CHAPITRE 12 LES PRINCIPES D’ORGANISATION DE LA PRISE EN CHARGE PLURIDISCIPLINAIRE D’UN PATIENT DOULOUREUX CHRONIQUE LES STRUCTURES DE SOINS Yves Lazorthes Plan du Chapitre 1. Le concept pluridisciplinaire 2. Historique des structures spécialisées dans la prise en charge des douleurs chroniques 3. Les différents types de structures d’évaluation et de traitement de la douleur 4. Principes d’organisation d’une structure 5. Conclusions I – LE CONCEPT PLURIDISCIPLINAIRE La douleur chronique rebelle ou « douleur maladie » est un phénomène pluridimensionnel : somatique et psychosocial. Qu’elle soit d’origine bénigne ou maligne, la douleur chronique est aussi multifactorielle : composante sensorielle organique et composante psychologique réactionnelle sont intriquées et s’auto-aggravent. La dichotomie organique – psychologique n’existe pas quand il s’agit de « douleur maladie ». De ce fait, la prise en charge de ces patients est souvent difficile et ne peut être que multidisciplinaire tant au stade de l’évaluation que du traitement et du suivi. II – HISTORIQUE DES STRUCTURES DE SOINS SPECIALISEES DANS LA PRISE EN CHARGE DES DOULEURS CHRONIQUES Leur origine est contemporaine du concept de « douleur maladie » proposé par René Leriche. On lui reconnaît d’avoir imaginé, dès 1940, l’organisation de structures de soins spécialisées qui prendraient en charge ces douleurs jusqu’alors insuffisamment soignées. C’est en fait au décours de la deuxième guerre mondiale qu’un anesthésiste de l’Université de Washington Seattle, John Bonica, fonda la première équipe pluridisciplinaire dans la lutte contre la douleur et ainsi créa la première clinique de la douleur ou « Pain Clinic ». Il faudra attendre les années 70 pour assister au réel développement de ces centres qui sont aujourd’hui plusieurs centaines aux Etats-Unis et environ 200 en Europe. La Société Internationale pour l’Etude de la Douleur en a défini les modalités de fonctionnement selon un concept pluridisciplinaire. En France, les structures « douleur » se sont développées progressivement à partir de la fin des années 70, sous l’impulsion de quelques médecins pionniers. Jusque-là, la reconnaissance de l’entité douleur chronique n’était pas validée et la notion de pluridisciplinarité inexistante. Rares étaient les médecins somaticiens et les psychiatres qui collaboraient dans la prise en charge de ces patients. Cette démarche nouvelle multidisciplinaire, répondant à la demande des patients et à l’impact médico-économique des nombreuses situations pathologiques concernées (céphalées chroniques, lombalgies chroniques, douleurs neuropathiques, douleurs des patients en fin de vie, …), a induit de très nombreux progrès durant ces 20 dernières années : Dans le domaine de la Formation de tous les professionnels de santé, qu’il s’agisse de la Formation Continue (Diplôme d’Université et Capacité en Médecine), puis de la formation initiale (notamment en 2ème Cycle : séminaire prioritaire, et aujourd’hui Module 6). Une grande lacune est maintenant comblée. La douleur concerne tous les soignants. Dans le domaine de la Recherche avec, notamment, des transferts rapides d’avancées fondamentales vers des applications cliniques, traduisant une coopération étroite entre chercheurs et cliniciens. Dans le domaine des Soins enfin, qu’il s’agisse de l’identification de structures spécialisées, de la création de postes spécifiques (médecins, infirmières, …) dans les Hôpitaux, de la mise en place des Comités de Lutte contre la Douleur (CLUD) ayant pour mission d’organiser la prise en charge de la douleur dans les établissements de soins, de certaines prises en charge spécifiques : enfants, vieillards, handicapés, etc … Au-delà des structures et des moyens nouveaux, la conséquence la plus importante est le changement de comportement de tous les soignants vis-à-vis de la douleur, aiguë et chronique. La médecine moderne, souvent de très haute technicité, a retrouvé ainsi sa dimension humaine. Sur le plan administratif, des groupes d’experts réunis en 1995 par l’ANAES ont défini des critères qui servent de base à la reconnaissance et à l’organisation des structures d’évaluation et de traitement de la douleur. Les Agences Régionales de l’Hospitalisation (ARH) ont eu pour mission d’identifier les structures répondant à ces critères. Leur liste établie en 1998 est évolutive ; elle peut être consultée sur le site Internet du Ministère (www.sante.gouv.fr). Toutes ces recommandations (cf. encart) ont largement été reprises dans les deux plans triennaux successifs (1998-2000 et 2002-2005) de lutte contre la douleur mis en place par le gouvernement, reconnaissant ainsi qu’il s’agit d’une priorité de santé publique. Synthèse des recommandations de l’ANDEM (ANAES) 1. Les structures d’évaluation et de traitement de la douleur interviendront de façon transversale dans un établissement de soins, c’est-à-dire en collaboration et auprès de tous les services, à leur demande. Il s’agit d’assurer un rôle de référent, apportant surtout un soutien et une aide (conseils, consultations, formation) aux équipes hospitalières et non hospitalières, et pour une part plus limitée prenant en charge personnellement certains patients qui lui sont adressés (hospitalisation). 