Prolapsus rectal: mise à jour

publicité
CURRICULUM
Prolapsus rectal: mise à jour
Céline Duvoisin Cordoba, Nicolas Demartines, Dieter Hahnloser
Service de chirurgie viscérale, Centre hospitalier universitaire vaudois, Lausanne
Quintessence
• Le prolapsus rectal (PR) est une pathologie invalidante, apparaissant
typiquement chez la femme âgée.
• Il est important de différencier cliniquement un PR d’un autre trouble
de la statique pelvienne tel qu’un rectocèle, un cystocèle ou un prolapsus
hémorroïdaire (ou anal) car les traitements sont différents.
• L’anamnèse gynécologique et urologique font partie de la consultation
ainsi que l’évaluation du degré d’incontinence ou de constipation.
• Malgré tout, la chirurgie reste le traitement de choix et les taux de récidive varient selon la technique et l’abord. La tendance actuelle est d’effectuer une rectopexie antérieure selon D’Hoore, par laparoscopie, avec d’excellents résultats à court terme.
• Une récidive de prolapsus rectal est mieux traitée par un abord abdominal.
Le prolapsus rectal (PR) est une pathologie relativement
peu fréquente mais très invalidante qui peut se présenter
sous forme d’une simple protrusion en passant par un
saignement anal, une constipation chronique, et jusqu’à
l’incontinence aux selles. Le PR nécessite très souvent
un traitement chirurgical.
Cet article a pour but de passer en revue la pathologie
d’un PR et de servir de guide pour permettre le diagnostic, choisir les investigations utiles et conseiller aux patients les différents traitements possibles. Pratiquement:
– quels sont les symptômes?
– quels sont les examens utiles?
– quels sont les différents traitements?
Une question de définition:
prolapsus rectal complet
Les auteurs ne
déclarent aucun
soutien financier ni
d’autre conflit
d’intérêt en
relation avec cet
article.
Le PR complet se définit par la protrusion de toutes les
couches du rectum au travers de l’anus (fig. 1
et 2 ).
Il se manifeste par une extériorisation des anneaux
concentriques de la muqueuse rectale. Son incidence
est de 0,25–0,45% dans la population adulte. Sa prévalence est estimée à 1% des adultes au-delà de 65 ans, soit
2,5 nouveaux cas pour 100 000 habitants chaque année
[1]. Les femmes représentent 80–90% des patients.
Cette pathologie est connue depuis les civilistions égyptiennes et grecques, et la plus ancienne référence se
trouve dans le Papyrus Ebers 1500 avant J.-C. Hippocrate a décrit un traitement original en proposant de
suspendre le patient par les pieds et de le secouer pour
réduire le prolapsus. Une fois le PR réduit, il a proposé
d’appliquer de la soude caustique sur la muqueuse pendant trois jours. Les premières publications modernes
remontent à 1888 où Mikulicz a popularisé l’amputation
du PR par voie périnéale, puis Moschcowitz l’a faite par
voie abdominale en 1912. Durant le XXe siècle, de multiples techniques ont été décrites, par voies abdominales
et périnéales [2].
Les facteurs de risques décrits sont le genre féminin, la
multiparité, les accouchements par voie basse, et l’âge
au-dessus de 40 ans. La constipation chronique, les
pathologies psychiatriques et les antécédents de chirurgie
pelvienne font également partie des facteurs de risque.
Dans la littérature, une étude bien conduite en contredit
une autre en ce qui concerne le mécanisme physiopathologique du PR. On ne met pas en évidence une
cause unique, mais plusieurs explications sont possibles
[2]. Si la pathogénie demeure incertaine, les anomalies
anatomiques constitutives du PR sont bien connues. Il
s’agit de l’insuffisance de fixation postérieure du rectum, de la longueur excessive du recto-sigmoïde, d’un
cul-de-sac de Douglas anormalement profond, du diastasis des muscles releveurs de l’anus, et de la faiblesse
du sphincter anal.
Prolapsus rectal incomplet (interne)
ou intussusception
Le PR incomplet consiste en une procidence de la muqueuse uniquement, ou un prolapsus de la paroi rectale
ne s’extériorisant pas au-travers de l’anus. On l’appelle
PR occulte ou intussusception. On suppose que l’évolution naturelle de l’intussusception est le PR complet. En
pratiquant une sélection prudente des patients, le fait
d’opérer les intussusceptions symptomatiques pourrait
prévenir leur évolution en PR complet. Par la suite, cet
article se concentre uniquement sur le PR complet ou
externe.
