Mieux comprendre par la simulation numérique Transport turbulent et auto-organisation dans les plasmas de tokamak Dans un tokamak, machine conçue pour réaliser la fusion thermonucléaire contrôlée, le plasma est confiné par un fort champ magnétique. Il est le siège de fluctuations turbulentes qui nuisent à son confinement. Les observations expérimentales et les simulations numériques révèlent que le transport de l’énergie et des particules associé à ces fluctuations turbulentes est intermittent et non diffusif. Quels sont les mécanismes qui régissent le transport intermittent dans les plasmas magnétisés ? Cette question est abordée ici grâce à des modèles analogues à la thermo-convection dans les fluides. Ces modèles débouchent sur une meilleure prédiction et un meilleur contrôle de la qualité du confinement dans les machines à fusion. TURBULENCE ET CONFINEMENT P our réaliser la fusion thermonucléaire contrôlée et en extraire de l’énergie, un plasma de deutérium et tritium doit être chauffé à une température d’une centaine de millions de degrés. De plus, pour atteindre l’ignition, le plasma doit être maintenu à une densité suffisamment élevée pendant un temps de confinement suffisamment long (critère de Lawson). Le confinement du plasma à l’aide d’un champ magnétique intense représente l’une des voies possibles pour réaliser la fusion contrôlée. Parmi les différentes géométries du champ magnétique étudiées, le tokamak (machine de forme torique) constitue la configuration la plus prometteuse (encadré 1). On distingue trois régions dans le plasma de tokamak (figure 1) : le cœur du plasma, siège des réactions de fusion ; la région dite « de gra- dient », caractérisée par des gradients importants de densité et de température ; et la région dite « de bord », où les gradients sont réduits par une turbulence forte. champ magnétique. Cette force est dirigée vers l’extérieur du tore (figure 1). La température est plus élevée au centre du tore ainsi que la densité, du fait du confinement magnétique. Il existe donc inévitablement une zone située sur le bord extérieur de la machine torique où la situation est analogue à celle d’un fluide lourd se trouvant au-dessus d’un fluide léger dans le champ gravitationnel de la terre (instabilité de type RayleighTaylor, figure 2), la force due à la courbure jouant le rôle de la pesanteur. Du fait de la courbure des lignes de champ magnétique, la source de chaleur au centre du plasma confiné et les gradients qui en résultent engendrent des instabilités dont le mécanisme est analogue à la thermoconvection dans des systèmes tournants. Les particules chargées ressentent une force due à la courbure du ϕ θ B r courbure R instabilités turbulence au bord ligne de champ magnétique à rq=2 p cœur bord source de chaleur ligne de champ magnétique à rq=3 – Laboratoire de physique des interactions ioniques et moléculaires, Équipe dynamique des systèmes complexes, UMR 6633 CNRS – université de Provence, Centre de St. Jérôme, Case 321, 13397 Marseille cedex 20. Association Euratom – CEA sur la Fusion, CEA Cadarache, 13108 St-Paul-lez-Durance. 24 gradients r Figure 1 - Géométrie d’un tokamak. Les positions radiales rq=2 et rq=3 correspondent aux surfaces magnétiques sur lesquelles les lignes de champ font respectivement 1/2 et 1/3 de tour dans la direction poloïdale (angle θ) pour un tour dans la direction toroïdale (angle ϕ). p(r) désigne la pression en fonction du petit rayon r. Mieux comprendre par la simulation numérique Encadré 1 GÉOMÉTRIE D’UN TOKAMAK ET VITESSES DE DÉRIVE Dans un tokamak, un plasma d’hydrogène ou deutérium est confiné dans une enceinte métallique torique. Des bobines externes induisent un champ magnétique dirigé le long de la grande circonférence (direction toroïdale). Un courant est induit dans la même direction via l’effet transformateur. En effet, le plasma constitue la bobine secondaire