De la domination néo-classique et des moyens d`en sortir[1]

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De la domination néo-classique et des moyens d'en sortir
par Edward FULLBROOK
| Alternatives économiques | L'Économie Politique
2005/4 - n°28
ISSN 1293-6146 | ISBN 2952221286 | pages 78 à 91
Pour citer cet article :
— Fullbrook E., De la domination néo-classique et des moyens d'en sortir, L'Économie Politique 2005/4, n°28, p. 78-91.
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De la domination
néo-classique
Trimestriel-octobre 2005
L’Economie politique
p.
78
De la domination
néo-classique et des moyens
d’en sortir [1]
Edward Fullbrook,
University of West of England, Royaume-Uni.
[1] Tous nos remerciements
à l’auteur pour nous avoir
autorisé à reprendre son
texte « The Rand Portcullis
and PAE », Post-Autistic
Economics Review,
n° 32, 5 juillet 2005,
http://www.paecon.net/
PAEReview/issue32/
Fullbrook32.htm
I
l est aujourd’hui courant de parler de l’économie néoclassique comme de l’« économie dominante » car la plupart
des universités n’offrent rien d’autre. Sournoisement, le nom
stigmatise aussi comme excentriques, bizarres, déviants,
louches, ces économistes qui s’aventurent hors des frontières étroites
des axiomes néo-classiques. Dans une tentative de comprendre
comment cela est arrivé, la première partie du présent article retrace
rapidement l’histoire étrange de la science économique depuis les
années 1870 jusqu’au défi lancé récemment à l’hégémonie néoclassique par le Mouvement pour une économie post-autiste (PAE).
La seconde partie passe en revue quelques dimensions importantes de l’approche post-autiste, née à Paris pendant l’été 2000 et
qui implique à présent des milliers d’économistes du monde entier
dans un effort de long terme pour libérer la science économique
de sa camisole de force néo-classique.
Une étrange histoire
Jaloux de la physique
Les origines de l’économie néo-classique ne sont pas ce que l’on
pourrait croire de l’extérieur. Même si elle flirte aujourd’hui avec
L’Economie politique n°
28
p.
Octobre-novembre-décembre 2005
« Why is economics not
an evolutionary science ? »,
Quarterly Journal
of Economics,
vol. 12, 1898, p. 373.
›››
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néo-classique
79
[2] Thorstein Veblen,
Le rêve d’un modèle figé de l’univers économique a été réalisé
autour de ce concept central dans les années 1870 par William Stanley
Jevons et surtout par Léon Walras, qui avaient tous deux fait des
études de physique. On l’appela le modèle de l’équilibre général. Et
cette métaphore mécanique minutieuse, fière d’être dépourvue de
tout contenu empirique, reste aujourd’hui le texte sacré de la théorie
économique, pour les étudiants et les économistes du monde entier.
Le modèle, qui est invariablement exprimé dans un langage
métaphorique à faire rougir de honte un bon poète, fonctionne en
posant a priori un ensemble d’axiomes, sur le mode de la géométrie
euclidienne :
– l’univers économique est fixé ;
– il se trouve dans le vide et non dans un écosystème ;
– toutes les relations dans une économie sont autorégulées,
dans le sens que toute perturbation met en mouvement les forces
qui vont rétablir l’équilibre ;
Edward Fullbrook
L’Economie politique
le néolibéralisme, elle a commencé comme une tentative intellectuelle honnête et soi-disant scientifique. Son saint patron n’était
ni un idéologue ni un philosophe politique, encore moins un économiste, mais sir Isaac Newton. Les pères fondateurs de l’économie
néo-classique espéraient réussir (et leurs descendants s’imaginent
aujourd’hui qu’ils y sont parvenus) ce que Newton a fait pour l’univers
physique. Leur but était de construire un modèle économique à
l’image de la mécanique newtonienne – dans laquelle les agents
économiques seraient traités comme s’ils étaient des particules
obéissant aux lois de la mécanique. En principe, on pourrait décrire
le comportement simultané de ces agents par un système solvable
d’équations. Ce qui suppose de traiter les désirs humains comme
des données de base qui ne seraient affectées en rien par les relations modélisées, comme les masses des corps physiques dans la
mécanique classique. C’est à cette fin – et pas pour comprendre
les phénomènes économiques – que l’homo œconomicus et le
calcul hédoniste ont été inventés. Thorstein Veblen résume ainsi
cette métaphysique fondamentale : « Le matériau humain auquel
cette recherche s’intéresse est conçu dans des termes hédonistes,
c’est-à-dire comme une nature humaine passive, à peu près inerte
et définitivement déterminée : l’homme est considéré comme un
calculateur instantané de plaisirs et d’efforts, qui oscille comme
une parcelle homogène de désir de bonheur sous l’action de stimuli
qui la déplacent tout en la laissant intacte. Il n’a ni passé ni futur.
