Texte d_hommage à Mireille Gervasoni

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TEXTE D’HOMMAGE A MIREILLE GERVASONI
MEDAILLE PIERRE ET MARIE CURIE – 2009
A Mme Mireille GERVASONI
Par Nicolas Foray
Chère Mireille,
L’ataxie telangiectasie est à ce jour le syndrome associé à la plus forte radiosensibilité
connue chez l’homme.
La première description de la maladie a été publiée en 1926 par Syllaba et Henner qui
détaillèrent des telangiectasies associées à des pertes d’équilibre progressifs sur 3 enfants
tchèques. Pendant plus de 30 ans, la description de ce syndrome allait se faire en français.
En 1941, la médecin belge Denise Louis-Bar décrivit le cas d’une jeune fille de 9 ans atteinte
à la fois par une ataxie cérébelleuse, des télangiectasies oculo-cutanées et un retard mental
progressif. Le syndrome en question devint alors le syndrome Louis-Bar.
En 1958 qu’Elena Boder et Robert P Sedwick font adopter le terme ataxie telangiectasie en
démontrant la nature génétique de la maladie et son association avec une prédisposition aux
infections sino-pulmonaires.
Dans les années 60, alors que la course à la recherche du gène commence, les premiers
patients atteints d’ataxie telangiectasie subissent des traitements radiothérapiques pour
certains lymphomes. C’est une véritable tragédie. On suspecte alors une très forte sensibilité
aux rayons X mais l’évidence clinique se heurte aux lacunes technologiques pour la
démontrer. On n’avait ni les techniques d’investigations ni les concepts radiobiologiques pour
estimer de façon incontestable la radiosensibilité d’AT. Il faudra attendre 1975 quand
l’anglais Colin Arlett démontrera en 1975 l’hyperradiosensibilité in vitro des cellules de
patients AT pour que plus aucune irradiation thérapeutique ne soit tentée sur des personnes
atteintes de l’ataxie telangiectasie.
On pensait alors que la maladie comprend plusieurs groupes de complémentations à l’image
du syndrome Xeroderma Pigmentosum, qui lui est plutôt associé à une photosensibilité mais
dont l’étude génotype-phénotype est plus avancée que celle de l’ataxia telangiectasie.
On parle alors de AT-A, AT-B, ATCD, etc….
Entre 1988 et 1991, l’américain Richard Gatti montra que « le » gène ou « un des gènes »
AT se situent sur le bras long du chromosome 11. Ce fut un pas décisif pour la recherche
génétique mais ce résultat aboutit à une surprise : la découverte non pas de plusieurs mais
bien d’un seul gène par l’Equipe Israélienne du Professeur Joseh Shiloh en 1995.
Ainsi, il aura donc fallu plus de 50 ans pour passer de la première description clinique de la
maladie à la découverte du gène…
En 1976 naît David, votre fils. Le diagnostic pour lui ne se fait pas immédiatement comme
c’est le cas le plus souvent. D’une part parce que cette maladie est rare, et rarement décrite
et donc rarement connue des praticiens, qu’ils soient kinésithérapeutes, généralistes, ou
radiologues. D’autre part parce que les multiples symptômes de cette maladie
n’apparaissent pas forcément ensemble au cours des 2 à 4 premières années de la vie ce
qui rend ainsi son diagnostic encore plus difficile.
On imagine la détresse des parents face à de tels diagnostics, détresse encore plus
augmentée par le peu de spécialistes français voire francophones.
Spécialiste de la Rome antique au CNRS, votre profession vous permet peut-être
d’échanger plus facilement avec les chercheurs du monde entier : vous rencontrez ainsi
Richard Gatti qui vous suggère de fonder une association de parents à l’image de celles
existantes aux Etats-Unis ou en Angleterre.
Cette association, l’APRAT ou Association pour la Recherche sur l’Ataxie Telengiectasie voit
le jour en 1996 et regroupe aujourd’hui des dizaines de familles. Et c’est alors sans relâche
que, avec notamment Mme Lucette Tardieu, vous vous investissez corps et âme dans cette
association en aidant les familles et en organisant des rencontres régulières entre
scientifiques et parents. Vous aidez également directement la recherche puisque l’APRAT a
financé plusieurs bourses de chercheurs travaillant sur AT.
Vous n’hésitez pas à contacter ministères, directions de recherche et financeurs. Là encore,
sans relâche. Mais, cet investissement « corps et âme » est tel que vous n’hésitez pas non
plus, à chaque fois que l’argent manque, à sacrifier certains de vos propres biens pour que
cette association vive. Evidemment, en parallèle, on l’imagine bien, vous consacrez la même
énergie, probablement encore plu, pour votre fils, … qui est l’un des rares patients AT, peutêtre le seul à avoir passé avec succès son DEA d’histoire de l’art.
La création de l’APRAT vous fait rentrer dans un monde nouveau, celui des associations de
parents d’enfants atteints de maladies dites orphelines où chaque enfant, chaque parent
peut devenir un sujet d’étude. C’est la difficile question de la gestion des relations avec les
praticiens hospitaliers et les chercheurs, à la fois professionnels mais aussi souvent amis et
soutiens moraux. C’est également le monde des espoirs quelquefois déçus, où chaque
maladie génétique apparaissant de plus en plus complexe, chaque essai thérapeutique
apparaissant de plus en plus long repoussent d’ autant l’issue d’un traitement efficace.
Mes chers amis,
Mireille Gervasoni a qui nous rendons hommage aujourd’hui fait ainsi partie de ces
nombreux bénévoles qui donne un second souffle au monde associatif. J’ajouterai une
touche personnelle à ce discours Chère Mireille, en disant que, mais on le devine bien, vos
qualités humaines, votre générosité sont à la mesure de ce que vous avez créé, de ce que
vous avez apporté. Je sais que, peut-être par modestie, peut-être par discrétion, peut-être
aussi par rapport toutes ces épreuves, vous pourriez regretter de temps en temps de vous
avoir lancé dans une telle entreprise. Nous sommes ici tous là pour vous certifier que vos
efforts n’ont pas été vains.
Ainsi, après les Professeurs Tubiana, Dutreix et Wambersie pour leur ouvrage en français
sur la radiobiologie, qui fait toujours référence aujourd’hui, après le Docteur Edmond Malaise
et la mise en évidence de la radiosensibilité intrinsèque, après John Gueulette pour son
éminente contribution à la radiobiologie francophone, notre société savante souhaitait vous
féliciter aujourd’hui en vous décernant ce prix d’honneur. Sachez également que vous êtes la
première femme à recevoir cette médaille Curie qui est désormais l’exclusivité de la SIRLAF.
Je vais donc demander à l’assistance de se lever.
Chère Mireille Gervasoni, la Société Internationale de Radiobiologie de Langue Française
s’honore aujourd’hui en vous décernant la médaille Curie pour votre mérite et votre action de
soutien à la recherche dans le cadre de l’Association Pour la Recherche sur l’Ataxie
telangiectasie.
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