Lymphadénectomie inguinale dans le cancer du pénis : techniques

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◆ TECHNIQUE CHIRURGICALE
Progrès en Urologie (1997), 7, 665-673
Lymphadénectomie inguinale dans le cancer du pénis :
techniques chirurgicales et indications
Olivier BOUCHOT, Patrice BOULLANGER, Jean-Marie BUZELIN
Clinique Urologique, CHU Nantes, France
RESUME
L’envahissement ganglionnaire est un des facteurs
pronostiques majeurs du cancer du pénis. Son évaluation clinique et paraclinique étant difficile, la
lymphadénectomie inguinale, voire ilio-inguinale,
garde des indications. Cette chirurgie présentant
une morbidité certaine (nécrose des berges cutanées,
infection, lymphorrhée et lymphœdème d'apparition plus tardive), les indications sont présentées en
fonction de l’existence ou non d’adénopathies inguinales palpables et du stade de la tumeur primitive.
Différentes techniques chirurgicales sont proposées:
lymphadénectomie inguinale superficielle et profonde en cas d’adénopathies inguinales palpables et
mobiles, lymphadénectomie inguinale simplifiée et
superficielle en l’absence d’adénopathie inguinale
palpable et en cas de tumeur primitive infiltrante.
Mots clés : Pénis, cancer, ganglions, lymphadénectomie.
Progrès en Urologie (1997), 7, 665-673.
Figure 1. Voies d’abord proposées pour une lymphadénecto mie inguinale ou ilio-inguinale.
L'épithélioma spino-cellulaire, ou carcinome épidermoïde, est une lésion rare en oncologie urologique.
Cette tumeur se développe à partir d'un épithélium
malpighien , et se caractérise par son potentiel d’extension rapide essentiellement par voie lymphatique.
Chez l’homme, cette tumeur se développe au niveau:
[1] du pénis avec une incidence en Europe de 0,6 à 1
pour 100.000 patients, [2] de l'urètre, dont seulement
1200 cas ont été rapportés dans la littérature, nombre
certainement sous-estimé, dont 50 à 75% sont localisées au niveau de l'urètre bulbaire [1]. Chez la femme,
elle peut être retrouvée au niveau des deux tiers distaux de l'urètre et au niveau de la vulve.
L'épithélioma spino-cellul aire du pénis, out re l'envahissement de cont iguïté, va se propager par voi e vasculaire et surtout par voie lymphatique vers l es ganglions inguinaux. Ce drainage préférentiel, init ialement décrit par R OUVIÈRE en 1938, a ét é confirmé
par lymphographie pénienne [7]. Le t raitement de
cette tumeur dépend pour une large part de l a présence ou non de métast ases ganglionnaires. Leur
diagnostic clinique est difficile du fait de l’existence
d’envahissement infra-clinique, d’adénites liées à la
suri nfect ion de la tumeur primi tive, et de l’obésité
fréquente des pat ients. Les examens paracliniques
classi ques (l ymphographie pédieuse, tomosensit ométrie, imagerie par résonance magnétique) ne sont
d’aucune aide pour cette évaluati on, du fait d’une
sensibilité et d’une spécifi ci té très faibles. Ces insuffisances font qu’il existe une place pour la lymphadénectomie inguinale dans les tumeurs du pénis, ce
d’autant que ce geste a une valeur thérapeutique. Les
controverses sur la place de la lymphadénectomie
inguinale sont nombreuses, li ées à la morbi dité de
cette chirurgi e.
Les publications récentes ont permis de définir plus
précisément la place des techniques de lymphadénectomie inguinale, d’en diminuer la morbidité.
Manuscrit reçu : janvier 1997, accepté : juin 1997.
Adresse pour correspondance : Pr. O. Bouchot, Clinique Urologique, CHU HôtelDieu, BP 1005, 44035 Nantes.
665
Tableau 1. Comparaison entre 3 types d’incision concernant le nombre de ganglions enlevés, la durée d’hospitalisation et le temps
opératoire d’après Ornellas [23].