d’un transformateur dont les bobines primaires sont placées à l’extérieur du tore. Le courant toroïdal a deux effets : 1. il chauffe le plasma d’hydrogène ou deutérium via l’effet Joule une fois le plasma créé par un claquage ; 2. il induit une composante supplémentaire du champ magnétique, dirigée le long de la petite circonférence (direction poloïdale, figure 1). Les lignes de champ magnétique décrivent ainsi des hélices s’enroulant sur des surfaces toriques emboîtées (surfaces magnétiques). Le taux d’enroulement des lignes est caractérisé par un paramètre 1/q(r) qui dépend du petit rayon r du tore. La variation du taux d’enroulement en fonction de r implique que le champ magnétique est cisaillé dans la direction radiale. Les particules chargées du plasma exécutent un mouvement de giration autour des lignes de champ magnétique. Elles sont de g stable instable Figure 2 - Un fluide lourd (en bleu foncé) se trouvant au-dessus d’un fluide léger (en bleu clair) et soumis à la gravitation g est instable (instabilité de Rayleigh-Taylor). Les équations décrivant cette instabilité sont formellement équivalentes aux équations décrivant une thermo-convection bi-dimensionnelle (convection de RayleighBénard). L’ensemble des résultats obtenus pour la convection de Rayleigh-Bénard s’applique donc à ce modèle, en particulier l’existence d’événements de transport transitoires à grande échelle pour certaines valeurs des paramètres (les conditions aux limites jouent aussi un rôle important). Ces transitoires peuvent prendre la forme de « plumes » ou de « bulles ». plus accélérées le long des lignes de champ par la tension qui engendre le courant toroïdal. Ainsi, les particules sont confinées sur les surfaces magnétiques. Néanmoins, elles peuvent être déconfinées et quitter ces surfaces à la suite de collisions ou de dérives perpendiculaires. Ces dérives sont engendrées par l’inhomogénéité de la pression (dérive dite « diamagnétique ») et par des champs électriques locaux engendrés par la turbulence. La vitesse de dérive diamagnétique v∗ est de signe opposé pour les électrons et les ions. Le courant associé diminue le champ magnétique de confinement. La vitesse de dérive électrique (ou dérive ExB) v E a le même signe pour les deux espèces. Dans une description magnétohydrodynamique (MHD) du plasma, on utilise la vitesse du centre des masses du fluide, donnée par l’expression m i vi + m e ve v= mi + me ou m i et m e , vi et ve sont respectivement la masse et la vitesse des ions et des électrons. Le rapport de masses m e /m i étant faible, la vitesse v correspond approximativement à la vitesse des ions (v ≈ vi ). Les instabilités induisent des fluctuations turbulentes de densité et de température qui peuvent, dans la région du bord du plasma, atteindre des amplitudes relatives avoisinant 50 %. Ces fluctuations sont néfastes puisqu’elles augmentent considérablement le transport de matière et de chaleur du cœur vers le bord du plasma, diminuant les gradients et réduisant ainsi le temps de confinement. En effet, ce transport turbulent peut dépasser de plusieurs ordres de grandeur le transport dû aux collisions. Dans l’étude du confinement et du transport turbulent dans les tokamaks, la région du bord du plasma est particulièrement importante car elle est le siège d’une turbulence forte. Les simulations présentées dans la suite ont été effectuées dans cette région, mais d’autres simulations effectuées dans la région plus interne (dans laquelle des gradients de température jouent un rôle important) révèlent des effets similaires. Bien que le problème du confinement et de la turbulence dans les tokamaks soit très complexe du fait de la géométrie, des différentes composantes du plasma, de la structure du champ magnétique, etc., des modèles ont été développés durant cette dernière décennie qui reproduisent correctement les observations expérimentales. L’objectif