C’est une donnée humaine définitivement isolée… » [2].
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néo-classique
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– ces « forces » sont produites exclusivement par le comportement
des individus agissant indépendamment les uns des autres ;
– le comportement de ces agents obéit à certaines propriétés
mathématiques. Par exemple, le choix du consommateur est transitif
(s’il préfère X à Y et Y à Z, il préférera toujours X à Z), exhaustif
(dans l’ensemble des biens existants, le consommateur, à niveau de
revenu donné, comparera tous les biens deux à deux) et indépendant (un consommateur n’est pas influencé par les choix des autres
consommateurs).
Il faut dire à leur décharge que peu d’économistes ont tenté de
donner une base empirique à ces axiomes. C’est en fait un domaine
dans lequel règne un confortable formalisme. Les éléments du
modèle et les relations entre eux ont été conçus pour être semblables à ceux du modèle de l’univers physique de Newton. Les
exigences de la grande métaphore règnent même quand le modèle
est appliqué – comme dans la tradition marshallienne, qui a eu un
grand succès chez les pédagogues – au coup par coup et de façon
non mathématique à des marchés individuels.
Un exemple de ce formalisme est la notion élémentaire et omniprésente de demande du marché pour un produit. La science économique néo-classique définit la demande du marché pour un produit comme l’addition des demandes des agents individuels pour le
même produit. Mais cela suppose que la demande de chacun est
indépendante de celle de tous les autres ; par exemple, un individu va choisir d’aller dans une boîte de nuit sans être influencé
par le fait qu’elle est pleine de monde ou complètement vide. Sans
cette hypothèse d’indépendance (c’est-à-dire d’absence de toute
interrelation entre les agents), la demande du marché telle que
l’entend la science économique dominante n’existe pas. Chacun
sait pourtant, même les économistes néo-classiques lorsqu’ils ne
sont pas au travail, que, dans une société de consommation, les
interactions influant fortement sur les marchés sont la règle plutôt
que l’exception. Malgré des obstacles aussi évidents, observables
partout de façon empirique, les métaphores du néo-classicisme
continuent à dominer.
Veblen et Keynes
A la fin du XIXe siècle, Thorstein Veblen lança une contre-révolution face
à la domination croissante de l’approche néo-classique en économie. En critiquant ses hypothèses, il analysa les institutions tout
comme les individus isolés, mit l’accent sur les phénomènes sociaux
L’Economie politique n°
28
p.
Le rôle du Pentagone
Octobre-novembre-décembre 2005
De la domination
néo-classique
81
[3] Geoffrey M. Hodgson,
How Economics Forgot
History, Londres, Routledge,
2001, p. 155
C’est alors qu’intervint John Maynard Keynes. Il offrait une nouvelle interprétation des économies capitalistes expliquant leur effondrement et fournissant dans le même temps quelques mesures pratiques susceptibles de les faire repartir et fonctionner sans à-coups,
sans remettre en cause leurs principes fondamentaux. Etant donné
l’état catastrophique du capitalisme et la crainte grandissante d’une
révolution, même les économistes néo-classiques n’osèrent pas empêcher que l’on essaie la théorie de Keynes. Quand on vit qu’elle fonctionnait, la discussion s’arrêta à ce niveau. Désormais, pour la conduite
ordinaire de l’économie tous les présidents des Etats-Unis seraient
keynésiens. Mais au niveau de la théorie, qui est, dans la tradition
néo-classique, fondée sur les axiomes plus que sur l’empirisme (sinon
les axiomes auraient été abandonnés depuis longtemps), le débat ne
faisait que commencer. Keynes mourut en 1946, et les économistes néoclassiques lancèrent leur contre-révolution. Cette fois, ils ne seraient
pas satisfaits tant que la plupart des facultés de sciences économiques du monde ne seraient pas débarrassés des économistes qui
exprimaient des idées autres que néo-classiques.
