L`écart thérapeutique dans la prise en charge de l`asthme au Canada

L’asthme est l’une des maladies chroniques les plus
fréquentes soignées en médecine de premier recours
et sa prévalence ne cesse de croître au Canada1. Le
but du traitement pour tous les patients asthmatiques est
d’obtenir la maîtrise totale de la maladie1-3. La maîtrise de
l’asthme réduit le risque de morbidité et de mortalité liées
à l’asthme, elle améliore la qualité de vie des patients et ré-
duit de beaucoup le fardeau de cette maladie pour le sys-
tème de soins santé1,4-7. Il existe des lignes directrices pour
la pratique clinique qui guident les cliniciens et leurs pa-
tients dans leur démarche pour maîtriser l’asthme, mais
des données probantes montrent qu’une très forte propor-
tion de personnes asthmatiques n’atteint pas ce but et con-
tinue de souffrir d’asthme non maîtrisé (même s’ils le
perçoivent mal).
Dans cet article, nous résumons les plus récentes recom-
mandations canadiennes pour la prise en charge de
l’asthme2et nous commentons certaines données probantes
qui démontrent l’existence d’un écart thérapeutique entre
ces recommandations et les pratiques cliniques réelles.
Recommandations canadiennes les plus
récentes pour la prise en charge de l’asthme
Les plus récentes recommandations canadiennes pour la
prise en charge de l’asthme de l’enfant et de l’adulte provi-
ennent du document intitulé Continuum de prise en charge
de l’asthme de la Société canadienne de thoracologie (SCT) –
Résumé du consensus de 20102. Ce groupe d’experts définit la
maîtrise de l’asthme à l’aide de huit critères décrits au
Tableau 1. Le patient doit répondre aux huit critères pour
que son asthme soit considéré comme maîtrisé. Les recom-
mandations canadiennes sont semblables à celles qui sont
appliquées dans d’autres régions du monde, quoique les
critères établis par Global Initiative for Asthma (GINA) soient
légèrement différents et vont parfois plus loin3. Les critères
de GINA, par exemple, exigent que la fréquence des symp-
tômes diurnes de l’asthme ne dépasse pas deux fois par
semaine, tandis que selon les critères canadiens, la fré-
quence maximale est de trois fois par semaine.
De même, les critères de GINA limitent à deux prises ou
moins d’un médicament de soulagement ou de secours par
semaine, alors que les critères canadiens tolèrent trois
prises ou moins par semaine. Des critères de maîtrise de
l’asthme plus stricts devraient aider à améliorer les résultats
du traitement de l’asthme, et cette question sera examinée
par les experts canadiens.
L’approche du traitement recommandé par les experts de
la SCT (Consensus 2010) compte plusieurs volets (Figure 1).
Tel qu’illustré, tous les plans d’intervention devraient
d'abord et surtout comprendre l’assainissement de l’envi-
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le clinicien décembre 2010
L’écart thérapeutique dans la
prise en charge de l’asthme au
Canada
Par Pierre-Alain Houle
Pierre-Alain Houle, M.D.
Consultant en allergies respiratoires, Polyclinique Du Cap, Trois-Rivières, Québec
Réseau de référence pour l'asthme professionnel, Département de santé publique,
Centre hospitalier régional de Trois-Rivières, Québec
TABLEAU 1. Critères de maîtrise de l’asthme :
Continuum de prise en charge de l’asthme de
la SCT – 20102
Caractéristique Fréquence ou valeur
Symptômes diurnes < 4 jours/semaine
Symptômes nocturnes < 1 nuit/semaine
Activité physique Normale
Exacerbations Légères, peu
fréquentes
Absence du travail ou de
l’école due à l’asthme Aucune
Besoin d’un β2-agoniste
à action rapide < 4 doses/semaine
VEMS ou DEP 90 % du meilleur
résultat personnel
Variation diurne du DEP* < 10 % à 15 %
*La variation diurne correspond au débit expiratoire de pointe
(DEP) le plus élevé moins le plus faible, divisé par le DEP le
plus élevé, multiplié par 100 pour le matin et le soir (déterminé
sur une période de deux semaines).
VEMS : volume expiratoire maximal par seconde
ronnement, l’éducation du patient et un plan d’action écrit8.