de ces modèles de transport est d’aider au dimensionnement de futurs réacteurs à fusion thermonucléaire. L’instabilité engendre une croissance exponentielle des fluctuations initiales jusqu’à ce que le système atteigne un état statistiquement stationnaire par l’échange d’énergie entre les différents modes instables et stables. Cet échange est gouverné par des processus non linéaires. L’état stationnaire est caractérisé par l’existence de structures organisées ou cohérentes (tourbillons) qui engendrent un transport turbulent supérieur au transport dû aux collisions entre particules chargées. AUTO-ORGANISATION DU PLASMA : TOURBILLONS ET FLUX ZONAUX 25 TRANSPORT INTERMITTENT tourbillon turbulent écoulement moyen cisaillé direction poloïdale direction radiale Figure 3 - Illustration du déchirement des tourbillons turbulents par un écoulement moyen cisaillé. Comme le transport turbulent dégrade le confinement, la réduction et le contrôle de la turbulence sont des enjeux majeurs pour le fonctionnement d’un réacteur. Dans ce contexte, un rôle déterminant est joué par des écoulements cisaillés du plasma dans la direction poloïdale (le long de la petite circonférence), ou flux zonaux. Ces écoulements ont tendance à déchirer les tourbillons (figure 3). Les flux zonaux sont auto-produits par la turbulence puisque les fluctuations de vitesse engendrent ces écoulements par des couplages non linéaires. Il s’agit là d’un mécanisme d’auto-régulation de la turbulence. Les flux zonaux apparaissent dans la turbulence associée à des systèmes tournants et sont aussi observés en turbulence hydrodynamique (atmosphérique). Le jetstream en représente un exemple (encadré 2). L’existence de flux zonaux est révélée par des simulations 3D de la turbulence magnétohydrodynamique au bord d’un plasma de tokamak. La figure 4 montre des profils de la vitesse magnétohydrodynamique poloïdale (encadré 1). Ces profils sont calculés en moyennant spatialement la vitesse sur les surfaces magnétiques (angles θ et ϕ). On observe l’existence de quatre zones dans le domaine radial dans lesquelles la direction de l’écoulement moyen (en d’autres termes, le 26 signe de la vitesse) est différente. Il s’agit là d’une rotation cisaillée du plasma. Superposé à l’écoulement moyen d’équilibre (figure 4a), on observe des fluctuations temporelles (figure 4b). Ces fluctuations régulent les événements de transport à grande échelle que nous allons maintenant décrire. La théorie du transport turbulent de température, de densité ou de pression dans les plasmas magnétisés suppose d’emblée l’existence d’un coefficient de diffusion D = λ2c /τc , où λc et τc sont respectivement une longueur de corrélation et un temps de corrélation typiques des fluctuations turbulentes analysées. Cette description locale du transport implique l’existence de deux échelles spatiales différentes : une échelle λc caractérisant les fluctuations et une échelle L associée à un profil moyen (longueur de gradient). Néanmoins, la description du transport turbulent par un processus de diffusion est remise en question par des expériences qui mettent en évidence un caractère non diffusif du transport. En effet, de récentes observations dans les tokamaks montrent que certaines impuretés (atomes arrachés à la paroi) arrivent (a) (b) Figure 4 - Profil radial de la vitesse de l’écoulement moyen poloïdale vθ (r, t) [moyenne sur les surfaces magnétiques v(r, θ, ϕ, t)θ,ϕ = vθ (r, t)θ̂]. a) La moyenne temporelle de ce profil. b) Sa dynamique. Les quantités sont représentées en unités normalisées. L’unité de temps correspond à un temps caractéristique de l’instabilité de l’ordre de la micro-seconde. Le rapport entre l’échelle spatiale caractéristique (perpendiculaire aux lignes de champ magnétique) de l’ordre du millimètre et ce temps détermine l’unité de vitesse de l’ordre d’un kilomètre par seconde. Mieux comprendre