2. Le rôle pédagogique de ces structures est à souligner. Il concerne, entre autres, le personnel médical, le personnel soignant, les patients et leur famille, en interne et en externe à l’établissement de soins. 3. La prise en charge de la douleur chronique rebelle présente des aspects spécifiques : consultation de longue durée, consultations pluridisciplinaires, consultations non répertoriées d’intervenants non médicaux (infirmière, psychologue, assistante sociale, ergothérapeute …), actes particuliers (neurostimulation). La cotation à l’acte, telle que prévue à la nomenclature générale des actes professionnels, ne peut s’appliquer. La rémunération ne pourrait être envisagée que sous une forme adaptée ainsi qu’il en est pour les équipes pluridisciplinaires faisant intervenir plusieurs professionnels (cotation spécifique, fordait de soins, etc …). 4. Quel que soit le type de structure d’évaluation et de traitement de la douleur existant au sein d’une région, celle-ci doit développer son rôle de communication (sur ce qu’elle fit et aussi sur ce qui peut être fait d’ailleurs pour une pathologie qu’elle ne prendrait pas en charge) auprès des médecins libéraux, des établissements de santé et des patients. Cette recommandation sera renforcée durant ces dernières années par la mise en place des réseaux de soins. 5. Il est souhaitable que l’organisation d’une structure de la douleur soit fondée sur une démarche d’évaluation et d’amélioration continue de la qualité des soins. 6. Le coordinateur d’une structure d’évaluation et de traitement de la douleur doit avoir une formation spécifique. Initialement, il s’agissait d’une formation complémentaire non qualifiante délivrée dans le cadre d’un Diplôme d’Université (Diplôme inter-universitaire d’Evaluation et de Traitement de la Douleur). Plus récemment, depuis 1997, il s’agit d’un diplôme national qualifiant, donnant une compétence spécifique, délivré par les Universités habilitées sous la forme d’une Capacité en Médecine d’Evaluation et de Traitement de la Douleur qui se déroule sur 2 ans. En 1999, une Commission Nationale mixte des Collèges des Enseignants Universitaires et des Médecins de la Douleur a délivré des équivalences sur dossiers en tenant largement compte des activités professionnelles antérieures. Dans toutes les structures d’évaluation et de traitement de la douleur, une formation qualifiante du personnel soignant (y compris les psychiatres) sous la forme d’une Capacité en Médecine est recommandée. 7. Le rôle du personnel soignant non médical est à souligner dans ces structures. Dans cet objectif, des Diplômes d’Université de formation des professionnels de santé à la prise en charge de la douleur ont été mis en place dans plusieurs Universités (durée de formation : 1 an). 8. La répartition géographique n’est pas un critère opérationnel pour le développement de centres d’évaluation et de traitement de la douleur. L’initiative locale, les compétences existantes et la volonté de développement de structures d’évaluation et de traitement de la douleur sont des facteurs plus importants. 9. Les structures prenant en charge majoritairement une population très spécifique (enfants, candéreux, etc …) doivent avoir au moins un spécialiste correspondant à cette particularité (pédiatre, oncologue, etc …) et formé à la prise en charge de la douleur. En particulier, tout centre anti-cancéreux doit disposer d’un centre ou d’une unité d’évaluation et de traitement de la douleur (circulaire DGS/DH n° 98/213 du 24 mars 1998). III – LES DIFFERENTS TYPES DE STRUCTURES D’EVALUATION ET DE TRAITEMENT DE LA DOULEUR Les structures spécialisées dans le domaine de l’évaluation et du traitement de la douleur s’adressent à la prise en charge des douleurs chroniques rebelles. Cette notion mérite d’être précisée. La mission d’une telle structure est d’améliorer globalement la prévention, l’évaluation diagnostique et le traitement plurimodal des douleurs chroniques rebelles, tant en hospitalisation qu’en ambulatoire. Une structure pluridisciplinaire d’évaluation et de traitement de la douleur chronique rebelle peut être organisée de trois manières différentes : 1) Consultation d’Evaluation et de Traitement de la Douleur. Il s’agit d’une organisation de consultations pluridisciplinaires internes et externes spécifiques à l’évaluation et au traitement de la douleur chronique rebelle. 