Institution de soins, euthanasie et liberté thérapeutique

LONGNEAUX, Jean-Michel,
Institution de soins, euthanasie et liberté thérapeutique,
in "Rapport des travaux de la Commission d'éthique de la FIHW" 2001-2002 ,
annexe 4, pp.16.
1.- La problématique
En milieu hospitalier, le médecin est-il seul juge de la manière dont il va traiter le malade ?
Jouit-il d’une totale indépendance dans le choix de la thérapeutique proposée ? Plus
spécifiquement, confronté à une demande d’euthanasie dont la pratique serait légalisée,
pourrait-il se voir imposer, par l’institution de soins, d’accomplir un acte contraire à ses
convictions personnelles ou, inversement, interdire de poser un acte d’euthanasie réclamé par
un patient ? Le personnel infirmier avec lequel il collabore se trouve-t-il dans la même
situation que lui à l’égard des directives émanant du gestionnaire hospitalier ?
Une analyse succincte des relations juridiques liant les professionnels de la santé à l’hôpital
peut apporter une réponse à ces questions.
2.- La relation juridique médecin - hôpital
Les rapports juridiques entre les médecins et les institutions de soins sont définis par la loi
sur les hôpitaux coordonnée le 7 août 19871 : en application de son article 130, §1, al 1,
chaque hôpital doit en effet « élaborer une réglementation générale régissant les rapports
juridiques entre l’hôpital et les médecins ». L’alinéa 2 dudit article précise que ce règlement
général « ne peut contenir de dispositions qui mettraient en cause l’autonomie professionnelle
du médecin hospitalier individuel sur le plan de l’établissement du diagnostic ou de
l’exécution du traitement ».
Dans le cadre de la relation contractuelle qui unit le praticien de l’art de guérir à l’institution
de soins, celui ci jouit, en conséquence, de la liberté diagnostique et thérapeutique. Ce
principe est rappelé dans d’autres dispositions légales ou réglementaires :
- l’article 11 de l’arrêté royal du 10 novembre 1967 interdit les limitations réglementaires à
cette liberté : « les praticiens (...) ne peuvent être l’objet de limitations réglementaires dans
le choix des moyens à mettre en oeuvre, soit pour l’établissement du diagnostic soit pour
l’institution du traitement et son exécution (...) »;
- l’article 73 de la loi coordonnée du 14 juillet 1994 sur l’assurance maladie-invalidité précise
que « le médecin et le praticien de l’art dentaire apprécient en conscience et en toute liberté
les soins dispensés aux patients »;
- le Code de déontologie médicale reprend, à l’article 36, le principe inscrit dans l’arrêté royal
susmentionné : « le médecin jouit de la liberté diagnostique et thérapeutique ».
1 AR 7/8/1987 portant coordination de la loi sur les hôpitaux (MB 7/10/1987).
On trouve une confirmation de cette liberté dans la jurisprudence de nos cours et tribunaux. Il
est acquis que le médecin puisse choisir, en toute liberté, les moyens à mettre en oeuvre pour
établir son diagnostic ou instituer son traitement :
- dans un arrêt du 24 novembre 19712, la Cour d’appel de Liège rappelle que le médecin est le
seul juge de la manière dont il doit traiter ses patients et de la thérapeutique qu’il convient de
leur appliquer : « Attendu qu’il appartient au médecin de choisir parmi les méthodes
thérapeutiques conformes aux données acquises de la science ou utilisées par une pratique
sérieuse, celle qu’il croit la plus appropriée au cas qu’il doit traiter en se déterminant d’après
la nature de la maladie et les particularités physiques et psychologiques du malade lui-même
(...) ».
- Plus récemment, dans une interprétation de l’article 37 du Code de déontologie médicale
relatif à la prévention en matière de toxicomanie, le Conseil d’état3 a estimé que le médecin
jouissait de la plus grande liberté pour choisir les mesures qu’il jugeait les plus appropriées
pour sevrer le malade de son assuétude : « la liberté laissée au médecin par ladite disposition
lui permet d’amener le patient à accepter la ou les mesures qu’il lui propose sans perturber la
relation qu’il a établie avec son patient et sans que celui-ci soit détourné des soins que son
état requiert ».
En aucune manière, les autorités administratives d’une institution de soins ne sont autorisées à
critiquer les décisions médicales ni ne peuvent se prononcer au sujet de discussions revêtant
un caractère purement médical. Elles ne sont pas habilitées, dans l’état actuel de notre droit, à
exercer des pressions sur le corps médical.
La problématique de l’euthanasie n’échappe pas à ce principe qui, d’une part, constitue un
fondement de l’exercice de l’art de guérir et, d’autre part, n’a jamais été remis en cause au
sein des assemblées parlementaires ou des comités d’éthique débattant de la question de
l’opportunité d’un règlement légal de l’interruption de vie à la demande de patients
incurables.
