“mon journal”
Les juifs de Lyon
par Catherine Déchelette
Elmalek
p.2 & 3
Culture
p.4
Homosexualité
et judaïsme
par René Pfertzel
p.5 & 6
www.ujl-lyon.com
Rares sont les livres de la Bible qui portent
le nom d’une femme. Seules Ruth et
Esther ont ce privilège littéraire. Deux
livres pour deux femmes dont nous lisons les
histoires à Chavouot et à Pourim, deux héroïnes
qui ont pour point commun d’avoir changé le
cours de l’histoire, leur histoire personnelle et
celle du peuple juif.Ruth et Esther sortent ainsi
de l’anonymat, dans lequel restent plongés tant
de personnages féminins de nos sources.
Dans la meguilla, Esther n’est pas le seul héros
de l’histoire. A ses côtés, se tient Mardochée et
face à elle, le roi Assuérus. En filigrane, une autre
femme hante aussi le livre de Pourim. Il s’agit de
l’autre souveraine, la reine Vashti, à qui l’on fait
jouer un bien mauvais rôle. A peine présentée au
lecteur au premier chapitre, la voilà qui fait une
rapide sortie de scène.
Au premier chapitre de la meguilla, Vashti est en
eet sommée par le roi de se présenter devant
la Cour.
Vatemaen hamalka (I-12), mais celle-ci refusa.
Ce terrible camouflet à l’autoriroyale
enflamme la colère d’Assuerus.
Vashti sera renvoyée et une ordonnance
envoyée dans tout le royaume pour rappeler à
qui veut l’entendre que dorénavant, « toutes les
femmes du royaume témoigneront du respect
à leurs maris du plus grand au plus petit ».
(Esther 1-20)
Mise en garde contre la menace féministe
au royaume de Perse…tout lecteur attentif
perçoit dans ce verset, moins une armation
machiste que l’expression d’un puissant humour
biblique. N’est-il pas comique, en eet, de
faire la lecture de ce décret (immuable ?)
dans nos synagogues, tandis que l’ociant et
les fidèles sont déguisés et en état débriété.
Incontestablement, la meguilla d’Esther est
d’abord un livre écrit à la manière d’une fable
humoristique qui tourne en dérision l’ordre
établi, en miroir déformant d’une réalité à
questionner.
Cest alors qu’Esther entre en scène. A priori,
elle est l’anti-Vashti, aux antipodes d’une reine
contestataire ou proto-féministe. Pendant une
bonne partie du récit, Esther est passive. Elle est
« emmenée au palais du roi », puis « conduite au
roi ». Elle « se conforme aux instructions » des
uns et des autres, sans rébellion ni opposition.
Si Vashti est le modèle de la révolte, Esther est
au départ celui de la soumission.
Pourtant, les choses vont précisément se
renverser. Devant la menace d’extermination
de son peuple, Esther sort de cette passivité.
Elle manigance, manipule, agit et influence.
Cest cette sortie de la passiviqui fait d’elle
une héroïne.
Cest parce qu’elle refuse le décret royal, prêt
à sabattre sur son peuple, qu’elle devient
véritablement reine de l’histoire juive.
A sa façon, Esther est un peu devenue Vashti,
la femme qui sarme et refuse et les deux
femmes, au bout du récit, ne sont peut-être pas
si diérentes l’une de lautre.
A sa manière, la meguilla est donc un
plaidoyer contre la soumission, une célébration
d’une rébellion contre l’ordre perçu comme
incontestable.
Le féminin, dans nos textes, sous les traits
d’Esther, de Ruth, de Myriam, de Tamar et
bien d’autres… joue bien souvent ce rôle.
Il questionne les apparences et interroge les
rôles établis. Pourim est la fête juive de cette
auto-critique. Une invitation à ne pas nous
prendre trop au sérieux.
Esther et Vashti
les deux reines de la Meguilla
Rabbin Delphine hoRvilleuR
sommaire
#38
vrier mars avril 2011
chevat adar adar II 5771
Lettre trimestrielle de l’union juive libérale de lyon
Bonne année
2011 !
Pont de Saône
Plan scénographique de Lyon, 16e s.
Bibliotque municipale de Lyon.
La connaissance de la communau
juive de cette époque est très limitée
et on ne devine son importance qu’à
travers ce que l’on constate à la période
suivante2.
