Les Dramaturges antillaises cc Études transnationales, Transnational, francophones Francophone et comparées and Comparative )) Studies Collection dirigée par / Book Series Directed by Hafid Gafaïti Les mouvements migratoires dans le monde ont donné naissance à des diasporas et des cultures immigrées qui simultanément transforment les sociétés et les immigrés et contribuent à la formation d'identités et de cultures globales ou transnationales. Le but de cette collection est d'explorer les processus à partir desquels ces phénomènes ont donné naissance à des cultures nationales et transnationales ainsi que d'analyser les modalités selon lesquelles les diasporas contribuent à la production de nouvelles identités et discours qui défient les modes de pensée traditionnels sur l'identité, la nation, I'histoire, la littérature, l'art et la culture dans le contexte postcolonial. Elle vise à contribuer aux débats sur ces phénomènes, leurs problématiques et discours à partir d'une perspective interdisciplinaire et plurilingue au-delà des cloisonnements idéologiques, politiques ou théoriques. Elle a également pour but de renforcer les liens entre la théorie critique et les études culturelles. Finalement, son objectif est de développer les relations entre les études francophones, anglophones et comparées dans un cadre transnational. Cette collection tente de multiplier les échanges entre les universitaires et étudiants francophones, anglophones et autres et de transcender les barrières culturelles et linguistiques qui caractérisent encore nombre de publications. Migratory movements in the world have led to the formation of diasporas and immigrant cultures that transform both societies and immigrants themselves, while contributing to global or transnational identities and cultures. The aim of this book series is to explore the processes by which these phenomena led to the constitution of national and transnational cultures. In addition, it studies how diasporas contribute to the construction of new identities and discourses that challenge traditional ways of thinking about identity, nation, history, literature, art and culture in the postcolonial context. It aims to contribute to the discussion of these issues from an interdisciplinary and multilingual perspective beyond ideological, political and theoretical exclusions. Its objective is to reinforce the links between critical theory and cultural studies and to develop the relations between Francophone and comparative studies in a transnational framework. This book series attempts, on the one hand, to enhance the communication and to strengthen the relations between Francophone, Anglophone and other scholars and students and, on the other hand, to transcend the cultural and linguistic barriers that still characterize many publications. Carole Edwards Les Dramaturges antillaises Cruauté, créolité, conscience L'Harmattan féminine (Q L'HARMATTAN, 2008 5-7, rue de l'École-Polytechnique, 75005 http://www.librairieharmattan.com [email protected] [email protected] ISBN: 978-2-296-05199-7 EAN : 9782296051997 Paris A Mathew pour les heures volées A Mark A Maman REMERCIEMENTS Je tiens à remercier Dr. Broden et Dr. Leverage pOUf leurs commentaires précieux. Ma gratitude va également au Dr. Hafid Gafaïti, mon mentor depuis dix ans maintenant. Grâce à lui, j'ai découvert la littérature francophone et ai appris à écrire une étude critique. Sa gentillesse et son éternel encouragement se sont transfonnés en force et en motivation. Enfin, je ne peux omettre Suzanne Dracius. Ses commentaires et encouragements ont été pour moi une grande joie et une source de motivation. Comme le théâtre antillais, elle est pétillante, colorée et incarne la bonne humeur. Notre rencontre m'a émue et m'a réaffilTI1é que mon travail critique était nécessaire afin d'inscrire la dramaturgie antillaise au féminin dans le panorama de la littérature mondiale. Le terrorisme intellectuel, on l'a dit, constitue un système. Mais un système diffus, multiforme, insaisissable. Il n'y a pas à chercher un complot derrière lui, ni un chef d'orchestre clandestin. D'ailleurs, il ne défend pas un thème unique, et ne représente pas des intérêts nécessairement concordants. C'est une machine appuyée sur des connivences doctrinaires et des réseaux de générations, mais une machine aveugle. Jean Sévillia, Le terrorisme intellectuel INTRODUCTION Comment prendre plaisir à un texte rapporté? Comment lire la critique? Un seul moyen: puisque je suis ici un lecteur au second degré, il me faut déplacer ma position: ce plaisir critique, au lieu d'accepter d'en être le confident - moyen sûr pour