2) Unité d’Evaluation et de Traitement de la Douleur. En plus de l’organisation de base des consultations pluridisciplinaires internes et externes, l’équipe dispose ou accède à des lits d’hospitalisation et/ou des places en hôpital de jour spécifiques à l’évaluation et au traitement de la douleur. On entend par « lit d’hospitalisation spécifique à l’évaluation et au traitement de la douleur » un lit d’hospitalisation dont l’encadrement soignant est formé spécifiquement à la prise en charge de la douleur. Ces lits peuvent être regroupés en une unité de lieu, propre à la structure d’évaluation et du traitement de la douleur, ou être mis à disposition dans un ou plusieurs services de l’établissement de soins. 3) Centre d’Evaluation et de Traitement de la Douleur. Les centres sont insérés dans des structures hospitalo-universitaires ou hospitalières liées à une université, ayant une triple mission de soins, de recherche et d’enseignement. Ils regroupent des cliniciens spécialisés, des enseignants chercheurs, éventuellement des scientifiques, et permettent ainsi d’aborder conjointement la prise en charge des malades, la formation des médecins et du personnel soignant et les différents aspects de la recherche médicale clinique et fondamentale. Ces structures ont à leur disposition des locaux de consultation, accèdent à des laboratoires d’exploration et comportent un secteur propre d’hospitalisation ou disposent d’un accès permanent à des lits d’hospitalisation spécifiques à l’évaluation et au traitement de la douleur. Les principales caractéristiques de ces trois types d’organisation d’une structure d’évaluation et de traitement de la douleur sont décrites dans le tableau 1. STRUCTURES D’EVALUATION ET DE TRAITEMENT DE LA DOULEUR CONSULTATION UNITE CENTRE PLURIDISCIPLINARITE Oui Oui Oui EQUIPE MOBILE Oui Oui Oui LITS D’HOSPITALISATION SPEFICIQUES Non Oui Oui TEMPS DE CONSULTATION EXTERNE Temps partiel (minimum de 2 demijournées/semaine) Temps partiel/complet (minimum de 5 demijournées/semaine) Temps complet (10 demi-journées) PLATEAU TECHNIQUE Accès Disponibilité Acquisition ou Disponibilité ACTIVITES DE FORMATION Oui (localement, Terrain de stage et/ou FMC) Oui (localement, Terrain de stage et/ou FMC) Oui (Formation initiale, Continue et post-doc, Formation des Médecins et soignants ACTIVITES DE RECHERCHE Facultative Facultative Obligatoire PROGRAMME D’ASSISTANCE DE QUALITE Oui Oui Oui Tableau 1 : Caractéristiques de base des trois niveau d’organisation d’une structures d’évaluation et de traitement de la douleur IV – PRINCIPES D’ORGANISATION D’UNE STRUCTURE D’EVALUATION ET DE TRAITEMENT DE LA DOULEUR Un certain nombre de principes généraux déterminent le bon fonctionnement de telles structures. Les points suivants sont à prendre en compte : les malades examinés, le modèle pluridisciplinaire, le fonctionnement en équipe, l’unité de lieu, la consultation initiale, les réunions pluridisciplinaires de synthèse, le rôle du somaticien, le rôle du psychiatre et du psychologue, la vocation pédagogique. Pour traiter au mieux les patients souffrant de douleur chronique rebelle, le principe d’une organisation et d’un fonctionnement pluridisciplinaire ne paraît plus aujourd’hui contesté. L’approche pluridisciplinaire nécessite des réunions de synthèse et ne saurait se limiter à la simple intervention juxtaposée de spécialistes différents. Toute structure d’évaluation et de traitement de la douleur chronique rebelle doit donc assurer un véritable fonctionnement en équipe avec réunion de synthèse, doit disposer de locaux spécifiques et organiser le recrutement des malades souffrant de douleurs chroniques rebelles. La structures spécialisée dans l’évaluation et le traitement de la douleur chronique rebelle doit comporter au minimum trois médecins (dont un coordinateur), disponibles spécifiquement pour l’activité contre la douleur chronique rebelle : deux médecins somaticiens dont l’un au moins devra avoir une formation neurologique, même s’il n’est pas neurologue (la formation délivrée par la Capacité en Médecine est considérée comme suffisante), et d’un médecin psychiatre. Compte tenu des principaux types de douleur chronique rebelle habituellement recrutés et de l’expérience acquise, les médecins somaticiens les plus fréquemment impliqués dans la prise en charge des patients douloureux chroniques rebelles sont (par ordre alphabétique) l’anesthésiste, le généraliste, l’interniste, le neurochirurgien, le neurologue, l’oncologue, le pédiatre et le rhumatologue. Le rôle du personnel non médecin (infirmière, secrétaire, assistante sociale, psychologue clinicien, ergothérapeute, kinésithérapeute) est essentiel. Dans tous les types de structures d’évaluation et de traitement de la douleur, une équipe mobile pluridisciplinaire peut prendre en charge des malades souffrant de douleurs chroniques rebelles. Elle intervient, selon le même modèle d’organisation que les équipes mobiles de soins palliatifs, par le biais de consultations externes et internes, à la demande des services, sans se substituer