Auxemery Troubles neuro psychiques et trauma crânien Tome 2, 2, 2013
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Yann Auxéméry: Psychiatre. Hôpital d’Instruction des Armées Legouest. 27, Avenue
de Plantières, 57077, METZ cedex 3 - Centre de Recherche Psychanalyse, Médecine et
Société. Université Paris VII. 26 Rue de Paradis, Paris.
Article paru in Revue Francophone du Stress et du Trauma, 2011, 11(4), pp. 227-238.
Résumé : Les fréquentes conséquences d’un traumatisme crânien aux niveaux
neurologiques et psychiques sont complexes et régulièrement intriquées. Elles
intéressent des cadres nosographiques assez variés en réinterrogeant les dimensions
anxio-dépressives réactionnelles dont l’état de stress post-traumatique, les psychoses
post-traumatiques et le « syndrome subjectif » des traumatisés crâniens que l’on
pourrait être tenté de rebaptisé en « syndrome objectif ». Mais { l’objectivation
scientifique de lésions organiques appréhendées par les progrès des techniques de
neuroimagerie répond également la subjectivité d’un individu, indivisible dans ses
déterminants somatiques et psychiques. Alors que le sujet traumatisé crânien a été
confronté au traumatisme dans son esprit et dans sa chair, le clinicien se gardera bien
d’être tenté de scinder le psychique de l’organique, pour au contraire aider le sujet {
se reconstruire, lui, qui a été confronté au “fracas”.
Summary: Neuropsychic disorders after head trauma.
The common neurological and mental consequences of a head trauma are complex
and often interdependent. They concern a wide variety of nosographical contexts, re-
examining the reactive anxiety-depressive aspects including the state of post-
traumatic stress, post-traumatic psychosis and subjective post-head injury syndrome
which we may be tempted to rename as a objective syndrome. But the scientific
objectification of the organic lesions which are well understood with the advances in
neuroimagery techniques also establishes the subjectivity of an individual, indivisible
in its somatic and psychic determinants. Whilst the head injury subject was
confronted with the trauma in mind and body, the clinician must be careful not to be
tempted to separate the psychic and the organic, but on the contrary to help the
subject rebuild themselves, he, who faced the "clatter".
Mots-Clés
Traumatisme crânien, état de stress post-traumatique, traumatisme psychique,
réaction dépressive, syndrome post commotionnel, physiopathologie,
psychopathologie.
Key words: Traumatic brain injury, post traumatic stress disorder, psychic trauma,
depressive reaction, post traumatic psychosis, post concussive syndrome,
physiopathology, psychopathology.
Les troubles neuropsychiques après
un traumatisme crânien
Yann Auxéméry
Tome 2, 2, 2013
Auxemery Troubles neuro psychiques et trauma crânien Tome 2, 2, 2013
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Introduction
Revenant à l'étymologie, traumatisme physique et /ou traumatisme psychique
peuvent engendrer des symptômes cliniques semblables. Un traumatisme physique
sans traumatisme psychique associé entraîne nécessairement un impact psychique et
un impact fonctionnel psychique et organique. D'autre part, un traumatisme
psychique isolé se manifeste souvent en premier plan par des doléances somatiques.
Cette interaction du corps et de l'esprit est particulièrement complexe dans les cas de
traumatismes crâniens qui altèrent régulièrement intégrités psychiques et cérébrales
(French, 2008). Nous interrogerons ici les dimensions scientifiques et subjectives des
troubles psychiques et neuropsychiques post-traumatiques en prenant le « syndrome
subjectif » des traumatisés crânien comme fil conducteur. Cette entité clinique dont
nous rediscuterons l'existence possède des symptômes communs à nombre de
troubles psychiatriques. Après les définitions d'usage qui feront suite à un bref
historique, nous réinterrogerons les notions de troubles neurologiques et
psychotiques post-traumatiques avant d'aborder les troubles dépressifs et anxieux,
dont l'état de stress post-traumatique. Puis nous ferons état des modifications de la
personnalité s'inscrivant dans les suites d'un traumatisme crânien. Enfin, en
reprenant les apports de ces recherches nous développeront la notion de syndrome
post-commotionnel dans ses déterminants neurobiologiques sans oublier ses
caractères d'intrication subjective.
Historique et définitions
- L'histoire des grandes guerres : du shell shock au syndrome subjectif des
traumatisés crâniens, perspectives épidémiologiques actuelles
La première guerre mondiale fut le lieu du shell shock qui pouvait associer la frayeur
du passage de l’obus { la commotion cérébrale connexe (Schneider 1918 ; Mott 1917).
