Le reductionnisme en sciences cognitives
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Le reductionnisme en sciences
cognitives
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Date de mise en ligne : samedi 1er août 2015
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Le reductionnisme en sciences cognitives
Le reductionnisme en
sciences cognitives
"Le réductionnisme" a, dans la psychologie, des effets néfastes.
Le réductionnisme, veut ramener les niveaux d'existence
complexes à des niveaux simples, considérant qu'ils sont
ontologiquement supérieurs et que le type de connaissance y
afférent est plus valide. C'est dans la psychologie où ses effets
sont, de nos jours, les plus évidents.
Unité et diversité des doctrines
Nous allons décrire de manière synthétique les différentes tendances
réductionnistes en psychologie, au travers de leurs principes ontologiques,
gnoséologiques et méthodologiques. Pour ce faire, nous avons unifié les
tendances doctrinaires en cinq groupes, l'expérimentalisme, le
comportementalisme, le biologisme, le computationnisme.
Pour éviter les malentendus nous allons d'emblée nuancer nos propos. Toutes les
tendances réductrices ne se rencontrent pas en même temps et, un même auteur,
peut adopter certaines options et en récuser d'autres. Enfin un réductionnisme
modéré peut être utile. Donnons des exemples.
Le choix gnoséologique computationniste ne s'accompagne pas
d'expérimentalisme réducteur, car il est plutôt appuyé sur la théorie. Certains
cognitivistes, comme John Haugeland, dénoncent le behaviorisme.
L'expérimentalisme en psychologie se lie volontiers avec le réductionnisme
biologique dans la tendance neurocomportementale, mais pas toujours.
Henri Piéron, par exemple, fervent partisan de l'expérimentalisme en
psychologie, lutte contre le réductionnisme, car il défend l'autonomie du
psychologique. Wilhem Wundt (Principes de psychologie physiologique, 1874) et
William James (Principles of psychologie, 1890), fondateurs de la
psychophysiologie ne sont pas réductionnistes et défendent l'idée d'une
« causalité psychique ».
Nous n'avons pas insisté sur les auteurs, qui peuvent avoir individuellement une
pensée nuancée. Il ne s'agit pas ici de faire une histoire des idées, et encore
moins de tracer des biographies, mais de cerner des tendances doctrinales qui
dogmatisées sans nuance deviennent nocives et, prisent toutes ensemble,
participent de l'idée d'une possible mécanisation de l'homme.
L'expérimentalisme
Wilhelm Wundt, est regardé par beaucoup comme le fondateur de la psychologie
expérimentale. C'est lui qui crée, en 1879, le premier laboratoire de psychologie
à Leipzig avec l'intention de doter la psychologie d'une pratique expérimentale.
Peu après, cette discipline se répand en Europe et le courant immédiatement se
diversifie en fonction des inspirations des auteurs. Les laboratoires de psychologie
expérimentale vont se multiplier dans les grandes villes. Dès la fin du siècle, un
réseau universitaire de professeurs, chercheurs et techniciens, est mis en place.
Gustav Theodor Fechner, médecin, professeur de physique, à un moment donné
de sa carrière, se tourne vers l'enseignement
de la philosophie et de la
psychologie. Il se préoccupe des rapports de l'âme et du corps, cherchant à
introduire la notion de quantification et trouve en 1860 la loi psychophysique
fondamentale selon laquelle la sensation croît comme le logarithme de
l'excitation. Certains de ses successeurs iront, comme le très connu Wilhelm
Ostwald, dans le sens d'un réductionnisme psychophysique accentué. En France,
c'est le philosophe Théodule Ribot qui déclenche le mouvement
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expérimentaliste. Il pense qu'avec la psychologie expérimentale, une nouvelle
discipline scientifique est née.
Pour ses partisans, l'expérimentation présente de nombreux avantages, car,
même modeste, elle « en apprend plus qu'un volume de spéculations ». Surtout,
elle permet de laisser de côté la métaphysique et tous les problèmes insolubles.
Cette orientation sera défendue par Alfred Binet et Henri Piéron. Le premier
développera l'étude de l'intelligence ce qui aboutira à la fameuse « échelle
métrique d'intelligence » (1903) et le second organisera l'enseignement
universitaire de la psychologie expérimentale. Nous reviendrons plus tard sur les
autres développements, en particulier béhavioristes.
Donnons un exemple de l'abord expérimental au sujet des perceptions visuelles
et sensitives étudiées par Henri Pierron. Ce dernier écrit « On arrive à faire
fonctionner, artificiellement, des processus élémentaires, non sans difficulté, car
la solidarité organique vaut toujours...Mais grâce à un isolement relatif, on peut
suivre la relation de deux variables, la stimulation et la réponse, et obtenir ainsi
des lois, les lois de la sensation » il y faut un « effort scientifique d'analyse visant
à isoler des fonctions élémentaires dans le complexus des réactions normales de
l'organisme » (Psychologie expérimentale, Paris, Armand Colin, 1939).
