Edifices moléculaires Les agrégats moléculaires : des microréacteurs chimiques La dynamique réactionnelle se situe à l’interface entre physique et chimie. Elle consiste à étudier le mécanisme des réactions chimiques à l’échelle microscopique. Elle connaît une révolution depuis quelques années : d’une part, elle s’attaque à la dimension temporelle des réactions qui, jusqu’alors n’était explorée qu’indirectement ; d’autre part, c’est l’objet du présent article, elle aborde le monde de la solvatation en étudiant le mécanisme de processus chimiques qui ont lieu au contact d’un agrégat moléculaire. QU’EST-CE-QUE LA DYNAMIQUE RÉACTIONNELLE ? est un ensemble de concepts, d’approches théoriques et expérimentales permettant de comprendre le déroulement d’une réaction chimique à l’échelle microscopique. L’idée directrice consiste à isoler un couple de réactifs (régime de collision unique) et une étape réactionnelle pour remonter au comportement des atomes impliqués dans ce processus par une caractérisation aussi complète que possible de l’état du système avant et après réaction. Ce domaine s’est développé au cours des 25 dernières années en grande partie grâce aux dispositifs de faisceaux croisés construits d’après les travaux de deux des lauréats du prix Nobel de chimie 1986, D.R Herschbach et Y.T. Lee. C’ Prenons un exemple : la collision réactive Ba + Cl2 → BaCl + Cl. C’est une étape dans la formation du chlorure de baryum BaCl2 par réaction du baryum sur le dichlore. Le principal intérêt de la méthode de faisceaux croisés est d’assurer le régime de collision unique, de pré- CEA/DRECAM/Service des photons, atomes et molécules, CEN Saclay, F-91191 Gif-sur-Yvette Cedex. 24 parer les conditions initiales de la collision (vitesse, énergie interne...), d’identifier les produits de réaction BaCl et Cl et de cartographier leur direction d’éjection et leur vitesse. Un couplage étroit entre ces résultats expérimentaux et des modèles collisionnels simples ou des approches théoriques beaucoup plus élaborées (calculs de structure en chimie quantique, calculs de dynamique collisionnelle) permet alors de comprendre quels mouvements d’atomes, et quelles réorganisations des nuages électroniques sont responsables de la réaction chimique étudiée. Dans l’exemple choisi, la réaction se fait par harponnage, c’est-à-dire par transfert de l’un des électrons de valence du baryum vers Cl2 à une distance de 4 Å environ entre Ba et Cl2. L’ion − Cl2 ainsi produit se dissocie rapidement en Cl− + Cl. L’ion frag− reste associé à l’ion ment Cl + Ba pour donner le produit de réaction BaCl. DYNAMIQUE RÉACTIONNELLE ET AGRÉGATS MOLÉCULAIRES Les informations apportées par les expériences évoquées plus haut portent sur la compréhension du mécanisme réactionnel lorsque le processus réactif a lieu en dehors de toute interaction avec le milieu extérieur. L’étape suivante dans la compréhension des réactions chimiques au niveau microscopique consiste à les étudier au contact d’un milieu matériel. Il est en effet clair que de nombreux processus chimiques ont lieu dans un solvant, ou en milieu hétérogène (contact avec une surface), ce qui affecte certainement leur déroulement. Il ne faut donc pas être surpris qu’une fraction croissante de la communauté internationale veuille avoir une vision élémentaire de l’influence qu’a un milieu matériel sur le déroulement d’une réaction chimique. Plus précisément, il faudrait savoir comment relier la dynamique d’une réaction chimique telle qu’elle est étudiée en régime de collision unique, à la dynamique de la même réaction quand celle-ci se déroule dans un milieu matériel. Sur l’exemple de la réaction Ba + Cl2 cité plus haut, on voudra savoir comment le mécanisme de harponnage est modifié par la présence du milieu matériel. Une expérience idéale en ce domaine consiste à isoler un seul couple de réactifs, et à le mettre en présence d’un solvant de taille, structure et état interne parfaitement contrôlés. Les travaux menés à Saclay depuis trois ans sont une étape dans cette direction. On étudie les réactions chimiques