Ainsi, il ressort implicitement de l’ avis du 12/5/1997 du Comité Consultatif de Bioéthique4
que l’institution de soins est écartée de la procédure de la demande d’euthanasie aussi bien
dans la proposition de « régulation procédurale a posteriori de l’euthanasie décidée en
colloque singulier » (modèle hollandais) que dans la proposition de « régulation procédurale
a priori des décisions médicales les plus importantes concernant (...) l’euthanasie, après
consultation collégiale (procédure de concertation entre le patient, la famille, le médecin et
l’équipe soignante).
La proposition de loi déposée le 20 décembre 1999 relative à l’euthanasie, s’inspirant de
l’avis du Comité Consultatif de Bioéthique, organise une procédure de concertation dont sont
également exclus les gestionnaires hospitaliers : seule l’équipe soignante, aussi bien
infirmiers(ères) que médecins, participe à la discussion au sujet de l’état incurable ou non du
patient. L’équipe soignante ne constitue toutefois qu’une cellule de concertation et non une
2 Liège, 24 novembre 1971, J.T., 1974, p. 297.
3 C.E., 29 juillet 1994, R.A.C.E., 1994, n° 48689.
4 Avis n° 1 concernant l’opportunité d’un règlement légal de l’euthanasie.
2
cellule de décision. Comme le souligne le Professeur R.O. DALCQ, « il faut que
l’information soit partagée, qu’il y ait un dialogue afin de dégager les solutions qui
correspondent au mieux à l’intérêt du patient tout en protégeant le médecin de reproches non
justifiés. Cette concertation ayant eu lieu, c’est le médecin et lui seul cependant qui doit
prendre la décision finale. C’est lui qui a la responsabilité de son patient et il doit l’assumer
sur le plan moral. Sur le plan juridique, cette concertation permettra au médecin de se
justifier si on lui fait des reproches »5.
Si l’institution de soins ne peut interférer dans la relation médecin - patient, qu’en est-il des
comités locaux d’éthique hospitaliers ? Ceux-ci ne sont habilités qu’à formuler des conseils et
des avis non contraignants au bénéfice des patriciens. Les missions de ces comités ne sont
donc pas susceptibles, a priori, de contraindre un médecin à agir dans la voie qu’ils
préconisent. Les lignes directrices dégagées par les membres de ces comités, si elles peuvent
être perçues, par certains, comme « une présomption de fait d’un comportement d’un
praticien normalement prudent »6 ne peuvent engager la responsabilité du médecin
hospitalier dont les opinions divergent.
La liberté diagnostique et thérapeutique doit également être appréciée sous l’angle de la
relation médecin - patient. Pour rappel, le discours juridique traditionnel attribue, depuis des
décennies, un caractère contractuel à la relation thérapeutique qui unit le médecin à son
patient7 . En vertu d’un accord exprès ou tacite intervenant entre le médecin et le patient ou
ses représentants, le praticien prodiguera des soins eu égard à l’état de la science
contemporaine et aux règles consacrées de la pratique médicale, et ce, avec la capacité
professionnelle et les connaissances qu’un médecin normal doit avoir.
Les relations entre praticien et patient doivent se construire sur l’idée que le malade est maître
de sa personne, qu’il est en position d’égal, comme titulaire de droits déterminés en face du
médecin et que c’est par un contrat librement consenti qu’il lui confère des pouvoirs sur son
corps. L’institution de soins est un tiers par rapport au contrat médical : elle ne peut se
substituer ni au médecin ni au patient afin d’influencer la relation thérapeutique.
Cela étant, il n’est pas impossible que cette liberté thérapeutique entre en conflit avec la
liberté que le patient possède d’exiger un traitement déterminé. Aussi le médecin peut-il
refuser de poser un acte demandé par le patient. Dans le cadre plus particulier de
l’euthanasie, on doit reconnaître au médecin un droit d’abstention justifié par ses convictions
personnelles comme tel est déjà le cas en matière d’avortement thérapeutique, matière dans
laquelle le législateur est expressément intervenu : « aucun médecin (...) n’est tenu de
concourir à une interruption de grossesse »8. Aucune contrainte ne peut être exercée à son
5 R.O. DALCQ, « A propos de l’euthanasie. Exposé présenté aux commissions réunies de la justice et des
affaires sociales du Sénat », T. Gez./Rev. Dr. Santé, 2000 - 2001, p. 3 et s.
6 B. CLAESSENS, « Les comités locaux d’éthique hospitaliers et la responsabilité civile au sein des institutions
de soins », T. Gez. / Rev.Dr. Santé, 1998-1999, p. 339.
