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Mise au point clinique
L’amylose cardiaque
Une affection curable au diagnostic trop souvent négligé
Rodney H. Falk, MD
Observation clinique : une femme de
55 ans, jusqu’alors physiquement
très active, a noté que sa tolérance à
l’effort avait progressivement diminué
au cours des trois ou quatre derniers
mois au point de devoir reprendre son
souffle chaque fois qu’elle gravit des
escaliers. Il y a six mois de cela, elle
a consulté un dermatologue pour
de petites ecchymoses palpébrales
récidivantes, sans qu’aucune cause
n’ait été identifiée. Un ECG montre
des signes en faveur d’un infarctus du
myocarde ancien ainsi qu’un axe
cardiaque orienté de manière peu
courante (Figure 1) et, lors d’une
consultation cardiologique, l’écho-
cardiographie met en évidence une
hypertrophie ventriculaire gauche
symétrique sans altération de la frac-
tion d’éjection ventriculaire gauche,
des valves cardiaques fonctionnant
normalement et une légère hyper-
trophie ventriculaire droite. La
patiente ne présente aucun antécédent
familial de trouble cardiovasculaire
ou neurologique. L’examen physique
objective une discrète élévation de la
pression veineuse jugulaire, des bruits
du cœur normaux, une absence de
souffle cardiaque, un discret œdème
périphérique, des champs pulmonaires
clairs et une légère congestion hépa-
tique. La pression artérielle est de
110/65 mmHg. Il existe une protéinurie
de grade 1+. L’électrophorèse des
protéines sériques ne montre pas
de bande anormale, mais l’immuno-
fixation sérique décèle la présence d’un
pic d’immunoglobine monoclonale qui
se révèle être une IgGλ. Une biopsie
médullaire est pratiquée, qui met
en évidence 5 à 10 % de plasmocytes
d’un même type prenant la coloration
caractéristique des chaînes légères λ.
Le dosage des chaînes légères libres
montre une augmentation du taux
d’éléments λ libres et un rapport
κ/λ anormal. Le taux de peptide
natriurétique de type B est de 1 019
pg/ml (la normale se situant en dessous
de 100 pg/ml) et celui de troponine I
de 0,07 ng/ml (taux normalement
inférieur à 0,01 ng/ml). La biopsie
endomyocardique (Figure 2) révèle
la présence de matériel extracellulaire
amorphe prenant la coloration au
rouge Congo et au bleu Alcian sulfaté
et qui, en immunohistochimie, réagit
aux anticorps anti-chaînes légères λ
mais non à ceux dirigés contre les
chaînes κ, AA et de la transthyrétine.
Le diagnostic d’amylose de type AL
(c’est-à-dire à chaînes légères) à IgGλ
est dès lors porté.
Les amyloses constituent un
groupe de maladies caractérisées par
l’accumulation extracellulaire d’un
matériel protéinique appelé substance
amyloïde. Ces dépôts résultent du
mauvais repliement d’un précurseur
protéique, dont les types les plus
fréquents sont les chaînes légères, la
transthyrétine et l’amyloïde A sérique.1
Bien que la microscopie optique
ou électronique ne permette pas de
déterminer quel est le précurseur
protéique à l’origine des dépôts
observés, un typage précis peut
être réalisé en ayant recours à des
colorations spécifiques, ce qui est
indispensable à l’instauration du
traitement approprié (en écartant ainsi
les approches inadaptées). L’amylose
est une affection systémique qui peut
affecter de multiples organes (dont le
cœur), la sévérité du trouble au niveau
d’un organe donné variant selon le
précurseur protéique en cause. Les
Tableaux 1 et 2 décrivent les formes
d’amylose les plus courantes. Nous
nous limiterons ici aux amyloses AL
et à transthyrétine, qui sont les deux
formes les plus fréquemment observées
en pratique clinique.
L’amylose AL
La patiente qui nous occupe est
atteinte d’amylose AL. Il s’agit d’une
dyscrasie plasmocytaire étroitement
apparentée au myélome multiple, mais
qui en est généralement distincte.
Environ 2 000 nouveaux cas d’amylose
AL sont annuellement enregistrés aux
Etats-Unis, dont environ la moitié
comporte une atteinte cardiaque
marquée. L’âge médian d’apparition
du trouble se situe vers 55 à 60 ans. Les
principaux organes communément
affectés par l’amylose AL sont les reins
(l’affection se manifestant générale-
ment par une importante protéinurie),
le cœur, les nerfs (neuropathie péri-
phérique et syndrome neurovégétatif),
le tractus digestif (amaigrissement,
troubles du transit) et le foie (élévation
des phosphatases alcalines sans modi-
fication des transaminases, les formes
ictériques étant rares). La fragilité
capillaire occasionnée par les dépôts de
substance amyloïde est cause de
l’apparition de lésions cutanées
purpuriques au moindre choc ainsi que
Programme d’étude de l’amylose cardiaque, Brigham and Women’s Hospital et Harvard Vanguard Medical Associates, Boston, Massachusetts,
Etats-Unis.
Le supplément de données uniquement disponible en ligne peut être consulté, tout comme la version anglaise de cet article, sur le site :
http://circ.ahajournals.org/lookup/suppl/doi:10.1161/CIRCULATIONAHA.110.010447/-/DC1.
Correspondance : Rodney H. Falk, MD, Department of Cardiology, Harvard Vanguard Medical Associates, 133 Brookline Ave, Boston MA 02215,
Etats-Unis.
E-mail : rfalk@partners.org
(Traduit de l’anglais : Cardiac Amyloidosis; A Treatable Disease, Often Overlooked. Circulation. 2011;124:1079–1085.)
© 2011 American Heart Association, Inc.
Circulation est disponible sur le site http://circ.ahajournals.org
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