qui ont lieu dans des agrégats de taille variable auxquels on a ajouté des réactifs en quantité contrôlée. Les résultats rapportés dans cet article concernent Edifices moléculaires Encadré COMMENT FABRIQUER DES AGRÉGATS Quand un gaz ou un mélange de gaz à haute pression (quelques bars) se détend dans le vide à travers un petit orifice ~ 50 − 500 µm !, il s’établit un régime d’écoulement supersonique. Celui-ci est caractérisé par un abaissement considérable et très rapide de la température du gaz. Le passage de ce gaz à travers un diaphragme dont la forme et la position sont soigneusement étudiés (l’écorceur) permet d’obtenir un faisceau atomique ou moléculaire monocinétique et dense. La température du gaz au niveau de l’écorceur est souvent inférieure à 5 Kelvin. Avec des conditions génératrices adéquates, il arrive que le gaz qu’on détend passe par les conditions requises pour un équilibre liquide-vapeur ou solide-vapeur et atteigne un régime de sursaturation. Il y a alors association des particules du faisceau en amas plus ou moins gros : les agrégats. Cette technique permet de fabriquer des agrégats de toutes sortes : agrégats d’atomes ou de molécules liés par des forces de Van der Waals (argon, azote,... ), agrégats de molécules liées par liaison hydrogène (eau, par exemple),agrégats d’atomes métalliques (sodium, mercure, voir Image de la Physique 1988), agrégats covalents (C60 , voir Image de la Physique 1993). CONNAÎTRE LA TAILLE DES AGRÉGATS ET LE NOMBRE DE RÉACTIFS QUI Y SONT ATTACHÉS Selon les pressions génératrices du faisceau d’agrégat que nous utilisons, la taille moyenne des agrégats peut varier de quelques centaines à quelques milliers d’atomes. Déterminer leur taille peut se faire par spectrométrie de masse, mais il y a un risque d’imprécision lié à la grande fragilité des agrégats. Nous préférons utiliser des méthodes qui ne nécessitent pas l’ionisation préalable des agrégats avant leur détection. C’est le cas des mesures que nous faisons par observation de des collisions réactives et non réactives du baryum avec diverses molécules, N2 O, Cl2, CH4 au contact d’agrégats comportant quelques centaines à quelques milliers d’atomes d’argon. D’autres expériences, en cours, utilisent des agrégats moléculaires, azote et méthane entre autres comme support de réaction. PRINCIPE DES ÉTUDES La figure 1 montre le dispositif expérimental et permet de comprendre le principe des mesures. Les la lumière diffusée par les agrégats. La diffusion Rayleigh est un effet qui varie avec le carré du diamètre de l’objet diffusant. Un modèle simple permet de relier l’intensité de la lumière diffusée à la taille moyenne des agégats diffusants. Une autre méthode consiste à mesurer le ralentissement des agrégats quand ils subissent des collisions avec un gaz tampon. Celui-ci est d’autant plus faible que les agrégats sont plus lourds. Là encore, un modèle simple permet de relier ralentissement collisionnel et taille moyenne des agrégats. La détermination du nombre de réactifs attachés aux agrégats est simple dans son principe bien que délicate à mettre en œuvre : on détruit les agrégats dans une enceinte et on mesure la pression partielle du réactif par rapport à celle du gaz constitutif de l’agrégat. STRUCTURE ET TEMPÉRATURE DES AGRÉGATS La connaissance de la structure et de la température des agrégats vient de mesures faites dans le laboratoire de Y. Farges et G. Torchet (université Paris Sud) sur un faisceau moléculaire comparable au nôtre. Leurs résultats sont basés sur l’observation et la modélisation numérique par dynamique moléculaire de spectres de diffraction d’électrons par les agrégats. La température des agrégats d’argon est très basse, 30 K environ. Elle résulte d’un processus d’évaporation : les agrégats une fois formés se refroidissent par évaporations successives de plusieurs atomes d’argon. Très rapide juste après la formation de l’agrégat, cette évaporation devient ensuite très lente pour cesser presque totalement au bout de quelques microsecondes. La température de l’agrégat est alors stabilisée vers 30 K