5ÈME ÉVIDENCE : DES ACTEURS DE L’ESS EN TRANSITION OU EN DÉCLASSEMENT
Il s’agirait d’individus bien dotés en capital
culturel et scolaire, mais en situation ou en
crainte de déclassement (accident de
parcours, reconversion professionnelle…).
« Quand on regarde les parcours des
personnes, on voit combien l’ESS est un
moment de précarisation. Beaucoup se
perdront dans les méandres de
l’accompagnement à l’insertion que permet
l’ESS et pour ceux qui s’en sortent, ce sera
pour retourner dans l’économie classique.
Finalement, ceux qui restent sont devenus
des professionnels de l’ESS : experts, consul-
tants, accompagnateurs…»
Le directeur d’Espace s’inscrit en désaccord
avec cette vision et rappelle que l’ESS
permet également le reclassement et la
créativité : « L’intérêt de l’ESS, c’est justement
la diversité des statuts : CDD, CDI, CAE, service
civique… et la possibilité -
ment à l’économie classique, de rentrer par
toutes les portes, de conduire un projet, se faire
un réseau et d’évoluer plus rapidement dans la
structure. »
Finalement, Vanessa Jérome rappelle que
l’enjeu majeur, sous le présupposé de
l’entrepreneuriat comme nouvelle quête
du Graal, est d’abord de créer son propre
emploi pour des gens en situation précaire.
Et de relever la mauvaise foi des acteurs
toujours extérieures : l’insusance ou le
territoires en terme d’opportunités et de
dynamisme… « L’ESS n’a jamais tort, elle ne
peut être que trahie. Elle promet beaucoup,
mais fait peu. A toujours vanter son hétérogé-
prétendre qu’elle a à voir avec la qualité, on
est dans l’incapacité de l’objectiver et de faire
conclut Vanessa
Jérome.
6ÈME
Rappelant la genèse de l’expression
« Économie sociale et solidaire » proposée
puis imposée par les politiques dès 1998,
pour mettre n aux guerres entre les
tenants de l’économie sociale et solidaire
et les initiatives « alternatives », Vanessa
Jérome ironise sur le fait que l’ESS a été
institutionnalisé avant même d’être recon-
nue sur le terrain. Élus, chercheurs, repré-
sentants de structures, têtes de réseau se
sont alors alliés pour en faire une « catégo-
rie » socio-économique.
Contrairement au Brésil toujours encensé
par ses promoteurs, l’ESS en France, n’est
pas née d’un mouvement social, mais reste
une production « technocratico-politique ».
Aujourd’hui, l’ESS s’est structurée avec des
formations, des élus à l’ESS, des politiques
publiques, des « Mois » de l’ESS, des centres
de ressources… On peut alors la considérer
comme une catégorie de l’action publique,
créée pour justier le soutien public à un
ensemble hétéroclite d’initiatives, et pour
tenter d’unier cet ensemble. C’est donc à
la fois une ressource et un enjeu pour les
acteurs à l’intérieur et à l’extérieur des
frontières de l’ESS (enjeu pour « en être »).
D’où le sentiment répandu lorsqu’on
fréquente le « monde de l’ESS », de voir
toujours un peu les mêmes et d’être « entre
soi ». On peut donc aussi envisager l’ESS
comme une « croyance », voire une
« morale », ce qui permet à ses promoteurs
de s’exonérer le plus souvent de la charge
de la preuve. Robert Crémieux, présent
dans la salle, rappelle d’ailleurs qu’il
n’existe ni discours économique, ni histo-
rique sur l’ESS. « La catégorie ESS est bien
construite en creux, par ceux qui ont intérêt à
la construire » conrme Vanessa Jérome.
Cette idée de l’ESS comme une croyance
fera pourtant réagir l’un des participants,
aujourd’hui conseiller-accompagnateur de
porteurs de projets : « Ce n’est pas tant la
croyance que la volonté de croire au projet
qui nous importe. Mais cela ne sut plus. Il
faut des valeurs, mais nous sommes aussi en
train de construire une autre ESS, avec une
démarche professionnelle et l’implication
d’experts. Aujourd’hui, on a tous les statuts
possibles, donc l’ESS est un vrai choix de
société : faire une entreprise collective dans
laquelle le prot n’est pas le seul moteur. »
La Vocation*
Loin de se sentir un « déclassé social »,
David revendique son appartenance à
l’économie sociale et solidaire par choix,
et raconte son parcours « très classique ».
Issu d’une grande école française, il est
entré dans un cabinet de conseil anglo-
saxon de « coupeur de têtes » comme il
aime à en plaisanter désormais.
C’est à la suite d’une prise de conscience
personnelle d’une quasi sourance au
travail, qu’il a brusquement choisi de
démissionner. Il a alors vu dans l’économie
sociale et solidaire un « appel », une
« alternative » à l’économie classique,
pour faire du conseil autrement. Sa
motivation s’est exprimée sous la forme
« recherche personnelle de quelque
chose d’autre ». Et de revendiquer cette
vertu de l’ESS « d’aider à faire son chemin
personnel vers de nouvelles valeurs ».
Se dénissant comme écologiste, son
projet d’entreprise dans ce nouveau
monde de l’ESS lui est apparu assez rapide-
ment, en phase avec son expérience et sa
volonté de contribuer à « sauver le monde »
et de remettre « l’humain au cœur de
l’économie » : faire du conseil en développe-
ment durable.
Le statut SCOP avec sa promesse de « 1
personne = 1 voix », se serait également
imposé à lui comme une solution « miracu-
leuse » pour faire un pied de nez à la
méritocratie régnant dans son entreprise
précédente… Pour David, l’ESS n’est « ni
une n, ni un moyen », elle a juste été « un
sas de sortie de l’économie réelle et un sas
d’entrée dans la politique », car il se sent
désormais plus engagé et ressent une
plus grande « force intérieure » que s’il
n’était pas passé par l’économie sociale
et solidaire.
En réponse, Vanessa Jérome pointera le
vocabulaire «messianique » de l'entre-
preneur comme une illustration supplé-
mentaire de son propos qui est de
déconstruire ces catégories refuges,
comme il y aurait des valeurs refuges.
*du latin Vocatio, l'appel de Dieu-de David
Gau, Gérant de Genos SCOP