Nombre de
patients
Incision
Nombre
d’incisions
Nombre de ganglions
prélevés
Hospitalisation
(jours)
Temps
opératoire
21
Bi-iliac
21
25
54
4 h 30
29
S-shaped
ilioinguinal (AA)
58
23
50
5 h 00
18
S-shaped
inguinal
36
21
36
4 h 30
14
Gibson
ilioinguinal (DD-D’D’)
28
37
23
6 h 30
30
Gibson
inguinal (D’D’)
57
24
16
4 h 50
Tableau 2. Morbidité de la lymphadénectomie ilio-inguinale ou inguinale en fonction de la voie d’abord utilisée [23, 27].
Auteurs
Nombre de
patients
Incision
cutanée
Nombre
d’incisions
Nécrose
cutanée %
Infection
%
Lymphorrhée
%
Lymphoedème
%
21
47
44
Bi-iliac
S-shaped (AA)
Gibson (D’D’)
21
94
85
82%
72%
5%
15%
0
4%
9%
9%
32%
16%
Verticale (EE)
57
Gibson (D’D’)
38
T-shaped (CCC’)
136
Verticale (EE)
48
S-shaped (AA)
44
Skin-bridge (DD-D’D’) 44
T-shaped (CCC’)
8
18%
18%
19%
10%
16%
16%
75%
40%
42%
74%
69%
82%
80%
100%
5%
5%
5%
12%
9%
8%
25%
21%
24%
27%
21%
30%
34%
62%
Ornellas [23]
Ravi [27]
Inguinale seule
Ilioinguinale
TECHNIQUES CHIRURGICALES
La réalisation d'une lymphadénectomie inguinale dans
le cadre d'un épithélioma spino-cellulaire du pénis a
pour objectif l'ablation des relais lymphatiques inguinaux susceptibles d’être envahis. Si l'on se place dans
une stratégie de traitement curatif en cas d’adénopathie(s) palpable(s), cette lymphadénectomie inguinale
peut être superficielle et profonde, bilatérale et précédée
d'un curage ganglionnaire iliaque externe [1]. En l’absence d’adénopathie palpable, la lymphadénectomie
peut être limitée aux ganglions inguinaux superficiels.
La lymphadénectomie inguinale reste une chirurgie
difficile car :
- de pratique peu courante;
Préparation et installation du patient
La veille de l'intervention :
- mise en route d'un traitement anticoagulant et d'une
antibiothérapie non spécifique
- après tonte et désinfection cutanée large, mettre en
place des bas de contention parfaitement adaptés aux
mensurations des membres inférieurs du patient.
Installation
Le patient est installé en décubitus dorsal, avec légère
abduction et rotation externe de la cuisse pour exposer
le triangle fémoral.
- minutieuse dès sa voie d'abord (Figure 1) (Tableau 1)
Lymphadénectomie inguinale superficielle et profonde par voie horizontale (Gibson)
- l'a pparition d'une complication précoce en postopératoire (nécrose cutanée, infection, lymphorrhée, lymphocèle)
augmente la durée d'hospitalisation et d'invalidité. Il
importe de ne pas négliger le lymphœdème du membre
inférieur, complication tardive, invalidante et compromettant la réintégration sociale du patient (Tableau 2).
Les limites anatomiques de cette chirurgie sont: en avant
le fascia superficialis, en haut le ligament inguinal, en
dehors le bord antéro-interne du muscle Sartorius, en
dedans le bord antéro-externe du muscle moyen adducteur, en bas l'apex du triangle fémoral, et en arrière le
plan antérieur du pédicule fémoral (Figure 2).
666
à ce niveau, et du tissu adipeux sous-cutané, était horizontale [2]. Ainsi s'expliquent les pourcentages élevés
de nécrose des berges cutanées observées en cas d'incision verticale qui interrompt cette vascularisation.
La peau fine avec un mince pannicule adipeux ne doit
pas être traumatisée, l'exposition se faisant à l'aide de
fils tracteurs passés au niveau du fascia superficialis.
Le décollement, sous le fascia superficialis, permet
d'exposer la grande veine saphène (Figure 3). Outre
cette veine qui traverse l’aponévrose sous le ligament
inguinal pour s’aboucher dans la veine fémorale, le
tissu cellulaire sous-cutané contient :
- quatre artères, issues de l’artère fémorale: la souscutanée abdominale en haut et en dedans, la circonflexe iliaque superficielle en haut et en dehors, les honteuses externes supérieure et inférieure transversales en
dedans;
- les nerfs superficiels du triangle fémoral;
Figure 2. Comparaison des limites anatomiques d’une lym phadénectomie inguinale classique (ligne pointillée) et de la
lymphadénectomie modifiée par Catalona (traits) [9].
