Les agrégats moléculaires : des microréacteurs chimiques

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Edifices moléculaires
Les agrégats moléculaires :
des microréacteurs chimiques
La dynamique réactionnelle se situe à l’interface entre physique et chimie. Elle consiste à étudier
le mécanisme des réactions chimiques à l’échelle microscopique. Elle connaît une révolution depuis
quelques années : d’une part, elle s’attaque à la dimension temporelle des réactions qui,
jusqu’alors n’était explorée qu’indirectement ; d’autre part, c’est l’objet du présent article, elle
aborde le monde de la solvatation en étudiant le mécanisme de processus chimiques qui ont lieu
au contact d’un agrégat moléculaire.
QU’EST-CE-QUE LA DYNAMIQUE
RÉACTIONNELLE ?
est un ensemble de
concepts,
d’approches
théoriques et expérimentales permettant de comprendre le
déroulement d’une réaction chimique à l’échelle microscopique.
L’idée directrice consiste à isoler un
couple de réactifs (régime de collision unique) et une étape réactionnelle pour remonter au comportement des atomes impliqués dans ce
processus par une caractérisation
aussi complète que possible de
l’état du système avant et après
réaction.
Ce domaine s’est développé au
cours des 25 dernières années en
grande partie grâce aux dispositifs
de faisceaux croisés construits
d’après les travaux de deux des lauréats du prix Nobel de chimie 1986,
D.R Herschbach et Y.T. Lee.
C’
Prenons un exemple : la collision
réactive
Ba + Cl2 → BaCl + Cl.
C’est une étape dans la formation
du chlorure de baryum BaCl2 par
réaction du baryum sur le dichlore.
Le principal intérêt de la méthode
de faisceaux croisés est d’assurer le
régime de collision unique, de pré-
CEA/DRECAM/Service des photons, atomes et molécules, CEN Saclay, F-91191
Gif-sur-Yvette Cedex.
24
parer les conditions initiales de la
collision (vitesse, énergie interne...),
d’identifier les produits de réaction
BaCl et Cl et de cartographier leur
direction d’éjection et leur vitesse.
Un couplage étroit entre ces résultats expérimentaux et des modèles
collisionnels simples ou des approches théoriques beaucoup plus élaborées (calculs de structure en chimie
quantique,
calculs
de
dynamique collisionnelle) permet
alors de comprendre quels mouvements d’atomes, et quelles réorganisations des nuages électroniques
sont responsables de la réaction chimique étudiée. Dans l’exemple
choisi, la réaction se fait par harponnage, c’est-à-dire par transfert
de l’un des électrons de valence du
baryum vers Cl2 à une distance de
4 Å environ entre Ba et Cl2. L’ion
−
Cl2 ainsi produit se dissocie rapidement en Cl− + Cl. L’ion frag−
reste associé à l’ion
ment Cl
+
Ba
pour donner le produit de
réaction BaCl.
DYNAMIQUE RÉACTIONNELLE ET
AGRÉGATS MOLÉCULAIRES
Les informations apportées par
les expériences évoquées plus haut
portent sur la compréhension du
mécanisme réactionnel lorsque le
processus réactif a lieu en dehors de
toute interaction avec le milieu extérieur.
L’étape suivante dans la compréhension des réactions chimiques au
niveau microscopique consiste à les
étudier au contact d’un milieu matériel. Il est en effet clair que de nombreux processus chimiques ont lieu
dans un solvant, ou en milieu hétérogène (contact avec une surface),
ce qui affecte certainement leur déroulement. Il ne faut donc pas être
surpris qu’une fraction croissante de
la
communauté
internationale
veuille avoir une vision élémentaire
de l’influence qu’a un milieu matériel sur le déroulement d’une réaction chimique. Plus précisément, il
faudrait savoir comment relier la
dynamique d’une réaction chimique
telle qu’elle est étudiée en régime
de collision unique, à la dynamique
de la même réaction quand celle-ci
se déroule dans un milieu matériel.
Sur l’exemple de la réaction
Ba + Cl2 cité plus haut, on voudra
savoir comment le mécanisme de
harponnage est modifié par la présence du milieu matériel.