7 R. SAVATIER, J.-M. AUBY, J. SAVATIER, H. PEQUIGNOT, Traité de droit médical, Librairies
Techniques, 1956, p. 211; X. RYCKMANS et R. MEERT-VAN DE PUT, Les droits et obligations des
médecins , t. I, Larcier, 1971, p 163 et s.; H. NYS, La médecine et le droit, Bruxelles, Kluwer éditions
juridiques, 1995, p. 133; J. PENNEAU, « La responsabilité médicale », S., 1977, p. 19; A. BENABENT, Droit
civil : les contrats spéciaux , Paris, Montchrestien, 1993, p. 284; F. GLANSDORF, N. VERHEYDEN-
JEANMART, P. FORIERS, X. DIEUX, P. van OMMESLAGHE, Y. MERCHIERS, Les contrats de service,
Editions du Jeune Barreau de Bruxelles, 1994, p. 302.
8 Article 350, 6° du Code pénal.
3
égard, ni par le malade, ni par un tiers. La liberté thérapeutique se heurte ici au droit du
patient de disposer de son corps et de sa santé.
2.- La relation juridique personnel infirmier - hôpital
L’admission du patient à l’hôpital enclenche un processus juridique complexe.
Indépendamment du contrat médical qu’il noue avec le médecin, le patient conclut un contrat
d’hospitalisation par lequel l’hôpital s’engage à lui fournir les soins d’accompagnement
adaptés à son état de santé et à mettre à sa disposition son infrastructure médicale et hôtelière.
Afin d’exécuter ses obligations, l’hôpital fait appel au personnel infirmier qui agit pour son
compte dans l’exercice de son activité professionnelle.
Lorsqu’un praticien de l’art infirmier se met au service d’une institution de soins, il est
exceptionnel qu’il exerce son activité professionnelle en qualité de travailleur indépendant.
Dans la majorité des cas, il travaille en qualité de salarié pour le compte et sous l’autorité de
l’hôpital qui l’occupe. Son occupation procède d’un contrat, le travail subordonné relevant
du droit du travail.
Le contrat de travail est le contrat par lequel le travailleur s’engage, contre rémunération, à
fournir un travail sous l’autorité d’un employeur9.
La subordination est un élément essentiel du contrat de travail. Une fois les fonctions de
l’infirmier définies, celui-ci est tenu d’obéir aux ordres et aux instructions émanant de
son employeur10.
Le personnel infirmier ne bénéficie pas de l’autonomie professionnelle du médecin11. Sauf
circonstances exceptionnelles (demande expresse d’actes illégaux, de pratique médicale ou
infirmière abusive, infractions à l’exercice de l’art infirmier, ... ), il ne peut s’opposer aux
directives de sa hiérarchie. L’institution de soins pourrait donc, théoriquement, interdire à son
personnel de participer à des actes d’euthanasie, ce qui serait susceptible de perturber
fortement les relations entre les praticiens de l’art infirmier et les médecins, les premiers étant
également préposés des seconds lorsqu’ils posent des actes infirmiers soumis à prescription
médicale ou des actes médicaux confiés12.
Il nous paraît toutefois légitime qu’un infirmier refuse, de sa propre initiative, de participer à
une euthanasie. Tout comme pour le praticien de l’art de guérir, on peut concevoir que la
participation à cet acte pourrait être refusé au nom de la conscience . Ici aussi, dans certaines
situations délicates et extrêmes, il faut reconnaître au personnel soignant un droit d’abstention
justifié par ses convictions personnelles. Rappelons ici l’intervention du législateur déjà
9 Articles 2 et 3 de loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail (M. B. 22/8/1978).
10 Article 17, 2° de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail.
11 Il est important de noter qu’il est unanimement admis que le médecin qui exerce son activité dans les liens
d’un contrat de travail conserve sa liberté diagnostique et thérapeutique. Le contrat de travail n’est pas
incompatible avec le respect de l’autorité d’un employeur dont les directives visent essentiellement, dans les
hôpitaux, les conditions d’organisation, les conditions de travail et les conditions financières de travail.
12 Voyez notamment la liste des actes infirmiers B2 soumis à prescription médicale et exécutés sous le contrôle
du médecin de même que la liste des actes médicaux confiés : dans certaines hypothèses, le personnel infirmier
est considéré comme le préposé occasionnel du médecin et agit non plus pour le compte de l’hôpital mais du
médecin.
4
5
évoquée en matière d’avortement thérapeutique : « ( ... ) aucun infirmier ou infirmière,
aucun auxiliaire médical n’est tenu de concourir à une interruption de grossesse »13. Pareille
clause de conscience pourrait être intégrée dans la réglementation légalisant l’euthanasie.
Jean-Marie HUBAUX
Juriste
Clinique Saint-Luc - Bouge
13 Article 350, 6° du Code pénal.
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