Pour la pharmacothérapie, tous les patients atteints d’asthme
devraient se voir prescrire un bronchodilatateur à début d’ac-
tion rapide, à prendre au besoin. Quant aux médicaments
employés pour maîtriser les symptômes, le traitement de
choix initial devrait être un corticostéroïde inhalé (CSI) à
dose faible ( 250 mcg/jour). Le plan d’action à suivre afin
d’aider le patient à contrôler son asthme est présenté au
Tableau 2 (les étapes du plan d’action sont classées en fonc-
tion de la médication actuelle/statut du patient)2. Chez les
patients âgés de 12 ans et plus, si l’asthme n’est pas maîtrisé
par ce traitement initial, l’étape suivante recommandée est
l’adjonction d’un ß2-agoniste à longue durée d’action
(BALA) au CSI. Cette combinaison peut être prescrite sous
forme d’un inhalateur combinant les deux agents à dose fixe
(p.ex., budésonide/formotérol; fluticasone/salmétérol) et en
l’associant à un médicament de soulagement (le salbutamol
ou la terbutaline); on peut également prescrire à cette fin la
technique SMART (Single-inhaler Maintenance and Reliever
Therapy) (offert seulement avec la combinaison budé-
sonide/formotérol) qui évite d’avoir à prescrire un deu-
xième inhalateur renfermant un médicament de soula-
gement grâce au début d’action rapide du formotérol. Il
importe de souligner toutefois que l’ajout d’un BALA à un
CSI doit être fait uniquement après avoir confirmé une
réelle réponse insatisfaisante au traitement, c’est-à-dire
après avoir écarté les autres causes fréquentes de la non-
maîtrise de l’asthme (diagnostic erroné de l’asthme, mau-
vaise technique d’utilisation de l’inhalateur, inobservance
du traitement, exposition persistante aux facteurs déclen-
chants dans l’environnement, maladies concomitantes)2.
Aucune évidence ne supporte l’utilisation de thérapies
de combinaison (CSI + BALA) comme traitement de
première ligne chez les patients avec un asthme léger
n’ayant pas reçu antérieurement de corticostéroïdes inhalés
(Niveau 1)9.
10 le clinicien décembre 2010
FIGURE 1. Continuum de la prise en charge de l’asthme 20102
Béclométhasone HFA ou l’équivalent; **Approuvé pour les 12 ans et plus.
BALA = ß2-agoniste à longue durée d’action; Pred. = prednisone.
Pédiatrique (6 ans et plus) et adultes
Réévaluer régulièrement :
La maîtrise
La spirométrie ou le DEP
La technique d’inhalation
L’observance au traitement
Les facteurs déclenchants
Les comorbidités
Confirmation du diagnostic
Pred.
Anti-IgE**
Assainissement de l’environnement, éducation, plan d’action écrit
Maîtrisé Non maîtrisé
Bronchodilatateur à action rapide au besoin
Corticostéroïdes inhalés (CSI)*
*Deuxième ligne : antagoniste des
récepteurs des leucotriènes (ARLT)
Ajuster le traitement pour maîtriser et stabiliser l’asthme
Faible dose
12 ans : 250 mcg/jour
6-11 ans : 200 mcg/jour
Dose moyenne
12 ans : 251-500 mcg/jour
6-11 ans : 201-400 mcg/jour
Dose élevée
12 ans : > 500 mcg/jour
6-11 ans : > 400 mcg/jour
12 ans : ajout d’un BALA*
6-11 ans : augmentation des CSI
12 ans : ajout d’un ARLT
6-11 ans : ajout d’un BALA ou d’un ARLT
Lorsque la combinaison CSI + BALA ne maîtrise pas
l’asthme, la SCT recommande d’accroître la dose du CSI à un
niveau modéré (dans la plage de 251 à 500 mcg/jour) ou d’a-
jouter un antagoniste des récepteurs des leucotriènes (ARLT).
Chez les patients de moins de 12 ans, la première étape d’in-
tensification du traitement consiste à augmenter la dose du
CSI; les étapes subséquentes comprennent l’ajout d’un ARLT
ou d’un BALA (moins de données à l’appui du BALA).
L’écart thérapeutique dans la prise en charge de
l’asthme au Canada
Bien que les critères définissant la maîtrise et les recom-
mandations pour le traitement soient clairs et bien qu’ils
soient disséminés depuis de nombreuses années (les
critères de maîtrise ont été publiés pour la première fois au
Canada dans les lignes directrices 1996 pour le traitement
de l’asthme)10, un nombre important de patients ne
maîtrisent pas leur asthme. Chez certains d’entre eux, il se
peut que l’asthme soit réellement réfractaire et que la
maîtrise soit difficile à obtenir même avec un traitement
optimal; ces patients ont besoin des soins d’un spécialiste.