- les ganglions lymphatiques inguinaux superficiels,
dont le nombre varie de quatre à vingt, groupés en un
amas triangulaire, inscrit dans le triangle fémoral
(Figure 4). Deux lignes, l'une verticale, l'autre horizontale se croisant à l'embouchure de la grande veine
saphène, les divisent en quatre groupes: supéro-interne,
supéro-externe, inféro-interne, inféro-externe. Les ganglions des groupes supérieurs ont, en général, leur
grand axe parallèle au ligament inguinal; les ganglions
des groupes inférieurs sont, au contraire, allongés de
haut en bas. Les ganglions des groupes supérieurs
reçoivent les lymphatiques de la paroi abdominale, de
la fesse, du périnée, de l'anus, du scrotum, et du pénis
chez l'homme. Les ganglions des groupes inférieurs
reçoivent les lymphatiques du membre inférieur. Des
ganglions superficiels partent des vaisseaux efférents
qui vont aux ganglions inguinaux profonds et aux ganglions iliaques externes.
Dans un premier temps, il est plus facile de délimiter la
lymphadénectomie: en dehors, incision de l’aponévrose du muscle sartorius sur son bord antéro-interne; en
dedans, incision de l’aponévrose du muscle moyen
adducteur sur son bord antéro-externe; en haut, exposition du ligament inguinal.
Figure 3. Exposition du plan superficiel de la lymphadénecto mie inguinale.
La lymphadénectomie inguinale est réalisée par une
incision cutanée horizontale, parallèle au pli inguinal, 3
cm en dessous. En cas de lymphadénectomie iliaque
associée, la technique du "skin-bridge" de FRALEY et
HUTCHENS [11] est préférable. Ce type d'incision augmente la durée opératoire mais permet de diminuer le
nombre de nécrose cutanée. En effet, BARONOFSKY, en
1948, a montré que la vascularisation de la peau, mince
La lymphadénectomie est commencée en haut et en
dedans au niveau du ligament inguinal. Le tissu cellulo-graisseux est disséqué prudemment sous ce ligament
jusqu'au plan postérieur formé à ce niveau par la veine
fémorale. Au bord interne de la veine fémorale, deux à
trois ganglions profonds sont présents. L'un d'eux, le
ganglion de Cloquet, est situé à l'anneau fémoral, entre
la veine fémorale et le bord externe du ligament de
Gimbernat. Ils reçoivent une partie des vaisseaux efférents des ganglions inguinaux superficiels et des troncs
collecteurs lymphatiques profonds du membre inférieur,
montent en avant et sur les côtés des vaisseaux fémoraux.
667
Figure 4. Anatomie du tissu cellulaire sous-cutané de la région inguinale d’après Sobotta [29].
permettant de découvrir l'origine de muscle sartorius et
de compléter, si nécessaire, la limite externe du curage.
La totalité du tissu cellulo-graisseux est mise en traction, la dissection vers l'apex se faisant en suivant le
plan postérieur formé par le pédicule fémoral.
L'exérèse s'effectue sur l'adventice des vaisseaux, mais
il n'est pas nécessaire de les disséquer, aucun élément
ganglionnaire ne se trouvant à leur face postérieure. La
grande veine saphène est ligaturée puis sectionnée au
niveau de sa terminaison.
Figure 5. Distribution des branches artérielles provenant de
l’artère fémorale au niveau du creux inguinal.
Les canaux lymphatiques doivent être ligaturés et non
coagulés, l'efficacité de l'électrocoagulation sur les
vaisseaux lymphatiques n'excédant pas 10 jours. En
dehors de la veine, le plan postérieur est formé de l'artère fémorale. Les branches de l'artère sont immédiatement rencontrées. Il est préférable de conserver les
artères supérieures, sous-cutanée abdominale et circonflexe iliaque superficielle, d'où partent les vaisseaux à destination cutanée afin d'éviter une nécrose
(Figure 4). Néanmoins, si le curage est techniquement
difficile, leur ligature peut s'avérer nécessaire.
