congestive. C’est
pourquoi les diurétiques sont pratiquement les seuls médicaments
disponibles pour traiter l’insuffisance
cardiaque secondaire à cette forme
d’amylose, bien que la spironolactone
et l’éplérénone soient généralement
bien tolérées et doivent probablement
être prescrites. Les bêtabloquants et les
inhibiteurs de l’enzyme de conversion
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Figure 4. Rehaussement tardif diffus après gadolinium ayant une répartition caractéristique
de l’amylose cardiaque. Les flèches indiquent les zones au niveau desquelles le
rehaussement est essentiellement sous-endocardique (zones blanches), intéressant non
seulement les deux ventricules mais aussi le septum auriculaire. RA : oreillette droite ; RV :
ventricule droit ; LA : oreillette gauche ; LV : ventricule gauche.
de l’angiotensine sembleraient mieux
tolérés dans l’amylose à la transthyrétine, mais il n’est nullement assuré
qu’ils aient un quelconque impact sur
le pronostic.
Le traitement de la dyscrasie plasmocytaire qui sous-tend l’amylose AL
relève de la compétence d’un hématologue rompu à la prise en charge des
amyloses.13 Le traitement visant à
réduire la production de substance
amyloïde peut aggraver l’insuffisance
cardiaque congestive, même s’il ne lui
est pas imputé d’effet cardiotoxique
direct. L’administration conjointe de
dexaméthasone à forte dose et de l’un
des trois principaux médicaments utilisés pour traiter l’amylose AL (à savoir
le melphalan, le lénalidomide et/ou le
bortézomib) peut provoquer une
importante rétention hydrique. Chez
un patient présentant une insuffisance
cardiaque congestive débutante ou
avérée, la dexaméthasone doit être instaurée à une dose relativement faible,
qui sera ensuite augmentée à chaque
nouvelle cure jusqu’à atteindre la
dose maximale tolérée. Cela implique
fréquemment d’ajuster la dose de
diurétique tout au long des cures
thérapeutiques et requiert une surveillance cardiologique étroite. Le melphalan est dénué de cardiotoxicité et, si le
bortézomib est apparu quelque peu
cardiotoxique dans les essais cliniques
menés chez des patients atteints de
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myélome, les individus qui présentaient
une insuffisance cardiaque congestive
ont été le plus souvent exclus de ces
études. Toutefois, l’administration de
bortézomib aggrave parfois la rétention liquidienne et l’insuffisance cardiaque congestive.14 Le lénalidomide
est, lui aussi, généralement considéré
comme non cardiotoxique, mais une
récente étude semble indiquer que, tout
en diminuant les concentrations en
chaînes légères libres, ce médicament
pourrait augmenter les taux de
troponine et de fragment N-terminal
du pro-peptide natriurétique de type B,
ce qui porte à penser qu’il pourrait
avoir un effet néfaste sur le cœur.15
La chimiothérapie à forte dose avec
autogreffe de cellules souches est
efficace dans l’amylose AL, mais les
patients atteints d’amylose cardiaque
payent un plus lourd tribut que ceux
qui sont indemnes de localisation
cardiaque. Dans un essai ayant comparé ce traitement à l’administration
orale de melphalan et de dexaméthasone, aucune différence statistique n’a
été relevée entre les deux groupes en
termes d’issue clinique.16 Les patients
qui présentaient une amylose cardiaque ont évolué de manière légèrement plus favorable en ayant été
soumis à un traitement moins agressif.
Cela étant, les résultats d’une prise en
charge agressive sont hautement
dépendants du niveau d’expertise du
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centre de traitement. Chez des patients
atteints d’amylose cardiaque qui sont
soigneusement sélectionnés par un
cardiologue ayant l’expérience de la
maladie et travaillant en étroite
collaboration avec un hématologue
chevronné, la probabilité de réussite
d’un tel traitement agressif est élevée,
une rémission hématologique complète
ayant de bonnes chances d’être
obtenue.