par la simulation numérique à pénétrer dans le cœur du plasma en un temps beaucoup plus bref que le temps de diffusion. Les simulations numériques, fondées sur la description magnétohydrodynamique du plasma (encadré 2), sont en accord avec ce phénomène car elles révèlent la présence de bouffées de pression se propageant de manière balistique dans la direction radiale. Il est important de noter que, dans ces simulations, l’hypothèse d’une séparation d’échelle entre les fluctuations et le profil a été abandonnée et la rétroaction des fluctuations sur le profil est prise en compte d’une manière cohérente. Ainsi, l’évolution temporelle du profil radial de pression est décrite par une équation de transport, Au bord des cellules allongées, la vitesse radiale est élevée dans une région radialement étendue. Ainsi, elles représentent un « canal » pour la propagation des bouffées. Du fait de la grande conductivité électrique le long des lignes de champ magnétique, les cellules suivent ces lignes de champ dans la direction toroïdale. Figure 5 - Flux radial turbulent de pression (unités normalisées) en fonction du petit rayon et du temps. Les maxima en forme de droites inclinées correspondent aux bouffées de faible ou forte pression se propageant dans la direction radiale. ∂ ∂ p(r, t) = − turb (r, t) ∂t ∂r ∂ ∂ + χcoll (r) p(r, t) + S(r) . (1) ∂r ∂r Dans le côté droit de l’équation (1) figurent le flux turbulent de pression turb (gouverné par les fluctuations turbulentes), le flux collisionnel (caractérisé par un coefficient de diffusion χcoll décrivant le transport diffusif associé aux collisions entre particules chargées) et une source S (modélisant le flux de chaleur ou de particules venant du cœur du plasma). C’est par le terme turb = p̃ṽr que l’équation de transport est couplée aux systèmes 3D d’équations aux dérivées partielles qui régissent la dynamique des fluctuations turbulentes de pression p̃ et de vitesse ṽ. On observe des bouffées de faible pression se propageant de l’extérieur vers le centre du plasma ainsi que des bouffées de forte pression allant dans le sens inverse (figure 5). Ces bouffées augmentent le transport de matière et de chaleur et apparaissent de manière intermittente. Elles sont particulièrement néfastes pour le confinement du plasma car elles court-circuitent la région de faible pression située au bord du tokamak et (a) En supprimant artificiellement dans le code numérique le terme qui couple les fluctuations de vitesse à l’écoulement moyen, on peut mettre en évidence l’influence des flux zonaux sur la dynamique des bouffées. En comparant des simulations sans et avec flux zonaux, on constate une différence dans la fréquence d’apparition et l’amplitude des bouffées intermittentes : la fréquence est plus importante mais les amplitudes sont plus faibles en présence des flux zonaux. Des analyses détaillées révèlent le mécanisme suivant pour l’auto-régulation du transport par les flux zonaux : la croissance d’une bouffée est limitée par un flux zonal engendré au même endroit avec un certain décalage temporel. Ainsi, la structure de vitesse associée à la bouffée est déchirée par le cisaillement associé au flux zonal et n’atteint pas l’amplitude maximale qu’elle aurait en l’absence de flux zonaux. BARRIÈRES DE TRANSPORT (b) Figure 6 - Pression (unités normalisées) à un temps donné dans un plan poloïdal (même représentation que dans la figure 1). a) L’anneau représente le bord du plasma, le cœur n’est pas simulé. Au milieu à droite de cet anneau, on observe une bouffée froide qui entre du bord jusqu’au cœur. b) Un agrandissement de cette bouffée. la zone de haute pression localisée dans le « cœur du plasma » (figure 6). La propagation de bouffées est liée à l’apparition de cellules de convection radialement allongées, localisées dans la direction poloïdale (figure 6). Ces tourbillons sont analogue à l’effet thermo-convectif