L'apex du triangle fémoral est facilement repéré. Les
canaux lymphatiques présents au niveau de l'apex doivent être soigneusement ligaturés en dedans du plan de
la grande veine saphène. L'ouverture de l'aponévrose
du muscle sartorius en dehors et de l'aponévrose du
muscle moyen adducteur en dedans permet de bien
délimiter cette zone et de ne pas oublier un vaisseau
lymphatique. L'ensemble du tissu cellulo-graisseux est
enlevé, permettant de vérifier soigneusement l'hémostase et la lymphostase.
La fermeture doit répondre a 2 objectifs:
1. éliminer les espaces morts créés par la lymphadénectomie. S’y associe :
2. la transposition du muscle sartorius: l'origine du
muscle, disséquée lors de la lymphadénectomie, est
sectionnée. La vascularisation de ce muscle est préservée, assurée par des branches de l'artère quadricipitale
qui abordent le muscle par sa face postérieure, 8 à 10
cm sous son origine. Le muscle doit être suffisamment
En dehors de l'artère, le nerf fémoral doit être protégé.
La dissection se poursuit en dehors vers l'épine iliaque
668
indispensables. Ils nécessitent :
- le maintien du décubitus dorsal strict et l'absence de
flexion prolongée de la cuisse pendant 5 jours;
- la recherche et l'évacuation systématique de petites
collections hématiques et/ou lymphatiques;
- la reprise progressive de l'orthostatisme à partir du
6ème jour postopératoire, en proscrivant la station assise pendant 15 jours;
- la poursuite du traitement anticoagulant pendant 10
jours;
- le maintien impératif des bas de contention pendant
les 3 premiers mois.
Lymphadénectomie
CATALONA [9]
Figure 6. Fermeture - Transposition du muscle sartorius.
i nguinale
modi fiée
par
CATALONA a proposé en 1988 de réaliser une lymphadénectomie inguinale limitée aux ganglions inguinaux
superficiels et profonds situés au dessus et en dedans
de la jonction entre la grande veine saphène et la veine
fémorale (Figure 2) [9].
L’incision cutanée est également horizontale. Les
limites sont: le muscle oblique externe en haut, le bord
externe de l’artère fémorale en dehors, la crosse de la
grande veine saphène et la partie inférieure de la fossette ovale en bas, et en dedans le muscle moyen
adducteur (Figure 2).
La dissection est débutée vers le haut sous le fascia
superficialis, permettant d’isoler le groupe supérointerne des ganglions inguinaux superficiels, et de
prendre contact avec le ligament inguinal et le muscle
oblique externe au dessus du cordon spermatique.
disséqué pour que la transposition puisse se faire sans
tension. Il est suturé au ligament inguinal par des points
séparés de fil non résorbable (Figure 6).
Vers le bas, la grande veine saphène est repérée, disséquée, et seules les veines qui y convergent sont ligaturées. La grande veine saphène est respectée et conservée afin d'assurer un meilleur retour veineux. Par
contre, la jonction saphéno-fémorale doit être soigneusement disséquée afin d’enlever tous les ganglions du
groupe médian des ganglions inguinaux superficiels.
Latéralement, la lymphadénectomie va en dedans jusqu’au muscle moyen adducteur, par contre en dehors
elle ne dépasse pas le bord externe de l’artère fémorale.
- l'utilisation d'un film de colle biologique permettant
d'appliquer le tissu cutané sur le plan musculaire
(Figure 7) et évitant le drainage aspiratif, source de
lymphorrhée [5].
Au niveau des chaînes inguinales profondes, seuls les
ganglions présents sur la face antérieure et latéro-interne de la veine fémorale sont retirés, la dissection
remontant jusqu’au ligament inguinal.
- assurer une suture cutanée sans tension.
Lors de la fermeture, il n’est pas nécessaire de réaliser
de transposition musculaire. Les auteurs mettent en
place un drain aspiratif dans l’espace de décollement
avec réalisation de compression périodique pour faciliter l’évacuation de collections liquidiennes. Ce drainage est maintenu environ une semaine. Mais ce drainage peut être remplacé par l’application de tissu colle
comme précédemment décrit.
Figure 7. Fermeture - Modification proposée avec vaporisation
d’un film de colle de fibrine entre le plan musculaire (muscle
sartorius) et le tissu cellulaire sous-cutané.
Le pansement est sec et non compressif.
