La qualité de vie au premier plan

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K r a n k e n p f l e g e I S o i n s i n f i r m i e r s I C u r e i n f e r m i e r i s t i c h e 7/2016
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Dysphagie chez les personnes atteintes de sclérose latérale amyotrophique
La qualité de vie au premier plan
Quel doit être le rôle infirmier dans la prise en charge de la dysphagie et de ses symptômes
pour le maintien de la qualité de vie des personnes atteintes de sclérose latérale amyotrophique? Regards croisés entre les recommandations théoriques et la pratique clinique.
Texte: Camille Jotterand, Virginie Valentino, Marie-Lucie Iovine-Rauber, Aline Vuistiner, Véronique de Goumoëns / Photos: Martin Glauser
La qualité de vie du patient
dépend dans une large
mesure de la qualité de la
prise en charge.
L’annonce du diagnostic d’une SLA a de
lourdes conséquences pour le patient.
La rareté de cette pathologie, sa complexité, son imprévisibilité et son irréversibilité rendent le patient vulnérable,
tant au niveau physique que psychique.
Les mouvements et les réflexes normalement exécutés de façon quasi-inconsciente sont alors entravés par l’atteinte
des motoneurones, rendant la personne
atteinte rapidement dépendante dans
ses activités de la vie quotidienne
(AVQ). En phase avancée, le maintien
de la QdV devient l’enjeu majeur de la
prise en charge, puisque le déclin des
fonctions vitales est imminent. Ceci
nous conduit à la question de recherche
suivante: Quel est le rôle de l’infirmier
dans la prise en charge de la dysphagie
et ses symptômes interreliés chez les personnes âgées de 45–65 ans atteintes de
SLA afin de garantir le maintien de la
QdV?
Cadre théorique
Pour soutenir ce travail, une théorie de
soins infirmiers a été choisie. Il s’agit de
la Théorie de la gestion des symptômes
(TGS) (Dodd et al., 2001) qui permettrait
d’optimiser les soins offerts aux patients
atteints de SLA en structurant l’offre en
soins. En l’occurrence, les soins infirmiers doivent prioritairement chercher à
soulager les symptômes puisqu’il n’existe pas de traitement curatif de la SLA.
L’évaluation des symptômes et des expériences vécues par le patient semble être
une excellente démarche pour préserver
la QdV puisqu’elle ne vise pas un protoDans le cadre de notre travail de Bachelor en soins infirmiers, nous avons exploré le rôle infirmier dans la prise en
charge de la dysphagie chez les patients
atteints de sclérose latérale amyotrophique (SLA) afin de maintenir leur
qualité de vie (QdV). Les patients atteints de SLA requièrent des soins individualisés, intensifs et ajustables en tout
temps. L’évolution imprévisible et les
manifestations cliniques variées exigent
que la coordination entre les différents
intervenants soit irréprochable afin d’at-
ténuer la souffrance morale et physique
engendrée par les multiples symptômes.
Ce travail de Bachelor est une revue partielle de la littérature existante sur ce
thème. Les recommandations cliniques
issues des résultats de recherche ont été
croisées avec le regard de deux professionnelles exerçant au sein d’une équipe interprofessionnelle de neurologie.
Problématique
La SLA est une pathologie neurodégénérative affectant les motoneurones à la fois
supérieurs et inférieurs du système nerveux central (SNC). Cette pathologie se
manifeste par une paralysie progressive
des membres et des muscles, notamment
des muscles labio-glosso-pharyngo-laryngés entraînant une dysphagie et des
symptômes associés. Cette symptomatologie altère considérablement la QdV des
patients et accélère le déclin du pronostic
vital par la dénutrition et les troubles respiratoires associés. En Suisse, environ
700 personnes vivent avec une SLA (Association Suisse de la SLA, 2015).
Les auteurs
Camille Jotterand et Valentino
Virginie, candidates au Bachelor en
soins infirmiers, HESAV;
Marie-Lucie Iovin-Rauber, infirmière
spécialisée, CHUV;
Aline Vuistiner, logopédiste, CHUV;
Véronique de Goumoëns, maître
d’enseignement HES, HESAV.
