UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL TRAVAIL FINAL DE SYNTHÈSE ET DE RÉFLEXION Les troubles de santé mentale et l’abandon scolaire Présenté à Mohamed Hrimech, ph.D Comme exigence du cours Abandon et retour aux études – PPA6605 Par PATRICIA ARNAUD DÉCEMBRE 2010 Abandon et retour aux études TABLE DES MATIÈRES INTRODUCTION .............................................................................................................. 3 1. TROUBLES DE SANTÉ MENTALE : UN DES PREMIERS FACTEURS DE RISQUE DU DÉCROCHAGE SCOLAIRE ! .................................................................... 5 2. QUAND RIEN DE VA PLUS ! DÉTECTER UN TROUBLE MAJEUR DE SANTÉ MENTALE CHEZ UN JEUNE .......................................................................................... 9 2.1 L’adolescence .......................................................................................................... 9 2.2 Le normal et le pathologique à l’adolescence ........................................................ 12 2.3 Les troubles mentaux les plus courants ................................................................. 12 2.4 Un peu plus sur la dépression ................................................................................ 13 2.5 Un peu plus sur le trouble bipolaire (ou maniaco-dépression) .............................. 14 2.6 Un peu plus sur la schizophrénie et les autres psychoses ...................................... 15 3. IMPACT SUR L’ENVIRONNEMENT ET L’ÉCOLE ............................................... 16 4. FACTEURS DE RISQUE ET FACTEURS DE PROTECTION ................................ 18 5. LES SERVICES DE DEUX ORGANISMES COMMUNAUTAIRES ...................... 22 6. MÉTHODOLOGIE............................................................. Erreur ! Signet non défini. CONCLUSION ................................................................................................................. 25 BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................ 29 Patricia Arnaud 2 Abandon et retour aux études INTRODUCTION Il est reconnu que la combinaison de plusieurs facteurs accroît les risques de décrochage scolaire chez les jeunes. Parmi ces facteurs, se trouve la présence d’un trouble de santé mentale. Je dois spécifier que j’ai choisi délibérément le terme trouble de santé mentale, plutôt que maladie mentale, afin de parler de ce qui affecte un jeune au niveau de sa santé mentale, plutôt que de le stigmatiser par un diagnostic de maladie mentale. Il reste qu’une majorité de jeunes ne reçoivent pas de diagnostic avant d’avoir atteint l’âge de jeune adulte, souvent après 17 ou 18 ans et même souvent plus tard. À l’adolescence, on parle donc souvent de troubles et moins de maladies. De plus, une personne peut être touchée par une maladie mentale et être très fonctionnelle, tandis que si vous souffrez d’un trouble de santé mentale, votre quotidien en sera affecté. C’est très souvent la différence que font les travailleurs des organismes communautaires en santé mentale (réseau dont je fais partie). Ma pratique professionnelle me fait intervenir auprès de parents ayant un proche atteint de maladie mentale. Une majorité d’entre eux viennent consulter pour un jeune adulte (souvent un fils ou une fille) ayant décroché du milieu scolaire dû à la présence entre autres d’un trouble de santé mentale. Parmi les problématiques les plus souvent rencontrées : la schizophrénie, la bipolarité, la dépression, une psychose toxique, un trouble de la personnalité et des troubles anxieux. Malheureusement, nous rencontrons de plus en plus de comorbidité1; ce qui complexifie grandement la situation. Suivant les manifestations cliniques, le jeune vivra différentes difficultés affectant non seulement son 1 Présence de deux ou plusieurs diagnostics ou atteintes chez une même personne. Par exemple, un jeune pouvant souffrir d’un trouble de personnalité limite, d’anorexie sévère et d’un problème de toxicomanie. Patricia Arnaud 3 Abandon et retour aux études sentiment de bien-être, ses relations interpersonnelles et familiales, mais principalement sa vie scolaire, ses projets et ses rêves. J’ai illustré ce travail avec certains de ces témoignages dont les noms ont été changés pour garder l’anonymat. Dans le développement de ce travail, j’aborderai ce passage de l’adolescence à l’âge adulte; de la présence d’une trouble sévère de santé mentale menant