le manquer -, je puis m'en faire le voyeur: j'observe clandestinement le plaisir de l'autre, j'entre dans la perversion; le commentaire devient alors à mes yeux un texte, une fiction, une enveloppe fissurée. Perversité de l'écrivain (son plaisir d'écrire est sans fonction), double et triple perversité du critique et de son lecteur, à l'infini. Roland Barthes, Le plaisir du texte Raphaël Confiant exhorte les intellectuels francophones à «cesser de se concevoir comme des périphériques ou ultra-périphériques» (Aimé Césaire: Une traversée paradoxale du siècle, 123). Il semblerait à juste titre que ce sentiment légitime, manifesté par certains auteurs de langue française, émane du sempiternel rejet de l'Académie française et de la plupart des lecteurs en métropole, qui, faute de connaissance et quelque peu chauvins, perçoivent encore la littérature des auteur( e)s francophones comme une simple diversion exotique. La littérature antillaise n'y échappe malheureusement pas.l Il 1 Lorsque je demande à Suzanne Dracius comment elle est reçue par le milieu parisien, elle répond consciemment qu'en France, on aime les auteurs francophones tant qu'ils restent chez eux. Lorsque je discute moi-même de mon travail de critique en francophonie en France, le regard confus de mes interlocuteurs traduit leur ignorance en la matière et l'incompréhension d'une telle entreprise de ma part. Je tiens pourtant à manifester ma surprise et mon enjouement à la position nouvellement acquise par Assia Djebar en Juin 2005 à 15 est par conséquent de mon devoir (et de mon désir), en qualité de vingtéunièmiste, que de rendre hommage aux dramaturges antillaises francophones en présentant des analyses ciblées de leurs œuvres. Ma toute première tâche sera donc d'infonner les lecteurs et de les inciter à reconnaître la grandeur littéraire des auteures dont les pièces choisies sont nommément: Dieu nous l'a donné, Mort D 'Oluwémi d'Ajumako, Pension Les Alizés (Maryse Condé), Ton beau capitaine (Simone Schwarz-Bart), Lettres indiennes (Gerty Dambury), Mémoire d'lsles Maman N et Maman F., L'enfant des passages ou la geste de Ti-Jean (Ina Césaire), la Nef (Michèle Césaire), et Lumina Sophie dite Surprise (Suzanne Dracius). Je n'ai pas l'intention d'en présenter une analyse linéaire rébarbative mais d'explorer de manière judicieuse, à l'aide d'anal yses détaillées autour de concepts théoriques, certains aspects controversés des pièces. Dans un premier chapitre, j'aborderai le théâtre antillais de femmes comme théâtre de la cruauté. Après m'être penchée sur la structure des pièces dans sa diversité, je m'appuierai sur les aspects cruels tels qu'ils sont définis par Antonin Artaud dans Le théâtre et son double pour tracer les contours d'un théâtre non seulement verbal mais total, qui conjugue gestuelle et chant, pour parvenir à une poétique théâtrale. Le but principal de ce chapitre sera de remettre en question les idées reçues des critiques qui perçoivent la gestuelle et tout ce qui est représenté sur scène (autre que le texte en lui-même) comme un mode d'expression primitif et sans intérêt.2 l'Académie française ainsi que l'accès au ministère d' Azouz Begag en tant que ministre de l'égalité des chances. Enfin une reconnaissance bien méritée! 2 Lors d'une communication que je présentais en Octobre 2003, une des questions du public m'a révélé cette méprise que je m'engage ici à démentir. 16 L'autre préconception que ce premier volet de l'étude déconstruira sera le refus de mesurer la littérature francophone avec une théorie française métropolitaine sous peine de l'aliéner. En utilisant la cruauté artaudienne, je ne compte ôter aucune spécificité propre au théâtre antillais de femmes. Au contraire, j'espère présenter un aspect négligé du théâtre francophone, lui apportant une richesse analytique supplémentaire et rejetant un essentialisme malsain qui consisterait à dire que la littérature antillaise ne peut être mesurée qu'avec des outils antillais. Il est temps d'élargir ce panorama (et non le restreindre) pour célébrer une écriture à part. Cette étude permettra au spectateur de repenser l'art dramatique grâce à un espace naturel. En s'assimilant à la vie, le théâtre cruel permettra à chaque Antillais en particulier de lui faire prendre conscience de sa condition et de son passé. Je démontrerai comment cette forme de la mémoire prend place sur scène en soulignant le rôle du metteur en scène et le recours à des artifices tels que le métatexte ou la gestuelle au sens le plus large. Mon second chapitre situera la dramaturgie antillaise au féminin parmi les grands courants théoriques depuis la Négritude à la