L’approche
combinant
examen clinique et mesure des taux
sériques de troponine et de fragment
N-terminal du pro-peptide natriurétique de type B permet de déterminer
si un patient atteint d’amylose AL cardiaque peut ou non bénéficier d’une
chimiothérapie à forte dose.17
Le traitement de l’amylose à transthyrétine est, pour l’heure, purement
symptomatique. Fort heureusement,
la plupart des patients répondent
d’emblée favorablement à l’instauration d’un traitement prudent de leur
insuffisance cardiaque. D’après notre
expérience, ces patients sont sensibles
à la surdiurèse, ce qui entraîne une
élévation rapide de la créatininémie
malgré l’absence de dépôts amyloïdes
au niveau des reins. Cela pourrait tenir
à la détérioration d’un débit cardiaque
déjà faible, comme cela est observé à
un stade avancé de la maladie, du fait
de l’existence d’une cavité ventriculaire
gauche de petite taille et d’un faible
débit systolique. Il n’est pas rare qu’un
patient atteint d’amylose cardiaque
sénile finisse par développer un bloc de
conduction complet, ce qui contraint à
la pose d’un stimulateur cardiaque à
demeure. Bien que, souvent, le patient
ne satisfasse pas aux critères habituellement requis pour poser l’indication
d’une
stimulation
biventriculaire
(allongement de la durée des complexes QRS et fraction d’éjection
inférieure à 35 %), je suis néanmoins
partisan d’instaurer un tel traitement,
car la dyskinésie induite par la stimulation ventriculaire droite isolée chez un
sujet dont la cavité ventriculaire
gauche est de petite taille diminue
encore davantage le débit cardiaque.
Diverses approches expérimentales
sont explorées pour prendre en charge
et traiter l’amylose à la transthyrétine.
Le tafamadis, un médicament expérimental, empêche la dégradation de la
molécule de transthyrétine et pourrait
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Falk
donc diminuer ou prévenir les dépôts
amyloïdes. Selon les données préliminaires d’un essai clinique, ce
médicament ralentirait la progression
de la neuropathie périphérique dans
l’amylose par mutation de la transthyrétine17a ; un essai est, par ailleurs,
actuellement mené dans la cardiomyopathie amyloïde. D’autres médicaments destinés à stabiliser la molécule
sont en cours d’évaluation préclinique.18 De nouvelles stratégies
faisant respectivement appel aux petits
ARN interférents19 et aux oligonucléotides oligosens font également l’objet
d’évaluations dans le traitement de
l’amylose à la transthyrétine.20
Evolution de la patiente
La patiente décrite au début de cet
article a eu à choisir entre une
chimiothérapie à forte dose couplée à
une autogreffe de cellules souches et
un traitement à base de bortézomib et
de dexaméthasone. Elle a opté pour
cette seconde approche en ayant été
avertie qu’elle lui occasionnerait peutêtre des effets indésirables moins
sévères, mais qu’elle risquait également
d’être moins efficace que la première.
Cette femme a toutefois parfaitement
répondu au protocole, qu’elle a bien
toléré, et, après deux mois de traitement, son taux de chaînes légères libres
s’est normalisé, ce qui était en faveur
d’une excellente résolution de la
maladie. La patiente fait l’objet d’une
surveillance régulière, fondée sur des
évaluations cliniques et des dosages du
taux des chaînes légères libres, tout en
envisageant de poursuivre le traitement
par le bortézomib ou de recourir à la
chimiothérapie avec autogreffe de
cellules souches dans l’éventualité où
l’affection redeviendrait active. Ce type
de réponse hématologique complète
est observé chez environ 40 % des
patients précédemment non traités
auxquels ce protocole est administré,21
mais le taux de rechute est mal
connu. Les symptômes cardiaques
s’améliorent, mais persistent souvent ;
l’amélioration
échocardiographique
est, par ailleurs, rare.
Conclusions
Ces dix dernières années, les possibilités de traitement de l’amylose
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cardiaque se sont élargies, des recherches étant activement menées sur de
nouvelles thérapeutiques, axées notamment sur l’amylose à la transthyrétine.
Une forte suspicion clinique et un
diagnostic précoce fondé sur le typage
précis des dépôts amyloïdes sont indispensables pour améliorer le pronostic
des patients. Il est extrêmement
important que ces derniers soient
dirigés vers un service spécialisé dans la
prise en charge de ces affections afin
qu’un diagnostic de certitude puisse
être porté et qu’il soit proposé à ces
sujets un traitement adapté à leur profil
clinique par des médecins rompus au
diagnostic et au traitement de cette
affection rare, mais qui est désormais
potentiellement curable.
Déclarations
Néant.
Références
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