On comprend l'importance de cette réflexion puisque de nombreux signes qu'étudie la sémiologie, les signes
visuels par exemple, sont de nature analogique et ne peuvent donc être considérés comme arbitraires. Il est
hors de propos de relancer un débat stérile sur la légitimité de l'appartenance des langages analogiques à la
sémiologie: le développement de la sémiologie de l'image et les nombreuses études sur les langages de
l'image ont, de fait, donné une réponse à cette question.
L'essentiel est de reconnaître que la sémiologie découvre, à travers une multiplicité de langages, une
diversité de signes et que parmi ceux-ci, une grande majorité ne peuvent être considérés comme arbitraires.
Certains systèmes présentent même une combinaison de signes arbitraires et de signes analogiques: le
cinéma par exemple, se constitue d'images (de photogrammes), de mouvement, de bruits, de musique et de
langage verbal. Dans ces conditions, la véritable mission de la sémiologie consisterait plutôt à:
1. étudier la nature de cette analogie;
2. établir la façon dont elle est compatible avec le caractère discontinu du signe linguistique qui
semblait être une des conditions de la signification;
3. établir les différences entre signes analogiques et arbitraires, leurs rapports et leur complémentarité
éventuelle dans un processus de signification.
La différence entre signes arbitraires et analogiques qui sera longuement discutée plus loin se réfère à la
trichotomie classique proposée par Peirce, puis largement diffusée par Morris: l'indice, l'icone et le signe.
Cette classification semble connaître aujourd'hui un regain d'intérêt que l'on peut expliquer, en grande partie,
par l'importance qu'ont pris, dans les recherches actuelles, les signes non verbaux.
L'indice est "un signe qui se réfère à l'objet qu'il dénote en vertu du fait qu'il est réellement affecté par cet
objet" (Peirce, Vol.II: 147). Il se trouve dans un rapport de contiguïté vécue, de nature existentielle, avec
l'objet dénoté lui-même. La relation indicielle est dite de motivation métonymique en ce que l'indice
appartient encore au phénomène lui-même: la continuité et la contiguïté naturelles des signes indiciels les
placeraient à "la naissance du signifiant " (Piaget,1989; Bougnoux, 1991). Les exemples sont nombreux: la
fumée et le feu, le rythme cardiaque, le pouls et la maladie, le poing brandi et la menace, etc. La présence
de fumée me permet d’induire l'existence d'un feu de même que l'accélération du pouls est le symptôme
probable de fièvre chez le malade. Pourtant tous les sémioticiens, Buyssens et Segre par exemple,
n'acceptent pas de classer parmi les signes, les signes authentiquement naturels, les événements du monde
physique tels qu'un signe météorologique, une démarche3, etc. Or, on peut raisonnablement soutenir qu'il
s'agit là de phénomènes porteurs de signification à travers lesquels nous interprétons le monde grâce à nos
expériences antérieures, lesquelles nous ont appris à considérer ces événements —à les lire— comme de
réels indicateurs (Greimas, 1966). La possibilité d'imiter et de simuler les signes expressifs qui sont à
l'origine la manifestation involontaire de comportements affectifs ou psychologiques —les mimiques de joie
ou de tristesse par exemple— démontre qu'il s'agit bien là "d'éléments d'un langage socialisé, analysables et
utilisables comme tels" (Eco, 1990: 41).4 Nous retiendrons donc que les indices, bien qu'ils manifestent une
continuité existentielle avec ce qu'ils dénotent, comportent également une part de convention puisqu'ils nous
communiquent quelque chose par rapport à un système d'expériences acquises, voire même à de strictes
conventions, comme dans le cas des déictiques.
L'icone, ou le signe iconique, est "un signe qui se réfère à l'objet qu'il dénote simplement en vertu de ses
caractères propres" (Peirce, Vol.II: 247). Entre l'icone et l'objet dénoté, il existe une relation qualitative:
l'icone présente certains aspects de l'objet réel, certaines propriétés de l'objet représenté. Une photographie
de la maison est un signe iconique parce que l'image montre une structure de maison identique, par certains
aspects, à la maison réelle: elle conserve donc certaines caractéristiques de l'objet représenté et certains
rapports entre les éléments de celui-ci. La représentation de la maison vaut en vertu d'une ressemblance de
fait: la photographie de la maison ressemble à la maison. La relation iconique, l'analogie, est dite de
motivation métaphorique. Elle peut se limiter à l'expression d'un rapport d'équivalence ou d’homologie
structurelle comme dans le cas d'un diagramme ou de toute autre représentation graphique. Elle peut
encore être très réaliste ou au contraire totalement abstraite: le degré de réalisme de l'image, la nature des
aspects retenus comme pertinents, permettent de distinguer plusieurs catégories d'icones. 5
Pour éviter toute confusion, il faut insister sur le fait que la relation iconique définit un mode général de
relation entre le signe et l'objet dénoté: l'icone est donc une catégorie descriptive large qui inclut l'image, au
sens commun (c'est-à-dire l'icone au sens restreint), mais aussi les dessins, les graphiques, les schémas,
les diagrammes, les organigrammes, etc.