En post-opératoire :
La technique chirurgicale seule est insuffisante pour
prévenir ces complications précoces. La qualité des
soins post-opératoires et la coopération du patient sont
669
Biopsie du ganglion sentinelle
CABANAS a proposé la réalisation systématique, chez
tous patients porteurs d'un épithélioma spino-cellulaire
du pénis sans adénopathie palpable (N0), d’une biopsie
chirurgicale du groupe supéro-interne des ganglions
inguinaux superficiels [7, 8]. Pour cet auteur, il s'agit du
premier site de drainage. Dans son expérience, la négativité de cette biopsie équivaut à l'absence de métastase
inguinale et dans les autres sites de drainage.
Une incision de 5 cm est réalisée 2 travers de doigt sous
le pli de l’aine [8]. Cette incision est globalement au
niveau de la jonction saphéno-fémorale. Passé le fascia
superficialis, le doigt est introduit en haut et en dedans.
Le ganglion sentinelle du groupe supéro-interne des
ganglions inguinaux superficiels est proche de la veine
épigastrique superficielle. plusieurs ganglions peuvent
être enlevés mais le ganglion sentinelle est toujours le
plus gros et le plus médian.
INDICATIONS DE LA LYMPHADENECTOMIE
INGUINALE DANS LE CANCER DU PENIS
La place de la lymphadénectomie inguinale est fonction du stade clinique de la tumeur primitive et du statuts ganglionnaire. Deux classifications sont utilisées
dans la littérature internationale: la classification de
JACKSON [17], et la classi fication de l’Union
Internationale contre le cancer avec le système TNM
[30] (Tableau 3]. Cette dernière classification permet
de donner plus de précision sur la différentiation tumorale, le statuts ganglionnaire et l'extension à distance.
Au niveau ganglionnaire, l’évaluation clinique est difficile, souvent prise en défaut:
- 50% des patients présentant dès le premier examen des
adénopathies inguinales palpables, sont dépourvus de
tout envahissement métastatique [3, 4, 10]. La présence
de ces adénopathies est liée à la surinfection fréquente de
la tumeur primitive. Il est indispensable, après traitement
de la tumeur primitive, de mettre en place une antibiothérapie à large spectre pendant 4 à 6 semaines, puis de
réévaluer les aires ganglionnaires. La persistance d'une
ou plusieurs adénopathies inguinales palpables doit faire
craindre la présence de métastases ganglionnaires.
- 20% des patients sans adénopathie inguinale palpable
présente un envahissement ganglionnaire infra-clinique
[3,10, 31]. Ces micrométastases ne sont pas détectables
par les examens radiographiques standards comme la
lymphographie bi-pédieuse, la tomodensitométrie ou
l'imagerie par résonance magnétique.
Trois situations cliniques peuvent se présenter :
Patients présentant des adénopathi es inguinales
fixées (stade TNM N3 ou Jackson IV)
Les adénopathies sont découvertes simultanément à la
tumeur primitive. Il est souhaitable de mettre en route
une antibiothérapie sur 4 à 6 semaines après traitement
de la tumeur primitive, puis de réévaluer les aires
inguinales. En cas de persistance d’adénopathies inguinales fixées, il s’agit de métastases ganglionnaires, et
un bilan d’extension s’impose comprenant au minimum un examen tomodensitométrique thoraco-abdomino-pelvien, une échographie hépatique. La scintigraphie osseuse n’est réalisée qu’en cas d’anomalie du
bilan phospho-calcique et/ou d’une élévation des phosphatases alcalines.
La lymphadénectomie inguinale ne présente pas d'indication de première intention, mais peut être utile, chez
des patients jeunes à espérance de vie assez longue, en
cas de réponse à une chimiothérapie.
Patients présentant une ou plusieurs adénopathies
inguinales mobiles (stade TNM N1-2 ou Jackson III)
Trente-cinq à 55% des patients avec un épithélioma
spino-cellulaire du pénis présentent des adénopathies
inguinales palpables mobile dès le 1° examen. Environ
50% de ces adénopathies vont régresser sous antibiothérapie mise en place après traitement de la lésion primitive.
