Fiche technique : les socialistes utopistes et les SaintSimoniens Notion née sous la plume de Marx et Engels qui différencient leur socialisme scientifique du socialisme utopique de leurs prédécesseurs (=> idée péjorative). La réalité sociale du XIX° siècle, la misère qui accompagne le développement industriel provoquent de violentes réactions contre l’école classique. Ces réactions conduisent leurs auteurs à envisager soit des politiques réformistes, qui ne condamnent pas l’économie de marché, soit des ruptures plus profondes avec l’organisation capitaliste, en particulier à travers la mise en cause de la propriété privée des moyens de production. 1. Les socialistes humanistes Thomas More (1478 – 1535). Dans Utopia (1516), « le lieu qui n’existe pas », il élabore une nouvelle façon de comprendre l’économie qui s’oppose aux premières lois sur les enclosures : « les moutons mangent les hommes » : il y a contradiction entre les intérêts de la gentry (enclosure + élevage d’ovins) et ceux de la classe paysanne. La société est trop dure pour les pauvres. More s’inscrit dans la lignée de La République platonicienne : idée d’une cité idéale qui repose sur la propriété collective et l’absence d’échange marchand. La suppression de l’accumulation privée est le moyen indispensable d’enrayer la course au profit. More sera à l’origine de mouvements sociaux contestataires en Angleterre aux XVII° et XVIII° siècles, mais l’Utopia reste un ouvrage de lettré sans grande diffusion. Robert Owen (1771-1858), l’utopie active et démystificatrice : grand théoricien du socialisme mais aussi homme d’action, Owen joue un grand rôle dans la définition et la présentation du socialisme : au XIX° siècle, socialisme et owenisme sont synonymes. Pour ce grand patron installé à New Lanark en Ecosse, il est possible d’allier forte productivité et bon niveau de vie des ouvriers : idées qui insistent sur un nouveau partage de la richesse. Il fonde en 1825 dans l’Indiana une colonie appelée New Harmony, association de 1800 personnes fondée sur des principes collectifs et la base d’une propriété commune de 8000 hectares et des biens de production, mais qui échoue en 1827 (pas de débouchés + dissensions internes). En 1832, Owen crée une bourse nationale d’échange équitable du travail dans laquelle les bons de travail remplacent la monnaie. En 1833 : fondation de l’union nationale des métiers. Après lui subsiste l’idée de coopération et d’absence de lutte des classes (pacifisme, raison). Les 3 ennemis du genre humain sont la propriété, le mariage et la religion. 2. Les socialistes actifs Les socialistes anarchistes avec Proudhon : Sa vie Issu d’une famille très modeste d’artisans d’origine rurale, Pierre-Joseph Proudhon a « connu les tribulations de la vie ouvrière » comme il le dit lui-même. 1828 : arrêt de ses études poursuivies jusque-là grâce à une bourse, emploi de correcteur d’imprimerie 1838 : Bourse, publication de Qu’est-ce que la propriété ? 1841 : De la création de l’ordre dans l’humanité 1846 : Philosophie de la misère auquel Marx répond par Misère de la philosophie 1848 : Engagement dans le déroulement de la Révolution de février, défense du socialisme à l’Assemblée constituante, mais perte de l’immunité parlementaire en 1849 à la suite d’attaques de son journal « Le Peuple » et condamnation à 3 ans de prison Confessions d’un révolutionnaire (1850) Idée générale de la Révolution au XIX° siècle (1851) Ralliement à l’Empire en 1852 ; en 1858, il publie De la justice dans la Révolution et dans l’Eglise => condamnation à 3 ans de prison et exil en Belgique La Guerre et la Paix (1859), interrogation sur l’exaltation du principe des nationalités : ne cache-t-elle pas la volonté d’occulter les problèmes sociaux ? La théorie de la propriété, posthume en 1866. Sa pensée : Rejet de l’école classique - Absence de caractère scientifique de l’économie politique classique car elle « n’est que le code de la propriété » (justification du capitalisme) - Prise en compte des conséquences humaines de l’activité économique « la propriété, c’est le vol » - Propriété juste si la communauté est propriétaire La société idéale : préserver la justice, la liberté et l’indépendance au sein du système économique : préserver les développements du travailleur Mutuellisme : - principe de la réciprocité des services au sein d’associations ouvrières fondées sur le libre accord d’individus libres d’en sortir comme ils étaient libres d’y entrer. - Protection sociale + participation associative à l’établissement (chances de perte ou de gain) Fin de l’Etat : la société idéale conduit à la disparition de l’Etat. Avec l’oppression capitaliste disparaît la nécessité du gouvernement qui était là pour la faire accepter. Clément Fourier (1772-1837) : il est marqué par la haine du commerce quoiqu’il soit fils de drapier depuis qu’enfant il a été bouleversé par la triche avec le poids et la qualité dans la boutique familiale. Ruiné par la Révolution, il doit pourtant se faire commis voyageur bien qu’il pense que les commerçants sont des parasites qui vivent au détriment des autres. Du fait de ses spéculations sur les denrées coloniales, il est menacé de l’échafaud et en garde une méfiance à l’égard des pouvoirs dictatoriaux et de la violence. Il a également en haine le salariat qui ne peut que déconsidérer le travail ; celui-ci doit être attrayant et servir les passions de chacun (12 au total) : 5 sens, 4 passions de relations avec les semblables, 3 passions de regroupement des individus. Il crée les premiers phalanstères (en France, Argentine et Texas) regroupant 1600 membres qui représentent l’ensemble de l’humanité, rétribués en fonction de leur activité : 5/12 pour le travail, 4/12 pour le capital, 3/12 pour le talent. Les échanges se pratiquent hors des pratiques commerciales existantes. Il remet en cause les tabous et a en ce sens un rôle de démystificateur. Pierre Leroux : journaliste, philosophe et homme politique, il invente le mot socialisme. Sa pensée est d’inspiration à la fois pythagoricienne et bouddhiste. Cependant, il recherche une voie intermédiaire : « le socialisme absolu n’est pas moins abominable que l’individualisme absolu ». 3. Les communistes pré-bolcheviques Gracchus Babœuf (1760-1797) : à l’origine de l’idéal communiste moderne, bien qu’il soit homme d’action plutôt que théoricien (thermidorien, il sera exécuté sous la Révolution). Étienne Cabet (1788-1856) : son Voyage en Icarie (1842), est considéré comme un véritable évangile du communisme. Il sera l’inspirateur d’une cité icarienne modèle établie en 1848 au Texas qui échoue, puis reconstruite dans l’Illinois mais dont il est chassé par ses propres disciples. Auguste Blanqui (1805-1881) : affilié aux sociétés secrètes, blessé en 1827 dans des émeutes parisiennes, il dirige les républicains sous la monarchie de Juillet, ce qui lui vaut en 1839 une condamnation à mort qui sera commuée en emprisonnement au Mont-Saint-Michel. Acteur essentiel de la révolution de 1848 (défenseur notamment du drapeau tricolore), il est ensuite condamné par Napoléon III à dix ans de réclusion à Belle-Ile. Il fera partie du mouvement révolutionnaire de 1870 (le 4 septembre, il exige la mise en place d’un « gouvernement révolutionnaire dictatorial »). Arrêté pendant la Commune, il est enfermé à Clairvaux. Libéré suite à une importante campagne de presse, il fonde le journal Ni Dieu ni maître. Louis Blanc (1811-1882) est en 1848 le fondateur des ateliers sociaux qui défendent le droit au travail ; il promeut l’innovation et la coexistence d’un secteur public avec le secteur privé. Il sera exclu du pouvoir en 1850. 4. Les saint-simoniens La vie de Saint-Simon (1760 - 1825) Issu de grande noblesse ruinée -> idée du déclin fatal de la féodalité ? Formation de philosophe, il est combattant pour la liberté, participation en 1779 dans l’armée de Rochambeau à la guerre d’indépendance américaine (fascination pour la civilisation américaine fondée sur le travail et l’absence de préjugés de naissance). 