Contact:
[email protected]
Figure 1: Schéma théorique de la théorie de gestion des symptômes (Dodd, Janson, et al.,
2001, traduction et autorisation de Manuela Eicher).
cole généralisé mais s’adapte à chaque
patient et à l’évolution de la maladie.
La TGS se décline autour de trois
concepts centraux. Il s’agit de l’expérience du symptôme, des stratégies de
gestion du symptôme et des résultats obtenus sur l’état du symptôme. La Figure
1 présente judicieusement ces divers
concepts. L’expérience des symptômes
permet de prendre en considération la
perception du patient quant à sa maladie. Les stratégies de gestion des symptômes abordent les mécanismes d’adaptation que la personne met en place
pour faire face au symptôme, avec ou
sans aide, et y pallier. Puis, les résultats
obtenus sur l’état des symptômes permettent à l’infirmier d’évaluer l’efficacité des stratégies mises en place et de
les adapter si nécessaire.
Les recherches dans deux bases de données scientifiques nous ont permis de
sélectionner des études pertinentes afin
de répondre à notre question de recherche. La synthèse de ces résultats a
permis d’identifier trois thèmes récurrents: la qualité de vie, les stratégies
d’adaptation et les soins pluridisciplinaires.
Qualité de vie
Selon la TGS, l’auto-évaluation des
symptômes par le patient est considérée comme la référence pour les mesurer. Le maintien de la QdV des patients
est la finalité souhaitée des interven-
Travail de Bachelor
Méthodologie
1. Choix d’une problématique et développement d’une question de recherche selon la méthode PICOT;
2. Choix d’un cadre de référence/
d’une théorie issu(e) des sciences
infirmières;
3. Recherche d’études scientifiques
sur les bases de données cumulatives (CINAHL et PubMed);
4. Sélection de sept études scientifiques réalisées entre 2005–2015
dans des pays occidentaux;
5. Analyse de ces études à l’aide des
grilles de lecture de Fortin (2010);
6. Mise en avant des principaux résultats et thématiques émergeant des
études;
7. Réponse à la question de recherche
par le biais des résultats obtenus.
tions faites par les professionnels de la
santé (Baeriswyl et al., 2013). Or, la
QdV est un concept subjectif dont
chaque être humain a une perception
propre, ce qui peut amener les professionnels à offrir des prestations de
soins qui ne sont pas optimales en regard des attentes du patient. Il est donc
primordial de spécifier, pour chaque
patient, quels sont les facteurs détermi-
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Apports issus de la clinique dans une unité de neurologie
Regards croisés
«Soins pluridisciplinaires», «qualité de
vie», «stratégies d’adaptation», «partenariat avec le patient»: que se cache-til derrière ces termes rendus familiers
et idéalisés par les résultats des recherches exposés ici? Comment les concrétiser?
De «soins pluridisciplinaires», cheminons d’abord vers une approche «interprofessionnelle», indispensable à l’accompagnement optimal des patients
aux pathologies de plus en plus complexes. Notre équipe soignante se compose ainsi de nombreux professionnels
travaillant ensemble afin d’offrir des
soins cohérents, sécuritaires et centrés
sur le patient.
Voici quelques prérequis indispensables au fonctionnement de notre
équipe interprofessionnelle:
• Connaissance des rôles de chacun
dans l’évaluation et la gestion de la
dysphagie: expertise spécialisée et
pointue de la logopédiste, accompagnement de l’infirmière dans une expertise holistique du patient permettant, entre autres, l’intégration des
thérapies au quotidien.
• Reconnaissance et respect des compétences de l’autre dans l’évaluation
et le traitement des troubles de la déglutition à travers le partage d’observations notamment, sans pour autant perdre sa légitimité ou sa spécificité professionnelle.
• Elargissement et approfondissement
de nos champs de savoir-faire et de
connaissances tant au chevet du
patient que lors de formations interprofessionnelles organisées régulièrement dans notre service. Ces
moments précieux permettent de réfléchir ensemble à nos pratiques.
Nous rencontrons, bien sûr, des difficultés dans la mise en place et la pérenni-
sation de ces soins interprofessionnels.
