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Tme 3 : Iologies et opinions en Europe de la fin du XIXe scle à nos jours : Socialisme et
mouvement ouvrier
Socialisme, communisme et syndicalisme
en Allemagne depuis 1875
Lexique :
Marxisme : Théorie politique fondée par Karl Marx, selon laquelle les prolétaires, qui
ne possèdent que leur force de travail, doivent renverser l’ordre social capitaliste
bourgeois par une révolution issue de la lutte des classes, afin d’organiser une société
sans classe sociale et sans état.
Communisme : Mouvement issu du marxisme, qui considère que la lutte des classes
passe par un affrontement violent avec la bourgeoisie et l’Etat. L’Etat communiste se
considère le seul représentant de la majorité de la population (prolétariat) donc
démocratique.
Socialisme : Mouvement de pensée qui dénonce les inégalités sociales issues de
l’industrialisation. Le marxisme se dit socialiste et prône la lutte des classes pour
aboutir à un partage égalitaire des richesses. Il s’oppose au capitalisme (propriété privée
des moyens de production) et au libéralisme économique.
Syndicalisme : Mouvement de défense des intérêts des travailleurs face aux
propriétaires d’entreprise et aux décideurs politiques
Ne pas confondre : socialisme réformiste (volonté de transformer la société dans un
cadre démocratique en participant aux élections et par le vote de lois sociales) et
socialisme révolutionnaire (transformation de la société par la révolution, selon la
théorie de Marx).
Dès 1917-1921, il y a une scission entre les deux : dès lors, on appellera communisme
le socialisme révolutionnaire, et socialisme le socialisme réformiste.
Attention : les pays communistes utilisent le mot socialisme comme synonyme de
communisme.
Introduction :
Depuis le XVIIIe siècle, l’Europe connait progressivement une révolution industrielle.
D’abord au Royaume-Uni, puis en France… L’Allemagne rattrape son retard à partir du
milieu du XIXe siècle et s’industrialise. De 1871 (unification) à 1918, l’Allemagne est
un Empire. L’Empereur (Guillaume II) et le Chancelier (Bismarck) sont les principaux
personnages politiques dirigeant le pays. Le nombre d’ouvriers augmente fortement et
dans les années 1870, l’Allemagne devient la deuxième puissance industrielle
d’Europe. Partout, les usines entrainent un exode rural, un développement des villes et
la naissance d’une classe ouvrière de plus en plus nombreuse (déjà un tiers de la
population en 1870). Elle connait des conditions de travail très dures, face à un
patronat qui s’enrichit. C’est dans ce contexte que naissent les idées socialistes et
l’Allemagne voit naitre sur son territoire le premier mouvement ouvrier d’Europe.
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I. La naissance du socialisme en Allemagne (1875-1914)
a. Berceau du socialisme
L’augmentation du nombre d’ouvriers constitue un terreau pour les idées
socialistes. L’organisation des ouvriers se renforce, de même que les réflexions
philosophiques concernant le monde ouvrier, comme les analyses des
théoriciens du socialisme comme Marx et Engels (1848 : Le Manifeste du parti
communiste)
Dès les années 1860, deux mouvements émergent :
o L’Association générale des travailleurs allemands (ADAV), créée par
Ferdinand Lassalle, un disciple de Marx qui développe sa propre vision
dun socialisme réformiste ; il prône l’acceptation des gles
démocratiques (réformes) en rejetant la thèse révolutionnaire. Il parle
d’ailleurs de « question sociale » plutôt que de « lutte des classe ».
o Le Parti social-démocrate des travailleurs (SDAP), d’inspiration marxiste
révolutionnaire, fondé par Wilhelm Liebknecht et August Bebel.
En 1875, lors du congrès de Gotha, l’ADAV et la SDAP fusionnent pour créer
le premier parti ouvrier unifié d’Europe : le Parti socialiste des ouvriers
allemands (SAP). Il prône l’établissement du socialisme en Allemagne, mais
aussi dans le monde (c’est ce qu’on appelle l’internationalisme).