et dépend légèrement de la taille de l’agrégat. En ce qui concerne leur structure, les agrégats comportant moins de 700 atomes d’argon sont des icosaèdres à couches multiples. Au-dessus de 1 000 atomes d’argon, ils possèdent une structure cubique à faces centrées qui est celle de l’argon solide. agrégats sont fabriqués par détente supersonique d’un gaz pur (argon dans les exemples rapportés ici, mais aussi méthane, azote...) dans le vide (voir encadré). Les réactifs sont implantés sur les agrégats par piégeage collisionnel : le faisceau d’agrégats traverse une chambre contenant du baryum, à chaque collision d’un atome de baryum avec un agrégat celui-ci se condense sur l’agrégat. En choisissant la pression de la chambre à baryum de façon convenable on peut régler le nombre moyen de collisions et fixer ainsi le nombre moyen d’atomes de baryum attachés à l’agrégat. Le second réactif, une molécule en général (Cl2, N2 O, CH4 ...), est accroché à l’agrégat par une méthode similaire. Nos études portent sur les phénomènes lumineux, spontanés (chimiluminescence) ou induits par laser, qui ont lieu après que le second réactif a été implanté sur l’agrégat. Le dispositif expérimental possède donc les optiques nécessaires à l’introduction de la lumière laser, au 25 Figure 1 - Dispositif expérimental. contrôle de sa polarisation, à la collection et à l’analyse de la lumière de fluorescence. TRANSFORMER LES AGRÉGATS EN MICRORÉACTEURS CHIMIQUES Pour rendre nos expériences quantitatives, il faut caractériser les agrégats en taille, structure, et température. La fragilité des agrégats moléculaires complique terriblement cette tâche dont une partie doit être faite in situ : mesures de taille et détermination du nombre d’espèces réactives attachées aux agrégats. Une partie des méthodes de caractérisation que nous utilisons est évoquée dans l’encadré. Nos travaux ont permis d’étudier les trois étapes d’une réaction chimique en agrégat : − piégeage des réactifs par les agrégats, − migration des réactifs sur l’agrégat, − réaction proprement dite. Examinons chacune de ces étapes. Les agrégats que nous utilisons comme support de réaction comportent en moyenne 100 à 10 000 atomes d’argon, avec une distribution log-normale autour de ces valeurs moyennes. Selon les expériences, on y attache un ou deux atomes de baryum, plus une à dix molécules réactives. Le processus de piégeage des réactifs par l’agrégat étant une succession de collisions non corrélées entre elles, la distribution du nombre de réactifs par agrégat est donnée par une loi de Poisson. Nous avons vu que le piégeage des réactifs est collisionnel. Des calculs de dynamique moléculaire montrent que celui-ci est efficace à 100 % quand la molécule piégée a une masse comparable à celle des atomes d’argon qui composent l’agrégat. La section efficace de piégeage est alors proche de la section géométrique de l’agrégat. Cet effet se comprend assez bien par observation d’un joueur de pétanque. S’il lance le cochonnet sur une boule, celui-ci rebondit sans perdre d’éner- 26 Piégeage des réactifs gie cinétique. De la même façon, un atome d’hélium qui entre en collision avec un agrégat d’argon va rebondir sur l’un des atomes de l’agrégat et ne sera pas piégé. Au contraire, si le joueur de pétanque tire sur une boule avec sa propre boule, il y a échange d’énergie cinétique entre les deux boules. La collision d’un réactif (disons N2 O de masse 44 g) avec l’un des atomes d’argon de l’agrégat (masse 40 g) va donc immobiliser le réactif par rapport à l’agrégat. Le réactif est alors piégé, pour autant que l’agrégat exerce une attraction suffisante sur le réactif. L’atome d’argon qui a reçu l’énergie cinétique du réactif incident répartit cette énergie dans l’agrégat par collisions successives. Se pose alors la question de localisation des réactifs : sont-ils solvatés à la surface de l’agrégat, ou enfouis à l’intérieur de celui-ci ? Cette information peut être apportée expérimentalement par spectroscopie ou par des calculs de dynamique moléculaire. Ainsi, avons-nous montré que le baryum se