Samedi 14 mai 2016 17h Illkirch, L’Illiade Dalia Stasevska direction Grégoire Pont dessinateur Le Tombeau de Couperin, version pour orchestre 17’ Prélude Forlane Menuet Rigaudon Ma mère l’Oye, ballet 29’ Prélude (Très lent) Tableau I : Danse du rouet et Scène (Allegro) Tableau II : Pavane de la Belle au bois dormant Lent - Allegro - Mouvement de valse modéré) Interlude Tableau III : Les Entretiens de la Belle et de la Bête (Mouvement de valse modéré) Interlude Tableau IV : Petit Poucet (Très modéré) Interlude Tableau V : Laideronnette, impératrice des pagodes (Mouvement de marche Allegro - Très modéré) Interlude Apothéose : Le Jardin féerique (Lent et grave) Attention, génie ! Entre 1908 et 1910, Ravel écrit sa suite Ma mère l’Oye pour que les enfants d’un ami puissent la jouer au piano à quatre mains. Puis, comme souvent, il orchestre plus tard sa composition et l’étoffe un peu en ajoutant des interludes entre chaque partie. Le résultat est délicieusement chamarré et a été utilisé comme musique de ballet. L’inspiration lui en est venue directement des célèbres Contes de ma mère l’Oye de Charles Perrault, de La Belle et la Bête de Mme Leprince de Beaumont et d’un récit sans doute moins connu Le Serpentin vert de Mme d’Aulnoy. Un prélude plante d’abord un décor féérique à souhait. Dans la danse du rouet, on voit (on imagine) une vieille femme filant. La princesse entre en dansant, trébuche, se pique le doigt au fuseau du rouet et cela sans qu’on puisse la sauver du sommeil qui l’emporte. La Pavane de la Belle au bois dormant montre la princesse profondément endormie par la fileuse qui est, en fait, une méchante fée. La beauté et la suavité de la musique de Ravel semblent évoquer la tranquillité de ce sommeil et négliger l’espérance d’un réveil, aussi amoureux et princier soit-il. Les Entretiens de la Belle et la Bête évoquent l’histoire dans laquelle la Belle se sacrifie pour son père en honorant une promesse qu’il a faite, celle de l’envoyer vivre auprès de la Bête. La Belle va prendre la Bête en pitié jusqu’à accepter de l’épouser malgré son aspect hideux. Cela lui rendra meilleure figure, celle d’un prince séduisant. La partition de Ravel dépeint ces épisodes, la compassion de la Belle, la demande en mariage de la Bête, le consentement de la Belle et la fin heureuse de l’histoire. Petit Poucet illustre la célèbre aventure du plus petit des sept fils d’un bûcheron résolu à les abandonner en forêt pour cause de trop grande pauvreté. Laideronette, impératrice des pagodes, est victime d’une méchante fée qui s’est penchée sur son berceau mais qui, au lieu de la doter, lui a jeté le sort qui enlaidit. D’abord cachée par sa mère, Laideronnette trouvera ensuite le bonheur après une rencontre avec un serpent vert et un mariage qui dissipera les sortilèges qui les emprisonnaient, elle et son aimé. L’épisode mis en musique évoque un voyage magique qui mène Laideronette au pays des pagodes ; cela offre à Ravel l’occasion d’imiter, voire de pasticher, la musique chinoise. Le dernier mouvement, le Jardin féerique, guide le prince charmant vers la princesse endormie. Quand il l’éveille d’un baiser, les personnages des contes précédents les rejoignent et l’œuvre se termine en une apothéose mêlant exotisme et féérie. Comme Ma mère l’Oye, Le Tombeau de Couperin est à l’origine une suite de pièces pour piano que Ravel orchestre et qui sera aussi utilisée comme musique de ballet bien que ce ne soit pas sa destination première. D’abord une explication sur le mot « tombeau ». Il ne faut pas l’entendre au sens actuel c’est-à-dire comme la pierre mémorielle installée dans un cimetière. Ici le tombeau est un genre musical, principalement en usage aux XVIIème et XVIIIème siècles. C’était une œuvre composée en hommage à un ami ou à un autre musicien, après sa mort ou parfois aussi de son vivant. Le « tombeau » écrit par Ravel entre 1914 et 1917 se réfère à François Couperin, compositeur français mort en 1733. Pour bien relier les deux époques, baroque et moderne, Ravel donne aux différentes pièces le nom de danses en usage deux cents ans plus tôt : menuet, rigaudon, forlane… De fait, l’œuvre entière se veut une révérence à la clarté et à l’élégance de la musique française du XVIIIème siècle. La suite originelle pour piano compte six numéros. Ravel n’en orchestre que quatre. Rien de funèbre dans cette musique même si l’idée de la mort n’en est pas absente puisque chaque partie du Tombeau est dédiée à la mémoire d’amis tombés en tant que de soldats pendant la guerre. Le talent de Ravel est ici de concevoir un hommage dans lequel des rythmes dansants savent apporter la sérénité et dans lequel le brio de l’orchestre est mis au service de l’expression, somme toute pudique, de ses sentiments. Mais peut-être est-ce plus que du talent ? Ravel disait : « Oui, mon génie, c’est vrai, j’en ai. Mais qu’est-ce que c’est ? Eh bien, si tout le monde savait travailler comme je sais travailler, tout le monde ferait des œuvres aussi géniales que les miennes. » En s’exprimant ainsi, sans doute plaisantait-il un peu ? Quoi qu’il en soit, soyons conscients qu’avec ces deux œuvres de Ravel nous sommes en présence du génie, le génie de l’invention, le génie de l’orchestration, le génie des équilibres entre les timbres et les ambiances. En présence aussi de cet ineffable génie qui donne à sa musique, pourtant construite et complexe, la capacité de nous toucher très directement au cœur en nous laissant croire à sa simplicité.