Rôle des ganglions de la base dans les épilepsies : circuits de

La lettre du neurologue - n° 1- vol. V - janvier 2001
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MISE AU POINT
CIRCUITS DE L’ÉPILEPSIE
u cours de ces dernières années, les travaux
de recherche aussi bien cliniques qu’expérimen-
taux ont permis d’établir que chaque forme
de crise épileptique est générée au sein d’un circuit neuronal
“initiateur”qui lui est propre. L’organisation pathologique de
réseaux neuronaux au sein de structures prédisposées (struc-
tures temporales internes, par exemple) dans les épilepsies par-
tielles est en cours d’identification depuis de nombreuses
années. Même les formes d’épilepsie dites “généralisées”
impliquent de façon spécifique un nombre limité de structures
corticales et/ou sous-corticales. Par exemple, les crises d’épi-
lepsie-absence sont générées au sein d’un circuit réverbérant
qui implique spécifiquement le cortex sensori-moteur et cer-
tains noyaux du thalamus (2). L’hyperactivité des circuits ini-
tiateurs entraîne, dans certains cas, la diffusion de la crise vers
d’autres structures par le biais de “circuits de propagation”.
Cependant, les connaissances actuelles n’expliquent pas pour-
quoi l’expression de la pathologie est paroxystique au sein des
circuits initiateurs et de propagation, ni pourquoi les périodes
intercritiques peuvent être parfois très longues. De même, l’ar-
rêt soudain de la plupart des crises ne peut s’expliquer par un
phénomène passif, secondaire à “l’épuisement” des neurones
du circuit d’initiation. Plusieurs observations suggèrent que
l’activité des circuits initiateurs, comme celle des circuits de
propagation, pourrait être modulée par des circuits de contrôle.
De tels circuits pourraient notamment intervenir dans l’inter-
ruption des crises en raison de leur mise en jeu par les circuits
initiateurs et/ou de propagation ou par d’autres mécanismes. Le
dysfonctionnement des circuits de contrôle conduirait à un état
de mal et/ou à des crises persistantes. Les ganglions de la base
sont, parmi les circuits connus, ceux pour lesquels nous possé-
dons à l’heure actuelle le plus d’informations sur leur rôle pos-
sible dans le contrôle des épilepsies.
GANGLIONS DE LA BASE : ORGANISATION
ANATOMO-FONCTIONNELLE
Les ganglions de la base constituent un ensemble de circuits
sous-corticaux qui jouent un rôle essentiel dans le contrôle de
la motricité et de conduites motivées (1, 7). Ce système com-
prend le noyau caudé, le putamen et l’accumbens (striatum)
comme voies d’entrée principales, la substance noire réticulée
(SNr) et le segment interne du pallidum comme voies de sortie
(figure). Ces deux dernières structures reçoivent une projection
inhibitrice GABAergique qui provient directement du striatum.
Elles possèdent également une afférence excitatrice glutamater-
gique issue du noyau sous-thalamique. Ce noyau reçoit des
projections corticales glutamatergiques et représente à ce titre
Rôle des ganglions de la base dans les épilepsies :
circuits de propagation ou de contrôle des crises ?
l
A. Depaulis*, C. Deransart**, L. Vercueil***
* Directeur de recherche INSERM U398 INSERM, neurobiologie et
neuropharmacologie des épilepsies généralisées, faculté de médecine –
université Louis-Pasteur, Strasbourg.
** Chercheur postdoctorant, Klinikum der Albert-Ludwigs-Universität,
Neurologische Universitätsklinik, Sektion Kli. Neuropharmakologie
Freiburg-im-Breisgau, Allemagne.
*** Médecin neurologue, clinique neurologique,
centre hospitalier universitaire, Grenoble.
A
nLes ganglions de la base ne sont pas véritablement
impliqués dans la genèse des crises d’épilepsie.
n De par leurs connexions avec différentes aires du cortex,
ces structures pourraient participer à la propagation de cer-
taines crises.
n Plusieurs données expérimentales suggèrent que les
ganglions de la base pourraient en fait intervenir dans le
contrôle des crises d’épilepsie.
n Ainsi, l’inhibition de la substance noire réticulée, princi-
pale voie de sortie des ganglions de la base, se traduit par
des effets antiépileptiques.
n La neurotransmission dopaminergique au sein du stria-
tum pourrait jouer un rôle essentiel dans ces mécanismes
de contrôle par son action sur l’activité de la substance
noire réticulée.
n Un dysfonctionnement de ces circuits pourrait expliquer
la survenue d’état de mal ou de crises à répétition, ainsi
que la symptomatologie intercritique.
n De nouvelles stratégies thérapeutiques sont à envisager
qui pourraient agir sur ces circuits de contrôle.
POINTS FORTS
POINTS FORTS
La lettre du neurologue - n° 1 - vol. V - janvier 2001 7
une deuxième voie d’entrée des ganglions de la base. Son acti-
vité est contrôlée par le striatum via le segment externe du pal-
lidum avec lequel il forme la voie striato-nigrale “indirecte”
(figure).
Au sein du striatum, l’activation de chacune des voies striato-
nigrales, par les afférences glutamatergiques provenant du cor-
tex, a des effets opposés sur l’activité des neurones de la SNr.