solvate en surface de l’agrégat d’argon. C’est probablement le cas également des réactifs moléculaires CH4, N2 O et Cl2 dont nous parlons dans cet article. Migration des réactifs On utilise un processus collisionnel qui possède sa propre horloge interne pour étudier la mobilité relative des réactifs dans les agrégats. L’expérience consiste à implanter sur un agrégat contenant un atome de baryum excité électroniquement un nombre connu de molécules (1 à 10 en général). Ces molécules, le méthane CH4 par exemple, désexcitent collisionnellement le baryum. On mesure le rendement de la fluorescence du baryum en fonction du nombre de molécules de méthane implantées sur l’agrégat. Connaîssant la durée de vie du baryum excité, on en déduit le temps moyen mis par le baryum et une molécule de méthane pour se rencontrer sur l’agrégat et supprimer toute fluorescence. L’ordre de grandeur est 20 ns Edifices moléculaires pour un agrégat de 2 000 atomes d’argon. Il reflète une grande mobilité, révélatrice d’un déplacement des réactifs, par sauts, à la surface de l’agrégat. Une telle mobilité indique que deux réactifs implantés sur un même agrégat vont entrer en collision de façon répétée au cours des quelques microsecondes que l’agrégat passe dans la zone d’observation. Cet effet de confinement des réactifs est à l’origine même du fait que des agrégats puissent être des microréacteurs chimiques. En ce sens ils ressemblent, bien qu’étant de nature chimique entièrement différente, aux micelles maintenant couramment utilisées en chimie de synthèse. Réaction La figure 2 présente un résultat expérimental concernant la réaction, très exothermique, du baryum sur le protoxyde d’azote N2 O : Ba + N2 O → BaO + N2 DH ≈ − 4 eV (1) Ce résultat est le premier que nous ayons obtenu, montrant que la rencontre répétée entre réactifs sur l’agrégat conduit effectivement à une réaction chimique. Une partie des 4 eV d’exothermicité de la réaction se retrouve en excitation électronique de la molécule BaO produite. C’est l’origine du spectre de chimiluminescence représenté figure 2. Il est spectaculairement différent selon que la réaction a lieu au contact de l’agrégat ou en phase gazeuse (c’est-à-dire hors de la présence de l’agrégat). Des travaux complémentaires ont montré que la probabilité de réaction des deux réactifs piégés dans l’agrégat est voisine de 1. Comme le montre la figure 2, la réaction conduit au produit BaO sous deux formes : une première où il est éjecté dans la phase gazeuse, et une seconde où le produit BaO reste solvaté dans l’agrégat. Le produit libre possède beaucoup d’énergie in- Figure 2 - Spectre de chimiluminescence observé par réaction d’un atome de baryum sur une molécule de N2O au contact d’un agrégat de 2 000 atomes d’argon. L’insert montre le spectre observé quand la même réaction a lieu en phase gazeuse. Dans l’un et l’autre cas le produit chimiluminescent est BaO. terne. Son émission correspond à la partie non structurée du spectre et est similaire à la chimiluminescence observée dans la réaction en phase gazeuse. Le produit solvaté est froid rotationnellement et vibrationnellement et sa spectroscopie est légèrement perturbée par l’environnement d’atomes d’argon. Il conduit à la progression vibrationnelle observée figure 2. RÔLE DE L’AGRÉGAT Les deux parties précédentes ont permis d’entrevoir deux propriétés des agrégats qui affectent directement la dynamique d’une réaction chimique : confinement et thermostat. Examinons ces deux effets plus en détail. Confinement des réactifs Par opposition avec un milieu réactionnel infini, qu’il soit gazeux, liquide ou solide, l’agrégat limite l’espace de phase accessible aux réactifs, et par là même modifie leur réactivité. De façon évidente, cela se fait par limitation de l’espace physique que les deux réactifs ont à explorer pour réagir, mais cela intervient aussi de façon plus subtile par abaissement de la dimension de l’espace accessible quand, par exemple, les deux réactifs sont confinés en surface de l’agrégat, ce qui est le cas ici. Cet effet apparaît vraisemblablement