Tout est dit du procédé : analyse conduisant à la recherche de l'élémentaire,
ramené à des variables dans une situation artificielle, anormale. Est dit aussi ce
qui est exclu : la complexité, la solidarité, les situations ordinaires. On voit se
dessiner les limites assez étroites du champ d'investigation.
Dans son fondement, la psychologie expérimentale n'est pas nécessairement
réductionniste, elle cherche avant tout à amener des critères de scientificité. Ce
fondement est défini ainsi par Paul Guillaume (Manuel de psychologie, Paris, PUF,
1966) : Il s'agit, « à l'exemple des sciences de la nature, de décrire des faits et
de déterminer leurs conditions, c'est-à-dire d'autres faits dont l'observation
montre le rapport constant avec les premières ; en d'autres termes on se propose
d'établir des lois ». En principe, les expérimentations sont irréprochables sur le
plan de la scientificité. Mais en pratique, elles sont réductionnistes, car les faits
considérés, pour rentrer dans le cadre défini, sont réduits à leur minimum. Ce
sont des faits directement observables, suffisamment simplifiés pour être
quantifiés, ce qui élimine les faits qui ne s'y prêtent pas et réduit
considérablement le champ d'investigation.
" La psychologie expérimentale a une visée expansionniste en psychologie. Elle ne
se contente pas d'asseoir la psychologie humaine sur des données
expérimentales, mais a l'ambition de rendre la psychologie toute entière
expérimentale. Elle tente d'éliminer l'approche clinique considérée comme non
scientifique. Elle est actuellement en forte régression et il semble que
l'expérimentation retrouve la place qui lui convient celui d'un moyen d'étude."
Le comportementalisme
Ivan Pavlov peut être considéré comme le père du comportementalisme. Ses
intentions étaient, au départ, physiologiques et non psychologiques. C'est
tardivement qu'il élabore avec son élève Shenger-Krestovnikova sa théorie des
névroses expérimentales. Il s'efforce alors de ramener l'explication des troubles
qu'il nomme "névrotiques", de manière très floue et inappropriée, à un jeu de
stimulus et de réponses incluant le langage comme deuxième système de
signalisation. Son protocole expérimental en stimulus-réponse fut repris comme
paradigme psychologique aussi bien en Russie qu'aux États-Unis ou en Europe.
Henri Piéron annonça en 1908, dans son discours inaugural à l'école pratique des
hautes études, que « le comportement constitue l'objet de la psychologie ». Aux
États-Unis, l'idée selon laquelle la psychologie scientifique devrait être l'étude
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expérimentale des comportements se répandit comme une traînée de poudre. En
effet, il fallait montrer que la psychologie était sérieuse, afin de pouvoir la
vendre à des institutions comme l'armée, l'école, et l'industrie. La seule manière
rapide de le faire était de se référer à un modèle de scientificité déjà établi :
l'expérimentalisme. Il fallait aussi trouver une façon d'étendre la psychologie
expérimentale, cantonnée à des faits minuscules (sensations, apprentissages), à
d'autres plus vastes. Cela devenait possible grâce aux stimulus-réponse qui
permettaient de situer des séquences objectives dites « comportements ».
C'est ce qui a donné la vague comportementaliste. Répandue par John Broadus
Watson, à partir de 1910, elle est encore forte de nos jours. Natif de la Caroline
du sud, Watson a une formation de chimiste. À partir de 1907, il enseigne la
psychologie expérimentale à Baltimore. Le propos de départ indiqué par Watson
dans son manifeste qui connaît immédiatement le succès aux États-Unis
(Psychological review, 1913) n'était pas absurde. Il s'agissait « d'écarter toute
référence à la conscience » et de faire de l'objet de la psychologie autre chose
que « la production d'état mentaux ». Mais, dans ce mouvement, la psychologie
devient l'observation du comportement, saisi en termes de stimulus et de
réponse. L'individu est considéré comme une « boite noire » à laquelle le
psychologue ne cherche pas à avoir accès. Ainsi l'objet de la psychologie est
constitué par les « comportements » pour autant qu'on puisse les simplifier et les
quantifier. D'où les innombrables études sur le rat.
Outre les rats, on a aussi essayé de conditionner les hommes avec un succès très
relatif. C'est ce qu'a fait Burrhus Frederic Skinner, au milieu du siècle, avec
l'utilisation du conditionnement dit « opérant ». Ce type de conditionnement
considère que l'action de l'individu sur le milieu permet d'obtenir un
renforcement positif. Skinner a mis au point une méthode de renforcement
positif ou négatif des comportements à but prétendument thérapeutique, la
Behavior Modification. De même, différentes applications, concernant la
sélection, l'apprentissage et l'adaptation aux conditions de travail dans l'armée
et l'industrie, ont été mises au point.