Keynes a étudié les mathématiques à Cambridge. A vingt-cinq ans,
il écrivit un Traité sur la probabilité dont Whitehead et Russell firent
l’éloge et qui donna naissance à ce qui est connu sous le nom de
théorie « logico-relationniste » de la probabilité. Lorsqu’il commença
à s’intéresser à l’économie, il fut choqué de voir combien les économistes mathématiciens abusaient des mathématiques, les appliquant sans discernement à des phénomènes qui ne s’y prêtaient
Edward Fullbrook
L’Economie politique
émergents, montra que l’habitude influence le choix économique
plus que ne le fait le calcul rationnel, rejeta toute forme de réductionnisme et souligna l’importance de la connaissance dans l’évolution économique. Cette approche gagna régulièrement des adhérents
jusqu’à la Première Guerre mondiale et, en 1917, un de ses principaux
tenants, John R. Commons, fut élu président de l’Association des
économistes américains (AEA). L’année suivante, cette nouvelle école
fut baptisée « économie institutionnelle » dans les réunions de l’AEA,
et adoptée par l’Association comme un moyen de construire une
théorie économique capable de traiter les problèmes du développement de l’après-guerre [3]. Dans les années 1920, les institutionnalistes
ont fait jeu égal avec les néo-classiques aux Etats-Unis, mais dans
les années 1930, leur nombre a diminué. Comme l’économie néoclassique, l’économie institutionnaliste ne savait ni expliquer ni
résoudre la crise qui avait frappé les économies capitalistes.
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De la domination
néo-classique
Edward Fullbrook
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[4] Ce paragraphe
doit beaucoup à Michael A.
Bernstein, « Rethinking
economics in TwentiethCentury America »,
in Edward Fullbrook (dir.),
The Crisis in Economics,
Routledge 2003.
[5] Kenneth Arrow,
Collected Papers
of Kenneth J. Arrow,
vol. 1 : Social Choice
and Justice, Harvard
University Press, 1983, p. 1.
pas, et il ne cacha pas son mépris professionnel pour leur prétention
sans fondement. Mais ces économistes allaient vite prendre leur
revanche. Menés par Paul Samuelson aux Etats-Unis et John Hicks au
Royaume-Uni, ils s’attaquèrent à la formalisation de la théorie de
Keynes. Ou plus précisément d’une partie de sa théorie, en excluant
tout ce qui ne collait pas avec les axiomes néo-classiques. Le produit
final fut une version formalisée de Keynes qui fait penser à un roman
de Henry Miller sans sexe ni blasphème. Cette version expurgée,
appelée « keynésianisme », est rapidement entrée dans les programmes de premier cycle de l’université. Même les étudiants plus
avancés furent découragés de lire le texte original. Une fois écarté le
vrai Keynes et oublié Veblen et les autres esprits libres, la voie était
libre pour asseoir une tyrannie néo-classique.
Après la Seconde Guerre mondiale, les Etats-Unis ont de plus en
plus pesé sur la science économique (certains diraient qu’ils lui ont
dicté leur loi), dans le monde entier. A l’intérieur même du pays, les
sources d’influence ont été concentrées et limitées jusqu’à l’absurde.
Cette situation, que nous connaissons encore aujourd’hui, résulte
pour une grande part des manœuvres du ministère américain de la
Défense, notamment de l’armée de l’air et de la marine [4]. A partir des
années 1950, il a généreusement subventionné la recherche universitaire en économie mathématique. Les planificateurs militaires pensaient pouvoir utiliser la théorie des jeux et la programmation linéaire
pour la défense nationale. Et même si cela semble aujourd’hui ridicule,
ils nourrissaient le même espoir avec les solutions mathématiques de
l’« équilibre général », base théorique de l’économie néo-classique.
En 1954, Kenneth Arrow et Gerard Debreu trouvent ce que l’on peut
appeler une solution à ce puzzle mathématique ; elle est vénérée
depuis comme le joyau de la science économique académique. Arrow
a mené ses premières recherches « à la Rand Corporation, dans un programme de l’armée de l’air américaine » [5]. Dans les années 1960, les
publications officielles du ministère de la Défense faisaient l’éloge
des travaux de Arrow et Debreu pour leur « modélisation du conflit et
de la coopération, utilisable pour le combat, la négociation de contrats
ou l’échange de renseignements entre des centres de décision dispersés ». En 1965, la Rand a créé un programme de bourses pour les
étudiants de troisième cycle en économie dans les universités de
Californie, à Harvard, Stanford, Yale, Chicago, Columbia et Princeton.
Elle a de plus subventionné des recherches post-doctorales pour
ceux qui rentraient le mieux dans le moule. Ces sept départements de
sciences économiques, ainsi que celui du MIT – une institution que
beaucoup considèrent comme une succursale du Pentagone –, ont par
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la suite dominé globalement les sciences économiques de façon surprenante. Je vais le montrer avec deux exemples.