La principale difficulté semble être la
gestion des zones de chevauchement,
mal définies, entre professions. Qui décide, prend l’initiative, quand, comment, avec quelles répercussions? De
plus, cette difficulté de gestion croît si
de fausses croyances ou des résistances
s’ajoutent. L’aspect chronophage de
cette approche est également un obstacle à considérer. La gestion sereine de
ces zones semble être favorisée par différents facteurs: la reconnaissance de
chaque profession au sein de l’équipe,
son ancienneté, l’assise du professionnel en tant que tel, soutenu par son
expertise. De plus, l’identification de
cette assise favorise la définition du leader et permet d’en changer lorsque
cela devient nécessaire. En un mot: être
dans un leadership collaboratif!
Travailler conjointement demande une
vraie remise en question et des ajustements de nos pratiques. L’ouverture
d’esprit, la flexibilité et l’humilité sont
aussi à développer et à entretenir.
Nous travaillons au quotidien pour que
le patient soit considéré, respecté comme thérapeute de lui-même, avec sa
propre expertise, connaissant ses ressources, ses limites, ses valeurs et ses
besoins spécifiques. Nous devons lui
transmettre des messages clairs et cohérents, accueillir le sens que ceux-ci ont
pour lui et ses proches et l’associer aux
prises de décisions dans son projet de
santé.
A travers ce partenariat, nous pouvons
ainsi l’accompagner dans ses stratégies
d’adaptation, favoriser son autonomie
et participer à améliorer sa qualité de
vie.
Aline Vuistiner (logopédiste) et
Marie-Lucie Iovine-Rauber (infirmière)
nants pour évaluer sa QdV. Ainsi, le travail en partenariat avec le patient
semble indispensable. Malgré l’existence de nombreuses échelles de mesure
de la QdV, il n’existe pas de normes
universelles définies pour l’évaluer objectivement. L’étude de Van de Berg et
al., (2005) avance que la QdV est per-
çue comme meilleure par les patients
atteints de SLA lorsque la prise en charge
est interdisciplinaire. Les résultats de
l’étude de Paris et al., (2012) mettent en
évidence que les troubles de la déglutition affectent la QdV des patients car ils
impliquent une augmentation de la durée des repas, une diminution du désir
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de s’alimenter, une peur de subir un
trouble de la déglutition et des difficultés à communiquer oralement. Tout
ceci a donc un impact sur la santé et sur
la vie sociale des patients. L’étude de
Körner et al., (2013) permet également
de poursuivre cette réflexion en démontrant que la progression de la maladie entraîne une perte de poids et les
pertes fonctionnelles consécutives ont
des répercussions directes sur la QdV.
Pour 84.6% des patients de l’étude, la
pose d’une gastrostomie a augmenté
leur QdV tout en permettant de prévenir ou de pallier aux problèmes liés à la
malnutrition.
Ces différentes études recommandent
donc d’une part d’évaluer la dysphagie
«Une étude met en évidence que les infirmiers
interrogés manquent de
confiance en eux pour
satisfaire les besoins de
ces patients.»
et ses conséquences de manière précoce en investiguant également le statut
socio-économique, les comportements
alimentaires et les habitudes de vie des
patients dans le but de freiner l’impact
de ces troubles sur la QdV des patients
(Paris et al., 2012). Et d’autre part, la
mise en place précoce d’une gastrostomie permettrait également d’anticiper
la perte de poids et de ce fait, la diminution de la QdV (Körner et al., 2013)
Stratégies d’adaptation
Le concept de stratégies d’adaptation,
un des trois fondements de la TGS fait
ici référence à l’adaptation aux symptômes de la SLA. Les études montrent
que les stratégies d’adaptation mises en
place par les patients permettent l’augmentation de la QdV grâce à la gestion
des symptômes auxquels ils doivent
faire face (Paris et al., 2012, Van den
Berg et al., 2005, Körner et al., 2013).