Il est toutefois probable que la plupart des patients dont
l’asthme n’est pas maîtrisé réussiraient à atteindre cet
L’écart thérapeutique dans la prise en charge de l’asthme
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le clinicien décembre 2010
TABLEAU 2. Le plan d’action selon la médication actuelle / statut2
Enfants âgés de 6 à 11 ans
Médication actuelle / Action si l’asthme n’est
statut pas contrôlé de manière
adéquate
Bronchodilatateur à Ajout d’un CSI à faible dose
action rapide au besoin (un ARLT est loption de 2e
ligne pour l’asthme léger)
CSI à faible dose + Augmentation du CSI à
bronchodilatateur à une dose modérée
action rapide au besoin
CSI à dose modérée + Ajout d’un BALA ou
bronchodilatateur à d’un ARLT
action rapide au besoin
Asthme grave Considérer
non contrôlé la prednisone
Patients âgés de 12 ans et plus
Médication actuelle / Action si l’asthme n’est
statut pas contrôlé de manière
adéquate
Bronchodilatateur à Ajout d’un CSI à faible dose
action rapide au besoin (un ARLT est loption de 2e
ligne pour l’asthme léger)
CSI à faible dose + Ajout d’un BALA
bronchodilatateur à
action rapide au besoin
CSI à faible dose + Augmentation du CSI à
BALA + bronchodilatateur une dose modérée ou
à action rapide au besoin ajout d’un ARLT
CSI à faible dose + Augmentation du CSI à
BALA + ARLT + une dose modérée
bronchodilatateur à
action rapide au besoin
CSI à dose modérée + Ajout d’un ARLT
BALA + bronchodilatateur
à action rapide au besoin
CSI à dose modérée + Considérer l’ajout de
BALA + ARLT + théophylline
bronchodilatateur à
action rapide au besoin
Asthme grave non contrôlé Considérer la prednisone
Asthme atopique mal Considérer un traitement
maîtisé malgré de fortes anti-IgE (omalizumab)
doses de CSI et une
thérapie de combinaison
appropriée, ± prednisone
Bien que les critères définissant la
maîtrise et les recommandations pour
le traitement soient clairs et bien qu’ils
soient disséminés depuis de
nombreuses années, un nombre
important de patients ne maîtrisent pas
leur asthme.
objectif sous les soins d’un médecin de famille, à condi-
tion de recevoir – et d’observer – le traitement optimal
recommandé par la SCT.
Étude TRAC. Parmi les meilleures données probantes
qui démontrent la maîtrise sous-optimale de l’asthme au
Canada, il faut souligner celles de l’étude TRAC (The Rea-
lity of Asthma Control) publiée en 200611 . Cette étude était
fondée sur des entrevues téléphoniques avec 893 adultes
porteurs d’un diagnostic d’asthme, âgés de 18 à 54 ans. Les
médecins ont également répondu à des questionnaires par
téléphone et par la poste. Les résultats de cette enquête
montrent qu’à la lumière des critères de la maîtrise de
l’asthme établis par les lignes directrices (lignes directrices
canadiennes de 1999), seulement 47 % des patients maîtri-
saient leur asthme. Ce pourcentage contredit de façon fla-
grante la perception qu’avaient les patients et les médecins
de la maîtrise : 97 % des patients étaient d’avis que leur
asthme était « très bien » ou « assez bien » maîtrisé, tandis
que 88 % des médecins de famille et 90 % des spécialistes
avaient répondu qu’ils croyaient réussir à maîtriser l’asthme
chez leurs patients (Figure 2).
Étude INSPIRE. Les résultats de l’étude TRAC au Canada
étaient semblables à ceux publiés dans d’autres pays. Au
cours de l’étude INSPIRE (International Asthma Patient In-
sight Research)12, les chercheurs ont réalisé une enquête
auprès de 3 415 adultes atteints d’un asthme diagnostiqué
dans 11 pays (dont le Canada). Parmi ces patients, 51 %
avaient un asthme non maîtrisé, après classification à l’aide
du questionnaire ACQ sur la maîtrise de l’asthme. Au sein
de ce groupe de patients souffrant d’asthme non maîtrisé
(classification ACQ), 87 % ont affirmé que la maîtrise de
leur asthme avait été « relativement bonne » durant la
semaine précédant l’entrevue.
Étude AIRE. Même chez les patients atteints d’asthme grave,
la perception subjective de la maîtrise est loin de concorder
avec la réalité objective. L’étude AIRE (Asthma Insights and Rea-
lity in Europe) a montré que parmi les patients qui manifes-
taient des symptômes persistants graves, 50 % ont affirmé qu’ils
croyaient que leur asthme était totalement ou bien maîtrisé13.
Programme de réflexion sur les pratiques au Canada.
