
veut : créée, construite,  une littérature personnelle héritée de  l’esthétique du dix-neuvième 
siècle et qui hante : cela est possible, quand l’on sait que Maurice Ravel était l’intime des 
poètes  depuis l’adolescence.  Il  a  peut-être  enfin  tenté par  la création  de  se distancier des 
perspectives morbides de cet été 1908, où le père aimé du compositeur déclinait de jour en 
jour et ne  reconnaissait plus même ses  proches : tristesse, mort,  solitude exprimés  par les 
textes romantiques connus par Ravel… ou, pourquoi pas encore, créer, construire à partir d’un 
matériau poétique qui le touchait, sans vouloir cependant céder à la tentation d’une noirceur 
plus viscérale…  
Rusé et n’entendant pas se laisser envahir par une phrase qui ne veut peut-être rien 
dire, Marcel Marnat a réglé le problème en écrivant que Ravel avait « prétendu exorciser les 
vieilles peurs du romantismes » avec Gaspard de la Nuit, mais avoué dans une seconde partie 
de la même phrase jamais citée, « qu’il s’y était laissé piéger ».  
Si Gaspard de la Nuit est en effet l’œuvre la plus sombre de Maurice Ravel et un 
monument, reconnu comme tel, de la littérature pianistique, Marcel Marnat distingue pour lui 
deux tentations esthétiques et contrastées chez Maurice Ravel : les « œuvres claires (ou tout 
du  moins  démonstratives) »,  et  les  œuvres  « enténébrées »,  parmi  lesquelles  il  place 
évidemment les « trois Poèmes pour piano ». Il justifie par ailleurs l’existence des premières 
par une « nécessité psychique évidente », opposant en cela Maurice Ravel à son aîné Claude 
Debussy, au tempérament plus unilatéralement saturnien. Pour opposer les deux compositeurs 
Marcel Marnat oppose encore la stylistique des deux quatuors de  Debussy et  de Ravel,  et 
souligne à propos du second une « éloquence quasi distanciée ». Il utilise même le terme de 
« parodie » en réponse à la « subjectivité » du quatuor plus directement post-romantique de 
Debussy
[5]
. Il est cela dit amusant de constater que le propos tenu par Marcel Marnat dans sa 
biographique critique de Maurice Ravel, est exactement le même que celui que tiennent les 
spécialistes de Claude Debussy, soit celui de la constatation d’une distance nécessaire ! Ainsi, 
dans un article sur Debussy et le piano:  
« 
Au-delà de l’élégance visuelle, les pianistes découvrent rapidement que la notation de Debussy reste très classique dans son 
économie  aussi  bien  que  dans  sa  clarté  structurelle  et  polyphonique.  Son  essence  tient  à  l’équilibre  entre  la  surface  d’une  musique 
d’apparence fluide et comme improvisée et la vigueur du classicisme formel qui la sous-tend
. »
[6]
 !  
Dans un autre article qui compare la poétique debussyste et celle du compositeur Henri 
Dutilleux,  Maxime  Joos  rappelle  que  le  Prélude  à  l’après-midi  d’un  faune  (1894)  est 
considéré  par  Pierre  Boulez  comme  « la  première  œuvre  du  20
e
  siècle »,  que  pour  Jean 
Barraqué Debussy est avant tout moderne et précurseur du sérialisme. Marcel Marnat quant à 
lui relativise ce propos en rappelant que c’est par surcharge harmonique à force de « faire 
avec » les règles de l’harmonie, dans un souci de résolution toujours latent, que la modernité 
du langage de Debussy quitte le rivages du tonal, comme dans la Mer. En effet pour Marnat 
c’est Ravel, qui usera de la dissonance en tant que telle et pour commencer, en partant de la 
perception,  pour  un  langage  libéré  qui  peut  par  ailleurs  être  rapproché  de  l’écriture 
« hallucinée » du dernier Liszt de Nuages : un Liszt qui frise également avec l’atonalité, mais 
dont on ne parle quasiment jamais. Forme, langage… A quelle aune s’agit-il de mesurer le 
potentiel moderne du créateur, et, du reste, est-ce vraiment la question ? 
Tous résolument  « modernes », tous  révolutionnaires,  magiciens  dont les  structures 
formelles les plus classiques deviennent garantes d’une liberté, après que le genre du poème 
symphonique et de la musique programmatique pour piano aient été poussés, depuis Liszt, 
jusqu’à leurs derniers retranchements : ce qui amènera un Mahler à revenir à la symphonie 
dont Debussy a estimé que « depuis Beethoven, la preuve de l’inutilité était faite »: et c’est le