Ces stratégies peuvent découler tant
des ressources du patient que des interventions spécifiques et individualisées
proposées par les soignants (Kirton et
al., 2010). L’individualisation, l’anticipation et la continuité des soins sont
alors des démarches essentielles à la
prise en charge. Pour appuyer ce
constat, un des postulats de la TGS a
tout particulièrement retenu notre attention: «la gestion des symptômes est
un processus dynamique qui est modifié selon les résultats obtenus par la
personne et par les interrelations entre
la personne, sa vision de sa santé et de
sa maladie ainsi que son environnement» (Dodd et al., 2001, cité par
Eicher, 2013). Portillo et Cowley (2010)
mettent en avant que les patients ont
besoin du soutien et de l’accompagnement des infirmiers face à ces nouveaux défis. Les résultats de leur étude
montrent que les infirmiers interrogés
manquent pourtant de confiance en
eux pour satisfaire les besoins de ces
patients. De ce fait, Portillo et Cowley
(2010) proposent d’adopter l’approche
holistique, qui vise une prise en charge
globale du patient. Cette approche
considère que les facteurs environnementaux, sociaux et personnels sont
fondamentaux et doivent figurer dans
l’offre en soins. Cet élément revient
également dans la TGS qui a pour Gold
Standard l’appréciation subjective du
patient vis-à-vis de sa pathologie.
Soins pluridisciplinaires
La pluridisciplinarité est décrite comme
étant un atout dans la prise en charge de
pathologies neurodégénératives (Van
den Berg et al., 2005, Körner et al.,
2013). L’implication de différents professionnels de la santé permet de réduire la
dispersion et l’isolement des interventions (Kirton et al., 2010). Dans les services de neurologie, l’infirmier développe de nouvelles compétences issues
d’autres disciplines. Ce processus permet l’intégration des thérapies; l’infirmier prodigue des soins en garantissant
une continuité des interventions spécifiques pour pallier aux symptômes. Cependant, l’acquisition de ces compétences ne peut avoir lieu sans un travail
collaboratif et interdisciplinaire. Le support interdisciplinaire fourni par les
équipes de soins favorise une expertise
et une prise en charge holistique optimale, en incluant le patient et ses
proches dans chaque prise de décision
(Portillo et Cowley, 2010). Afin de contribuer à cette spécialisation, l’usage des
guidelines existants est un support non
Les patients atteints de SLA ont besoin d’un accompagnement compétent basé sur la
collaboration interprofessionnelle.
négligeable. Il est nécessaire d’uniformiser les pratiques afin de réduire le sentiment de vulnérabilité et l’isolement professionnel (Rio et Cawadias, 2007).
Lorsque les dispositions institutionnelles ou professionnelles ne permettent
pas aux infirmiers de se spécialiser, le recours à des services de soins externes
spécialisés devraient être envisagé (Kirton et al., 2010).
«Il est primordial de
spécifier, pour chaque
patient, quels sont
les facteurs déterminants pour évaluer
sa qualité de vie.»
Les propositions exposées dans cet écrit
découlent principalement d’études réalisées par différents professionnels de la
santé. Les investigations d’études infirmières en lien avec la problématique de
ce travail sont rares et ciblent un plus
large panel de pathologies neurologiques. L’ouverture sur des études pluridisciplinaires converge donc vers la
compréhension de la prise en charge
globale du patient et suggère la collaboration interdisciplinaire et la coordination des soins.
Conclusion
La persévérance et la continuité des
études scientifiques sur la SLA et de ses
symptômes sont essentielles. Ces recherches ont permis, jusqu’ici, la création d’associations en faveur de la SLA
et ont permis le rassemblement des professionnels de la santé et des patients
pour optimiser la prise en charge de
cette pathologie incurable et relativement méconnue.
Les suggestions retenues à la lecture critique des différents articles initient donc
une réflexion de la pratique clinique et,
surtout, une réflexion du rôle spécifique
de l’infirmier dans la gestion de la dysphagie et de ses symptômes associés
dans la SLA. A la suite de notre travail
de Bachelor, nous avons souhaité partager nos résultats avec des spécialistes de
la clinique provenant toutes deux d’un
service de neurologie. Interpellées par
ce sujet, nous leur avons proposé d’apporter leur constat face à cette problématique (lire ci-contre).
Références:
La bibliographie en lien avec cet
article peut être obtenue auprès
des auteurs. Vous la trouverez également
via notre app: www.reader.sbk-asi.ch
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