◆ TECHNIQUE CHIRURGICALE Progrès en Urologie (1997), 7, 665-673 Lymphadénectomie inguinale dans le cancer du pénis : techniques chirurgicales et indications Olivier BOUCHOT, Patrice BOULLANGER, Jean-Marie BUZELIN Clinique Urologique, CHU Nantes, France RESUME L’envahissement ganglionnaire est un des facteurs pronostiques majeurs du cancer du pénis. Son évaluation clinique et paraclinique étant difficile, la lymphadénectomie inguinale, voire ilio-inguinale, garde des indications. Cette chirurgie présentant une morbidité certaine (nécrose des berges cutanées, infection, lymphorrhée et lymphœdème d'apparition plus tardive), les indications sont présentées en fonction de l’existence ou non d’adénopathies inguinales palpables et du stade de la tumeur primitive. Différentes techniques chirurgicales sont proposées: lymphadénectomie inguinale superficielle et profonde en cas d’adénopathies inguinales palpables et mobiles, lymphadénectomie inguinale simplifiée et superficielle en l’absence d’adénopathie inguinale palpable et en cas de tumeur primitive infiltrante. Mots clés : Pénis, cancer, ganglions, lymphadénectomie. Progrès en Urologie (1997), 7, 665-673. Figure 1. Voies d’abord proposées pour une lymphadénecto mie inguinale ou ilio-inguinale. L'épithélioma spino-cellulaire, ou carcinome épidermoïde, est une lésion rare en oncologie urologique. Cette tumeur se développe à partir d'un épithélium malpighien , et se caractérise par son potentiel d’extension rapide essentiellement par voie lymphatique. Chez l’homme, cette tumeur se développe au niveau: [1] du pénis avec une incidence en Europe de 0,6 à 1 pour 100.000 patients, [2] de l'urètre, dont seulement 1200 cas ont été rapportés dans la littérature, nombre certainement sous-estimé, dont 50 à 75% sont localisées au niveau de l'urètre bulbaire [1]. Chez la femme, elle peut être retrouvée au niveau des deux tiers distaux de l'urètre et au niveau de la vulve. L'épithélioma spino-cellul aire du pénis, out re l'envahissement de cont iguïté, va se propager par voi e vasculaire et surtout par voie lymphatique vers l es ganglions inguinaux. Ce drainage préférentiel, init ialement décrit par R OUVIÈRE en 1938, a ét é confirmé par lymphographie pénienne [7]. Le t raitement de cette tumeur dépend pour une large part de l a présence ou non de métast ases ganglionnaires. Leur diagnostic clinique est difficile du fait de l’existence d’envahissement infra-clinique, d’adénites liées à la suri nfect ion de la tumeur primi tive, et de l’obésité fréquente des pat ients. Les examens paracliniques classi ques (l ymphographie pédieuse, tomosensit ométrie, imagerie par résonance magnétique) ne sont d’aucune aide pour cette évaluati on, du fait d’une sensibilité et d’une spécifi ci té très faibles. Ces insuffisances font qu’il existe une place pour la lymphadénectomie inguinale dans les tumeurs du pénis, ce d’autant que ce geste a une valeur thérapeutique. Les controverses sur la place de la lymphadénectomie inguinale sont nombreuses, li ées à la morbi dité de cette chirurgi e. Les publications récentes ont permis de définir plus précisément la place des techniques de lymphadénectomie inguinale, d’en diminuer la morbidité. Manuscrit reçu : janvier 1997, accepté : juin 1997. Adresse pour correspondance : Pr. O. Bouchot, Clinique Urologique, CHU HôtelDieu, BP 1005, 44035 Nantes. 665 Tableau 1. Comparaison entre 3 types d’incision concernant le nombre de ganglions enlevés, la durée d’hospitalisation et le temps opératoire d’après Ornellas [23]. Nombre de patients Incision Nombre d’incisions Nombre de ganglions prélevés Hospitalisation (jours) Temps opératoire 21 Bi-iliac 21 25 54 4 h 30 29 S-shaped ilioinguinal (AA) 58 23 50 5 h 00 18 S-shaped inguinal 36 21 36 4 h 30 14 Gibson ilioinguinal (DD-D’D’) 28 37 23 6 h 30 30 Gibson inguinal (D’D’) 57 24 16 4 h 50 Tableau 2. Morbidité de la lymphadénectomie ilio-inguinale ou inguinale en fonction de la voie d’abord utilisée [23, 27]. Auteurs Nombre de patients Incision