Plutôt qu'une pathologie chronique, cette enti était davantage corrélée à la
confusion aiguë générée qui laissait le soldat dans un état de grande vulnérabilité face
à son environnement hostile. Mais, il fait bientôt évidence que ce syndrome est
également présenté par des soldats qui n’ont pas fait l’expérience d’une explosion
d’obus. On conclut alors { un emottional shock qui prend vite corps au sein d’une
querelle théorique opposant syndromes conversifs et simulés. Même si la question
diagnostique reste principalement sans réponse, un différentiel de traitement social
s’opère entre les blessés de guerre visibles ou gueules cassées et les blessés invisibles
souffrant de lésions psychiques ou neuropsychiques. S'instaure une “clinique du
soupçon” qui perdure jusqu'{ l'aube de la Seconde Guerre mondiale le terme de
shell shock est banni de peur d’une épidémie du trouble éponyme. Mais sa réalité
clinique demeure et le “syndrome post-commotionnel” refait surface. Ce terme
persiste encore après guerre, mais pour se fondre bientôt dans le cadre diagnostic du
“syndrome subjectif des traumatisés crâniens”.
Les attentats de la fin du XXe siècle et les opérations militaires du XXIe siècle en Iraq
(Operation Iraki Freedom) et en Afghanistan (Operation Enduring Freedom) avec leur
quanta de morts et de blessés posent une nouvelle fois la question de l'intrication des
traumatismes psychiques et cérébraux. Le traumatisme crânien est considéré comme
la signature médicale de ces conflits modernes et concerne 50 % des motifs de
rapatriements sanitaires (Okie, 2005). Les traumatismes crâniens sont divers dans
leurs mécanismes (blast, chute, accident de voie publique, plaie crânio-cérébrale par
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balle) et leur gravité (de légère à sévère). La plupart des sujets commotionnés ont été
exposés { des lésions d’explosion ou de blast qui ont entraîné ce qui est
communément appelé et que nous redéfinirons un traumatisme crânien léger” ou
mild traumatic brain injury.
Si les lésions les plus vulnérantes et pénétrantes sont les mieux objectivées, les
lésions internes essentiellement secondaires aux effets de blast primaire sont les plus
fréquentes (Warden, 2006). Le traumatisme par blast causé par une explosion touche
le corps entier en plusieurs phases (Rosenfield, 2010). La phase primaire est générée
par une onde de surpression qui heurte l'individu en le projetant, caractérisant alors
des lésions secondaires au choc du corps d'avec un plan dur. Troisièmement, des
projectiles peuvent ensuite entrer en collision avec l’individu resté { terre. On note
une possible quatrième phase par brûlure d’incendie et inhalation de fumées de
combustion. Les lésions cérébrales résultantes de ces différentes phases intéressent
ainsi de multiples causes comme la projection, l’accélération/décélération brutale et
la pénétration de corps étrangers. Les atteintes encéphaliques sont potentiellement
variées et associées avec : atteintes directes du parenchyme, contusions cérébrales
par contrecoup, hémorragies intracrâniennes diverses et embolies gazeuses
cérébrales provenant des lésions de blast pulmonaire. En effet, le cerveau n’est que
l’un des organes atteints parmi tant d'autres : une contusion pulmonaire et
myocardique est fréquemment présente, parfois concomitamment de lésions
extrêmement vulnérantes comme un arrachement de membre (Wolf, 2009). Le sujet
peut paraître dissocié, laissé sans défense aux aléas de son environnement.
À la perte de capaciopérationnelle des forces armées s’ajoute un coût médical et
social élevé { long terme. D’après une étude de la Rand Corporation menée entre 2001
et 2007, les épidémiologistes dénombrent plus de 2 700 cas de traumatisme crânien
pour un coût social évalué entre 600 et 900 millions de dollars (Tanelian, 2008). Les
auteurs estiment que plus de 300 000 soldats auraient été soumis à un traumatisme
crânien sur la même période, de la “simple” concussion à la lésion cérébrale
pénétrante. Moins de la moitié des sujets exposés auraient été évalués médicalement
(Tanelian, 2008) alors que le traumatisme crânien léger concernerait 10 à 15 % des
effectifs déployés (Schneiderman, 2008). Si l'on note une différence évidente de
visibilité initiale entre les conséquences somatiques graves d’un traumatisme crânien
sévère et celles d’un traumatisme crânien léger, les conséquences { long terme des
deux types de chocs sont loin d’être négligeables. Même si le signifiant “léger” est
employé dans les chocs à faible énergie cinétique, les suites cliniques neurologiques
et psychiques sont parfois sévères, grevant la qualité de vie et le pronostic vital. Ceci
est d'autant plus vrai au vu du profil sociodémographique des sujets exposés :
comparativement aux autres blessés, les militaires soumis à un traumatisme crânien
léger ont davantage évolué au sein d’une intensité de combat importante, sont plus
jeunes et moins expérimentés que leurs témoins (Hoge, 2008).