Privilèges et expulsions,
les paradoxes du Moyen -Age
A la chute de lempire romain, Lugdunum
la gallo-romaine devient Lyon et passe
sous le contrôle des Burgondes à
partir du Vème siècle. Le poète Sidoine
Apollinaire (430 - 486) fait allusion aux
Juifs de Lyon dans ses Lettres3. En mars
502, Gondebaud, roi des Burgondes,
en établissant Lyon comme sa capitale,
édicte une loi nome : loi Gombette
(lex Burgundionum). Cette loi comporte
Les Juifs de Lyon > 1ère partie
histoire
Dès le début de la diaspora, à partir du IIIème siècle, des éléments archéologiques attestent d’une
première présence juive en Gaule, de Marseille à Clermont-Ferrand en passant par Arles, Nîmes, Dijon,
Bourges, et Lyon. Au total, ce sont environ 35 localités qui accueillent des groupes de Juifs1.
En 212, ils deviennent citoyens de l’empire de Rome par l’adoption de la constitution antonine
(la Gaule est une province de l’empire).
Catherine Déchelette Elmalek
Notes :
1 - Lampes à huile en terre cuite ornées de symboles juifs comme la ménorah: exemple de la lampe découverte lors des fouilles menées par M.Charmasson
sur l’oppidum de Lombrun, près de Bagnols sur Cèze, en 1963. Bernhard Blumentranz, « Les premières implantations de Juifs en France, du Ier siècle
au début du Ve siècle », Comptes-rendus des séances de l’Académie des inscriptions et des belles-lettres, 1969, Volume 113, n°1, p.162-174. Des fouilles
archéologiques à Lyon ont mis au jour une stèle funéraire avec une épitaphe portant le nom d’une petite fille juive : celui-ci est en latin mais il s’agit bien
d’un prénom hébraïque.
2 - Marie Françoise Baslez, « Les juifs à l’époque gallo-romaine », l’Histoire -n°10, 2001.
3 - Bernhard Blumentranz, « Les premières implantations de Juifs en France, du Ier siècle au début du Ve siècle », Comptes-rendus des séances de
l’Académie des inscriptions et des belles-lettres, 1969, Volume 113, n°1, p.162-174.
4 - Leidrade (vers 743-745-821) lettré et homme d’Église, archevêque de Lyon.
un chapitre entier aux Juifs, ceci laissant
bien sûr supposer leur présence à Lyon
ou du moins dans la région. Entre le
VIIème et le VIIIème siècle, Lyon n’a pas de
place particulière et il faut attendre le
règne de Charlemagne pour que la ville
retrouve une situation d’importance dans
le royaume.
Au IXème siècle, Charlemagne accorde
diverses missions à des Juifs comme
interprètes et diplomates et à Lyon
l’éque Leitrade4 marque durant
de nombreuses années la ville et ses
habitants de son intelligence et de sa
tolérance envers les Juifs. Des lettres de
protection, retrouvées dans les Archives
municipales, accordent par exemple des
privilèges à deux marchands juifs de Lyon
en 8255. Dautres éléments permettent
encore de mesurer l’intégration positive
de la communauté juive à la vie de Lyon.
Ainsi durant le règne de Louis le Pieux,
le jour du marché est déplacé du samedi
à un jour de semaine prenant ainsi en
compte les desiderata des marchands
juifs. Par ailleurs un appel émanant de
l’éque demande à ce que les Juifs ne
prennent plus demployés chrétiens car
il avait constaté que ceux-ci, dans un
très grand nombre de cas, finissaient par
se convertir au judaïsme. Les chrétiens
lyonnais, afin d’approfondir leurs
connaissances de lAncien Testament,
vont très souvent écouter les rabbins et
leurs commentaires de la Torah.
Les Juifs sont alors installés sur la rive
droite de la Saône dans un quartier situé
au pied de la colline de Fourvière, dont
une rue porte encore aujourd’hui le nom
de rue Juiverie. Ce terme est employé au
Moyen Age pour désigner les quartiers
ou rues réservées aux Juifs. Il ne s’agit
pas encore pour autant à proprement
parler de «ghetto» c’est à dire d’un
quartier séparé et réservé. Les Juifs
de Lyon contribuent à la prospérité de
la ville à travers le négoce des pierres
précieuses, des étoes d’Orient et des
pièces d’orfèvrerie. Ils ont obtenu de
l’Empereur des droits, et en cela ils
pendent d’un magistrat spécifique
choisi parmi les grands seigneurs de la
cour. Ce magister judaerorum est nom
par l’évêque et soutenu par Charlemagne.