cutanée Nombre d’incisions Nécrose cutanée % Infection % Lymphorrhée % Lymphoedème % 21 47 44 Bi-iliac S-shaped (AA) Gibson (D’D’) 21 94 85 82% 72% 5% 15% 0 4% 9% 9% 32% 16% Verticale (EE) 57 Gibson (D’D’) 38 T-shaped (CCC’) 136 Verticale (EE) 48 S-shaped (AA) 44 Skin-bridge (DD-D’D’) 44 T-shaped (CCC’) 8 18% 18% 19% 10% 16% 16% 75% 40% 42% 74% 69% 82% 80% 100% 5% 5% 5% 12% 9% 8% 25% 21% 24% 27% 21% 30% 34% 62% Ornellas [23] Ravi [27] Inguinale seule Ilioinguinale TECHNIQUES CHIRURGICALES La réalisation d'une lymphadénectomie inguinale dans le cadre d'un épithélioma spino-cellulaire du pénis a pour objectif l'ablation des relais lymphatiques inguinaux susceptibles d’être envahis. Si l'on se place dans une stratégie de traitement curatif en cas d’adénopathie(s) palpable(s), cette lymphadénectomie inguinale peut être superficielle et profonde, bilatérale et précédée d'un curage ganglionnaire iliaque externe [1]. En l’absence d’adénopathie palpable, la lymphadénectomie peut être limitée aux ganglions inguinaux superficiels. La lymphadénectomie inguinale reste une chirurgie difficile car : - de pratique peu courante; Préparation et installation du patient La veille de l'intervention : - mise en route d'un traitement anticoagulant et d'une antibiothérapie non spécifique - après tonte et désinfection cutanée large, mettre en place des bas de contention parfaitement adaptés aux mensurations des membres inférieurs du patient. Installation Le patient est installé en décubitus dorsal, avec légère abduction et rotation externe de la cuisse pour exposer le triangle fémoral. - minutieuse dès sa voie d'abord (Figure 1) (Tableau 1) Lymphadénectomie inguinale superficielle et profonde par voie horizontale (Gibson) - l'a pparition d'une complication précoce en postopératoire (nécrose cutanée, infection, lymphorrhée, lymphocèle) augmente la durée d'hospitalisation et d'invalidité. Il importe de ne pas négliger le lymphœdème du membre inférieur, complication tardive, invalidante et compromettant la réintégration sociale du patient (Tableau 2). Les limites anatomiques de cette chirurgie sont: en avant le fascia superficialis, en haut le ligament inguinal, en dehors le bord antéro-interne du muscle Sartorius, en dedans le bord antéro-externe du muscle moyen adducteur, en bas l'apex du triangle fémoral, et en arrière le plan antérieur du pédicule fémoral (Figure 2). 666 à ce niveau, et du tissu adipeux sous-cutané, était horizontale [2]. Ainsi s'expliquent les pourcentages élevés de nécrose des berges cutanées observées en cas d'incision verticale qui interrompt cette vascularisation. La peau fine avec un mince pannicule adipeux ne doit pas être traumatisée, l'exposition se faisant à l'aide de fils tracteurs passés au niveau du fascia superficialis. Le décollement, sous le fascia superficialis, permet d'exposer la grande veine saphène (Figure 3). Outre cette veine qui traverse l’aponévrose sous le ligament inguinal pour s’aboucher dans la veine fémorale, le tissu cellulaire sous-cutané contient : - quatre artères, issues de l’artère fémorale: la souscutanée abdominale en haut et en dedans, la circonflexe iliaque superficielle en haut et en dehors, les honteuses externes supérieure et inférieure transversales en dedans; - les nerfs superficiels du triangle fémoral; Figure 2. Comparaison des limites anatomiques d’une lym phadénectomie inguinale classique (ligne pointillée) et de la lymphadénectomie modifiée par Catalona (traits) [9]. - les ganglions lymphatiques inguinaux superficiels, dont le nombre varie de quatre à vingt, groupés en un amas triangulaire, inscrit dans le triangle fémoral (Figure 4). Deux lignes, l'une verticale, l'autre horizontale se croisant à l'embouchure de la grande veine saphène, les divisent en quatre groupes: supéro-interne, supéro-externe, inféro-interne, inféro-externe. Les ganglions des groupes supérieurs ont, en général, leur grand axe parallèle au ligament inguinal; les ganglions des groupes inférieurs sont, au contraire, allongés