- Différentes définitions des traumatismes crâniens et différentes lésions
visibles : vers quels niveaux de gravité ?
Les études initiales sur le thème des commotions cérébrales et des traumatismes
crâniens sont peu comparables entre elles du fait de l'absence de définition
consensuelle du traumatisme crânien léger laquelle émerge progressivement et
relativement à celle du traumatisme crânien sévère. Pour caractériser un
traumatisme crânien léger la majorité des auteurs retiennent une perte de
connaissance brève ainsi qu'une courte amnésie post-traumatique et un score de
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Glasgow maximal six heures après le choc (Culotta 1996; Gomez 1996). Culotta et al.
ont montré des différences importantes de blessures cérébrales entre des scores de
Glasgow (GCS) d’admission hospitalière de treize à quinze (Culotta, 1996). À
l’admission, un patient traumatisé crânien avec un GCS { treize présente 30 % de
risque d’avoir des lésions cérébrales { la tomodensitométrie alors qu’un sujet
présentant un GCS de quinze n’aura de telles sions que dans 5 % des cas (Caroll,
2004). Par ailleurs, une fracture du crâne est un facteur de risque de lésions
intracrâniennes (Caroll, 2004). D’après une revue critique de la littérature
internationale antérieure à 2001, Holm et al. retiennent des critères pour établir
l’entité du traumatisme crânien léger (Holm, 2005). Ces critères sont récemment
modifiés pour l’Organisation Mondiale de la Santé par la Task Force on Mild Traumatic
Brain Injury. Pour ce collège d’experts, le traumatisme crânien léger est un
traumatisme cérébral résultant d’énergie extérieure chez un sujet présentant un GCS
de 13 à 15 une demi-heure après le choc et comprenant au moins un des critères
suivants : confusion ou désorientation ; perte de connaissance inférieure à trente
minutes ; amnésie post-traumatique inférieure à 24 heures ; anomalie neurologique
transitoire (déficit focal, épilepsie, lésion intracrânienne non chirurgicale). Le tableau
clinique ne peut être expliqué par une autre étiologie comme l’usage de substances
psychoactives, de médicaments ou la présence d’un traumatisme psychique (Holm,
2005). Dans les suites, la majorité des patients soumis à un traumatisme crânien léger
ne présenteront pas de séquelles à long terme, seuls quelques uns souffriront de
troubles neuropsychiatriques (Caroll, 2004). Si uniquement 1 % des hospitalisations
pour traumatisme crânien léger nécessitent une intervention neurochirurgicale,
aucune étude ne fait mention que la sévérité du traumatisme crânien léger soit un
facteur de risque indépendant de la survenue d’un syndrome post-commotionnel
persistant (Caroll, 2004). Au niveau psychotraumatique il existe un risque continu de
développer un trouble psychiatrique après un traumatisme crânien quelle que soit
l’intensité de ce dernier, de légère { sévère (Fann, 2004). D’autre part les troubles
psychiatriques apparaissent plus précocement en cas de traumatisme crânien
modéré et sévère, alors qu’ils sont plus persistants dans les suites d’un traumatisme
crânien léger (Fann, 2004). Nous prendrons maintenant cette chronologie énergique
et lésionnelle comme fil directeur de notre réflexion.
Troubles neurologiques et psychotiques
- Épilepsies et démences
Même si ce risque faible, le traumatisme crânien léger est un facteur de risque
d’épilepsie post-traumatique au cours des quatre premières années suivant le choc.