Créolité, en passant par l'Antillanité. Ces concepts restent inséparables de l'Universalité. Bien que les auteures se refusent à embrasser une théorie plus qu'une autre, tant elles sont occupées à produire une littérature plutôt que d'en disserter, elles fluctuent, évoluent parmi leurs contemporains qui s'affairent à répertorier des règles viables pour la littérature antillaise. J'expliquerai comment les auteures ont dépassé le stade de prélittérature en donnant à leurs écrits grâce à leurs styles, l'empreinte de l'Histoire et la voix de leur communauté. Par exemple, l'utilisation du conte tissé dans la pièce même privilégie le folklore antillais. Ces éléments, révélateurs d'une culture propre et présentés de manière 17 originale, rejoindront le carnaval antillais dont je relierai les artifices (comme outils spécifiques au théâtre antillais de femmes) au Carnaval bakhtini en. Les éléments du grotesque en particulier, témoigneront de la transgression des interdits dans une société antillaise sclérosée par les affres d'un passé pesant. Mon troisième chapitre élaborera sur les styles hybrides des dramaturges qui font de leur écriture un artisanat métis. Je dresserai une analogie entre la ruse de Pénélope d'Homère et la finesse des auteures. La pièce de Suzanne Dracius retiendra mon attention et j'en soulignerai les contrastes et références entre la tradition gréco-romaine ou créole et le théâtre moderne. Le personnage principal, Lumina Sophie, sera l'objet d'une distinction entre l'héroïne grecque et la jeune femme moderne et émancipée. Je poursuivrai avec quelques analyses thématiques, en me penchant sur l'Histoire antillaise telle qu'elle est représentée dans l'opposition des deux protagonistes principales de Mémoire d'Isles Maman N. et Maman F. d'Ina Césaire. Il me siéra ensuite d'aborder l'exil tel qu'il apparaît, d'une part, dans Pensions les alizés comme l'exil volontaire des deux personnages principaux Emma et Ismaël, puis de l'autre, l'exil économique forcé de Wilnor, personnage principal de Ton beau capitaine. Enfin, dans Dieu nous l'a donné, l'étude du retour aux sources posera l'échec de Dieudonné, symbole de tous ceux qui ont tenté de rentrer au pays après avoir connu l'exil. Je clôturerai mon étude par un chapitre qui s'intéressera dans un premier temps à l'étiquette des auteures antillaises en tant que femmes. Comment les qualifier? Sont-elles féministes, Womanists ou incamentelles une Conscience Féminine à part? En m'appuyant sur l'expérience et les tendances des féministes, je différencierai les auteures de la Diaspora des différents courants pour les situer au sein d'un Canon propre dont les 18 contours seront tracés en répondant aux critères qui ont permis de délimiter le Canon Africain au féminin. En démontrant les limitations du Womanism, j'aboutirai à l'avènement d'une Conscience Féminine invitant les hommes à définir l'écriture de femmes. Je me pencherai finalement sur le thème de la femme marquant l'évolution des protagonistes. C'est du pouvoir occulte et pourtant bien réel de Séphira, héroïne de Mort D 'Oluwémi d'Ajumako, qu'il s'agira. Pareillement, je mettrai en relief le rôle de Maeva et Gastonia, héroïnes de Dieu nous l'a donné, pour expliquer comment ces femmes cultivent leur exploitation au sein d'un marché de valeurs humaines pour diriger et aboutir à leurs fins. En tête, Emma (Pension Les Alizés) reste le personnage triomphant de tout pouvoir puisqu'elle finit par accéder à son indépendance. Ensuite, j'examinerai la relation Féminité / Maternité telle qu'elle apparaît dans les pièces. Il semble que, chez les protagonistes masculins, la violence prend place tantôt dans le verbe tantôt dans le geste lorsque la mère est refoulée. Les personnages féminins, pour leur part, comblent le vide de leur mère en se façonnant une image idyllique de cette dernière ou encore en s'autorisant une renaissance imagée. Mon travail de critique de la dramaturgie antillaise au féminin n'aura nullement la connotation voyeuriste évoquée par Roland Barthes. C'est à une célébration qu'il faudra plutôt songer et non à une déconstruction. Le choix d'angles d'interprétation reste purement personnel, témoin d'une absence à combler. Au terme de cette étude, j'autorise à mon lecteur la « double ou triple perversité» (Barthes), sans pour autant qu'il déconstruise ces œuvres dignes d'intérêt car elles sont la vie. Il faut garder à l'esprit que le plaisir du texte et du spectacle, c'est avant tout ce qu'il évoque en soi, malgré ce que dicte la raison. 19 C'est l'enivrement des sens à l'infini, le plaisir à l'état pur auquel je convie mon lecteur sans borne. 20 CHAPITRE I