Ce magistrat avait la tâche de veiller au
respect des droits et des intérêts des
Juifs.
Au cours du IXème siècle, l’Eglise veut
aermir son pouvoir et sa domination.
2
Ex-dono manuscrit d’Agobard.
de le Vénérable,
Commentaire sur Esdras, 9e s.
Bibliotque municipale de Lyon
Généalogie d’Israël
Bible latine, 13e s.
Bibliotque municipale de Lyon
breux orant un agneau en sacrifice
Bibliotque municipale de Lyon
Elle cherche à abandonner sa
politique bienveillante envers les
Juifs instite par le Pape Grégoire le
Grand (590-604), deux siècles plus
tôt. Larchevêque Agobard de Lyon
(778-840) est un fervent défenseur
de cette unité chrétienne. De plus
c’est le statut particulier des Juifs qui
soulève son indignation : il considère la
communauté juive comme un ément
diviseur de la cité et de l’Eglise. Ses
interventions auprès de l’Empereur
visant à supprimer ces privilèges se
soldent par des échecs. Il s’en prend
violemment aux Juifs dans Six écrits6, ou
Lettres au roi Louis le Pieux, où il incite,
par exemple, les chrétiens à n’entretenir
aucune espèce de relation avec eux
afin de ruiner leurs commerces, et où
il justifie les conversions forcées des
enfants. Pourtant lesprit philosémite de
Charlemagne survit encore à travers son
fils Louis le Pieux, et les Juifs lyonnais
continuent ainsi de bénéficier de la
protection impériale.
Agobard et ses disciples échouent donc
provisoirement dans leur entreprise.
Ils ont néanmoins mis en place tout
l’argumentaire de l’antijudaïsme dont
l’Eglise va se servir par la suite.
Le pouvoir temporel ne peut que plier, et
la politique de tolérance instituée par les
carolingiens prend fin.
En 1245, le concile de Lyon cherche à
restreindre les relations entre Chrétiens
et Juifs. Ceux-ci pratiquent le change
et l’usure depuis que ces pratiques ont
été interdites aux Chrétiens. La pratique
de l’usure constitue, au fil des siècles,
l’un des principaux griefs contre la
communauté juive.
Les Juifs sont bannis du royaume de
France en 1306, et certains Juifs lyonnais
se réfugient alors dans le Dauphiné,
la province la plus proche hors de
la tutelle française. Ils s’installent à
Bourgoin, Grenoble, et Crémieu où ils
créent des maisons de banque7. C’est
le roi Charles VI qui ordonne l’expulsion
5 - Eliane Dreyfus et Lise Marx, Autour des Juifs de Lyon et alentour, Lyon, Audin Editeur, 1958, 156 pages.
6 - Agobard de Lyon (v. 769-840): son abondante œuvre littéraire reflète ses prises de position doctrinales dans les controverses théologiques. Il est
l’auteur de nombreux traités entre autres, contre le culte des images, les innovations liturgiques introduites dans le diocèse de Lyon par l’évêque qui lui
succéda sur le siège épiscopal de Lyon après sa déposition, et contre le statut des Juifs de Lyon: De l’insolence des juifs, lettre écrite en 826 et adressée à
l’Empereur d’Occident. « ...Cinq sur les six écrits antijuifs d’Agobard qui subsistent nous sont connus par un seul manuscrit ; d’autres sont irrémédiablement
perdus. C’est une preuve du peu de diusion, du peu de résonance également, qu’ils ont eues de leur temps ». Bernhard Blumenkranz, Juifs et chrétiens
dans le monde occidental : 430-1096, Paris - Louvain, Peeters Edition, 2007.
7 - Les Juifs de Lyon et du Dauphiné subissent le bon ou le mauvais vouloir des pouvoirs en place sur plusieurs décennies, comme en témoigne l’alternance
d’expulsions et de rappels dans les villes dont le commerce périclite. La précarité de ces conditions de vie est encore accentuée par les populations locales
qui leurs imputent toutes les catastrophes de l’époque, telles que les épidémies et les famines.