de haut en bas. Les ganglions des groupes supérieurs reçoivent les lymphatiques de la paroi abdominale, de la fesse, du périnée, de l'anus, du scrotum, et du pénis chez l'homme. Les ganglions des groupes inférieurs reçoivent les lymphatiques du membre inférieur. Des ganglions superficiels partent des vaisseaux efférents qui vont aux ganglions inguinaux profonds et aux ganglions iliaques externes. Dans un premier temps, il est plus facile de délimiter la lymphadénectomie: en dehors, incision de l’aponévrose du muscle sartorius sur son bord antéro-interne; en dedans, incision de l’aponévrose du muscle moyen adducteur sur son bord antéro-externe; en haut, exposition du ligament inguinal. Figure 3. Exposition du plan superficiel de la lymphadénecto mie inguinale. La lymphadénectomie inguinale est réalisée par une incision cutanée horizontale, parallèle au pli inguinal, 3 cm en dessous. En cas de lymphadénectomie iliaque associée, la technique du "skin-bridge" de FRALEY et HUTCHENS [11] est préférable. Ce type d'incision augmente la durée opératoire mais permet de diminuer le nombre de nécrose cutanée. En effet, BARONOFSKY, en 1948, a montré que la vascularisation de la peau, mince La lymphadénectomie est commencée en haut et en dedans au niveau du ligament inguinal. Le tissu cellulo-graisseux est disséqué prudemment sous ce ligament jusqu'au plan postérieur formé à ce niveau par la veine fémorale. Au bord interne de la veine fémorale, deux à trois ganglions profonds sont présents. L'un d'eux, le ganglion de Cloquet, est situé à l'anneau fémoral, entre la veine fémorale et le bord externe du ligament de Gimbernat. Ils reçoivent une partie des vaisseaux efférents des ganglions inguinaux superficiels et des troncs collecteurs lymphatiques profonds du membre inférieur, montent en avant et sur les côtés des vaisseaux fémoraux. 667 Figure 4. Anatomie du tissu cellulaire sous-cutané de la région inguinale d’après Sobotta [29]. permettant de découvrir l'origine de muscle sartorius et de compléter, si nécessaire, la limite externe du curage. La totalité du tissu cellulo-graisseux est mise en traction, la dissection vers l'apex se faisant en suivant le plan postérieur formé par le pédicule fémoral. L'exérèse s'effectue sur l'adventice des vaisseaux, mais il n'est pas nécessaire de les disséquer, aucun élément ganglionnaire ne se trouvant à leur face postérieure. La grande veine saphène est ligaturée puis sectionnée au niveau de sa terminaison. Figure 5. Distribution des branches artérielles provenant de l’artère fémorale au niveau du creux inguinal. Les canaux lymphatiques doivent être ligaturés et non coagulés, l'efficacité de l'électrocoagulation sur les vaisseaux lymphatiques n'excédant pas 10 jours. En dehors de la veine, le plan postérieur est formé de l'artère fémorale. Les branches de l'artère sont immédiatement rencontrées. Il est préférable de conserver les artères supérieures, sous-cutanée abdominale et circonflexe iliaque superficielle, d'où partent les vaisseaux à destination cutanée afin d'éviter une nécrose (Figure 4). Néanmoins, si le curage est techniquement difficile, leur ligature peut s'avérer nécessaire. L'apex du triangle fémoral est facilement repéré. Les canaux lymphatiques présents au niveau de l'apex doivent être soigneusement ligaturés en dedans du plan de la grande veine saphène. L'ouverture de l'aponévrose du muscle sartorius en dehors et de l'aponévrose du muscle moyen adducteur en dedans permet de bien délimiter cette zone et de ne pas oublier un vaisseau lymphatique. L'ensemble du tissu cellulo-graisseux est enlevé, permettant de vérifier soigneusement l'hémostase et la lymphostase. La fermeture doit répondre a 2 objectifs: 1. éliminer les espaces morts créés par la lymphadénectomie. S’y associe : 2. la transposition du muscle sartorius: l'origine du muscle, disséquée lors de la lymphadénectomie, est sectionnée. La vascularisation de ce muscle est préservée, assurée par des branches de l'artère quadricipitale qui