Une expérience idéale en ce domaine consiste à isoler un seul couple de réactifs, et à le mettre en présence d’un solvant de taille,
structure et état interne parfaitement
contrôlés. Les travaux menés à Saclay depuis trois ans sont une étape
dans cette direction. On étudie les
réactions chimiques qui ont lieu
dans des agrégats de taille variable
auxquels on a ajouté des réactifs en
quantité contrôlée. Les résultats rapportés dans cet article concernent
Edifices moléculaires
Encadré
COMMENT FABRIQUER DES AGRÉGATS
Quand un gaz ou un mélange de gaz à haute pression (quelques bars) se détend dans le vide à travers un petit orifice
~ 50 − 500 µm !, il s’établit un régime d’écoulement supersonique. Celui-ci est caractérisé par un abaissement considérable et très rapide de la température du gaz. Le passage de
ce gaz à travers un diaphragme dont la forme et la position
sont soigneusement étudiés (l’écorceur) permet d’obtenir un
faisceau atomique ou moléculaire monocinétique et dense. La
température du gaz au niveau de l’écorceur est souvent inférieure à 5 Kelvin.
Avec des conditions génératrices adéquates, il arrive que le
gaz qu’on détend passe par les conditions requises pour un
équilibre liquide-vapeur ou solide-vapeur et atteigne un régime de sursaturation. Il y a alors association des particules
du faisceau en amas plus ou moins gros : les agrégats.
Cette technique permet de fabriquer des agrégats de toutes
sortes : agrégats d’atomes ou de molécules liés par des forces de Van der Waals (argon, azote,... ), agrégats de molécules liées par liaison hydrogène (eau, par exemple),agrégats
d’atomes métalliques (sodium, mercure, voir Image de la Physique 1988), agrégats covalents (C60 , voir Image de la Physique 1993).
CONNAÎTRE LA TAILLE DES AGRÉGATS ET LE NOMBRE DE
RÉACTIFS QUI Y SONT ATTACHÉS
Selon les pressions génératrices du faisceau d’agrégat que
nous utilisons, la taille moyenne des agrégats peut varier de
quelques centaines à quelques milliers d’atomes. Déterminer
leur taille peut se faire par spectrométrie de masse, mais il y
a un risque d’imprécision lié à la grande fragilité des agrégats. Nous préférons utiliser des méthodes qui ne nécessitent
pas l’ionisation préalable des agrégats avant leur détection.
C’est le cas des mesures que nous faisons par observation de
des collisions réactives et non réactives du baryum avec diverses molécules, N2 O, Cl2, CH4 au contact
d’agrégats comportant quelques
centaines à quelques milliers d’atomes d’argon. D’autres expériences,
en cours, utilisent des agrégats moléculaires, azote et méthane entre
autres comme support de réaction.
PRINCIPE DES ÉTUDES
La figure 1 montre le dispositif
expérimental et permet de comprendre le principe des mesures. Les
la lumière diffusée par les agrégats. La diffusion Rayleigh est
un effet qui varie avec le carré du diamètre de l’objet diffusant. Un modèle simple permet de relier l’intensité de la lumière diffusée à la taille moyenne des agégats diffusants. Une
autre méthode consiste à mesurer le ralentissement des agrégats quand ils subissent des collisions avec un gaz tampon.
Celui-ci est d’autant plus faible que les agrégats sont plus
lourds. Là encore, un modèle simple permet de relier ralentissement collisionnel et taille moyenne des agrégats.
La détermination du nombre de réactifs attachés aux agrégats
est simple dans son principe bien que délicate à mettre en
œuvre : on détruit les agrégats dans une enceinte et on mesure la pression partielle du réactif par rapport à celle du
gaz constitutif de l’agrégat.
STRUCTURE ET TEMPÉRATURE DES AGRÉGATS
La connaissance de la structure et de la température des
agrégats vient de mesures faites dans le laboratoire de
Y. Farges et G. Torchet (université Paris Sud) sur un faisceau
moléculaire comparable au nôtre. Leurs résultats sont basés
sur l’observation et la modélisation numérique par dynamique moléculaire de spectres de diffraction d’électrons par les
agrégats. La température des agrégats d’argon est très basse,
30 K environ. Elle résulte d’un processus d’évaporation : les
agrégats une fois formés se refroidissent par évaporations
successives de plusieurs atomes d’argon. Très rapide juste
après la formation de l’agrégat, cette évaporation devient
ensuite très lente pour cesser presque totalement au bout de
quelques microsecondes. La température de l’agrégat est
alors stabilisée vers 30 K et dépend légèrement de la taille de
l’agrégat. En ce qui concerne leur structure, les agrégats
comportant moins de 700 atomes d’argon sont des icosaèdres
à couches multiples. Au-dessus de 1 000 atomes d’argon, ils
possèdent une structure cubique à faces centrées qui est celle
de l’argon solide.