nécessairement à eux dans les prescriptions. Cela est particulièrement vrai dans le domaine des douleurs d’origine cancéreuse car il existe une communauté d’action entre soins palliatifs et prise en charge de la douleur. Ces deux activités ne sont pas indépendantes. Toutes les structures d’évaluation et de traitement de la douleur ont un rôle pédagogique (national, régional ou local) et doivent disposer des moyens nécessaires pour l’assurer. Les récentes réformes des études médicales ont renforcé cette démarche en rendant obligatoire cette formation initiale ainsi qu’un séminaire prioritaire sur la douleur durant le deuxième cycle des études médicales. Cet aspect est important à souligner pour ne pas limiter les compétences de formation aux seuls centres d’évaluation et de traitement de la douleur. Il a souvent été souligné qu’un stage de 6 mois dans un centre d’évaluation et de traitement de la douleur devrait pouvoir être validant pendant le résidanat mais aussi pendant le 3ème cycle spécialisé de certaines disciplines, en particulier pour la psychiatrie. Toutes les structures doivent être en mesure de mettre en œuvre des procédures d’évaluation des soins. Cette évaluation de l’activité de soins serait avant tout une évaluation médicale mais aussi socio-économique. L’équipe doit être apte à évaluer et à traiter aussi la composante physique que la composante psychologique de la douleur concernée. Le fait que des structures soient orientées vers un syndrome particulier (céphalée, lombalgie, douleur du cancer …) ne remet pas en question le concept de pluridisciplinarité. La prise en charge médicopsychologique effectuée par le somaticien et le psychiatre doit être fonction des différentes problématiques physiques et psychiques présentées par le patient. Les structures prenant en charge majoritairement une population très spécifique (enfants, cancéreux, etc) doivent avoir au moins un spécialiste correspondant à cette spécificité (pédiatre, oncologue, etc) et formé à la prise en charge de la douleur (Capacité en Médecine). Tout centre anticancéreux doit disposer d’un centre ou d’une unité d’évaluation et de traitement de la douleur. V – CONCLUSION L’objectif des structures spécialisées de la douleur n’est pas de faire double emploi avec les structures hospitalières existantes. La règle est d’accepter des malades adressés par des confrères pour des douleurs chroniques rebelles et munis d’un dossier aussi complet que possible. Un dossier type spécifique « douleur » doit être mis en place dans la structure, il doit comporter : La demande initiale de prise en charge sous la forme d’un « questionnaire d’orientation » comportant des données cliniques et thérapeutiques fournies par le patient et son médecin traitant. Une partie commune comportant une fiche administrative, un historique précis, une étude de la sémiologie douloureuse, une évaluation de l’intensité et du vécu de la douleur, si nécessaire une évaluation psychologique ou psychiatrique. Une partie spécifique au type de douleur (douleur cancéreuse, céphalalgie, pathologie vertébrale, pathologie neurologique, …) où seront notifiés exhaustivement les examens complémentaires, les tests diagnostiques, les thérapeutiques, l’évolution. Enfin, soulignons que, ces dernières années, il a été demandé aux structures spécifiques pour la lutte contre la douleur chronique de s’intégrer harmonieusement dans l’ensemble du dispositif de soins, quel que soit le niveau géographique, c’est-à-dire au sein de l’établissement, sur le plan département et régional. Les équipes mobiles pluridisciplinaires doivent pouvoir intervenir à la demande des services de l’établissement du patient pour permettre à l’équipe de soins du service concerné d’assurer la continuité de la prise en charge de la douleur du patient. Elles auront aussi pour mission d’assurer des sessions de formation interne dans les établissements ne disposant pas de structure spécifique. Ces équipes mobiles « ressources » ont pour mission d’intervenir dans le cadre d’un réseau départemental. Le bilan de ces 30 dernières années est nettement positif en ce qui concerne l’organisation des structures de traitement de la douleur selon le concept d’une prise en charge multidisciplinaire. La diffusion des connaissances sur la douleur dès la formation initiale de tous les étudiants en médecine, l’organisation de réseaux de soins entre médecins de ville et structure hospitalière spécialisée ont permis une prise en charge plus précoce et appropriée de la douleur dans la majorité des cas. Cependant, les acquis restent fragiles, les délais de prise en charge toujours trop longs et les conditions de suivi encore insuffisantes. L’avenir sera dicté par la pérennité des choix en matière de politique de santé, ainsi que par les moyens accordés dans ce domaine aux structures hospitalières spécifiques, notamment en terme de ressources humaines.