HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE PAR L’ABBÉ H. DAGNEAUX CHAPITRE IV. PLATON § I. — DIALECTIQUE OU THÉORIE DE LA CONNAISSANCE. La dialectique, pour Platon, est une marche ascendante, dont le point de départ est la vue des choses qui frappent les sens, et le terme, l’intuition des idées. La dialectique platonicienne va de l’opinion à la science. * Science et opinion. — La science est tout l’opposé de l’opinion. Socrate, luttant contre les sophistes, cherchait à substituer la science des concepts à leurs opinions indécises et variables. Plus anciennement, Parménide faisait ressortir le contraste que présentent l’être immuable et les apparences toujours changeantes. On peut même dire que toute la philosophie antérieure à Socrate a été une recherche de l’être, objet de la science, à travers les apparences, objet de l’opinion. Seul, Héraclite, en proclamant que tout s’écoule, a désespéré de faire la science de l’être. Trois caractères distinguent la science de l’opinion : 1° La science a pour objet l’universel ; Socrate redisait sans cesse : « Il n’y a de science que de l’universel. » L’opinion a souvent pour objet ce qui est particulier, ce qui est ceci, ici et maintenant. Je conjecture que demain le temps sera beau, que cet homme est honnête, et que cet autre n’est pas digne de confiance ; ce sont là de simples opinions. Au contraire, si je dis : toute volition est nécessairement précédée d’une connaissance, j’énonce une proposition scientifique. 2° L’opinion est souvent incertaine ; la science donne la certitude. 3° L’opinion s’arrête aux apparences ; la science va au fond des choses. * Les degrés de la dialectique. — Du moins, l’opinion est le point de départ nécessaire de quiconque veut arriver à la science. L’opinion n’a pas de valeur en elle-même, mais elle fait réfléchir. Au regard de l’opinion, tel homme est plus grand, plus instruit, plus vertueux qu’un autre, et cette diversité des apparences porte l’esprit à rechercher ce que peuvent être en elles-mêmes la grandeur, la science, la vertu. Cette recherche comporte quatre degrés : 4° La conjecture (εἰκασία), qui est une simple représentation sensible, n’impliquant par elle-même aucune croyance. Il me semble, la nuit, entendre crier des enfants livrés à leurs jeux. C’est là une pure conjecture, d’ailleurs sans fondement. 2° La croyance (πίστις). Quand, au contraire, j’affirme qu’un homme vient à moi, la représentation sensible est accompagnée de croyance. D’ailleurs, la conjecture et la croyance peuvent coexister; par exemple, j’affirme que quelqu’un vient, et je conjecture que c’est tel homme. 3° La pensée discursive (διάνοια). En comparant les apparences que nous connaissons par l’opinion, nous arrivons à concevoir certaines idées, telles que celles de grandeur, de pluralité, d’unité, de vérité, de beauté, de justice. Comparer les apparences, c’est aller, pour ainsi dire, de l’une à l’autre; de là le nom dé pensée discursive donné à ce procédé. Platon l’appelle διάνοια, qui veut dire discours de l’âme avec elle-même, réflexion. 4° L’intuition (νόησις). Par les idées secondaires, nous sommes bientôt conduits à l’idée du bien. Elle a ceci de particulier, que nous ne la voyons pas à travers les apparences, comme on affirme l’idée de grandeur en comparant les grandeurs ; nous la voyons directement, par intuition. On appelle intuition la vue directe d’une chose. Telle est la dialectique ascendante, qui nous conduit par degrés de la sensation à l’idée du bien. Platon pouvait simplifier cette marche progressive. C’est pour la symétrie, sans doute, qu’il a distingué la conjecture et la croyance. On peut réduire la dialectique ascendante à trois moments : 1° la δόξα, ou intuition des apparences ; 2° la διάνοια, ou connaissance des idées par le moyen des apparences ; 3° la νόησις ou intuition de l’Idée suprême.