agrégats sont fabriqués par détente
supersonique d’un gaz pur (argon
dans les exemples rapportés ici,
mais aussi méthane, azote...) dans le
vide (voir encadré). Les réactifs
sont implantés sur les agrégats par
piégeage collisionnel : le faisceau
d’agrégats traverse une chambre
contenant du baryum, à chaque collision d’un atome de baryum avec
un agrégat celui-ci se condense sur
l’agrégat. En choisissant la pression
de la chambre à baryum de façon
convenable on peut régler le nombre moyen de collisions et fixer
ainsi le nombre moyen d’atomes de
baryum attachés à l’agrégat. Le second réactif, une molécule en général (Cl2, N2 O, CH4 ...), est accroché à l’agrégat par une méthode
similaire.
Nos études portent sur les phénomènes lumineux, spontanés (chimiluminescence) ou induits par laser,
qui ont lieu après que le second
réactif a été implanté sur l’agrégat.
Le dispositif expérimental possède
donc les optiques nécessaires à l’introduction de la lumière laser, au
25
Figure 1 - Dispositif expérimental.
contrôle de sa polarisation, à la collection et à l’analyse de la lumière
de fluorescence.
TRANSFORMER LES AGRÉGATS EN
MICRORÉACTEURS CHIMIQUES
Pour rendre nos expériences
quantitatives, il faut caractériser les
agrégats en taille, structure, et température. La fragilité des agrégats
moléculaires complique terriblement
cette tâche dont une partie doit être
faite in situ : mesures de taille et détermination du nombre d’espèces
réactives attachées aux agrégats.
Une partie des méthodes de caractérisation que nous utilisons est évoquée dans l’encadré.
Nos travaux ont permis d’étudier
les trois étapes d’une réaction chimique en agrégat :
− piégeage des réactifs par les
agrégats,
− migration des réactifs sur
l’agrégat,
− réaction proprement dite.
Examinons chacune de ces étapes.
Les agrégats que nous utilisons
comme support de réaction comportent en moyenne 100 à 10 000 atomes d’argon, avec une distribution
log-normale autour de ces valeurs
moyennes. Selon les expériences, on
y attache un ou deux atomes de baryum, plus une à dix molécules
réactives. Le processus de piégeage
des réactifs par l’agrégat étant une
succession de collisions non corrélées entre elles, la distribution du
nombre de réactifs par agrégat est
donnée par une loi de Poisson.
Nous avons vu que le piégeage
des réactifs est collisionnel. Des calculs de dynamique moléculaire
montrent que celui-ci est efficace à
100 % quand la molécule piégée a
une masse comparable à celle des
atomes d’argon qui composent
l’agrégat. La section efficace de piégeage est alors proche de la section
géométrique de l’agrégat. Cet effet
se comprend assez bien par observation d’un joueur de pétanque. S’il
lance le cochonnet sur une boule,
celui-ci rebondit sans perdre d’éner-
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Piégeage des réactifs
gie cinétique. De la même façon, un
atome d’hélium qui entre en collision avec un agrégat d’argon va rebondir sur l’un des atomes de
l’agrégat et ne sera pas piégé. Au
contraire, si le joueur de pétanque
tire sur une boule avec sa propre
boule, il y a échange d’énergie cinétique entre les deux boules. La collision d’un réactif (disons N2 O de
masse 44 g) avec l’un des atomes
d’argon de l’agrégat (masse 40 g)
va donc immobiliser le réactif par
rapport à l’agrégat. Le réactif est
alors piégé, pour autant que l’agrégat exerce une attraction suffisante
sur le réactif. L’atome d’argon qui a
reçu l’énergie cinétique du réactif
incident répartit cette énergie dans
l’agrégat par collisions successives.
Se pose alors la question de localisation des réactifs : sont-ils solvatés à la surface de l’agrégat, ou enfouis à l’intérieur de celui-ci ? Cette
information peut être apportée expérimentalement par spectroscopie ou
par des calculs de dynamique moléculaire. Ainsi, avons-nous montré
que le baryum se solvate en surface
de l’agrégat d’argon. C’est probablement le cas également des réactifs moléculaires CH4, N2 O et Cl2
dont nous parlons dans cet article.