discuté plus haut. Il existe des régimes de fonctionnement du tokamak caractérisés par l’apparition d’une zone au voisinage de laquelle la turbulence est réduite par un fort cisaillement de l’écoulement d’équilibre (en d’autres termes : un flux zonal stationnaire). Dans cette région, le transport est réduit au transport diffusif dû aux collisions. En fait, en moyennant l’équation (1) sur le temps et en intégrant sur la direction radiale, l’équilibre des flux moyens s’écrit ∂ ¯ turb (r) − χcoll (r) p̄(r) = ∂r r S(r )dr (2) rmin 27 Encadré 2 TURBULENCE PLASMA ET TURBULENCE HYDRODYNAMIQUE ρ (∂t + v · ∇) v = −∇ p + ρν∇ 2 v , où p désigne la pression et ρ la densité de masse et chaque élément de fluide est soumis aux forces de pression et de viscosité (résultant des mécanismes de collisions entre particules). Dans le cas bidimensionnel incompressible (∇ · v = 0), la vitesse est décrite par un potentiel de vitesse φ tel que v = z × ∇φ . Dans le cas où la densité de masse est uniforme, on obtient à partir de l’équation de Navier-Stokes une équation sur la vorticité = ∇ 2 φ qui est une quantité caractérisant z · ∇ × v ), l’intensité des tourbillons dans l’écoulement ( = z × ∇φ) ∇ 2 φ=ν∇ 4 φ . (∂t + (1) Regardons maintenant le plasma d’électrons et d’ions. Les protons sont supposés froids, les électrons ont une température Teq uniforme. A l’équilibre, électrons et protons ont la même densité n eq , caractérisée par un gradient perpendiculaire au champ magnétique (plasma confiné). La dynamique du champ de vitesse de chaque espèce de charge es , masse m s et densité n s est gouvernée par l’équilibre des forces, décrite par une équation de Navier-Stokes généralisée n s m s (∂t + vs · ∇) vs = −∇ ps + n s es (E + vs ×B) + n s m s ν∇ 2 vs , où les termes représentent dans l’ordre : l’inertie, la force de pression, la force de Laplace et une viscosité ν. Le couplage entre les espèces chargées est assuré par le champ électrique autocohérent E = −∇φ , où le potentiel électrostatique φ est équivalent (à un facteur de normalisation près) au potentiel de vitesse de la dérive électrique v E = (E × B) /B 2 avec ¯ turb = 0 et (∂ p̄)/(∂r) = 0 à r = rmin . Comme la source est localisée et constante dans le temps, l’équation (2) montre que la somme des deux flux (turbulent + collisionnel) est constante. En imposant un écoulement d’équilibre avec un fort cisaillement local, on arrive à réduire localement le transport turbulent. En supposant une diffusivité collisionnelle constante, la réduction du flux turbulent doit être compensée par une augmentation de la valeur abso28 = B/B × ∇φ. Si l’on suppose les électrons très mobiles le long du champ magnétique, la projection le long du champ magnétique de cet équilibre des forces impose une réponse adiabatique de la densité électronique n e − n eq e = φ. n eq Teq En principe, la cohérence est assurée par l’équation de Poisson. En fait, l’échelle des fluctuations étant usuellement plus grande que l’échelle d’écrantage de Debye, le plasma est localement quasi neutre. La combinaison des réponses en densité ionique et électronique et la condition de quasiélectroneutralité conduisent à une équation qui décrit la dynamique non linéaire des fluctuations de potentiel, z × ∇φ) φ − ρs2 ∇ 2 φ = −v∗ · ∇φ − νρs2 ∇ 4 φ , (2) (∂t + B × ∇ n eq Teq est la vitesse diamagnén eq ei B 2 tique électronique. La dynamique est réduite au plan transverse aux lignes de champ magnétique en supposant que toutes les fluctuations le long des lignes du champ sont rapidement atténuées du fait de la faible résistivité électrique dans cette direction. L’équation (2) est très utilisée en turbulence plasma (équation de Hasegawa-Mima). Le potentiel électrique joue ici un rôle analogue à celui du potentiel de vitesse dans l’équation de Navier-Stokes. Dans la limite des petites longueurs d’onde, et en l’absence de gradient de densité