En revanche, la dopamine, qui provient essentiellement de la
partie compacte de la SN et de l'aire ventrale du tegmentum, a
une influence sur chacune des voies qui se traduit par une dimi-
nution de l’activité des neurones de la SNr (figure). En effet,
les récepteurs dopaminergiques D1sont préférentiellement loca-
lisés sur les corps cellulaires des neurones qui se projettent
directement sur la SNr (6), et leur activation se traduit par une
libération accrue de GABA dans cette structure. Inversement,
les récepteurs D2, inhibiteurs, sont préférentiellement localisés
sur les corps cellulaires des neurones qui se projettent vers le
segment externe du pallidum (6). La fixation de dopamine sur
ces récepteurs aboutit à une diminution de l’influence excitatrice
du noyau sous-thalamique sur la SNr.
Plusieurs données récentes ont nuancé ce modèle d’organisation
des ganglions de la base, en accordant notamment plus d’impor-
tance au noyau sous-thalamique. Cependant, ce modèle proposé
par Alexander et Crutcher (1) permet encore de rendre compte
des conséquences de modifications d’activité des différents
constituants de ce circuit.
GANGLIONS DE LA BASE ET CRISES D’ÉPILEPSIE :
DONNÉES EXPÉRIMENTALES
L’ensemble des données expérimentales ne permet pas d’impli-
quer l’une ou l’autre des structures des ganglions de la base
dans l’initiation de crises d’épilepsie. Ainsi, la stimulation élec-
trique ou chimique du striatum ou de la SNr chez l’animal
n’induit que très rarement des crises d’épilepsie. Lorsque cela a
été réalisé, les enregistrements EEG des structures des gan-
glions de la base pendant des crises ont montré la survenue de
décharges paroxystiques dans certaines structures. Dans la plu-
part des cas cependant, l’amplitude et la durée de ces décharges
étaient plus faibles que celles enregistrées au niveau du cortex
ou des structures directement impliquées dans l’initiation des
crises. On possède très peu de données concernant des enregis-
trements unitaires au niveau de ces structures dans les modèles
d’épilepsie. Les études utilisant des marqueurs de l’activité
métabolique (2-désoxyglucose) ont souvent montré une aug-
mentation de la consommation de glucose dans plusieurs struc-
tures des ganglions de la base, en particulier à la suite d’état de
mal épileptique. Selon ces données, les ganglions de la base
interviendraient dans la propagation des crises et participe-
raient à l’expression motrice des crises.
Au cours des années 1980, plusieurs études ont montré que la
potentialisation pharmacologique de la transmission GABA-
ergique au sein de la SNr – ainsi que toute manipulation qui
tend à diminuer l’activité de cette structure – a des effets anti-
épileptiques, aussi bien sur le plan clinique qu’électroencéphalo-
graphique, dans différents modèles de crises épileptiques géné-
ralisées chez le rat (3). Ces modèles ayant des circuits
initiateurs très différents (électrochoc, convulsivants, embrase-
ment, épilepsie-absence génétique), il a été proposé que des
neurones de la SNr participaient à un système qui contrôlerait
différents types de crises impliquant le cerveau antérieur (3).
Les crises toniques, en revanche, qui impliquent essentielle-
ment des structures du tronc cérébral et qui ne s’accompagnent
pas de décharge paroxystique au niveau cortical, ne sont pas
modifiées par l’inhibition de la SNr. Les mécanismes par les-
quels l’inhibition de la SNr possède des effets antiépileptiques
ne sont pas connus à l’heure actuelle. Il semble, cependant, que
les voies GABAergiques issues de cette structure et qui se pro-
jettent sur les couches intermédiaires et profondes du colliculus
supérieur sont plus particulièrement impliquées (3).
L’activation de la voie striato-nigrale directe par l’injection
dans le striatum d’agonistes des récepteurs du glutamate ou
d’agonistes mixtes dopaminergiques diminue les crises d’épi-
lepsie dans plusieurs modèles animaux. De même, une action
antiépileptique est observée après l’injection d’agonistes des
récepteurs dopaminergiques D2dans le striatum (4). Cet effet
semble mettre en jeu la voie striato-nigrale indirecte par une
désinhibition du pallidum et une réduction de l’activité du
noyau sous-thalamique. En effet, l’inhibition de l’influence
excitatrice du noyau sous-thalamique sur la SNr (blocage des
récepteurs NMDA dans la SNr, inhibition du noyau sous-
thalamique par injection d’un agoniste du GABA) se traduit
dans tous les cas par une suppression des crises dans différents
modèles (4). L’inhibition du noyau sous-thalamique par des sti-
mulations électriques à haute fréquence permet également d’in-
terrompre certaines crises d’épilepsie chez le rat (10).
L’ensemble de ces résultats suggère que la mise en jeu des
ganglions de la base conduit à une suppression des crises
Cortex c r bral
Striatum
D2D1
Voie
directe
Voie
indirecte
Substance noire
compacte
Aire tegmentale
ventrale
Pallidum
externe
Noyau sous-
thalamique
Substance noire
r ticul e
Pallidum interne
Glu/Asp
GABA
Dopamine
Figure. Représentation schématique de l’organisation fonctionnelle des
ganglions de la base (d’après 1). L’épaisseur des différentes projections
rend compte de leur activité de base.
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