Migration des réactifs
On utilise un processus collisionnel qui possède sa propre horloge
interne pour étudier la mobilité relative des réactifs dans les agrégats.
L’expérience consiste à implanter
sur un agrégat contenant un atome
de baryum excité électroniquement
un nombre connu de molécules (1 à
10 en général). Ces molécules, le
méthane CH4 par exemple, désexcitent collisionnellement le baryum.
On mesure le rendement de la fluorescence du baryum en fonction du
nombre de molécules de méthane
implantées sur l’agrégat. Connaîssant la durée de vie du baryum excité, on en déduit le temps moyen
mis par le baryum et une molécule
de méthane pour se rencontrer sur
l’agrégat et supprimer toute fluorescence. L’ordre de grandeur est 20 ns
Edifices moléculaires
pour un agrégat de 2 000 atomes
d’argon. Il reflète une grande mobilité, révélatrice d’un déplacement
des réactifs, par sauts, à la surface
de l’agrégat.
Une telle mobilité indique que
deux réactifs implantés sur un
même agrégat vont entrer en collision de façon répétée au cours des
quelques microsecondes que l’agrégat passe dans la zone d’observation. Cet effet de confinement des
réactifs est à l’origine même du fait
que des agrégats puissent être des
microréacteurs chimiques. En ce
sens ils ressemblent, bien qu’étant
de nature chimique entièrement différente, aux micelles maintenant
couramment utilisées en chimie de
synthèse.
Réaction
La figure 2 présente un résultat
expérimental concernant la réaction,
très exothermique, du baryum sur le
protoxyde d’azote N2 O :
Ba + N2 O → BaO + N2
DH ≈ − 4 eV
(1)
Ce résultat est le premier que
nous ayons obtenu, montrant que la
rencontre répétée entre réactifs sur
l’agrégat conduit effectivement à
une réaction chimique. Une partie
des 4 eV d’exothermicité de la réaction se retrouve en excitation électronique de la molécule BaO produite. C’est l’origine du spectre de
chimiluminescence représenté figure 2. Il est spectaculairement différent selon que la réaction a lieu au
contact de l’agrégat ou en phase gazeuse (c’est-à-dire hors de la présence de l’agrégat).
Des travaux complémentaires ont
montré que la probabilité de réaction des deux réactifs piégés dans
l’agrégat est voisine de 1. Comme
le montre la figure 2, la réaction
conduit au produit BaO sous deux
formes : une première où il est
éjecté dans la phase gazeuse, et une
seconde où le produit BaO reste
solvaté dans l’agrégat. Le produit libre possède beaucoup d’énergie in-
Figure 2 - Spectre de chimiluminescence observé par réaction d’un atome de baryum sur une molécule de N2O au contact d’un agrégat de 2 000 atomes d’argon. L’insert montre le spectre observé
quand la même réaction a lieu en phase gazeuse. Dans l’un et l’autre cas le produit chimiluminescent est BaO.
terne. Son émission correspond à la
partie non structurée du spectre et
est similaire à la chimiluminescence
observée dans la réaction en phase
gazeuse. Le produit solvaté est froid
rotationnellement et vibrationnellement et sa spectroscopie est légèrement perturbée par l’environnement
d’atomes d’argon. Il conduit à la
progression vibrationnelle observée
figure 2.
RÔLE DE L’AGRÉGAT
Les deux parties précédentes ont
permis d’entrevoir deux propriétés
des agrégats qui affectent directement la dynamique d’une réaction
chimique : confinement et thermostat. Examinons ces deux effets plus
en détail.
Confinement des réactifs
Par opposition avec un milieu
réactionnel infini, qu’il soit gazeux,
liquide ou solide, l’agrégat limite
l’espace de phase accessible aux
réactifs, et par là même modifie leur
réactivité. De façon évidente, cela
se fait par limitation de l’espace
physique que les deux réactifs ont à
explorer pour réagir, mais cela intervient aussi de façon plus subtile par
abaissement de la dimension de
l’espace accessible quand, par
exemple, les deux réactifs sont
confinés en surface de l’agrégat, ce
qui est le cas ici. Cet effet apparaît
vraisemblablement dans nos études
sur la réaction Ba + N2 O : la probabilité de réaction du système
Ba + N2 O, voisine de 1 dans
l’agrégat, est près de 7 ordres de
grandeurs plus grande que ne le
27
laisse supposer la barrière d’activation mesurée en phase gazeuse pour
cette réaction. Une alternative serait
que la présence de l’agrégat modifie
la hauteur de la barrière.