Parallèlement au parti se développent des syndicats dans chaque secteur
d’activité (métallurgie, mines, imprimerie…). Les syndicats sont légaux dès
1869 en Allemagne (1884 en France). Ce sont des organisations qui ont pour but
de défendre les droits d’une profession, d’un secteur d’activité à travers
différents modes d’action (grèves, occupations d’usines, manifestations, soutien
financier aux travailleurs,...). Il existe alors des divisions entre syndicats
chrétiens (eux-mêmes divisés entre catholiques et protestants) et syndicats
socialistes (opposés à la religion, caractérisée par Marx comme l’ « opium du
peuple »). Entre 1890 et 1910, le nombre de travailleurs syndiqués est
multiplié par 10.
Le SAP et les syndicats socialistes prônent un socialisme dans tous les aspects
de la vie quotidienne et se battent pour l’amélioration de la vie des ouvriers.
Ils se transforment en pôles de socialisation en développant des organisations de
loisirs, des fêtes populaires, des clubs de sports, des bibliothèques, cours du soir,
associations chorales, mais surtout des coopératives Une presse d’opinion
socialiste se développe. Une véritable culture prolétarienne émerge.
Dès ses débuts, le mouvement socialiste allemand est traversé par une division :
une frange révolutionnaire se démarque d’une frange réformiste. En 1890, le
SAP devient le Parti social-démocrate d’Allemagne (SPD).
b. Un mouvement unifié ou divisé ?
Dès ses débuts les fondateurs du SAP ne partagent pas exactement les mêmes
idées : leur but commun est le socialisme mais ils prônent des moyens pour y
parvenir différents. Lassalle est réformiste, tandis que Wilhelm Liebknecht et
August Bebel sont révolutionnaires. La fusion entraine un basculement vers le
réformisme : dans le texte de Gotha, il y a bien des expressions socialistes
classe capitaliste », « servitudes ») mais pas de « lutte des classes », ni de
« révolution », l’avènement du socialisme passe « par tous les moyens légaux ».
Pour évoquer cette branche réformiste du socialisme, apparaît le terme de
« social-démocratie » : on cherche à atteindre le socialisme par les moyens
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démocratiques (élections, nouvelle gislation). Contexte : développement des
aspirations démocratiques en Allemagne ; l’Empire allemand possède à l’époque
un parlement (Reichtag) élu au suffrage universel mais celui-ci peut être dissout
à tout moment par l’Empereur et le Chancelier.
En 1877, le premier succès électoral du SAP (un demi-million de voix et
12 sièges au Reichstag) alarme Bismarck (déjà opposé à l’ADAV et au SDAP)
et la majorité libérale qui craignent l’établissement d’un Etat socialiste.
Bismarck lutte contre le socialisme par deux moyens :
o Dès 1878, les « Lois socialistes» interdisent les organisations socialistes
(notamment le SAP) ; les chefs du parti partent en exil.
o Il met en place une série de réformes sociales ou « socialisme d’Etat »
qui propose une série de mesures sociales avancées pour couper l’herbe
sous les pieds du mouvement socialiste : il crée notamment le premier
système de sécurité sociale au monde (bien avant la France et les
réformes des années 1940). Cela permet de montrer aux ouvriers que
l’Etat peut les protéger et que le socialisme n’est pas la seule solution.
1883 : création des caisses d’assurance maladie
1889 : loi sur l’assurance vieillesse (retraite à 70 ans)
1891 : un jour de repos hebdomadaire
Le «socialisme d’État » n’emporte ni l’adhésion des masses − les plus humbles
voient leur salaire amputé − ni celle des élites réprimées et isolées. Il ne
parviendra pas à empêcher l’essor du socialisme et du syndicalisme Bismarck,
désavoué par l’empereur en 1890, quitte le pouvoir, et la même année la loi
antisocialiste est abrogée.
L’interdiction du SAP a pour effet de solidariser les ouvriers. Les candidats
socio-démocrates se présentent individuellement (sans parti, puisqu’il est
interdit) et remportent des élections à tous les niveau (usine, ville, Lander,
parlement).
