caractère noble. Si la sculpture est empreinte d’une beauté sensible
plus parfaite que celle de ce qu’elle imite, elle suggère alors à l’âme
une réalité supérieure, plus pleine, que le modèle en chair et en os ne
permettait pas nécessairement d’entrevoir. Ainsi, l’art est toujours
imitation, mais de par sa beauté, il est pour l’âme une voie d’accès
à la vérité, à la réalité dans sa plénitude.
Ceci dit, on peut se demander si devant la grande place occupée
aujourd’hui par l’art abstrait, on doit rejeter l’idée selon laquelle
l’art serait essentiellement mimèsis. Autrement dit, l’art est-il enco-
re de l’art s’il n’est plus imitation ? On pourrait considérer l’exigen-
ce imitative comme une contrainte pour l’artiste, contrainte qui le
gênerait dans l’élaboration d’une œuvre médiatrice de vérité,
capable d’élever l’âme au-delà des cas particuliers du monde phé-
noménal, vers un certain absolu. La contrainte imitative évacue-t-
elle du champ de l’art toute forme d’art dit abstrait ?
Si on considère l’imitation dans son sens strict, l’art abstrait ne
serait pas de l’art. Cependant, toute imitation se rapporte à un imité,
toute imitation fait référence à un modèle. De même, l’abstraction
est toujours abstraction de quelque chose. L’œuvre, même si elle est
imitative en un sens strict, n’est jamais une copie identique de son
modèle, simplement parce que, par exemple, on ne peut dormir sur
le lit du peintre. Si on ajoute à cela qu’elle ne représente qu’une
« vue » de ce qu’elle imite, toute œuvre de ce genre est toujours une
abstraction. Dès lors, nous pouvons généraliser et affirmer que toute
œuvre d’art est abstraite. Ceci dit, la question qui demeure est de
savoir jusqu’à quel point on peut pousser l’abstraction pour qu’elle
soit encore de l’art, c’est-à-dire pour qu’elle soit encore, dans une
certaine mesure, imitative.
Pour répondre à cette question, rappelons que, pour Platon, le
seul art acceptable doit se soumettre à une exigence éducatrice : l’art
doit amener les êtres humains à être meilleurs. Au troisième livre de
la République, Platon fait du théâtre, de la musique et de la poésie
lyrique des moyens privilégiés pour éduquer le caractère, faire
acquérir de bonnes habitudes et amener les jeunes à désirer bien agir.
Les œuvres d’art doivent imiter les beaux corps, les belles actions,
les beaux caractères, de manière à susciter le désir de ces belles et
Phares 32
Dossier : Philosophie et littérature