En 2009, un programme de réflexion sur les pratiques a été
déployé dans tout le Canada pour essayer de mesurer
plusieurs aspects du traitement de l’asthme, y compris la
prise des médicaments et les taux de maîtrise de la ma-
ladie14. Dans le cadre de ce programme, on a recruté 966
médecins pour participer à une enquête prospective auprès
de patients à l’aide d’un questionnaire qu’ils remplissaient
12 le clinicien décembre 2010
Les résultats de cette enquête montrent
qu’à la lumière des critères de la
maîtrise de l’asthme établis par les
lignes directrices, seulement 47 % des
patients maîtrisaient leur asthme.
FIGURE 2. Taux de maîtrise de l’asthme, perçus et réels, au Canada : étude TRAC10
Patients (%)
Réels
(basé sur les lignes directrices
canadiennes de 1999)
Patients Médecins de famille Spécialistes
Perceptions
100
90
80
70
60
50
40
30
20
10
0
53
47
10
90
12
88
3
97
Maîtrisé Non maîtrisé
après ou pendant les consultations. Chaque médecin
procédait à l’enquête chez au moins 15 de ses patients asth-
matiques. Ces médecins ont fourni des données regroupées
portant sur 19 519 patients à travers le Canada.
Plus de la moitié des patients (59 %) étaient âgés de 25 à
64 ans, et un faible pourcentage (9 %) avait 12 ans et moins
et 15 % avaient plus de 64 ans. L’asthme était intermittent
chez 46 % des patients, persistant chez 44 % et déclenché par
l’effort chez 10 %. Les diagnostics d’asthme étaient confirmés
par des épreuves de la fonction pulmonaire dans 59 % des cas.
Dans l’ensemble, les médecins participants ont déclaré
qu’à leur avis, seulement 58 % de leurs patients maîtrisaient
efficacement leur asthme conformément aux critères établis
dans les lignes directrices. D’autres résultats appuyaient la
conclusion selon laquelle l’asthme n’était pas maîtrisé chez
une proportion importante de patients. Par exemple, les
réponses des médecins à la question sur la fréquence des
aggravations ou des exacerbations de l’asthme au cours de la
semaine précédant la visite montrent que seulement 43 %
des patients n’avaient pas signalé d’aggravation durant cette
période. En outre, 35 % des patients ont déclaré avoir pris
des médicaments de soulagement (bronchodilatateur à ac-
tion rapide, ou BAAR) au moins trois fois par semaine.
La proportion de patients ayant eu besoin de soins aigus ur-
gents ou ayant visité un service des urgences à cause de l’asthme
durant le mois précédent était de 11 %; 26 % des patients avaient
consulté un médecin hors des visites de suivi ou s’étaient ren-
dus dans une clinique sans rendez-vous à cause de leur asthme.
Le programme avait aussi pour but de mesurer les effets de
l’asthme sur la qualité de vie des patients. Parmi les patients,
47 % souffraient de dyspnée, 34 % se plaignaient que l’asthme
nuisait à leurs activités et 27 % affirmaient se réveiller pen-
dant la nuit à cause de l’asthme; 14 % devaient s’absenter de
l’école ou du travail à cause de l’asthme (Figure 3).
Les données de cette étude montrent par ailleurs que 36 %
des médecins ont décidé de modifier le traitement ou d’en ins-
taurer un nouveau à cause du degré de maîtrise de l’asthme et
que 10 % des médecins ont adressé des patients à un spécialiste.
Discussion : comment expliquer cet écart
thérapeutique?
Plusieurs raisons pourraient expliquer l’écart thérapeutique ob-
servé dans la prise en charge de l’asthme au Canada. Au nom-
bre des facteurs qui sont reliés aux patients, soulignons la piètre
adhésion au traitement prescrit (ou l’inobservance franche), la
capacité de payer, la réticence à prendre le médicament recom-
mandé (p. ex., la phobie des stéroïdes), les affections concomi-
L’écart thérapeutique dans la prise en charge de l’asthme
13
le clinicien décembre 2010
FIGURE 3. Proportion de patients ayant signalé des manifestations de l’asthme nuisant à leur
qualité de vie13
L’étude AIRE a montré que parmi les
patients qui manifestaient des
symptômes persistants graves, 50 % ont
affirmé qu’ils croyaient que leur asthme
était totalement ou bien maîtrisé.
Patients (%)
Dyspnée Restrictions des
activités à cause
de l’asthme
Réveils nocturnes
causés par
l’asthme
Absence de l’école
ou du travail à
cause de l’asthme
50
40
30
20
10
0
47
14
27
34
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