dans nos études sur la réaction Ba + N2 O : la probabilité de réaction du système Ba + N2 O, voisine de 1 dans l’agrégat, est près de 7 ordres de grandeurs plus grande que ne le 27 laisse supposer la barrière d’activation mesurée en phase gazeuse pour cette réaction. Une alternative serait que la présence de l’agrégat modifie la hauteur de la barrière. Le confinement des réactifs permet aussi des associations non classiques entre réactifs. Des expériences en ce sens ont été faites au laboratoire. Elles consistent à additionner plusieurs atomes de baryum à l’agrégat. Obtenir des molécules de Ba2 (ou plus généralement des agrégats de baryum) en phase gazeuse est une tâche difficile sinon impossible, à tel point que le dimère Ba2 libre n’a encore jamais été observé expérimentalement. L’originalité de la technique de piégeage collisionnel est de permettre la capture successive de deux atomes de baryum par l’agrégat. L’énergie de liaison de Ba2 est suffisamment grande (0,2 eV) et l’agrégat assez froid (≈ 30 K, voir encadré) pour que ce dernier puisse stabiliser les deux atomes de baryum sous la forme d’un dimère Ba2. Le piégeage collisionnel ultérieur d’une molécule réactive permet d’étudier les propriétés chimiques de Ba2. La partie inférieure de la figure 3 montre un tel résultat quand la molécule Ba2 réagit sur le dichlore. On observe un grand nombre de canaux chimiluminescents preuve de la richesse de cette chimie. Les autres aspects de la figure 3 seront discutés plus loin. Thermostat Nous avons vu l’effet thermostat de l’agrégat par le refroidissement exercé sur la molécule BaO produite par la réaction Ba + N2 O lorsque cette molécule reste solvatée dans l’agrégat. Il est utile de développer un peu la discussion de l’effet thermostat en remarquant deux choses : − Quand une réaction a lieu en phase gazeuse, le système constitué par les deux réactifs est isolé et son énergie totale est constante. L’évo28 a) b) c) Figure 3 - Spectre de chimiluminescence observé par réaction du baryum sur le dichlore Cl2. La figure a) montre le spectre observé quand la réaction a lieu en phase gazeuse. C’est le spectre de la molécule BaCl. La figure b) montre celui obtenu quand la réaction a lieu sur un agrégat de 8 000 atomes d’argon avec un seul atome de baryum présent par agrégat. On observe alors l’émission de BaCl2. La figure c) montre les nombreuses émissions observées quand le baryum présent sur l’agrégat est sous forme moléculaire Ba2. lution du système le long de la coordonnée de réaction est une succession de phases d’accélération et de décélération selon que la zone du potentiel d’interaction dans lequel le système évolue est attractive ou répulsive. Lorsque le système passe au voisinage d’un puits de potentiel profond, il n’explore pas le fond du puits et ne pourrait se stabiliser dans cette configuration que par émission de photons, ce qui est peu probable. En fait, il y a satellisation des différentes parties du système réactionnel les unes autour des autres, puis séparation. Dans une telle situation, l’énergie totale du système réactif est grande devant son énergie potentielle. C’est ce qui est schématisé figure 4a. Edifices moléculaires − Lors d’une réaction en phase condensée, celle-ci tient lieu de thermostat avec lequel le système réactif interagit. Son énergie totale n’est alors pas nécessairement conservée. Il peut perdre un excès d’énergie interne ou d’énergie cinétique par transfert vers l’agrégat. En d’autres termes, le système réactif peut effectivement explorer les minima du potentiel d’interaction sur lequel il évolue et s’y stabiliser. Il suffit que le système reste assez de temps au voisinage d’un minimum de potentiel pour laisser à l’agrégat le temps d’évacuer l’excès d’énergie et abaisser l’énergie totale du système à une valeur voisine de l’énergie potentielle. Cette situation est illustrée dans deux cas de figure, selon que le minimum de potentiel correspond aux produits de réaction (voir figure 4b) ou bien correspond à un intermédiaire réactionnel situé le long de la coordonnée de réaction (voir