A la consultation
Les symptômes du PR complet peuvent être insidieux, et
mimer ceux du cancer rectal: l’apparition d’une masse,
réductible ou non, de rectorragies, d’un inconfort abdominal, d’une sensation de vidange rectale incomplète,
d’un transit altéré, d’une extériorisation de mucus ou
d’une incontinence aux selles. Les premiers symptômes
sont la protrusion d’une masse dans le canal anal avec
décharge de mucus, souvent en association avec la déféForum Med Suisse 2013;13(50):1029–1032
1029
CURRICULUM
évaluation globale, et potentiellement une prise en
charge chirurgicale multidisciplinaire [6]. Discuter de
ceci serait trop long dans le cadre de cet article mais
pour ces cas on relèvera l’importance de l’anamnèse et
de l’examen clinique du patient afin de ne pas opérer
un prolapsus génital puis quelques mois plus tard un
prolapsus rectal (ou vice versa).
Si le PR est réduit, l’examen externe peut ne rien montrer de particulier. On demande alors au patient de pousser comme pour aller à selle. Si le prolapsus n’est pas
évident, le patient est prié de s’asseoir sur une chaise percée ou aux toilettes et de patienter jusqu’à procidence
de celui-ci. Le toucher rectal est indispensable, il permet
de détecter une faiblesse sphinctérienne, une masse ou
une autre pathologie pelvienne (rectocèle, cystocèle, prolapsus utérin).
Investigations fonctionnelles
Figure 1
Prolapsus rectal complet.
Figure 2
Diagnostic différentiel: prolapsus hémorroïdaire (ou anal).
cation. Plus tard, quand le PR s’installe, le patient peut
présenter une incontinence aux gaz, puis aux selles. L’apparition de saignements est souvent associée à un prolapsus de longue date. Le patient doit parfois effectuer
une manœuvre digitale pour l’intérioriser. Le PR n’est
habituellement pas douloureux, mais il y a des exceptions.
Plus de 50% des patients avec un PR ont une incontinence
associée [3]. 15–65% ont une constipation associée [4,
5]. Cette dernière est principalement liée à une difficulté
d’exonération des selles, mais peut également résulter
d’un temps de transit augmenté. Chez 8–27% des patients, le PR est associé à d’autres troubles de la statique pelvienne. 58% des patients opérés d’un PR ont
une incontinence urinaire associée et 24% ont un prolapsus génital associé. Ces symptômes requièrent une
Le PR est souvent associé à d’autres pathologies telles
que le rectocèle, cystocèle, entérocèle ou prolapsus utérin.
C’est pourquoi il est important d’évaluer les patients cliniquement et de s’aider de moyens diagnostiques tels que
la défécographie ou défécographie-IRM et, selon les cas,
d’un transit colique. La présence d’une constipation peut
avoir un impact significatif sur le choix de la technique
opératoire. Un US endoanal et pelvien est un moyen peu
coûteux d’évaluer les dyssynergies pelviennes.
Une colonoscopie doit absolument être effectuée avant de
corriger un PR pour tout patient de plus de 50 ans ou
présentant les facteurs de risques habituels, ceci afin
d’exclure d’autres pathologies telles qu’une lésion tumorale ou une sténose diverticulaire qui modifieraient le
choix de la technique chirurgicale [7].
Des évaluations comme la manométrie anale, l’électromyographie et l’évaluation du temps de latence du nerf
honteux ne sont pas utiles dans la prise en charge du PR.
La manométrie anale peut détecter des faiblesses sphinctériennes mais celles-ci ont tendance à s’améliorer après
correction du PR. Elle ne détermine donc pas l’approche
chirurgicale [8]. Chez les patients incontinents, le sphincter anal commence à regagner du tonus un mois après
l’opération et la continence est généralement restaurée
en 2–3 mois [9].
Traitement médicamenteux-conservateur
Le traitement médicamenteux du PR complet est utile
pour minimiser les symptômes chez des patients qui ont
trop de comorbidités pour une chirurgie (ce qui est très
rare aujourd’hui), ou qui ne souhaitent pas se faire opérer. Le but est d’améliorer la qualité de vie de ces personnes. Il faut s’assurer de la prise suffisante de fibres
et d’eau, avec éventuellement un apport supplémentaire
de fibres per os (25–30 g au total par jour) pour régulariser le transit. La physiothérapie pelvienne par biofeedback peut améliorer les symptômes. Le biofeedback n’est
pas décrit comme un bon moyen thérapeutique mais
il est utilisé principalement pour améliorer la fonction
postopératoire [10–12].