8 - Les lettres patentes sont un texte par lequel le roi rend public et opposable à tous un droit, un état, un statut ou un privilège.
finitive des Juifs du royaume en 1394.
A Lyon, cette décision ne prend eet
quen 1420, grâce à l’archevêque qui
maintient encore durant vingt sept ans
la communauté juive dans une relative
curité. Mais plus que de l’obligeance,
il faut y voir surtout l’intérêt financier lié
au rôle économique qu’ils ont dans la
ville, puisqu’ils contribuent, par exemple,
à assumer les frais de fortifications de
la ville. Quand la communauté juive est
finalement expulsée en 1420, celle-ci se
réfugie pour une grande partie à Trévoux,
petite ville des Dombes. Le métier que
les Juifs apportent, lanage et létirage
de lor et de largent pour leur utilisation
dans les tissus précieux et dont ils
gardaient l’exclusivité de la technique,
enrichit notablement la petite voisine de
Lyon.
Le Moyen Age s’achève avec la fin du
XVème siècle. Mille ans durant lesquels
les Juifs de Lyon ont subi tour à
tour privilèges, protection, aronts
et vexations, mais la tolérance et la
bienveillance ont été ici mieux réparties
que dans beaucoup de villes ou de
régions du royaume de France. Lépoque
des Temps modernes s’ouvre sur
l’absence a priori des Juifs en France
imposée par la loi d’expulsion générale de
1394, mais entre rappels exceptionnels,
privilèges pour droits de séjour, droit de
circulation et de commerce et lettres
patentes8, quelle sera la place accordée
aux Juifs à Lyon ?
« Les Juifs de Lyon contribuent à la prospérité de la ville
à travers le négoce des pierres précieuses, des étoes
d’Orient et des pièces d’orfèvrerie. »
3
judaïsme
Le film était à l’ache de notre ciné-ca
du dimanche 23 janvier, la projection était suivie
d’un débat avec René Pfertzel.
Le premier long métrage de Haïm Tabakman,
Tu n’aimeras point, remarqué en mai au Festival de
Cannes. Avec Zohar Strauss, Ran Danker, Tinkerbell,
Tzahi Grad. (1 h 30.)
Aaron, un boucher ultraorthodoxe de Jérusalem,
marié et père de famille, s’éprend avec une passion
irrépressible de Ezri, un jeune étudiant d’une école
talmudique.
Familier des grincements politiques et des couples
improbables (militaires homosexuels, idylle israélo-
palestinienne...), jamais le cinéma israélien n’était
allé aussi loin dans ce que l’on pourrait tenir pour une scabreuse provocation.
Il faut donc avoir vu le film pour prendre la mesure d’une oeuvre sensible et
subtile, qui ne simplifie rien, et qui parvient à nous attacher, comme si de rien
n’était, à son récit et à ses personnages. Il y a là, au vu de la délicatesse et du
péril du sujet, la matière d’un exploit.
« Tu n’aimeras point »
La pluralité du peuple juif est une
donnée ancienne qui s’est encore
accrue après l’entrée des Juifs dans
la modernité lorsqu’ils quittèrent les murs
étroits des ghettos. La grande question,
le grand défi était bien la manière dont
on allait réagir à ce phénomène nouveau
dans l’histoire juive. De là provient la
grande diversité au sein du monde
juif, depuis les ultra-orthodoxes qui
rejettent le monde moderne de façon
très nette et radicale jusqu’à celles
et ceux qui ont décidé de couper les
ponts et de s’assimiler à la population
environnante. Entre ces deux pôles, les
Orthodoxes, fort disparates dans leurs
nominations, les non-traditionnalistes,
Massorti (Conservative américains) ou
Libéraux (Reform, Liberals ou Libéraux),
et en dehors des mouvements religieux,
les diérents courants du sionisme ou
encore ceux qui adhèrent à des partis
politiques promettant légalité.
Traiter de la façon dont les Juifs
considèrent l’homosexualité revient donc
d’abord à prendre acte de la diversité de
ce groupe humain.