Le béhaviorisme non seulement introduit l'idée d'une « boite noire » psychique,
dont on ne veut rien connaître, mais aussi simplifie l'observable de manière
importante. Dans une préface de 1929 à une réédition de son
ouvrage Behaviorisme, Watson s'étonne des critiques dont il fait l'objet, puisqu'il
n'a fait qu'utiliser pour « l'étude expérimentale de l'homme le type de
raisonnement et le vocabulaire que de nombreux chercheurs utilisent depuis
longtemps pour les animaux inférieurs ». Avec ces propos, on voit se dessiner l'un
des procédés habituels du réductionnisme : assimilation du complexe au simple et
transfert sans interrogation de la méthode correspondante. Ceci aboutit à une
réduction du champ phénoménal et par voie de conséquence à un rapetissement
de l'objet d'étude.
Haugeland écrit « avant l'avènement du cognitivisme le behaviorisme régnait sans
partage dans les départements de psychologie des universités américaines. Il
portait toutes les marques d'une science avancée et florissante » (L'esprit dans la
machine, Paris, Odile Jacob, 1989). A la fin des années 2000, beaucoup
renoncèrent au principe de la boite noire et est apparu le cognitivocomportementaliste.
On admit qu'il était possible de théoriser les processus
psychologiques gouvernant les comportements. On se mit à construire « des
modèles de processus invisibles dès lors qu'on peut prédire et constater leur
conséquences dans le comportement » ( Beauvois, Comportementalisme :
pourquoi est-il si urgent de le caricaturer, 2006).
Selon Léon Beauvois (2006) il y aurait un accord selon lequel la psychologie
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comportementaliste devrait rendre compte de quatre types de comportements
observables : des actes simples concrets (par exemple s'asseoir à telle distance
prendre tel objet), des performances mesurables (par exemple réponse à des
tests de mémoire d'intelligence), des jugements énoncés (tel que attribuer tel
effet à telle cause), des émotions dont on note la présence et l'intensité (comme
la peur, la colère, la tristesse). Il faut des situations expérimentales dans
lesquelles on arrive à trouver des « variables situationnelles » qui peuvent
changer. Le cognitivo-comportementalisme est une tentative pour maintenir un
behaviorisme en voie d'extinction, en réintroduisant ce qu'il a exclu : la capacité
humaine à traiter de l'information.
Le biologisme
Pour le réductionnisme biologisant, la pensée et les conduites humaines sont
causées directement par le fonctionnement des circuits neuronaux et leur seule
explication valable est la théorisation de type neurobiologique.
Avec Auguste Comte (Cours de philosophie positive,1930-42), seule la part de
l'homme qui dépend de la nature (la nature humaine) peut être étudiée. Le
tableau des sciences de Comte est parlant de ce point de vue : il nous indique ce
qui est étudiable scientifiquement chez l'homme : c'est la biologie. Bien qu'il ne
soit pas réductionniste de manière générale, Comte l'est pour la psychologie, qui
est entièrement absorbée dans la biologie et ramenée à une « théorie
cérébrale ». La sociologie a une place autonome mais a pour base « la biologie et
l'invariabilité de l'organisme humain ».
On retrouve 150 ans plus tard la même idée avec la mode de naturaliste. « Il est
possible de replacer l'esprit dans la nature. Il est possible de construire une
science de l'esprit sur des bases biologiques » (Edelman G .M., Biologie de la
conscience). Edelman récuse l'idée que la psychologie puisse être décrite de
manière satisfaisante en termes psychologiques, car il n'y a pas d'esprit, ni de
propriétés psychologiques. La seule connaissance valable est la neurobiologie. On
doit « partir de hypothèse que la cognition et l'expérience consciente ne
reposent que sur des processus et des types d'organisation qui existent dans le
monde physique » (Ibid).
Donnons un exemple. Sur la base d'une théorie de la sélection synaptique et de
l'amplification différentielle au sein de systèmes réentrants, on devrait pouvoir
expliquer la cognition, Cela veut dire qu'un groupe de neurones muni d'une
entrée est interconnecté avec un autre groupe, muni d'une autre entrée, et
qu'ils peuvent ainsi comparer leur activité. Ils sont couplés par une structure
d'ordre supérieur liée au système moteur qui ajuste celui-ci. L'explication
consisterait à coupler ce que l'on sait concernant les sorties d'une multitude de
cartes interconnectées de façon réentrante, au comportement observé.
Meynert professeur de psychiatrie à Vienne avait inventé au XIXe siècle un
système expliquant les conduites humaines par le fonctionnement cérébral resté
célèbre. A un moment donné, Freud s'est essayé à ce genre d'exercice dans
l'esquisse d'une psychologie scientifique jamais publiée de son vivant, procédé
qu'il a désavoué ensuite. Jean Pierre Changeux dans le même esprit, veut
ramener l'esprit à son substrat biologique.
Le plus poussé des réductionnismes biologisant est popularisé depuis les années
1980 aux États-Unis par Paul et Patricia Churchland ou Stephen Stich en
Angleterre. Ils défendent, au nom d'un matérialisme radical, une vision purement
biologique de l'homme. C'est plus qu'un réductionnisme, car l'esprit, les faits
mentaux, la pensée, sont déclarés sans réalité, ils n'existent pas (Matière et
conscience, Seyssel, Champ Vallon, 1999). Il n'est pas question de les ignorer
comme dans le behaviorisme, ni de les ramener à autre chose, car ils n'existent
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