En 1891, au Congrès d’Erfurt, le SAP devient le Parti social-démocrate
(SPD), qui s’inscrit encore dans la lignée marxiste tout en prônant clairement
le réformisme. Ce nouveau tournant est marqué par les théories réformistes de
Eduard Bernstein qui deviennent majoritaires au sein du parti. Il parle de
« révisionnisme » pour désigner le réformisme (sachez le si vous croisez ce mot
ou ce nom, mais ne pas confondre avec l’autre sens du révisionnisme qui
consiste à réécrire l’histoire, notamment pour faire du négationnisme). La
doctrine marxiste reste la doctrine officielle du SPD, bien qu’en pratique il
maintienne une volonté réformiste et démocratique. Cette contradiction entre
théorie et pratique est à nouveau la source de nombreuses divisions
internes : par exemple, les socialistes ne parviennent pas à se positionner par
rapport à la Weltpolitik de Guillaume II (années 1890) :
o La Weltpolitik vise à donner à l’Allemagne une place sur la scène
internationale en promouvant notamment les conquêtes coloniales. Elle
va amener à la 1e Guerre Mondiale.
o Karl Kautsky (socialiste révolutionnaire) rejette le patriotisme et la
conquête qu’il associe au monde capitaliste. Bebel, moins radical,
apparaît à la fois patriotique et antimilitariste. Dans le même temps se
développe un courant pacifiste à la gauche du SPD, influencé par la
IIeInternationale (pour les socialistes, l’ennemi, c’est le bourgeois, pas le
prolétaire français, ou d’un autre pays. Or, dans la guerre, ce sont les
travailleurs qui s’entretuent)
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o Enfin, les socialistes révisionnistes pensent qu’il faut admettre
l’expansion coloniale et donc fournir aux gouvernements les crédits
militaires réclamés, si nécessaire.
c. L’essor du socialisme et du syndicalisme
L’Allemagne se caractérise rapidement par la proximité entre le parti social-
démocrate et le mouvement syndical (ce n’est pas le cas en France par
exemple les syndicats sont à cette époque méfiants vis-à-vis du parti
socialiste). En Allemagne, les partis et les syndicats sont extrêmement liés (les
syndicats socialistes sont les plus forts à l’époque mais il existe aussi des
syndicats centristes, catholiques, etc.) et les syndicats sont financés par les partis.
Les dirigeants des syndicats sont également des élus socialistes. Les syndicats
choisissent la voie réformiste (négociation et gestion des assurances sociales,
sans renoncer aux grèves).
En 1892, l’ensemble des syndicats socialistes s’unifie à travers la
Confédération nationale des syndicats, en lien très étroit avec le parti. Le
nombre de grèves et de mouvements sociaux va littéralement exploser pour
demander de meilleures conditions de travail. Une des plus symbolique par le
nombre : en 1912, une grève réunit 300 000 mineurs dans la région de la Ruhr.
A la fin du XIXe, le SPD devient le premier parti du Reichtag et à la veille de
la première guerre mondiale (1912), il obtient 35% des voix, soit plus de le
Zentrum et le NLP réunis, il compte alors 1'700'000 adhérant (sur 7 millions de
salariés) et compte plus de 4 millions d’électeurs. Force de plus en plus
importante, la social-démocratie allemande recouvre des positions de plus en
plus modérées : le réformisme et le révisionnisme ont gagné l’ensemble de ses
structures dirigeantes. Une partie des socialistes restent convaincus de la
nécessité d’une révolution, c’est le cas de Rosa Luxembourg et Karl
Liebknecht (le fils de Wilhelm Liebknecht)
II. D’une guerre à l’autre (1914-1945)
a. La scission du SPD
A l’approche de la guerre, les dirigeants du SPD ne veulent pas que leur parti
apparaisse comme antipatriotique. En conséquence, ils se positionnent contre la
grève générale en cas de risque immédiat de conflit mondial proposée par la IIe
internationale.
En 1914, comme en France, la guerre demande un renforcement de l’unité
nationale : l’ensemble des partis s’unissent pour former l’Union sacrée (tous les
partis votent les crédits de guerre), y compris le SPD qui devrait refuser la
guerre conformément aux théories marxistes, internationalistes et pacifistes.