Forum Med Suisse 2013;13(50):1029–1032
1030
CURRICULUM
Traitement en urgence
La plus importante complication liée au PR complet non
opéré est l’incarcération. Le traitement consiste à placer
le patient en position de Trendelenburg, puis à appliquer des compresses froides ou du sucre jusqu’à ce que
l’œdème diminue et qu’une réduction manuelle devienne
possible [13]. En cas d’échec, une intervention en urgence est indiquée. Le traitement consiste alors souvent
en une rectosigmoïdectomie par voie périnéale selon
Altemeier [14].
Traitement chirurgical en électif
Le but du traitement chirurgical est de contrôler le prolapsus, restaurer la continence et minimiser la constipation. Le débat actuel se porte sur l’abord (périnéal ou
abdominal), et sur la technique utilisée, notamment l’utilité d’un filet ou non.
Abord chirurgical: périnéal ou abdominal?
En général, l’abord périnéal a de meilleurs résultats en
termes de morbidités et douleurs postopératoires et
offre un temps d’hospitalisation réduit par rapport à un
abord abdominal. Malgré cela, il faut prendre en considération que les taux de récidives sont trois à quatre
fois plus élevés dans un abord périnéal [15, 16]. Cette
approche est souvent indiquée chez le patient âgé ou à
hauts risques anesthésiques. Par ailleurs, il est possible
d’effectuer un abord périnéal sous anesthésie locale ou
locorégionale, permettant une prise en charge éventuel-
Tableau 1
Avantages et désavantages des différentes techniques chirurgicales.
Technique chirurgicale
Avantages
Désavantages, risques
Récidive
Delorme
Anesthésie
loco-régionale
Récidives élevées,
constipation
15–30%
Altemeier
Anesthésie
loco-régionale
Excision du rectum
15–30%
± sigmoïde «à l’aveugle»,
insuffisance anastomotique
PSP
Court temps
opératoire
Coûts élevés (agrafeuse) inconnu
Perinéal
Abdominale
Rectopexie antérieure
(D’Hoore)
Restaure l’anatomie Utilisation matériel
(aussi du comparti- étranger
ment antérieur),
petit risque de
lésions des nerfs
Rectopexie postérieure
Meilleure évaluation Lésions de nerfs
2–5%
2–10%
avec résection
sigmoïdienne
Amélioration
d’une constipation
si présente
Morbidité augmentée
10–15%
par laparoscopie
Douleurs moindres,
court temps
hospitalier
–
–
assisté du robot
Facilite les sutures
et protège mieux
les nerfs
Coûts
–
lement ambulatoire ou un retour à domicile dans les
24 heures (tab. 1 ) [17].
Abords périnéaux
Technique de Delorme
Décrite par Delorme en 1900, elle implique la séparation
de la muqueuse de la sous-muqueuse ainsi que la plicature de la muscularis propria. Elle a l’avantage de pouvoir exciser un ulcère rectal concomitant, si présent. La
mortalité est de 0–4% et les taux de récurrence varient
entre 0 et 16% (suivi moyen de 12–228 mois) [18, 19].
Rectosigmoïdectomie selon Altemeier
Décrite par Miles en 1933 puis remise à jour par Altemeier en 1971, elle implique une excision de toute la
paroi rectale avec, si possible, une partie du sigmoïde,
en effectuant une anastomose colo-anale. La mortalité
est de 0–5%, et les taux de récidives entre 12,5 et 37%
(suivi moyen 11–47 mois) [18, 19].
Perineal Stapled Prolapse Resection (PSP)
Décrite par Scherer en 2008, cette technique consiste en
une résection rectale par agrafage de toute la paroi
à l’aide d’une agrafeuse circulaire. Le temps opératoire
moyen est réduit par rapport à d’autres techniques et
les résultats montrent une nette diminution de l’incontinence postopératoire [20, 21]. Le suivi à long terme est
encore inconnu en 2013.
Abords abdominaux
Bien que similaires entre elles, les techniques par voie
abdominale diffèrent par certains aspects. Une revue de
littérature publiée par Cochrane Library a conclu qu’il
n’y avait pas encore de preuves suffisantes qu’une technique serait meilleure qu’une autre [22]. L’hétérogénéité
des études disponibles rend leurs interprétations difficiles. Le choix de la technique n’a pas montré d’influence
sur le taux de récidive soit 1% à 1 an, 6,6% à 5 ans,
28,9% à 10 ans [23].