Le confinement des réactifs permet aussi des associations non classiques entre réactifs. Des expériences en ce sens ont été faites au
laboratoire. Elles consistent à additionner plusieurs atomes de baryum
à l’agrégat. Obtenir des molécules
de Ba2 (ou plus généralement des
agrégats de baryum) en phase gazeuse est une tâche difficile sinon
impossible, à tel point que le dimère
Ba2 libre n’a encore jamais été observé expérimentalement. L’originalité de la technique de piégeage collisionnel est de permettre la capture
successive de deux atomes de baryum par l’agrégat. L’énergie de
liaison de Ba2 est suffisamment
grande (0,2 eV) et l’agrégat assez
froid (≈ 30 K, voir encadré) pour
que ce dernier puisse stabiliser les
deux atomes de baryum sous la
forme d’un dimère Ba2. Le piégeage collisionnel ultérieur d’une
molécule réactive permet d’étudier
les propriétés chimiques de Ba2. La
partie inférieure de la figure 3 montre un tel résultat quand la molécule
Ba2 réagit sur le dichlore. On observe un grand nombre de canaux
chimiluminescents preuve de la richesse de cette chimie. Les autres
aspects de la figure 3 seront discutés
plus loin.
Thermostat
Nous avons vu l’effet thermostat
de l’agrégat par le refroidissement
exercé sur la molécule BaO produite par la réaction Ba + N2 O
lorsque cette molécule reste solvatée
dans l’agrégat.
Il est utile de développer un peu
la discussion de l’effet thermostat
en remarquant deux choses :
− Quand une réaction a lieu en
phase gazeuse, le système constitué
par les deux réactifs est isolé et son
énergie totale est constante. L’évo28
a)
b)
c)
Figure 3 - Spectre de chimiluminescence observé par réaction du baryum sur le dichlore Cl2. La figure a) montre le spectre observé quand la réaction a lieu en phase gazeuse. C’est le spectre de la
molécule BaCl. La figure b) montre celui obtenu quand la réaction a lieu sur un agrégat de
8 000 atomes d’argon avec un seul atome de baryum présent par agrégat. On observe alors l’émission de BaCl2. La figure c) montre les nombreuses émissions observées quand le baryum présent sur
l’agrégat est sous forme moléculaire Ba2.
lution du système le long de la
coordonnée de réaction est une succession de phases d’accélération et
de décélération selon que la zone du
potentiel d’interaction dans lequel le
système évolue est attractive ou répulsive. Lorsque le système passe
au voisinage d’un puits de potentiel
profond, il n’explore pas le fond du
puits et ne pourrait se stabiliser dans
cette configuration que par émission
de photons, ce qui est peu probable.
En fait, il y a satellisation des différentes parties du système réactionnel les unes autour des autres, puis
séparation. Dans une telle situation,
l’énergie totale du système réactif
est grande devant son énergie potentielle. C’est ce qui est schématisé
figure 4a.
Edifices moléculaires
− Lors d’une réaction en phase
condensée, celle-ci tient lieu de
thermostat avec lequel le système
réactif interagit. Son énergie totale
n’est alors pas nécessairement
conservée. Il peut perdre un excès
d’énergie interne ou d’énergie cinétique par transfert vers l’agrégat. En
d’autres termes, le système réactif
peut effectivement explorer les minima du potentiel d’interaction sur
lequel il évolue et s’y stabiliser. Il
suffit que le système reste assez de
temps au voisinage d’un minimum
de potentiel pour laisser à l’agrégat
le temps d’évacuer l’excès d’énergie
et abaisser l’énergie totale du système à une valeur voisine de l’énergie potentielle. Cette situation est illustrée dans deux cas de figure,
selon que le minimum de potentiel
correspond aux produits de réaction
(voir figure 4b) ou bien correspond
à un intermédiaire réactionnel situé
le long de la coordonnée de réaction
(voir figure 4c).
Le refroidissement de la molécule
de BaO solvatée qui est observé figure 2 correspond à la situation de
la figure 4b.