83
The American Economic Review (AER), le Quarterly Journal of
Economics (QJE) et le Journal of Political Economy (JPE) sont considérés depuis longtemps comme les trois plus prestigieuses revues
d’économie. Y être publié valorise au maximum le CV d’un économiste, et favorise beaucoup le classement d’une faculté et le financement de ses recherches. Une étude a été réalisée sur l’appartenance des auteurs d’articles de fond parus dans ces revues entre
1973 et 1978 [6]. Elle montre que les huit facultés ayant le plus publié
[6] E. Ray Canterbery
et Robert J. Burkhardt,
dans le QJE sont les sept aidées par le ministère de la Défense via
« What do we mean
by asking whether
la Rand, plus le MIT. Elles ont fourni à elles huit 77,3 % des articles
economics is a science ? »,
publiés. Dans le JPE, les sept de la Rand figuraient parmi les dix
in Alfred S. Eichner (dir),
Why Economics Is Not Yet
plus gros contributeurs et comptaient, avec le MIT, pour 63,1 %
a Science, Macmillan, 1983.
des publications. Les mêmes étaient également en tête dans le QJE
avec un score de 59,3 %. Même parmi ces huit, la concentration
était surprenante : dans le QJE, contrôlé par Harvard, un tiers des
articles étaient apportés par des auteurs de cette université ;
Chicago avait fourni 20,7 % des auteurs du JPE, qui est sous sa
coupe. Pendant la période étudiée, près de la moitié du comité de
rédaction de l’AER était composé (en
ordre décroissant) d’universitaires de
Chicago, du MIT et de Harvard, qui
En 1965, la Rand a créé un programme
ont fourni respectivement 14 %, 10,7 %
de bourses pour les étudiants
et 7,1 % des articles publiés. Environ
de troisième cycle en économie.
70 % des membres du comité de
Elle a de plus subventionné des recherches
rédaction appartenaient à la « bande
post-doctorales pour ceux
des Huit », tout comme 60 % des parqui rentraient le mieux dans le moule.
ticipants aux comités chargés d’élire
le bureau. Comme le soulignent Canterbery et Burkhardt, il n’est pas surprenant que ces facultés soient
considérés comme « brillantes » : les meilleurs départements sont
ceux qui publient dans leurs propres revues, qui sont elles-mêmes
les meilleures puisqu’elles publient les auteurs des « meilleurs »
départements. Ils font remarquer que cet inceste académique serait
considéré comme génétiquement malsain dans le domaine de la
reproduction biologique (p. 28).
Le Mouvement pour une économie post-autiste
A Paris, en juin 2000, un groupe d’étudiants en économie rédige
une courte pétition dans laquelle ils critiquent sévèrement leur programme et disent ce qu’ils voudraient à la place. Ils font circuler le
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texte parmi leurs amis et le placent sur Internet. A l’étonnement de
tous, à commencer par les étudiants eux-mêmes, leur petite protestation fait tout basculer. Comme l’ex-Union soviétique, la science
économique dominante est brutalement rattrapée par la réalité de son
époque, et quand cela survient dans ces milieux, tout le monde ou
presque est pris de court par les événements.
La pétition des étudiants avait quelque chose de conceptuellement
génial. Pendant quarante ans, la plupart des critiques de la science
économique sont passées par le filtre d’idées comme la réfutabilité
poppérienne, les paradigmes de Kuhn,
les « programmes de recherche » de
La pétition des étudiants reprochait
Lakatos et autres théories. La pétition
simplement à l’économie dominante
des étudiants ignorait tout cela. Elle
de ne pas réussir à expliquer
reprochait simplement à l’économie
la plus grande partie de la réalité
dominante de ne pas réussir à expliéconomique (d’où le terme « autiste »).
quer la plus grande partie de la réalité
économique (d’où le terme « autiste »).
Elle montrait que cette impuissance
venait de l’obstination des gens en place à ne voir le monde qu’à
travers le prisme étroit du néo-classicisme, de leur refus de toute
pensée critique envers ce système de croyance, et de leur souci
extrême d’un formalisme dénué de sens. La solution était simple et
facile à mettre en œuvre avec un minimum de volonté politique : il
fallait éliminer une grande partie des mathématiques, renoncer à
interdire toute pensée critique et introduire « une pluralité d’approches adaptée à la complexité des objets étudiés ».
Les étudiants s’attaquaient là à une épineuse question épistémologique – peut-être n’en avaient-ils pas conscience, mais leur
mentor, Bernard Guerrien, devait parfaitement s’en rendre compte.