abordent le muscle par sa face postérieure, 8 à 10 cm sous son origine. Le muscle doit être suffisamment En dehors de l'artère, le nerf fémoral doit être protégé. La dissection se poursuit en dehors vers l'épine iliaque 668 indispensables. Ils nécessitent : - le maintien du décubitus dorsal strict et l'absence de flexion prolongée de la cuisse pendant 5 jours; - la recherche et l'évacuation systématique de petites collections hématiques et/ou lymphatiques; - la reprise progressive de l'orthostatisme à partir du 6ème jour postopératoire, en proscrivant la station assise pendant 15 jours; - la poursuite du traitement anticoagulant pendant 10 jours; - le maintien impératif des bas de contention pendant les 3 premiers mois. Lymphadénectomie CATALONA [9] Figure 6. Fermeture - Transposition du muscle sartorius. i nguinale modi fiée par CATALONA a proposé en 1988 de réaliser une lymphadénectomie inguinale limitée aux ganglions inguinaux superficiels et profonds situés au dessus et en dedans de la jonction entre la grande veine saphène et la veine fémorale (Figure 2) [9]. L’incision cutanée est également horizontale. Les limites sont: le muscle oblique externe en haut, le bord externe de l’artère fémorale en dehors, la crosse de la grande veine saphène et la partie inférieure de la fossette ovale en bas, et en dedans le muscle moyen adducteur (Figure 2). La dissection est débutée vers le haut sous le fascia superficialis, permettant d’isoler le groupe supérointerne des ganglions inguinaux superficiels, et de prendre contact avec le ligament inguinal et le muscle oblique externe au dessus du cordon spermatique. disséqué pour que la transposition puisse se faire sans tension. Il est suturé au ligament inguinal par des points séparés de fil non résorbable (Figure 6). Vers le bas, la grande veine saphène est repérée, disséquée, et seules les veines qui y convergent sont ligaturées. La grande veine saphène est respectée et conservée afin d'assurer un meilleur retour veineux. Par contre, la jonction saphéno-fémorale doit être soigneusement disséquée afin d’enlever tous les ganglions du groupe médian des ganglions inguinaux superficiels. Latéralement, la lymphadénectomie va en dedans jusqu’au muscle moyen adducteur, par contre en dehors elle ne dépasse pas le bord externe de l’artère fémorale. - l'utilisation d'un film de colle biologique permettant d'appliquer le tissu cutané sur le plan musculaire (Figure 7) et évitant le drainage aspiratif, source de lymphorrhée [5]. Au niveau des chaînes inguinales profondes, seuls les ganglions présents sur la face antérieure et latéro-interne de la veine fémorale sont retirés, la dissection remontant jusqu’au ligament inguinal. - assurer une suture cutanée sans tension. Lors de la fermeture, il n’est pas nécessaire de réaliser de transposition musculaire. Les auteurs mettent en place un drain aspiratif dans l’espace de décollement avec réalisation de compression périodique pour faciliter l’évacuation de collections liquidiennes. Ce drainage est maintenu environ une semaine. Mais ce drainage peut être remplacé par l’application de tissu colle comme précédemment décrit. Figure 7. Fermeture - Modification proposée avec vaporisation d’un film de colle de fibrine entre le plan musculaire (muscle sartorius) et le tissu cellulaire sous-cutané. Le pansement est sec et non compressif. En post-opératoire : La technique chirurgicale seule est insuffisante pour prévenir ces complications précoces. La qualité des soins post-opératoires et la coopération du patient sont 669 Biopsie du ganglion sentinelle CABANAS a proposé la réalisation systématique, chez tous patients porteurs d'un épithélioma spino-cellulaire du pénis sans adénopathie palpable (N0), d’une biopsie chirurgicale du groupe supéro-interne des ganglions inguinaux superficiels [7, 8]. Pour cet auteur, il s'agit du premier site de drainage. Dans son expérience, la négativité de cette biopsie équivaut à l'absence de métastase inguinale et dans les autres sites de