Deux principales techniques sont décrites: la rectopexie
postérieure comme préconisée par Wells, Orr-Loygue ou
plus récemment la rectopexie antérieure selon D’Hoore
et la rectopexie avec résection sigmoïdienne. La résection
sigmoïdienne augmente la morbidité liée au geste et n’est
indiquée qu’en cas de constipation chronique. La tendance actuelle est d’effectuer une rectopexie antérieure
par laparoscopie selon d’Hoore [24]. Plusieurs études ont
montré un très bon résultat de cette technique par rapport aux taux pré-postopératoires d’incontinence (amélioration des symptômes chez 85% des patients) et de
constipation pré-postopératoire (amélioration chez 72%)
avec un taux de récidives égal voire inférieur à d’autres
techniques soit de 2–4,7% [25, 26]. Différents types de
filets sont utilisés, absorbables ou non, avec des résultats similaires [18]. L’utilisation d’une prothèse biologique semble aussi efficace qu’une prothèse synthétique
[24].
Toutes les techniques chirurgicales de rectopexie abdominale peuvent être effectuées par laparoscopie avec
des résultats similaires. Le temps d’hospitalisation est significativement plus court, le temps opératoire plus long.
Forum Med Suisse 2013;13(50):1029–1032
1031
CURRICULUM
Les patients bénéficient surtout d’un meilleur contrôle
de la douleur, et d’une reprise de transit plus rapide
[27]. La faisabilité d’un abord laparoscopique a été démontrée même chez des patients à hauts risques. Les
complications mineures sont significativement moins
nombreuses [28].
Abords combinés
Peu d’études existent ayant combiné le traitement d’un
PR et d’un prolapsus génital. Certaines proposent un
abord abdominal simultané en effectuant une
colpo-hysteropexie asso- Le diagnostic est posé
ciée à une résection sig- sur l’examen du patient,
moïdienne, d’autres pro- idéalement en position
posent une colpopexie assise
plus une rectopexie avec
filet, ou enfin une hystérectomie vaginale suivie d’un Altemeier. Les approches sont variables et les séries très
limitées [2].
Etudes en cours
A ce jour, une seule étude randomisée comparant les
abords périnéaux vs abdominaux a été publiée en 1994
[24]. L’étude DeloRes en cours, une étude multicentrique
randomisée, compare le Delorme vs rectopexie avec résection sigmoïdienne. Ses résultats devraient être publiés
prochainement.
Le PROSPER trial, étude multicentrique randomisée de
grande ampleur, compare les voies d’abords (abdominale vs périnéale) et les procédures (rectopexie vs
rectopexie avec résection et Altemeier vs Delorme). Malheureusement, elle n’a montré aucune différence significative entre les différentes randomisations [30].
Le prolapsus rectal récurrent
Dans une étude rétrospective sur le PR comprenant
685 patients, le taux de récidives moyen, tous types de
chirurgie confondus, est de 13,1% avec un intervalle
moyen de 33 mois dont un tiers dans les 7 premiers mois
post-chirurgie. Cette étude a également démontré que le
taux de seconde récidive est plus élevé en utilisant une
approche périnéale pour corriger le PR récurrent (37,3
vs 14,8%; p = 0,03). Malgré le manque d’études randomisées prospectives sur ce sujet, il semble préférable
d’utiliser une approche abdominale en cas de PR récurrent [31].
Conclusion
Le PR est une pathologie peu fréquente mais nécessite
une prise en charge adéquate afin de minimiser les
risques de récidives. La première étape consiste en une
anamnèse et un status détaillés afin de mettre en évidence d’autres troubles de la statique pelvienne. Peu
d’examens complémentaires sont utiles hormis la colonoscopie, la défécographie ou déféco-IRM et éventuellement l’US endoanal. Par
la suite, choisir l’abord
et la technique chirur- Le prolapsus rectal est
gicale afin de minimiser souvent accompagné d’une
les complications et les incontinence fécale et/ou
risques de récidives peut constipation
être difficile et dépend de
l’expérience du chirurgien. Quand cela semble nécessaire, celui-ci est amené à se référer à un centre spécialisé pour une approche multidisciplinaire.
Correspondance:
Prof. Dieter Hahnloser
CHUV
Service de chirurgie viscérale
BH10-206
Rue du Bugnon 46
CH-1011 Lausanne
dieter.hahnloser[at]chuv.ch
Références
La liste complète des références se trouve sous www.medicalforum.ch.
Forum Med Suisse 2013;13(50):1029–1032
1032
Téléchargement