d’équilibre, l’équation d’Hasegawa-Mima s’identifie à l’équation de vorticité hydrodynamique (1). La relation de dispersion linéaire de l’équation d’HasegawaMima est celle des ondes de dérive (ondes générées par le mouvement de dérive électrique et diamagnétique des particules ; figure). Il existe une analogie entre plasma magnétisé et fluide tournant, la force de Coriolis jouant un rôle comparable à celui de la force de Laplace (tableau). De ce fait, l’équation d’Hasegawa-Mima, sous le nom d’équation de Charney, décrit également la dynamique où v∗ = − lue du gradient de pression. Ainsi, un fort gradient de pression est créé qui constitue une barrière de transport (figure 7). Ces régimes sont aussi observés dans des expériences. Ils apparaissent spontanément pour des puissances de chauffage audessus d’un seuil critique. Ce type de transition peut être aussi produit avec des moyens extérieurs, tels que des sondes émissives induisant un champ électrique au bord du tokamak. Ce dernier engendre, via la dérive élec- 150 time averaged pressure La turbulence dans un plasma magnétisé offre de nombreuses analogies avec une turbulence hydrodynamique. Dans le cas hydrodynamique standard, le champ de vitesse v est la solution de l’équation de Navier-Stokes 100 50 q=2 q=2.5 q=3 radius Figure 7 - Profil de pression, moyenné en temps, pour un écoulement d’équilibre fortement cisaillé autour de q = 2.5. Par comparaison, en pointillé, le profil pour le cas présenté figure 5. Mieux comprendre par la simulation numérique Figure - Illustration d’une onde de dérive. Les traits bleus continu et pointillé correspondent à deux instantanés d’une ligne d’iso-densité. L’onde se propage dans la direction θ. Tableau - Analogie formelle entre un plasma magnétisé et un fluide à la surface d’une sphère en rotation. plasma magnétisé fluide à la surface d’une sphère en rotation direction du champ magnétique fréquence de giration des particules direction de la normale à la sphère fréquence de rotation de la sphère rayon de courbure du champ magnétique force de Lorentz potentiel électrique rayon de la sphère force de Coriolis fonction de courant des ondes de Rossby (analogue des ondes de dérive) dans l’atmosphère des planètes en rotation. L’équation de CharneyHasegawa-Mima a des propriétés similaires à celles de l’équation de Navier-Stokes bidimensionnelle. En particulier, dans le cas où de l’énergie est injectée dans le système sur un vecteur d’onde k = ks , on observe une cascade inverse trique, une rotation poloïdale cisaillée du plasma. On obtient ainsi des pressions importantes au cœur du plasma tout en gardant des pressions relativement faibles au voisinage des parois, et l’on parle d’un confinement amélioré. Les régimes à confinement amélioré permettent d’augmenter la performance d’un futur réacteur à fusion sans augmenter le rapport entre volume et surface (en d’autres termes : la taille, ou encore : le coût) du plasma confiné. d’énergie pour les vecteurs inférieurs à ks (la densité spectrale d’énergie augmente avec l’échelle 1/k comme k −5/3 ). Une cascade inverse tend à produire des structures (tourbillons) de grande échelle par un mécanisme de coalescence de tourbillons de petite échelle. Cette condensation est une caractéristique très générale d’une turbulence dans un plasma magnétisé, y compris lorsque le champ magnétique est inhomogène. Une autre conséquence importante est la possibilité d’une dissymétrie dans les processus de cascade inverse entre les directions spatiales dans le plan perpendiculaire à B . Ces systèmes sont de fait caractérisés par l’apparition d’écoulements à grande échelle dans la direction perpendiculaire au gradient de densité, appelés flux zonaux. Ces flux zonaux ont été mis en évidence dès les années 1970 dans le contexte de la turbulence d’ondes de Rossby (en particulier pour l’atmosphère jovienne) et portent aussi le nom de