Attention, génie !
Entre 1908 et 1910, Ravel écrit sa suite Ma mère l’Oye pour que les enfants d’un
ami puissent la jouer au piano à quatre mains. Puis, comme souvent, il orchestre
plus tard sa composition et l’étoffe un peu en ajoutant des interludes entre chaque
partie. Le résultat est délicieusement chamarré et a été utilisé comme musique de
ballet. L’inspiration lui en est venue directement des célèbres Contes de ma mère
l’Oye de Charles Perrault, de La Belle et la Bête de Mme Leprince de Beaumont et
d’un récit sans doute moins connu Le Serpentin vert de Mme d’Aulnoy.
Un prélude plante d’abord un décor féérique à souhait. Dans la danse du rouet, on
voit (on imagine) une vieille femme filant. La princesse entre en dansant, trébuche,
se pique le doigt au fuseau du rouet et cela sans qu’on puisse la sauver du sommeil
qui l’emporte. La Pavane de la Belle au bois dormant montre la princesse
profondément endormie par la fileuse qui est, en fait, une méchante fée. La beauté et
la suavité de la musique de Ravel semblent évoquer la tranquillité de ce sommeil et
négliger l’espérance d’un réveil, aussi amoureux et princier soit-il.
Les Entretiens de la Belle et la Bête évoquent l’histoire dans laquelle la Belle se
sacrifie pour son père en honorant une promesse qu’il a faite, celle de l’envoyer vivre
auprès de la Bête. La Belle va prendre la Bête en pitié jusqu’à accepter de l’épouser
malgré son aspect hideux. Cela lui rendra meilleure figure, celle d’un prince
séduisant. La partition de Ravel dépeint ces épisodes, la compassion de la Belle, la
demande en mariage de la Bête, le consentement de la Belle et la fin heureuse de
l’histoire.
Petit Poucet illustre la célèbre aventure du plus petit des sept fils d’un bûcheron
résolu à les abandonner en forêt pour cause de trop grande pauvreté.
Laideronette, impératrice des pagodes, est victime d’une méchante fée qui s’est
penchée sur son berceau mais qui, au lieu de la doter, lui a jeté le sort qui enlaidit.
D’abord cachée par sa mère, Laideronnette trouvera ensuite le bonheur après une
rencontre avec un serpent vert et un mariage qui dissipera les sortilèges qui les
emprisonnaient, elle et son aimé. L’épisode mis en musique évoque un voyage
magique qui mène Laideronette au pays des pagodes ; cela offre à Ravel l’occasion
d’imiter, voire de pasticher, la musique chinoise.
Le dernier mouvement, le Jardin féerique, guide le prince charmant vers la princesse
endormie. Quand il l’éveille d’un baiser, les personnages des contes précédents les
rejoignent et l’œuvre se termine en une apothéose mêlant exotisme et féérie.
Comme Ma mère l’Oye, Le Tombeau de Couperin est à l’origine une suite de pièces
pour piano que Ravel orchestre et qui sera aussi utilisée comme musique de ballet
bien que ce ne soit pas sa destination première.
D’abord une explication sur le mot « tombeau ». Il ne faut pas l’entendre au sens
actuel c’est-à-dire comme la pierre mémorielle installée dans un cimetière. Ici le
tombeau est un genre musical, principalement en usage aux XVII
ème
et XVIII
ème
siècles. C’était une œuvre composée en hommage à un ami ou à un autre musicien,
après sa mort ou parfois aussi de son vivant. Le « tombeau » écrit par Ravel entre
1914 et 1917 se réfère à François Couperin, compositeur français mort en 1733.
Pour bien relier les deux époques, baroque et moderne, Ravel donne aux différentes
pièces le nom de danses en usage deux cents ans plus tôt : menuet, rigaudon,
forlane… De fait, l’œuvre entière se veut une révérence à la clarté et à l’élégance de
la musique française du XVIII
ème
siècle. La suite originelle pour piano compte six
numéros. Ravel n’en orchestre que quatre.