En cas de persistance d'une ou plusieurs adénopathies
inguinales, et après réalisation d'un examen tomodensitométrique abdomino-pelvien pour exclure la présence
de métastases iliaques, la lymphadénectomie inguinale
superficielle et profonde est recommandée par la plupart des auteurs. La survie sans récidive à 5 ans des
patients N1-2 pathologiques traités par lymphadénectomie inguinale, est comprise entre 15 à 65% selon les
études [3, 4, 10, 12, 15, 18, 21, 23, 27, 33]. Cette variabilité est liée au stade de la tumeur primitive et aux
nombres de métastases ganglionnaires présentes au
moment de la lymphadénectomie. Les meilleurs résultats sur la survie sans récidive à 5 ans ont été observés
pour des tumeurs < pT2 avec une adénopathie métastatique unilatérale N1 sans franchissement capsulaire
[23]. En l’absence de traitement chirurgical, le décès
survient en 2 à 3 ans.
Il n'y a pas de place, chez les patients N1-2 pour la
radiothérapie de première intention [14]. Par contre,
celle-ci est envisageable, après la lymphadénectomie,
en cas de métastases ganglionnaires avec un dépassement capsulaire [14].
Faut-il réaliser une lymphadénectomie inguinale bilatérale en cas de N1-2 unilatéraux? Le drainage lymphatique d'un épithélioma spino-cellulaire du pénis
s'effectue de manière bilatérale, et 20 à 25% des
patients initialement N1 ont, en fait, des métastases
bilatérales [4, 18, 33]. Une lymphadénectomie inguinale bilatérale est recommandée. Chez les patients développant une adénopathie inguinale unilatérale à distance du traitement de la tumeur primitive, une lymphadé670
Tableau 3. Classifications courantes pour l’épithélioma spino-cellulaire du pénis. Classification de Jackson 1996 [17].
Classification TNM 1992 de l’UICC [30].
Classification de Jackson (1966) [17].
Stade
Description
I
Tumeur limitée au gland ou au prépuce.
II
Envahissement du corps pénien sans adénopathie ni métastase à distance.
III
Tumeur limitée au pénis : métastases ganglionnaires inguinales mobiles opérables.
IV
Tumeur envahissant les structures voisines; métastases ganglionnaires inopérables et/ou métastases à distance.
Classification TNM 1992 pour le Cancer du pénis [30]
Stade
Description
Tumeur
Tx
Tumeur primitive ne peut être évaluée.
T0
Pas de tumeur primitive.
Tis
Carcinome in situ (maladie de Bowen, Erythroplasie de Queyrat).
T1
Tumeur envahissant le tissu conjonctif sous-épithélial.
T2
Tumeur envahissant le corps spongieux ou caverneux.
T3
Tumeur envahissant l’urèthre ou la prostate.
T4
Tumeur envahissant d’autres structures adjacentes.
Ganglion N
Nx
Les relais lymphatiques régionaux ne peuvent être évalués.
N0
Absence de métastases ganglionnaires régionales.
N1
Métastase dans un seul ganglion inguinal superficiel.
N2
Métastases multiples ou bilatérales dans les ganglions inguinaux superficiels.
N3
Métastases dans les ganglions profonds ou iliaques, uni ou bilatéralement.
Métastase
M0
Absence de métastase à distance.
M1
Présence de métastases
PUL Poumon
OSS Os
HEP Foie
LYM Lymphatique
PER Péritoine
SKI Peau
OTH Autres
nectomie inguinale unilatérale semble plus raisonnable
à condition que le site controlatéral puisse être correctement surveillé.
Faut-il réaliser une lymphadénectomie iliaque? Un
envahissement métastatique iliaque a été rapporté chez
30% des patients présentant une métastase inguinale
[28]. Le bénéfice sur la survie d'une dissection ganglionnaire iliaque externe n'a pas été évalué [26], mais
des survies à long terme ont été rapportées en cas d'envahissement limité aux ganglions iliaques externes [10,
26].
Patients sans adénopathie cliniquement palpable
(stade TNM N0, Jackson I-II)
L'évaluation clinique des aires inguinales est souvent
prise en défaut, et environ 20% des patients N0 clinique présentent des métastases infra-cliniques. La réalisation de cytoponction-aspiration sous lymphographie [13, 31], ou bien de la biopsie du ganglion sentinelle proposée par CABANAS [9-10] n'ont pas permis
d'améliorer cette évaluation. Plusieurs études ont rapporté des cas de faux négatifs de la biopsie du ganglion
sentinelle [6, 24, 25, 32]. Cette biopsie ne présente un
intérêt qu'en cas de positivité, sa négativité ne permet
671
Tableau 4. Relation entre le stade pathologique de la tumeur
primitive et le stade ganglionnaire (N) clinique et pathologique
d’après Mc Douglas [20].