drainage. Une incision de 5 cm est réalisée 2 travers de doigt sous le pli de l’aine [8]. Cette incision est globalement au niveau de la jonction saphéno-fémorale. Passé le fascia superficialis, le doigt est introduit en haut et en dedans. Le ganglion sentinelle du groupe supéro-interne des ganglions inguinaux superficiels est proche de la veine épigastrique superficielle. plusieurs ganglions peuvent être enlevés mais le ganglion sentinelle est toujours le plus gros et le plus médian. INDICATIONS DE LA LYMPHADENECTOMIE INGUINALE DANS LE CANCER DU PENIS La place de la lymphadénectomie inguinale est fonction du stade clinique de la tumeur primitive et du statuts ganglionnaire. Deux classifications sont utilisées dans la littérature internationale: la classification de JACKSON [17], et la classi fication de l’Union Internationale contre le cancer avec le système TNM [30] (Tableau 3]. Cette dernière classification permet de donner plus de précision sur la différentiation tumorale, le statuts ganglionnaire et l'extension à distance. Au niveau ganglionnaire, l’évaluation clinique est difficile, souvent prise en défaut: - 50% des patients présentant dès le premier examen des adénopathies inguinales palpables, sont dépourvus de tout envahissement métastatique [3, 4, 10]. La présence de ces adénopathies est liée à la surinfection fréquente de la tumeur primitive. Il est indispensable, après traitement de la tumeur primitive, de mettre en place une antibiothérapie à large spectre pendant 4 à 6 semaines, puis de réévaluer les aires ganglionnaires. La persistance d'une ou plusieurs adénopathies inguinales palpables doit faire craindre la présence de métastases ganglionnaires. - 20% des patients sans adénopathie inguinale palpable présente un envahissement ganglionnaire infra-clinique [3,10, 31]. Ces micrométastases ne sont pas détectables par les examens radiographiques standards comme la lymphographie bi-pédieuse, la tomodensitométrie ou l'imagerie par résonance magnétique. Trois situations cliniques peuvent se présenter : Patients présentant des adénopathi es inguinales fixées (stade TNM N3 ou Jackson IV) Les adénopathies sont découvertes simultanément à la tumeur primitive. Il est souhaitable de mettre en route une antibiothérapie sur 4 à 6 semaines après traitement de la tumeur primitive, puis de réévaluer les aires inguinales. En cas de persistance d’adénopathies inguinales fixées, il s’agit de métastases ganglionnaires, et un bilan d’extension s’impose comprenant au minimum un examen tomodensitométrique thoraco-abdomino-pelvien, une échographie hépatique. La scintigraphie osseuse n’est réalisée qu’en cas d’anomalie du bilan phospho-calcique et/ou d’une élévation des phosphatases alcalines. La lymphadénectomie inguinale ne présente pas d'indication de première intention, mais peut être utile, chez des patients jeunes à espérance de vie assez longue, en cas de réponse à une chimiothérapie. Patients présentant une ou plusieurs adénopathies inguinales mobiles (stade TNM N1-2 ou Jackson III) Trente-cinq à 55% des patients avec un épithélioma spino-cellulaire du pénis présentent des adénopathies inguinales palpables mobile dès le 1° examen. Environ 50% de ces adénopathies vont régresser sous antibiothérapie mise en place après traitement de la lésion primitive. En cas de persistance d'une ou plusieurs adénopathies inguinales, et après réalisation d'un examen tomodensitométrique abdomino-pelvien pour exclure la présence de métastases iliaques, la lymphadénectomie inguinale superficielle et profonde est recommandée par la plupart des auteurs. La survie sans récidive à 5 ans des patients N1-2 pathologiques traités par lymphadénectomie inguinale, est comprise entre 15 à 65% selon les études [3, 4, 10, 12, 15, 18, 21, 23, 27, 33]. Cette variabilité est liée au stade de la tumeur primitive et aux nombres de métastases ganglionnaires présentes au moment de la lymphadénectomie. Les meilleurs résultats sur la survie sans récidive à 5 ans ont été observés