La comparaison des parties supérieure et centrale de la figure 3 illustre la possibilité qu’a un agrégat de
stabiliser un intermédiaire de réaction. On y étudie la réaction chimiluminescente du baryum sur le dichlore Cl2. La réaction en phase
gazeuse passe par le mécanisme de
harponnage
+
Figure 4 - Schéma montrant l’évolution de l’énergie potentielle d’un système réactif le long de la
trajectoire réactionnelle. Les figures (a) et (c) correspondent à une situation où le système rencontre
un intermédiaire réactionnel le long de la trajectoire réactionnelle. La réaction schématisée figure (b)
est simplement exothermique. La figure (a) correspond au cas où la réaction a lieu en phase gazeuse : l’énergie totale du système réactif est constante. Les figures (b) et (c) montrent l’évolution de
l’énergie totale du système quand la présence d’un agrégat (effet de thermostat) peut évacuer l’excès
d’énergie. La figure (b) montre le cas où l’effet thermostat conduit à un produit froid. La figure (c)
schématise le cas où cet effet stabilise l’intermédiaire réactionnel.
−
Ba + Cl2 → Ba ... Cl2
+
−
→ Ba Cl + Cl
+
−
(2)
et conduit à BaCl (Ba Cl ≡ BaCl)
comme seul produit chimiluminescent. C’est ce qu’on observe dans la
partie supérieure de la figure 3. On
est alors dans le cas schématisé
figure 4a. La partie centrale de la figure 3 montre que sur un agrégat
d’argon, la réaction a l’intermédiaire
BaCl2 pour seul produit chimiluminescent, preuve que l’agrégat a eu le
temps de jouer son rôle de thermostat avant dissociation complète de
−
l’ion Cl2 en Cl− + Cl. On est maintenant dans le cas schématisé
figure 4c.
CONCLUSION
Les quelques études rapportées
dans cet article montrent que les
agrégats sont de véritables microréacteurs chimiques dont les propriétés se regroupent autour de deux
rubriques : confinement des réactifs
et effet thermostat. Le confinement
des réactifs donne des propriétés catalytiques aux agrégats (réactivité
accrue des réactifs qui y sont implantés) et permet d’aborder des types de chimie non standard comme
celle des molécules d’alcalinoterreux. L’effet thermostat permet la
stabilisation d’intermédiaires réactionnels, voire la formation de produits différents de ceux obtenus en
phase gazeuse. Les agrégats moléculaires forment un milieu réaction29
nel original par rapport aux phases
condensées macroscopiques (solvants liquides, ou solides comme le
sont les matrices) précisément parce
qu’il associe ces deux types de propriétés : confinement et thermostat.
On peut arguer du fait qu’une phase
condensée classique piège également les réactifs dans des cages de
solvant, mais l’originalité des agrégats réside dans la maîtrise, d’une
part de la taille de la cage qui correspond à la taille moyenne de
l’agrégat, et d’autre part du nombre
de réactifs qu’on met en présence
dans cette cage.
Les techniques décrites dans cet article ouvrent un vaste champ dans
l’étude élémentaire des mécanismes
de solvatation. Elles permettent aussi,
et ce n’est pas leur moindre intérêt,
de créer des situations expérimentales
proches de celles rencontrées dans la
haute atmosphère qui, rappelons-le,
est un milieu peuplé de particules, aérosols et agrégats dont la physicochimie est très différente de celle des
phases gazeuses homogènes.
Article proposé par Jean-Michel Mestdagh, Tél. (1) 69 08 25 45, Jacques Berlande,
Tél. (1) 69 08 21 12, Marc-André Gaveau, Tél. (1) 69 08 50 66, Olivier Sublemontier, Tél. (1) 69 08 24 45 et Jean-Paul Visticot, Tél. (1) 69 08 68 43.
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POUR EN SAVOIR PLUS
– En savoir plus sur les agrégats :
Clusters of Atoms and Molecules (2
tomes) ed H. Haberland, Pub. Springer
Verlag, 1994.
– En savoir plus sur la dynamique
réactionnelle dans les agrégats :
Reaction Dynamics in Clusters and
Condensed Phases, eds J. Jortner,
R.D. Levine et B. Pullman, Pub.
Kluwer Academic Publishers, 1994.
– En savoir plus sur les expériences
faites à Saclay : notre article de revue
dans la référence ci-dessus.
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