Ils rompaient avec la philosophie de la science du siècle précédent
(également applicable à l’économie), qui s’était préoccupée des
situations de transition entre des théories mettant chacune en
valeur les mêmes aspects de quelque parcelle de réalité, mais avec
des conclusions différentes. Popper, dans La Logique de la découverte scientifique, proposait la réfutabilité comme idéal et critère
opératoire pour changer de paradigme ; d’autres, comme Imre
Lakatos et Thomas Kuhn, plaidaient en faveur d’autres outils. Le
souci épistémologique des étudiants français est fondamentalement
différent. Ils ont identifié une situation où une seule théorie n’éclaire
que quelques facettes d’un domaine, alors que ses tenants répriment
toutes les autres théories, qui permettraient pourtant de mettre
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L’histoire de la science économique est diverse, mais l’idée du
pluralisme n’en est pas moins abominable pour les économistes.
Ils ont tous cru, à commencer par les physiocrates français au milieu
du XVIIIe siècle, que leur approche des phénomènes économiques
représentait sinon toute la vérité, du moins tout ce qui valait la peine
d’être connu. C’est à travers ces constructions intellectuelles très
larges, appelées « écoles », plutôt qu’en se confrontant à des domaines
disciplinaires précis, que les économistes forment leur identité professionnelle fondamentale. Les divers enseignements et les membres
de ces écoles sont étiquetés orthodoxes ou hétérodoxes selon que
leur école est dominante ou non. Jusqu’à très récemment, les économistes étaient à l’aise dans ce système quasi théologique.
Les étudiants français demandaient que leur éducation économique vise principalement à la compréhension des problèmes économiques mondiaux (mondialisation, inégalités, environnement,
progrès technique, etc.). Tout enseignement d’une « école » serait
le bienvenu dans la mesure où il donnerait un éclairage sur le
monde réel. Ils refusaient, par contre,
ceux qui ne voulaient pas placer la
recherche de la compréhension empiL’histoire de la science économique
rique avant la propagation de leur
est diverse, mais l’idée du pluralisme
catéchisme. De plus, et c’est très
n’en est pas moins abominable
important, l’introduction de plusieurs
pour les économistes.
« écoles », avec des points de vue
différents, neutraliserait les implications idéologiques que contient, volontairement ou non, tout système conceptuel. Il n’existait pas de précédent sérieux à cette exigence, si nouvelle et en même temps si raisonnable qu’elle ébranla
tous les économistes, qu’ils soient orthodoxes ou hétérodoxes.
Les écoles de sciences économiques autres que néo-classiques ne
se sont pas moins querellées entre elles qu’avec les néo-classiques.
Mais au milieu des années 1990, un mouvement de pacification
s’amorça. Sous la bannière d’Icare (Confédération internationale
des associations pour la réforme des sciences économiques)
– devenu Icape, le « pluralisme » s’étant substitué à la « réforme » –,
il cherchait à « promouvoir un nouvel esprit de pluralisme en
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en lumière nombre de faits laissés dans l’obscurité. La solution,
face à une telle situation, n’est pas d’abandonner telle théorie ou tel
programme de recherche. Ce qu’il faut, ce n’est pas un changement
de paradigme mais le pluralisme.
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économie, impliquant un débat critique et une communication tolérante entre les diverses approches ». Icape ressemblait fort à un
conseil d’églises, et son « pluralisme » était fort éloigné de ce que
proposaient les étudiants français, mais ce mouvement a aidé à
rendre ce mot tabou moins sulfureux et à remettre en cause l’acceptation aveugle de notions simplistes, que ce soit les nôtres ou celles
des élèves de Popper et de Kuhn. Aussi, quand les idées des étudiants
français se sont répandues mondialement chez les économistes,
via la Post-Autistic Economy Newsletter (devenue depuis « Review »),
elles sont tombées sur un terrain partiellement préparé.
La rapidité avec laquelle la PAE Newsletter/Review, distribuée
gratuitement par courriel, a trouvé des abonnés et est devenue un
foyer de réforme radicale de l’économie a surpris tout le monde, à
commencer par ses éditeurs. Et la dynamique ne donne pas de signe
de ralentissement. Il y a maintenant 8 000 abonnés, pour la plupart
universitaires, mais aussi nombre d’économistes ayant d’autres
fonctions. Son site Web (www.paecon.net) reçoit 5 000 visiteurs
par mois.
Implications politiques
[7] Edward Fullbrook (dir.)
A Guide to What’s Wrong
with Economics, Londres,
Anthem Press, 2004.
Le monopole néo-classique dans l’enseignement et l’interdiction
de toute pensée critique ont conduit à inculquer à des générations
d’étudiants une vision de la réalité économique passant exclusivement par des concepts qui déforment ou cachent le monde,
notamment le monde actuel, plus souvent qu’ils ne l’expliquent.