pour des tumeurs < pT2 avec une adénopathie métastatique unilatérale N1 sans franchissement capsulaire [23]. En l’absence de traitement chirurgical, le décès survient en 2 à 3 ans. Il n'y a pas de place, chez les patients N1-2 pour la radiothérapie de première intention [14]. Par contre, celle-ci est envisageable, après la lymphadénectomie, en cas de métastases ganglionnaires avec un dépassement capsulaire [14]. Faut-il réaliser une lymphadénectomie inguinale bilatérale en cas de N1-2 unilatéraux? Le drainage lymphatique d'un épithélioma spino-cellulaire du pénis s'effectue de manière bilatérale, et 20 à 25% des patients initialement N1 ont, en fait, des métastases bilatérales [4, 18, 33]. Une lymphadénectomie inguinale bilatérale est recommandée. Chez les patients développant une adénopathie inguinale unilatérale à distance du traitement de la tumeur primitive, une lymphadé670 Tableau 3. Classifications courantes pour l’épithélioma spino-cellulaire du pénis. Classification de Jackson 1996 [17]. Classification TNM 1992 de l’UICC [30]. Classification de Jackson (1966) [17]. Stade Description I Tumeur limitée au gland ou au prépuce. II Envahissement du corps pénien sans adénopathie ni métastase à distance. III Tumeur limitée au pénis : métastases ganglionnaires inguinales mobiles opérables. IV Tumeur envahissant les structures voisines; métastases ganglionnaires inopérables et/ou métastases à distance. Classification TNM 1992 pour le Cancer du pénis [30] Stade Description Tumeur Tx Tumeur primitive ne peut être évaluée. T0 Pas de tumeur primitive. Tis Carcinome in situ (maladie de Bowen, Erythroplasie de Queyrat). T1 Tumeur envahissant le tissu conjonctif sous-épithélial. T2 Tumeur envahissant le corps spongieux ou caverneux. T3 Tumeur envahissant l’urèthre ou la prostate. T4 Tumeur envahissant d’autres structures adjacentes. Ganglion N Nx Les relais lymphatiques régionaux ne peuvent être évalués. N0 Absence de métastases ganglionnaires régionales. N1 Métastase dans un seul ganglion inguinal superficiel. N2 Métastases multiples ou bilatérales dans les ganglions inguinaux superficiels. N3 Métastases dans les ganglions profonds ou iliaques, uni ou bilatéralement. Métastase M0 Absence de métastase à distance. M1 Présence de métastases PUL Poumon OSS Os HEP Foie LYM Lymphatique PER Péritoine SKI Peau OTH Autres nectomie inguinale unilatérale semble plus raisonnable à condition que le site controlatéral puisse être correctement surveillé. Faut-il réaliser une lymphadénectomie iliaque? Un envahissement métastatique iliaque a été rapporté chez 30% des patients présentant une métastase inguinale [28]. Le bénéfice sur la survie d'une dissection ganglionnaire iliaque externe n'a pas été évalué [26], mais des survies à long terme ont été rapportées en cas d'envahissement limité aux ganglions iliaques externes [10, 26]. Patients sans adénopathie cliniquement palpable (stade TNM N0, Jackson I-II) L'évaluation clinique des aires inguinales est souvent prise en défaut, et environ 20% des patients N0 clinique présentent des métastases infra-cliniques. La réalisation de cytoponction-aspiration sous lymphographie [13, 31], ou bien de la biopsie du ganglion sentinelle proposée par CABANAS [9-10] n'ont pas permis d'améliorer cette évaluation. Plusieurs études ont rapporté des cas de faux négatifs de la biopsie du ganglion sentinelle [6, 24, 25, 32]. Cette biopsie ne présente un intérêt qu'en cas de positivité, sa négativité ne permet 671 Tableau 4. Relation entre le stade pathologique de la tumeur primitive et le stade ganglionnaire (N) clinique et pathologique d’après Mc Douglas [20]. Stade N clinique Stade pN pathologique Tumeur superficielle sans infiltration des corps caverneux (Tis, T1, T2a) ou bien différenciée. N0 N1-2 0/16 (0) 1/8 (12%) Tumeur infiltrant les corps caverneux (≥ pT2b) ou peu différenciée N0 N1-2 21/27 (78%) 22/25 (88%) pas exclure la possibilité de métastases infra-cliniques synchrones dans d'autres aires de drainage lymphatique. Il