Le monde des ultra-orthodoxes est celui
du petit village polonais ou est-européen,
celui des cours rabbiniques, des histoires
merveilleuses contées par les Hassidim,
un monde qui est enclavé et sépa
de ses voisins. Le monde extérieur est
dangereux et source de tentations sans
fin. Il faut impérativement s’en protéger.
Dans ce contexte, l’homosexualité
fait l’objet au mieux d’un déni, au pire
d’un rejet absolu comme étant une
abomination. Le film que Haim Tabakman
a tourné en 2009, Tu n’aimeras point, fait
le récit d’amours homosexuelles dans le
quartier ultra-orthodoxe de Mea Shearim.
Il dépeint de manre assez réaliste la
complexité de ce sentiment dans un
milieu qui le nie. Il a provoqué l’ire de ses
habitants qui ont manifesté contre lui.
Une fraction importante des Juifs
religieux, du moins en Israël et en
Europe, s’inscrit dans ce que l’on appelle
communément l’Orthodoxie, ou le
Lhomosexualité
dans les diérents courants du judaïsme
La prohibition énoncée dans le Lévitique : « Tu ne coucheras pas avec un homme comme on couche
avec une femme » est simple et claire et a conduit à une interdiction sans équivoque de l’homosexualité
dans les religions monothéistes. Pour autant, la question n’est pas résolue, et il ne sut pas de dire :
« c’est interdit » pour que les homosexuel/les puissent se conformer aux ordonnances de la Torah.
Le fait homosexuel est une réalité incontournable de l’expérience humaine. C’est la raison pour laquelle
l’acceptation ou le rejet de l’homosexualité fait débat dans les diérentes tendances du judaïsme.
René Pfertzel - Union Juive
Libérale de Lyon. Etudiant rabbin
Leo Baeck College, Londres
judaïsme traditionnaliste. Ces Juifs ne
rejettent pas le monde dans lequel
ils vivent. Ils cherchent à adapter les
exigences de la loi juive à la vie moderne,
mais sans céder sur la Tradition qu’ils
considèrent comme révélée en létat
sur le Mont Sinaï à Moïse. Rien ne peut
donc en être retranché ni ajouté. Cette
position ane parfois des situations
conflictuelles entre ces deux pôles
de leur existence. Le courant le plus
représenté, Modern Orthodox a été
pensé au XIXe siècle par un rabbin qui
souhaitait faire le lien entre la Torah et
le monde moderne, Samson Raphaël
Hirsch. Le judaïsme consistorial fraais
aujourd’hui est largement influencé par
cette voie. Bien évidemment, il n’a rien de
monolithique et les motifs de désaccord
sont assez fréquents, notamment en ce
qui concerne les débats de société, dont
l’homosexualité. Depuis les anes 1970,
aux Etats-Unis, certains rabbins (dont
Rabbi I. Jakobovitz) ont commencé à
adopter une position plus empathique
à l’égard des homosexuels considérés
jusqu’alors comme ayant fait un choix
qu’il ne tenait qu’à eux dabandonner.
Cette période correspond à une
réévaluation de l’homosexualité dans
la sociologie, la psychologie et même
les sciences bibliques, et il n’est pas
surprenant que les rabbins s’interrogent
à leur tour. Le rabbin Norman Lamm1
clare en 2002 que loin dêtre des
rebelles, les homosexuels sont malades
et à ce titre méritent de la compassion
et du soutien. Cette opinion peut
paraître choquante, mais elle est en
réalité une étape importante dans
le monde orthodoxe car elle refuse
l’exclusion. Cette vue nest certes pas
>>>
5
partagée par tous, mais elle fait son
chemin parmi les rabbins orthodoxes
américains. En Europe, les rabbins ont
une attitude plus traditionnelle, sauf
peut-être au Royaume-Uni où le Grand
Rabbin Jonathan Sachs a aussi fait une
claration appelant plus de compassion.
A la fin des années 1990, le rabbin
orthodoxe américain Steven Greenberg
fit son coming-out. Il vit désormais
avec son partenaire et milite pour une
reconnaissance des homosexuels dans le
monde orthodoxe2. Plus récemment, une
association juive gay orthodoxe a vu le
jour en Israël, non sans que son fondateur
ait subi menaces et pressions3. On le voit,
par ces quelques exemples, la position
des autorités orthodoxes n’est pas
monolithiques et semble évoluer. Mais
les évolutions dans le monde religieux
traditionnel sont toujours très lentes.