Dans une perspective dimensionnelle d'avec les troubles neuropsychiques, cela nous
indique l'impact certain que le traumatisme crânien léger inflige à l'encéphale. La
répétition de traumatismes crâniens caractérise la classique démence pugilistique,
mais un traumatisme crânien léger serait également un facteur de risque de la
démence sénile d’Alzheimer (Nemetz, 1999). A contrario, il n'a pas été mis en
évidence d’augmentation de l'occurrence des tumeurs cérébrales chez les patients
crânio-traumatisés (Caroll, 2004). Si de nombreuses études font état du
retentissement neurocognitif s’établissant secondairement aux traumatismes
crâniens sévères, peu s'intéressent aux signes neurologiques mineurs qui pourraient
en résulter. Certains de ces symptômes neurologiques sont caractérisés par une
présentation psychiatrique de premier plan.
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- Troubles psychotiques secondaires à des lésions cérébrales objectivables
Les troubles psychotiques post-traumatiques ont été peu étudiés, mais font
actuellement l'objet d'un regain d'intérêt éditorial. Cette question nosographique se
posait naguère presque uniquement dans le cadre expertal de la réparation juridique
du dommage corporel et psychique qui nécessite un socle d'arguments scientifiques
validés pour conclure à une éventuelle imputabilité d'une pathologie à un accident, la
dissociant de l'état antérieur. Dans le cadre des troubles psychotiques post-
traumatiques trois sous-types cliniques se dégagent : les troubles psychotiques
induits par une affection médicale générale découlant directement ou indirectement
du traumatisme, la schizophrenia-like psychosis et la schizophrénique post-
traumatique. Ils se différentient par l'élément anamnestique considérant la sévéri
du traumatisme crânien, les symptômes cliniques et les lésions objectivables à la
neuroimagerie. Bien sûr ces différents cadres syndromiques ne constituent pas des
entités exclusives puisque nombre de dimensions cliniques et physiopathologiques se
chevauchent d'une description à une autre. Ils n'en constituent pas moins des
modèles théoriques intéressants.
Le trouble psychotique induit par un traumatisme crânien considère l'étiologie du (ou
des) symptôme(s) psychotique(s) présenté(s) comme directement et sûrement liée à
une lésion cérébrale dont la localisation anatomique documentée corrobore la
présentation clinique en référence au paradigme structure/fonction. Ainsi, des
hallucinations peuvent être causées par une atteinte séquellaire du lobe temporal.
Pour retenir le diagnostic du trouble psychotique secondaire à une affection médicale
générale au sens du DSM-IV-TR (APA, 2000) il faut toutefois s'assurer que les
symptômes psychotiques sont exclus d'une pathologie purement psychiatrique ce qui
nécessite d'écarter de ce cadre théorique les patients ayant des antécédents
personnels et familiaux de troubles psychiatriques primaires (Fujii, 2001). Au plan
séméiologique, le trouble psychotique induit par un traumatisme crânien inclut
classiquement un délire de persécution et des hallucinations auditives alors que les
symptômes négatifs se font rares (Fujii, 2002). Si ces éléments séméiologiques
évoquent bien sûr des caractéristiques schizophréniques, les signes psychotiques
retenus ici sont assez atypiques et assez élémentaires, ne s'intégrant pas dans un
cadre syndromique psychiatrique habituel. Dans une étude réalisée auprès d’anciens
combattants finlandais traumatisés, près de 30 % sont diagnostiqués comme
présentant un délire psychotique secondaire alors que la schizophrénie paranoïde est
retenue dans un peu moins de 15 % des cas (Achté, 1991). En fonction de la
localisation des lésions cérébrales et de leurs étendues, des symptômes psychotiques
secondaires peuvent pourtant s'organiser en syndrome. Signer décrit une observation
de délire érotomaniaque secondaire à un traumatisme crânien (Signer, 1987). Il est à
noter qu’un syndrome maniaque post-traumatique avec caractéristiques
psychotiques a été rapporté par plusieurs auteurs comme l’expression clinique de
lésions corticales temporales et orbito-frontales (Jorge 1993 ; Robinson 1988). Parmi
les syndromes psychotiques post-traumatiques, la Schizophrenia-like psychosis
caractérise un syndrome schizophréniforme secondaire à un traumatisme crânien
(Davison 1969 ; Shapiro 1939 ; Zhang 2003). Le facteur de risque le plus fidèle est la
présence d’atteintes cérébrales diffuses et particulièrement des lobes temporaux et
frontaux retrouvées dans près de 65 % des cas (Fujii 2002). Au plan clinique est
régulièrement noté un syndrome dépressif prodromique avant l’entrée progressive
dans la pathologie psychotique qui se chronicise secondairement en évoluant souvent
vers un appauvrissement déficitaire. Si les symptômes positifs psychotiques sont
prédominants sur les symptômes négatifs à l'heure du diagnostic associant des
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