Presque toutes ces notions néo-classiques influent sur les politiques
sociales, culturelles et économiques, et si la société apprenait à
réfléchir sur les questions économiques en dehors du système
conceptuel néo-classique, elle choisirait certainement des politiques
différentes. L’un des projets du Mouvement pour une économie
post-autiste est de montrer quelques-unes des aberrations du courant dominant, qui tiennent aux concepts qu’il utilise mais aussi à
ceux qui lui font défaut. Je vais en présenter quelques-unes en
m’appuyant sur des essais récents d’économistes appartenant au
Mouvement, publiés dans Un guide sur ce qui cloche économie [7].
L’économie néo-classique considère la concurrence comme un
état plutôt que comme un processus. Elle décrit la concurrence parfaite comme un marché sur lequel de nombreuses entreprises proposent les mêmes produits, avec les mêmes structures de coûts, les
mêmes techniques de production et la même information sur le
marché. Dans la réalité, c’est en fait un processus par lequel les
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28
Les économistes néo-classiques adorent également parler de
liberté de choix. C’est pure rhétorique, car ils définissent la rationalité
d’une façon qui élimine le libre choix de leur espace conceptuel.
Par rationalité, ils veulent dire que les choix d’un agent se
conforment à une hiérarchie ou une échelle de préférences. Parmi
les alternatives disponibles, l’agent « rationnel » choisit celle qui a
la meilleure place dans son classement. Le comportement rationnel
n’est donc rien d’autre qu’un comportement en accord avec une
hiérarchie d’alternatives classées par ordre de préférence. Pour
que cette démarche ait le moindre pouvoir prédictif, il faut faire
l’hypothèse que les préférences ne changent pas pendant un certain
temps. La condition de base de la rationalité néo-classique est que
les individus renoncent à un choix pour rester cohérents avec un
calcul fait antérieurement ; qu’ils se comportent donc comme des
automates. L’élimination de la liberté de choix, dans le sens quotidien comme dans le sens philosophique du terme, donne à la
théorie néo-classique l’hypothétique détermination qu’exige sa
métaphysique newtonienne. Mais sans indétermination, il ne peut
pas y avoir de choix… et sans détermination, il n’y a pas de modèle
néo-classique. La question est loin d’être purement académique :
la société a besoin d’une science économique capable de traiter
les problèmes de liberté de choix.
Quelle rationalité ?
Il n’y a pas de termes plus sacrés en économie néo-classique que
« choix rationnel » et « rationalité ». Tout individu s’identifie à ces
mots parce qu’il veut croire qu’il est lui-même rationnel. Mais peu de
gens réalisent que les économistes leur donnent un sens extrêmement bizarre. L’économie néo-classique repose sur une conception
a priori des marchés et des économies, vus comme des systèmes
déterminés qui tendent vers un équilibre efficace, assuré par le marché grâce à l’action des agents individuels et eux seuls. Ce qui exige
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De la domination
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firmes cherchent continuellement à rétablir les conditions de leur
propre rentabilité. Etre en compétition sur un marché impose aux
entreprises de chercher à exploiter des différences entre elles dans
les domaines de la production, de la technologie, de la distribution, de l’accès à l’information et de la sensibilité aux tendances
de la consommation. Ces différences sont les principales dimensions de la concurrence. Mais quand la conception néo-classique
s’est incrustée dans l’esprit d’un étudiant, il lui devient logiquement
impossible d’évaluer la concurrence réelle, et par conséquent de
trouver quelles actions pourraient l’améliorer.
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que ces derniers se comportent d’une façon déterminée, tout comme
les corps du système de Newton. Les néo-classiques ont donc fini par
déduire de leur théorie le modèle particulier de comportement rendant leur monde imaginaire logiquement possible, et l’ont baptisé
« choix rationnel » ou « rationalité ». Puis ils ont déclaré que c’était
de cette façon que les « vrais gens » se comportaient. Par bonheur,
ce n’est absolument pas le cas. Au quotidien, les acteurs économiques font beaucoup de choses qui, dans le sens néo-classique
du « rationnel », sont « irrationnelles ». Nombre de comportements
du consommateur ordinaire sont interdits par les définitions néoclassiques de choix rationnel et de rationalité, comme regarder ce que
choisissent les autres pour guider son propre choix, acheter des
actions parce que vous pensez que d’autres vont faire pareil et que
cela va faire monter leur valeur, dépenser votre argent sur des coups
de cœur au lieu de prendre le temps d’évaluer les conséquences et
les alternatives jusqu’aux limites de vos capacités cognitives, avoir
un penchant pour le changement, c’est-à-dire acheter quelque chose
que naguère vous ne placiez pas en tête de vos préférences. Tous ces
actes sont considérés comme en dehors du champ d’analyse de
l’économie néo-classique.