Le temps y est celui des longues durées.
Le monde non-orthodoxe -traditionnel
et non traditionnaliste- a adopté des
attitudes plus ouvertes sur les questions
de société. Il faut cependant faire une
distinction entre deux grandes branches
du judaïsme non-traditionnaliste, la
branche massorti, ou Conservative,
et la branche libérale, ou Reform. Les
bats ont été très vifs en Amérique du
Nord où ces mouvements regroupent
la grande majorité des Juifs religieux.
Encore en 1992, le Comité sur la Loi
Juive du mouvement massorti a adopté
une résolution rejetant l’homosexualité
comme contraire à la Halakha, la Loi juive.
Cependant, au sein de ce même comité,
et dans l’institution qui forme aux Etats-
Unis ses rabbins et cantors (ministres
ociants), le Jewish Theological
Seminary (JTS), des discussions fort
nourries ont eu pour objet l’acceptation
de candidats ouvertement homosexuels
au séminaire. Ce qui fut fait en 2007 pour
le JTS. Les autres séminaires massortis
David et Jonathan, Rembrandt
Huile sur toile - 1642
Notes :
1 - http://www.jonahweb.org/sections.php?secId=902
2 - Voir par exemple son: Wrestling With God and Men: Homosexuality in the Jewish Tradition, University of Wisconsin Press, 2004.
3 - www.hod.org.il4 http://www.huc.edu/ijso/inclusion/
4 - http://www.huc.edu/ijso/inclusion/
ont gardé le droit daccepter ou non
de tels candidats, certains l’ayant fait,
d’autres l’ayant rejeté. On remarque donc
que, comme dans les milieux orthodoxes,
les débats sont plutôt récents, et les
évolutions très rapides.
Le mouvement libéral, ou Reform,
est celui qui compte dans le monde
religieux juif le plus d’adhérents. Il n’est
pas encore très connu en France où
il ne représente qu’une minorité dans
la communauté juive française, mais
une minorité en expansion. Dès le
anes 1980, la Conférence Centrale
des Rabbins Aricains (CCAR) a pris
acte des avancées de la science qui ont
montré que l’homosexualité est une
orientation sexuelle biologique et non du
domaine du choix, et que la Loi doit être
interprétée de manière diérente. C’est
la raison pour laquelle les homosexuel/
les sont acceptés à part entière dans
les communautés juives, et qu’à partir
de la fin des anes 1980, les candidats
ouvertement homosexuels peuvent
être admis dans lécole rabbinique, le
Hebrew Union College (HUC). Il en est
de même dès cette époque au collège
rabbinique européen, le Leo Baeck
College de Londres ou encore celui de
Berlin, lAbraham Geiger Kolleg ouvert
en 2000. En 1996 et 1998, la CCAR
adopte un mariage religieux pour les
couples homosexuels. Et, afin de réfléchir
aux questions touchant les personnes
LGBT, le HUC a créé un Institut pour
le Judaïsme et l’Orientation Sexuelle
(IJSO)4.
En ce qui concerne la France, la situation
est semblable à ce qui se passe ailleurs.
Le judaïsme consistorial, d’obédience
orthodoxe est largement défavorable
à la présence d’homosexuels dans ses
communautés. Ceux-ci ne doivent pas
faire état de leur identité et lon reste
plutôt dans le non-dit. Les communautés
libérales acceptent sans diculté des
personnes homosexuelles comme
membres à part entière. La question du
mariage gay ne se pose pas en France
puisque ce mariage n’est pas autorisé
par la loi de la République, contrairement
au Royaume-Uni où le mariage gay est
autorisé depuis 2005. Une branche du
judaïsme libéral, Liberal Judaism, marie
religieusement les couples de même
sexe, comme c’est le cas aux Etats-Unis.
Entre rejet total, empathie, compassion,
acceptation complète, la situation des
homosexuels juifs varie beaucoup
d’un mouvement à l’autre. Loin d’être
monolithique, la réponse des autorités
religieuses reflète la diversité des
sensibilités et des courants.
« Dès le années 1980, la Conférence Centrale des Rabbins
Américains a pris acte des avancées de la science qui
ont démontré que l’homosexualité est une orientation
sexuelle biologique et non du domaine du choix. »
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