Mais au fur et à mesure que dure le conflit, certains socialistes refusent de voter
de nouveaux crédits militaires. Exclus par les dirigeants du SPD, Ebert et
Scheidemann, fondent en avril 1917 l’USPD, un parti social-démocrate
indépendant qui se situe à gauche du SPD et dont le programme préconise la fin
de la guerre et du régime politique impérial. Ce parti va très vite se rallier à un
autre groupe : en 1915, Rosa Luxemburg, Karl Liebknecht et d’autres marxistes
créent un mouvement pacifiste et révolutionnaire : la Ligue Spartakiste (du
nom de Spartacus qui prit la tête d’une révolution d’esclaves à Rome en 73
avant J.-C), qui dénonce le ralliement à la guerre de la majorité du SPD. Ils sont
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emprisonnés pour pacifisme. La division entre réformistes et révolutionnaires
devient officielle.
La défaite de novembre 1918 entraine l’abdication de Guillaume II. Le SPD est
alors favorable à la mise en place d’une République parlementaire, tandis que
l’USPD et les spartakistes considèrent que la situation est favorable à une prise
de pouvoir révolutionnaire. Ces derniers fondent le Parti communiste
allemand (KDP) le 30 décembre.
Partout en Allemagne, des groupes révolutionnaires lancent des mouvements de
grève et de révolte. Le 9 novembre, l’empereur abdique et deux Républiques
sont proclamées simultanément par le SPD et le KDP. La République de
Weimar est créée : c’est un régime démocratique et parlementaire, les
socialistes ne sont qu’une composante des principales forces politiques avec le
Centre et les libéraux.
Dès janvier 1919, le KPD organise des manifestations de rues et grèves
massives contre le gouvernement de Weimar dirigé par le chancelier socialiste
Ebert. Pour réprimer la grève générale qui débute le 11 janvier, le SPD appelle
les « corps francs » (= soldats de retour du front) : c’est la semaine sanglante :
1500 grévistes sont tués, Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht sont assassiné.
C’est la victoire du SDP.
b. Les socialistes et communistes face à la montée du nazisme
Dès 1917-1921, moment officiel de la scission, on appellera communisme le
socialisme révolutionnaire, et socialisme le socialisme réformiste. La disparition
des fondateurs du mouvement spartakiste permet aux partisans de l’alignement
du Parti sur Moscou d’en prendre le contrôle (révolution bolchévique = 1917).
Le KPD est bolchévisé, il passe sous domination du Parti Communiste
d’URSS et adopte la lutte contre la social-démocratie défendue par la IIIe
internationale.
De son coté, le SPD fait passer une série de réformes sociales (8 heures de
travail, assurance chômage, hausse de la rémunération des heures
supplémentaires, vote des femmes en 1919 etc.). Il reste très influent mais perd
près de la moitié de ses adhérents à cause de la semaine sanglante. Il doit s’allier
au centre (Zentrum), pour lutter à la fois contre l’influence communiste du KPD
et la montée du National-socialisme d’Adolfe Hitler. La coalition avec le
Zentrum fait que le KPD associe les socialistes aux partis « bourgeois », qui
défendent le capitalisme.
En 1930 le SPD compte un million de membre, et son syndicat 8.5 millions. Le
KPD se massifie également. Il atteint 10% des voix en 1920, puis plafonne à ce
niveau. La crise économique de 1929 relance sa progression : il la considère
comme la crise du capitalisme, la preuve que toutes ses critiques sont justifiées.
Il espère en tirer avantage, d’autant plus que la crise atteint violemment
l’Allemagne dont le système économique, sous perfusion des capitaux
américains, s’effondre. En 1930 il monte à 13% des voies puis atteint 16,9 en
1932. Au premier tour de la présidentielle de 1932, Ernst Thälmann, le
candidat communiste, réunit près de 5 millions de voix (13 %) sur son nom. En
quatre ans, le parti a doublé le nombre de ses électeurs.
De son coté, le parti National-Socialiste (nazi) accuse les SPD d’être
responsable de la crise car il a signé le Traité de Versailles, qualifié de Diktat.
Les nazis dénoncent un « coup de poignard dans le dos » de la part du SPD (ils
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