Ces défauts sont tous liés à un autre : l’économie néo-classique
est incapable, par ses propres axiomes, d’offrir une vision cohérente de l’individu comme agent économique. Elle ne réussit pas à
expliquer d’où viennent les préférences censées dicter les choix
individuels. Elle refuse d’expliquer les préférences par les relations
interpersonnelles, puisque, si les demandes individuelles étaient
interdépendantes, elles ne pourraient s’additionner, et la fonction
de demande – outil capital de l’analyse néo-classique – serait indéfinie. Elle n’accepte pas qu’elles viennent de la société, puisque
l’atomisme newtonien du néo-classicisme se traduit par l’individualisme méthodologique, ce qui signifie que la société doit être
expliquée en termes d’individus et jamais l’inverse.
Cela fait beaucoup de choses qu’on ne peut expliquer. Car en
général, malgré les axiomes néo-classiques, nous nous appuyons
sur des normes culturelles dominantes pour faire nos choix. De
même, nos goûts et préférences pour ceci ou cela reflètent les
institutions et les conventions sociales avec lesquelles nous interagissons. Le choix individuel est donc inévitablement et inextricablement lié à des milieux sociaux historiquement et géographiquement situés. Et une science économique qui n’a rien à dire sur
la formation des goûts et des préférences économiques est stupide
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Pendant un demi-siècle, l’économie néo-classique a caché son
idéologie derrière ce qu’elle appelle l’économie positive, censée ne
contenir aucun jugement de valeur parce qu’elle n’en mentionne
pas. Cette notion appartient évidemment à une époque plus naïve
que la nôtre, mais elle reste néanmoins un outil efficace d’endoctrinement des étudiants. L’économie néo-classique exige que l’on
se fixe des limites étroites pour rester dans le champ d’application
de sa métaphysique atomiste et déterministe, ce qui impose de
trancher entre ce qui est et ce qui n’est
pas économiquement important. Il
Pendant un demi-siècle, l’économie
serait trop long de faire simplement
néo-classique a caché son idéologie
la liste de ces jugements sans appel.
derrière ce qu’elle appelle
Un exemple éclairant est la notion
l’économie positive, censée ne contenir
d’« homo œconomicus », expression
aucun jugement de valeur.
hautement idéologique, puisqu’elle
met l’accent sur certains rôles et relations et en exclut d’autres. En ne permettant que les décisions fondées sur la maximisation de l’utilité, elle
élimine toute prise en compte d’une autre forme d’éthique. En tant
qu’agent économique, chaque individu joue de nombreux rôles, pas
seulement ceux que le marché lui assigne, et il est guidé par son
« orientation idéologique », qui peut être fondée ou non sur l’utilitarisme. Elle peut, par exemple, s’inspirer d’une éthique environnementale et sociale. L’économie post-autiste ne croit pas que les
économistes ont le droit de choisir une éthique comme la « bonne »
pour construire leur analyse économique. De plus, l’insistance néoclassique sur l’idéologie utilitaire légitime une sorte d’« idéologie du
marché » et de « consumérisme » qui apparaissent de plus en plus
dangereux pour la société, et qui marginalisent le débat sur le développement durable.
Comme pour la rationalité, chacun pense que l’efficacité est une
bonne idée. Les économistes néo-classiques adorent utiliser ce mot,
notamment à l’usage du grand public. Mais le sens d’« efficacité »
dépend toujours de ce que l’on choisit de compter. Prenons par
exemple cinq entreprises voulant abaisser dans les mêmes proportions le coût de production et le prix de vente d’un produit standard
qu’elles fabriquent toutes. L’une va diminuer les salaires, une autre
allonger la durée de la journée de travail, une troisième acheter ses
matières premières moins cher dans un pays pauvre, une quatrième
Octobre-novembre-décembre 2005
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De la domination
néo-classique
Edward Fullbrook
L’Economie politique
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et irresponsable, surtout dans une société de consommation et
dans un monde menacé de changement climatique, voire pire.
De la domination
néo-classique
Edward Fullbrook
L’Economie politique
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remplacer ses ouvriers par des robots. La cinquième va innover et
améliorer les performances de ses machines, ce qui lui permet de
diminuer le temps de travail sans baisser les salaires ni les profits,
avec le même niveau de production et sans supprimer d’emploi.
Ces changements ont-ils tous la même efficacité (ou inefficacité) ?
Oui, répondra un économiste néo-classique, puisque les cinq entreprises produisent en fin de compte le même produit au même coût
et le vendent au même prix. Pour lui, c’est tout ce qui compte.