figure 4c). Le refroidissement de la molécule de BaO solvatée qui est observé figure 2 correspond à la situation de la figure 4b. La comparaison des parties supérieure et centrale de la figure 3 illustre la possibilité qu’a un agrégat de stabiliser un intermédiaire de réaction. On y étudie la réaction chimiluminescente du baryum sur le dichlore Cl2. La réaction en phase gazeuse passe par le mécanisme de harponnage + Figure 4 - Schéma montrant l’évolution de l’énergie potentielle d’un système réactif le long de la trajectoire réactionnelle. Les figures (a) et (c) correspondent à une situation où le système rencontre un intermédiaire réactionnel le long de la trajectoire réactionnelle. La réaction schématisée figure (b) est simplement exothermique. La figure (a) correspond au cas où la réaction a lieu en phase gazeuse : l’énergie totale du système réactif est constante. Les figures (b) et (c) montrent l’évolution de l’énergie totale du système quand la présence d’un agrégat (effet de thermostat) peut évacuer l’excès d’énergie. La figure (b) montre le cas où l’effet thermostat conduit à un produit froid. La figure (c) schématise le cas où cet effet stabilise l’intermédiaire réactionnel. − Ba + Cl2 → Ba ... Cl2 + − → Ba Cl + Cl + − (2) et conduit à BaCl (Ba Cl ≡ BaCl) comme seul produit chimiluminescent. C’est ce qu’on observe dans la partie supérieure de la figure 3. On est alors dans le cas schématisé figure 4a. La partie centrale de la figure 3 montre que sur un agrégat d’argon, la réaction a l’intermédiaire BaCl2 pour seul produit chimiluminescent, preuve que l’agrégat a eu le temps de jouer son rôle de thermostat avant dissociation complète de − l’ion Cl2 en Cl− + Cl. On est maintenant dans le cas schématisé figure 4c. CONCLUSION Les quelques études rapportées dans cet article montrent que les agrégats sont de véritables microréacteurs chimiques dont les propriétés se regroupent autour de deux rubriques : confinement des réactifs et effet thermostat. Le confinement des réactifs donne des propriétés catalytiques aux agrégats (réactivité accrue des réactifs qui y sont implantés) et permet d’aborder des types de chimie non standard comme celle des molécules d’alcalinoterreux. L’effet thermostat permet la stabilisation d’intermédiaires réactionnels, voire la formation de produits différents de ceux obtenus en phase gazeuse. Les agrégats moléculaires forment un milieu réaction29 nel original par rapport aux phases condensées macroscopiques (solvants liquides, ou solides comme le sont les matrices) précisément parce qu’il associe ces deux types de propriétés : confinement et thermostat. On peut arguer du fait qu’une phase condensée classique piège également les réactifs dans des cages de solvant, mais l’originalité des agrégats réside dans la maîtrise, d’une part de la taille de la cage qui correspond à la taille moyenne de l’agrégat, et d’autre part du nombre de réactifs qu’on met en présence dans cette cage. Les techniques décrites dans cet article ouvrent un vaste champ dans l’étude élémentaire des mécanismes de solvatation. Elles permettent aussi, et ce n’est pas leur moindre intérêt, de créer des situations expérimentales proches de celles rencontrées dans la haute atmosphère qui, rappelons-le, est un milieu peuplé de particules, aérosols et agrégats dont la physicochimie est très différente de celle des phases gazeuses homogènes. Article proposé par Jean-Michel Mestdagh, Tél. (1) 69 08 25 45, Jacques Berlande, Tél. (1) 69 08 21 12, Marc-André Gaveau, Tél. (1) 69 08 50 66, Olivier Sublemontier, Tél. (1) 69 08 24 45 et Jean-Paul Visticot, Tél. (1) 69 08 68 43. 30 POUR EN SAVOIR PLUS – En savoir plus sur les agrégats : Clusters of Atoms and Molecules (2 tomes) ed H. Haberland, Pub. Springer Verlag, 1994. – En savoir plus sur la dynamique réactionnelle dans les agrégats : Reaction Dynamics in Clusters and Condensed Phases, eds J. Jortner, R.D. Levine et B. Pullman, Pub. Kluwer Academic Publishers, 1994. – En savoir plus sur les expériences faites à Saclay : notre article de revue dans la référence ci-dessus.