existe donc une place pour la lymphadénectomie inguinale diagnostique et thérapeutique. Mais, les indications seront fonction de l’âge, du terrain, de l'espérance de vie du patient, et surtout du stade de la tumeur primitive. nombre de ganglions métastatiques retrouvés: 1,2 en cas de lymphadénectomie positive d'emblée versus 4 ganglions envahis en cas de lymphadénectomie différée. FRALEY [13] a rapporté une survie à 5 ans de 75 à 100% chez les patients traités par amputation du pénis et lymphadénectomie ilioinguinale immédiate, comparée à une survie à 5 ans de 8% chez les patients où la lymphadénectomie avait été réalisée au moment de l'apparition de la métastase inguinale. Ainsi, en cas de tumeurs infiltrantes sans adénopathie palpable, la réalisation d’une lymphadénectomie inguinale bilatérale apparaît nécessaire. La morbidité de cette chirurgie peut être encore diminuée par la réalisation d’une lymphadénectomie inguinale modifiée proposée par CATALONA [9]. Elle expose néanmoins un petit risque de récidives métastatiques comme l'a rapporté L OPES [19]. Tumeurs superficielles (stade TNM Tis, T1 et T2 non infiltrantes ou Jackson I) Vingt à 30% des patients présentent d'emblée des adénopathies inguinales bilatérales, mais celles-ci régressent sous antibiothérapie. Le risque, pour ce type de tumeurs, d'a voir une adénopathie métastatique infraclinique d'emblée ou de développer une métastase inguinale au cours de la surveillance est faible, allant de 5% [10] à 14% [15] dans la littérature. M CDOUGAL a rapporté une survie sans récidive de 100% chez des patients traités localement sans lymphadénectomie avec un recul minimum de 5 ans [20]. Une surveillance clinique des aires inguinales apparaît donc raisonnable, imposant une coopération active du patient auquel le clinicien enseigne l'autopalpation. Pour certains auteurs, cette attitude doit être nuancée selon le grade cytologique de la tumeur primitive [13, 15-16, 20, 23]. L’apparition d’une métastase ganglionnaire inguinale a été observée, le plus souvent, dans les tumeurs superficielles de grade 3. Tumeurs infiltrantes (stade TNM T2 infiltrante, T3-4, Jackson II) Le risque d’avoir une métastase ganglionnaire est élevé, 66% des cas pour M CDOUGAL [20]. Une adénopathie clinique palpable a été une métastase dans 88% des cas, et 78% des patients N0 clinique avaient une métastase infra-clinique (Tableau 4). JOHNSON et coll. [18] avaient montré, chez les patients N0 clinique, le bénéfice d'une lymphadénectomie systématique sur la survie sans progression comparée à la lymphadénectomie différée lors de l'apparition d'une métastase ganglionnaire inguinale. Il était fonction du REFERENCES 1. BI-AAD A.S., DEKERNION J.B. Controversies in ilioinguinal lymphadenectomy for cancer of the peni s. Urol. Cl. N. Am., 1992, 19, 319-324. 2. BARONOFSKY I.D. Technique of inguinal node dissection. Surgery, 1948, 24, 555-559. 3. BEGGS J.H., SPRATT J.S. 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However, as it is difficult to evaluate clini cally and by means of complementary investigations, inguinal or even ilioinguinal lymph node dissection is still indicated. As this surgery carries a certain morbidity (necrosis of skin edges, infection, lymphorrhoea and subsequent lymphoedema), the indications are presented according to the presence or absence of palpable inguinal lymph nodes and the stage of the primary tumour. Various surgical techniques are proposed: Superficial and deep inguinal lymph node dissection in the case of mobile and pal pable inguinal nodes, simplified and superficial inguinal lymph node dissection in the absence of palpable inguinal nodes and in the case of invasive primary tumour. Key-words : Penis, cancer, lymph nodes, lymphadenectomy. ____________________ 21. MERRIN C.E. Cancer of penis. Cancer, 1980, 45, 1973-1979. 22. NARAYAMA A.S., OLNEY L.E., LOENING S.A., WERNAR G.W., CULP D.A. Carcinoma of penis : analysis of 219 cases. 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