Stade N
clinique
Stade pN
pathologique
Tumeur superficielle sans infiltration
des corps caverneux (Tis, T1, T2a)
ou bien différenciée.
N0
N1-2
0/16 (0)
1/8 (12%)
Tumeur infiltrant les corps caverneux
(≥ pT2b) ou peu différenciée
N0
N1-2
21/27 (78%)
22/25 (88%)
pas exclure la possibilité de métastases infra-cliniques
synchrones dans d'autres aires de drainage lymphatique.
Il existe donc une place pour la lymphadénectomie
inguinale diagnostique et thérapeutique. Mais, les indications seront fonction de l’âge, du terrain, de l'espérance de vie du patient, et surtout du stade de la tumeur
primitive.
nombre de ganglions métastatiques retrouvés: 1,2 en
cas de lymphadénectomie positive d'emblée versus 4
ganglions envahis en cas de lymphadénectomie différée.
FRALEY [13] a rapporté une survie à 5 ans de 75 à 100%
chez les patients traités par amputation du pénis et lymphadénectomie ilioinguinale immédiate, comparée à
une survie à 5 ans de 8% chez les patients où la lymphadénectomie avait été réalisée au moment de l'apparition de la métastase inguinale.
Ainsi, en cas de tumeurs infiltrantes sans adénopathie
palpable, la réalisation d’une lymphadénectomie inguinale bilatérale apparaît nécessaire. La morbidité de
cette chirurgie peut être encore diminuée par la réalisation d’une lymphadénectomie inguinale modifiée proposée par CATALONA [9]. Elle expose néanmoins un
petit risque de récidives métastatiques comme l'a rapporté L OPES [19].
Tumeurs superficielles (stade TNM Tis, T1 et T2 non
infiltrantes ou Jackson I)
Vingt à 30% des patients présentent d'emblée des adénopathies inguinales bilatérales, mais celles-ci régressent sous antibiothérapie.
Le risque, pour ce type de tumeurs, d'a voir une adénopathie métastatique infraclinique d'emblée ou de développer une métastase inguinale au cours de la surveillance
est faible, allant de 5% [10] à 14% [15] dans la littérature. M CDOUGAL a rapporté une survie sans récidive de
100% chez des patients traités localement sans lymphadénectomie avec un recul minimum de 5 ans [20].
Une surveillance clinique des aires inguinales apparaît
donc raisonnable, imposant une coopération active du
patient auquel le clinicien enseigne l'autopalpation.
Pour certains auteurs, cette attitude doit être nuancée
selon le grade cytologique de la tumeur primitive [13,
15-16, 20, 23]. L’apparition d’une métastase ganglionnaire inguinale a été observée, le plus souvent, dans les
tumeurs superficielles de grade 3.
Tumeurs infiltrantes (stade TNM T2 infiltrante, T3-4,
Jackson II)
Le risque d’avoir une métastase ganglionnaire est
élevé, 66% des cas pour M CDOUGAL [20]. Une adénopathie clinique palpable a été une métastase dans 88%
des cas, et 78% des patients N0 clinique avaient une
métastase infra-clinique (Tableau 4).
JOHNSON et coll. [18] avaient montré, chez les patients
N0 clinique, le bénéfice d'une lymphadénectomie systématique sur la survie sans progression comparée à la
lymphadénectomie différée lors de l'apparition d'une
métastase ganglionnaire inguinale. Il était fonction du
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SUMMARY
Inguinal lymphadenectomy in cancer of the penis. Surgical
techniques and indications
Lymph node invasion is one of the major prognostic factors of
cancer of the penis. However, as it is difficult to evaluate clini cally and by means of complementary investigations, inguinal or
even ilioinguinal lymph node dissection is still indicated. As this
surgery carries a certain morbidity (necrosis of skin edges,
infection, lymphorrhoea and subsequent lymphoedema), the
indications are presented according to the presence or absence
of palpable inguinal lymph nodes and the stage of the primary
tumour.
Various surgical techniques are proposed: Superficial and deep
inguinal lymph node dissection in the case of mobile and pal pable inguinal nodes, simplified and superficial inguinal lymph
node dissection in the absence of palpable inguinal nodes and in
the case of invasive primary tumour.
Key-words : Penis, cancer, lymph nodes, lymphadenectomy.
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