6. L’œuvre de Piaget a été remise en question par l’apport d’autres auteurs. Citez deux éléments de controverse qui traversent les théories piagétiennes. image: http://images.lesechos.sdv.fr/archives/2014/LesEchos/21738/ECH21738039_1.jpg 1/1 L'acquisition du langage relève-t-elle de l'acquis ou de l'inné ? Deux visions s'affrontent. Ils ne se sont jamais vus auparavant, ne se reverront jamais plus par la suite. Et, sauf leur volonté commune de comprendre ce qu'il y a de spécifiquement humain dans l'homme, tout les oppose. En ce mois d'octobre 1973, le linguiste américain Noam Chomsky a quarante-quatre ans, c'est un professeur au Massachusetts Institute of Technology (MIT) doublé d'un intellectuel engagé, farouche opposant à la guerre du Viêtnam. Ses vues hétérodoxes le placent à contre-courant de la pensée dominante, laquelle est incarnée par son éminent contradicteur : le Suisse Jean Piaget, soixante-dix-sept ans, figure tutélaire de la psychologie cognitive, qui termine paisiblement sa longue et fructueuse carrière à Genève, où il mourra sept ans plus tard. Piaget, le maître révéré, versus Chomsky, le franc-tireur : autant dire qu'il y a foule pour assister au débat qui va opposer, trois jours durant, ces deux profonds théoriciens dans le cadre austère et recueilli de l'abbaye de Royaumont. C'est là en effet que le prix Nobel de médecine Jacques Monod les a invités à débattre de la question de l'acquisition du langage par les jeunes enfants, au coeur de leurs travaux respectifs à l'un et à l'autre. Dans l'auditoire, des philosophes, des psychologues ou encore des neurobiologistes comme le jeune Jean-Pierre Changeux, que ce duel au sommet marquera à vie. Les tout jeunes enfants, à la différence des petits des espèces animales les plus proches de la nôtre, font très tôt la preuve de leur capacité, unique, à former des phrases, c'est-à-dire à maîtriser un système aussi complexe que le langage articulé. Mais cette capacité est-elle innée ou acquise ? C'est là que les avis divergent. Pour Piaget, l'acquisition du langage se fait par étapes et en interagissant avec le monde extérieur, notamment au sein de l'école. Bref, elle relève essentiellement de l'acquis, et s'intègre dans le cadre plus général du développement de l'intelligence de la naissance à l'âge adulte, dont le psychologue suisse a établi le modèle. Piaget distinguait en effet quatre grandes périodes du développement psychologique, chaque stade étant construit sur les fondations du stade antérieur, à la manière d'un escalier : la période de l'intelligence sensori-motrice de 0 à 2 ans, celle de l'intelligence préopératoire de 2 à 6-7 ans, celle de l'intelligence opératoire de 6-7 à 10-12 ans et enfin celle des opérations formelles à partir de l'entrée dans l'adolescence. Le développement des capacités langagières se fait pour l'essentiel au cours de la deuxième phase, celle de l'intelligence préopératoire. C'est au cours de cette période qu'émerge chez l'enfant une pensée symbolique se manifestant de différentes façons, dont l'une, nous dit Piaget, est précisément l'apparition du langage articulé (contemporaine de cette autre conduite caractéristique de la pensée symbolique naissante qu'est le jeu symbolique : l'enfant jouant à faire « comme si »). Puis, au contact des personnes de son entourage (famille, école...), ce balbutiement de langage va peu à peu se développer, se ramifier, s'affiner, tant du point de vue de la richesse lexicale que de la maîtrise de la syntaxe. Mais, insiste Piaget, il s'agit d'une construction, d'un apprentissage. Pour le psychologue suisse, la « faculté de langage » de l'homme n'a rien (ou très peu) d'inné, elle est un sousproduit du développement de son intelligence. Révolution chomskienne C'est la thèse opposée qui constitue justement le coeur de ce qu'on a pu appeler la « révolution chomskienne ». Avec sa théorie de la grammaire générative, développée dès la fin des années 1950, le linguiste américain soutient l'idée - à première vue un peu folle, en tout cas fortement contre-intuitive - que l'acquisition du langage n'est pas (ou du moins pas essentiellement) un processus d'apprentissage. Elle serait plutôt à voir comme l'exécution d'un programme informatique implanté dans notre cerveau dès notre naissance. Ce programme, Chomsky le nomme le « module du langage » et fournit de forts arguments en faveur de son existence. C'est sous l'angle de la syntaxe qu'il a principalement abordé la question. Les règles de grammaire que nous apprenons à l'école, argue-t-il, ne constituent que la partie émergée d'un gigantesque iceberg. Ce qui est enseigné est ce qui varie d'une langue à l'autre. Mais il existe quantité d'autres règles sous-jacentes et beaucoup plus générales (communes à un grand nombre d'idiomes, voire pour certaines à tous), que nous observons sans les avoir jamais apprises à l'école - et ce, dès le plus jeune âge. Ces règles tacites que nous maîtrisons intuitivement, et qui sont pourtant d'une extrême subtilité, constituent aux yeux de Chomsky et des linguistes de sa mouvance la meilleure preuve que la faculté de langage est chez nous innée. Telle a été la teneur des arguments échangés à l'abbaye de Royaumont en cet automne 1973. Plus de quarante ans après, la question continue de faire débat. 2/3 Mais les développements récents de la psychologie cognitive tendent à remettre en cause le « modèle de l'escalier » de Piaget. Avantage Chomsky ? @verdoyann FOCUS http://www.lesechos.fr/29/07/2014/LesEchos/21738-039-ECH_piaget--chomskyet-la-faculte-de-langage.htm 3/3