1789, adhésion à la Révolution française, abandon de son titre de comte et spéculation sur les Biens nationaux (-> arrestation par le Comité de salut public car jugé trop riche -> un an en prison -> horreur du principe d’égalité absolue) 1798, abandon des spéculations matérielles pour des travaux plus spirituels : il reprend ses études (maths – physique – biologie pour acquérir de la méthode scientifique afin d’établir une réelle science de l’homme). Lettres d’un habitant de Genève (1802) : exaltation du rôle des savants Introduction aux travaux scientifiques du XIX° siècle (1807), Mémoire sur la science de l’homme (1813) : vision de l’homme en tant qu’être social (Durkheim verra en Saint-Simon, avec Proudhon, le fondateur de la sociologie) Economiste réformateur à partir de 1815 : intérêt pour les sciences économiques et sociales : - prévoir la société industrielle + travailler pour accélérer sa venue, rupture avec les libéraux : le libéralisme n’est pas adapté à la progression des techniques et ne répond pas aux besoins de rationalisation des sociétés modernes. - intérêt pour la classe « prolétaire » : éducation pour tous notamment. - Nouveau christianisme (1825) : appel aux savants et aux artistes pour l’ « amélioration la plus rapide possible du sort de la classe la plus pauvre », tendance socialiste. Il faut une morale plus puissante que celle des générations antérieures pour convaincre les peuples de respecter les principes. Auteur prolixe, il expose la nécessité d’étudier scientifiquement la société et propose de remplacer le déisme par le physicisme. Histoire scientifique : - Rejet de la Providence, du hasard - Périodes d’équilibre (institutions socialement en accord avec le système économique) -> périodes de crise -> nouvel équilibre - Chaque période possède une activité prédominante (cf. matérialisme historique marxiste) - Renouveau de l’industrialisme colbertiste et fondement de la technocratie moderne qui se justifie car c’est une hiérarchie qui vise à accomplir des tâches profitant à tous. Noblesse parasite - noblesse n’est pas le défenseur exclusif de la nation (invention de la poudre à canon) - absence de rôle dans l’économie - industriels (tous ceux qui travaillent, quelque soit leur travail) nécessaires alors que les nobles inutiles, opposition à la propriété sans travailler. Il faut protéger les premiers contre les seconds, « princes de la Cour et prince des Eglises ». Ere industrielle - âge d’or : produire la plus grande somme de bien-être, « un industriel est un homme qui travaille à produire ou à mettre à la portée des différents membres de la société un ou plusieurs moyens matériels de satisfaire leurs besoins ou goûts physiques » Catéchisme des industriels (1823). - les industriels doivent diriger la nation car force physique + intellectuelle + pécuniaire - base = travail (droit au travail + absence d’exploitation de l’homme par l’homme) - hiérarchisation harmonieuse + fraternité - Il n’y a pas d’antagonisme fondamental entre recherche du bien collectif et action des producteurs : la société future sera gouvernée par des principes, non par des hommes. Saint-Simon accorde une grande importance à l’État, seul à même de représenter l’intérêt collectif : c’est lui qui doit hériter des biens et répartir les instruments du travail suivant les richesses et les capacités (système financier méthodique). - Seule une société organisée permet d’assurer une production élevée et d’en assurer la répartition de la façon la plus efficace. Les Saint-Simoniens Quelques disciples : intellectuels (population instruite) : Rodrigues – Bazard – Prosper Enfantin – Michel Chevalier L’organisation de la société - Condamnation de la propriété privée des moyens de production car facteur d’exploitation de l’homme par l’homme - Enfantin récuse les arguments de ceux qui prétendent que le luxe des riches se répand comme une poussière d’or sur toute la population - Substitution du principe d’association à celui de concurrence + enseignement technique et professionnel, développement des moyens de communication - Productivisme (Chevalier) pour compenser la hausse de la population (≠ Malthus) - Absence d’antagonisme de classes (association capital / travail), participation aux bénéfices et à la gestion de l’entreprise - Développement des échanges (-> développement d’une économie planétaire + travailler à la Paix Universelle) Éclatement de l’école - Développement d’un certain mysticisme (fondation en Eglise + Enfantin / Bazard Pères suprêmes, rites) - Désaccords entre Bazard et Enfantin qui prônait l’émancipation de la femme et la libération sexuelle - Scission entre « socialistes » et « Saint-simoniens pratiques ». Chevalier : ministre des Affaires Etrangères de Napoléon III, traité de libre-échange avec l’Angleterre, détroit de Panama, soutien au colonialisme