jets. Leur rôle de régulation de la turbulence plasma a été récemment mis en évidence. Le cisaillement de vitesse dans la direction parallèle au gradient de densité associé à ces flux zonaux est en effet stabilisant pour une turbulence d’ondes de dérive. Cependant, les processus de génération et d’amortissement de ces flux zonaux sont encore sujets à controverse. Le système d’équations décrivant une turbulence dans un plasma magnétisé de fusion est plus complexe, car le champ magnétique y est cisaillé. L’approximation d’une turbulence bidimensionnelle est donc incorrecte. Le principal effet du cisaillement magnétique est la localisation des tourbillons dans la direction du cisaillement. Toutefois, on retrouve des comportements réminiscents des résultats obtenus dans le cadre des équations de Hasegawa-Mima et de RayleighBénard. En particulier, on retrouve, d’une part, la tendance à la cascade inverse et à la génération de flux zonaux et, d’autre part, l’existence d’événements de transport de chaleur à grande échelle dans la direction radiale. Les structures de potentiel sous-jacentes sont parfois allongées dans la direction radiale. En ce qui concerne la dynamique des bouffées en présence d’une barrière de transport, des simulations montrent que leur amplitude est considérablement réduite au centre de la barrière et qu’en général, elles n’arrivent pas à se propager à travers celleci (figure 8). Comme la turbulence engendre elle-même l’écoulement cisaillé qui est à la base de la barrière de transport, la dynamique de cette dernière est complexe et n’est pas encore entièrement comprise. CONCLUSION Des simulations 3D d’une turbulence magnétohydrodynamique résistive d’un plasma chaud magnétisé montrent l’existence d’événements de transport à grande échelle. La propagation de ces bouffées est liée à l’apparition de cellules de convection radialement étendues et alignées le long du champ magnétique. L’auto-génération d’écoulements zonaux régule ces bouffées de transport intermittentes en augmentant 29 Figure 8 - Flux radial turbulent de pression (unités normalisées) en fonction du petit rayon et du temps. En noir, la région de fort cisaillement de l'écoulement d'équilibre, où le flux est fortement réduit. On observe des maxima de flux (de relativement faible amplitude), correspondant aux bouffées, qui entrent et sortent de la zone de la barrière, mais il y en a très peu qui arrivent à traverser. POUR EN SAVOIR PLUS Paméla (J.), Chatelier (M.), La Recherche 299, 61, 1997. Hazeltine (R.-D.), Prager (S.-C.), Physics Today 55, 30 , 2002. leur fréquence d’apparition et en diminuant leur amplitude. En imposant un écoulement d’équilibre fortement cisaillé, on observe localement un fort gradient de température ou de densité (barrière de transport). L’amplitude des bouffées est très faible à l’intérieur d’une telle barrière et, en général, elles n’arrivent pas à la traverser. Ces mécanismes permettent d’augmenter considéra- blement le confinement du plasma de tokamak et de réduire la taille et le coût des futurs réacteurs. Horton (W.), Rev. Mod. Phys. 71, 735 , 1999. Sarazin (Y.), Garbet (X.), Ghendrih (Ph.), Benkadda (S.), Phys. Plasmas 7, 1085, 2000. Terry (P.-W.), Rev. Mod. Phys. 72, 109 , 2000. Beyer (P.), Benkadda (S.), Garbet (X.), Diamond (P.-H.), Phys. Rev. Lett. 85, 4892 , 2000. Article proposé par : Sadruddin Benkadda, tél. : 04 91 28 82 26, [email protected] Peter Beyer, tél. : 04 91 28 82 20, [email protected] Xavier Garbet, tél. : 04 42 25 49 29, [email protected] 30 En dehors de leur importance pour la réalisation de la fusion thermonucléaire contrôlée par confinement magnétique, ces recherches soulèvent des aspects de physique fondamentale importants qui rejoignent les préoccupations de chercheurs d’autres disciplines. Figarella (C.-F.), Benkadda (S.), Beyer (P.), Garbet (X.), Voitsekhovitch (I.), Phys. Rev. Lett. 90, 015002, 2003.