Le courant dominant soutient que, dans le domaine des affaires
publiques, ce concept d’« efficacité » peut et doit également déterminer l’équilibre net entre le total des avantages et le total des
coûts résultant d’une décision ou d’une politique économique. Les
économistes voudraient remplacer le débat public par une « analyse
coût-avantage ». Mais toute analyse de ce type repose sur les conséquences que l’on choisit de privilégier et les dimensions que l’on
choisit de mesurer. Jamais une affirmation d’efficacité ne repose
sur l’identification de toutes les conséquences, et les conjectures sur
l’avenir ont inévitablement un côté boule de cristal. En dernière
analyse, « efficace » tout comme « beau » n’est pas grand-chose
de plus que la façon d’exprimer une opinion positive.
L’économie dominante, et par conséquent le plus clair du dialogue politique, rapproche aussi deux sens très différents, mais
couramment utilisés, de la « croissance économique », le PNB étant
considéré à tort comme mesure commune aux deux. Il y a la « croissance quantitative », accroissement des quantités produites et
consommées, et la « croissance qualitative », progrès dans le bienêtre. Par exemple, une épidémie peut faire croître les dépenses
médicales et par conséquent augmenter le PNB, mais pas le bienêtre. La pollution et les embouteillages entraînent d’énormes frais
pour tenter d’y échapper (par exemple s’installer en banlieue et
venir chaque jour travailler à la ville, installer des doubles vitrages,
des filtres à air, des dispositifs de sécurité). Ils conduisent à créer
de nouvelles industries et en accroissent d’autant le PNB, tout en
reflétant une dégradation de la qualité de la vie. Une croissance
quantitative qui provoque une croissance qualitative négative, peut
aussi être appelée « croissance non économique ». C’est à la fois une
réalité et un concept sur lequel les décideurs doivent se mettre
d’accord, et le plus tôt sera le mieux.
Le développement durable est un concept très proche de ces
nouvelles idées anti-néo-classiques. Il fait référence à la dimension
L’Economie politique n°
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La position quasi monopolistique de la science économique néoclassique est incompatible avec des idées normales sur la démocratie. L’économie a quelques-unes des caractéristiques d’une
science, mais à cause de la nature même de son objet, elle est toujours fondamentalement idéologique. Sur ce point, il vaut mieux
ne pas se leurrer ni chercher à tromper les autres. Se préoccupant
de valeurs et d’actions ayant des répercussions mondiales, elle a la
responsabilité morale de favoriser l’exploration d’un savoir économique qui n’ait pas un point de vue unique, pour rendre possibles
le débat et la discussion intelligents et documentés qu’exige la
démocratie. Mais l’hégémonie de l’économie néo-classique signifie que les facultés de sciences économiques sont devenues des
centres de propagande politique. En 2002, Joseph Stiglitz a écrit
dans The Guardian que l’économie telle qu’elle est enseignée « dans
les universités américaines […] témoigne du triomphe de l’idéologie
sur la science ». Est-ce un usage légitime des fonds publics ? Ce
qui est certain, c’est que cet état de fait est dangereux, mais qu’aujourd’hui il est remis en cause. Le Mouvement pour une économie
post-autiste a l’ambition de faire une révolution dans les dix prochaines années. Il veut faire de la science économique une démarche
véritablement pluraliste, soucieuse de contribuer aux processus
démocratiques plutôt que de les corrompre. Pour que ce mouvement
réussisse, il faut que les autres disciplines et les autres professions
cesse de soutenir l’hégémonie néo-classique et s’intéressent
aux milliers d’économistes qui travaillent aujourd’hui à changer
l’ordre du monde. ■
Traduction de Marc Mousli
Octobre-novembre-décembre 2005
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De la domination
néo-classique
Edward Fullbrook
L’Economie politique
physique de l’économie liée à l’écosystème. Les économistes écologistes voient l’économie comme un sous-système ouvert faisant
partie d’un système plus vaste, l’écosystème, qui est fini, sans
croissance et, sauf pour l’énergie solaire, matériellement fermé.
Ce point de vue oblige à se poser des questions sur la taille des
phénomènes. Quelle est la dimension du sous-système économique,
par rapport à l’écosystème de la planète ? Quelle est sa taille maximale possible, et sa taille idéale pour le bien-être de l’humanité ? Ces
questions, qui devront être de plus en plus au cœur des décisions
politiques, ne figurent pas dans les programmes scolaires courants.
L’économie néo-classique ne peut pas intégrer le concept de développement durable parce que, s’il devenait une finalité, les biens
devraient être en partie valorisés en fonction de leur contribution à
cet objectif, et pas seulement d’après leur faculté de maximiser
l’utilité individuelle.
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