à l’altération du fonctionnement d’un jeune; de l’accès aux services de santé et sociaux; de l’impact sur la famille, l’école, la société; de facteurs de risque et de facteurs de protection; et finalement sur quelques pistes pouvant aider et redonner espoir à ces jeunes en difficulté. MOTS CLÉS AYANT SERVI À LA RECHERCHE : Santé mentale – maladie mentale - dépression – décrochage – abandon scolaire. Mental health – mental illness - depression – drop-out. Patricia Arnaud 4 Abandon et retour aux études 1. TROUBLES DE SANTÉ MENTALE : UN DES PREMIERS FACTEURS DE RISQUE DU DÉCROCHAGE SCOLAIRE ! Sur le site de la Fondation des maladies mentales, on peut y lire un communiqué de mai 2010 stipulant que la dépression et les maladies mentales sont une problématique d’actualité qui concerne également de près nos jeunes. « Qu’il soit question de troubles dépressifs, d’anxiété, de dépendance aux drogues, de phobies sociales ou de trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité, l’abandon d’un projet scolaire en est souvent le résultat. » D’après le Dr. Martin Tremblay, psychiatre et porte-parole scientifique de la Fondation des maladies mentales, une grande majorité de jeunes et de parents confondraient dépression et déprime. De ce fait, ils ne sauraient pas intervenir à temps pour aider les jeunes qui ont besoin d’aide. « En prévenant la dépression, nous travaillons en amont de plusieurs problématiques comme le suicide chez les jeunes et le décrochage scolaire. » Les études réalisées par l’équipe de recherche de la chercheure Diane Marcotte, professeure titulaire au Département de psychologie de l’Université du Québec à Montréal, auraient permis de démontrer que la dépression se situerait au premier rang des facteurs de risque de décrochage au début du secondaire. Une étude à laquelle Madame Marcotte a collaboré, a été menée auprès de 800 élèves du Québec sur une période de onze ans. Il a été également identifié que les jeunes dépressifs présentent un risque deux fois plus élevé de décrochage scolaire suite à la transition primairesecondaire que leurs pairs non dépressifs. Pour le Dr. Stéphane Kunicki, chef des soins intensifs psychiatriques et psychiatre à l’unité d’intervention de crise de l’Hôpital LouisH. Lafontaine et porte-parole scientifique de la Fondation des maladies mentales, il faut Patricia Arnaud 5 Abandon et retour aux études rappeler la probabilité du risque de décrochage d’un élève dépressif est près de 2 fois plus élevée que celle d’un étudiant qui n’est pas dépressif. « Plus le sentiment dépressif est marqué, plus le facteur de risque de décrochage est grand : la probabilité de décrochage est de 33% chez les garçons très dépressifs, mais seulement de 3% chez les garçons où le sentiment dépressif est faible. (…) Il est à noter que 5 à 10% des adolescents souffriront de dépression majeure et que 70% d’entre eux ne seront pas diagnostiqués et ne recevront pas de traitement » a ajouté le Dr. Kunicki. La faible scolarisation se traduit par des salaires moins élevés, moins d’impôts payés, une moins bonne santé, une espérance de vie moindre, davantage de périodes de chômage, des risques de dépression plus élevés et une plus faible participation civique. Dans un article du bulletin CRIRES, Marcotte (2009) fait état des jeunes dépressifs qui ont un rendement scolaire moindre et risquent de présenter des difficultés accrues à assumer des rôles sociaux adultes. Les filles seraient davantage touchées par la dépression. À titre d’hypothèse, l’auteur parle des changements physiques associés à l’arrivée de la puberté et une appréciation négative de l’image corporelle chez les adolescentes en particulier, mais aussi chez les garçons. Les jeunes filles perdraient cette image prépubertaire sans rondeurs tant valorisée dans notre société. Les jeunes filles vivront d’autres stress à cette perception négative d’elles-mêmes, comme la séparation des parents ou un déménagement. Les garçons dans cette période d’adolescence peuvent souffrir d’une apparence physique qui les distingue encore des pairs plus âgés. Le jeune garçon qui arrive au secondaire peut mal se percevoir par rapport à sa grandeur, sa musculature encore peu développée et son apparence juvénile. L’auteur commente le fait qu’une perception positive du climat de l’école modère les effets négatifs de l’autocritique et du sentiment d’incompétence sur les problèmes intériorisés. À l’école, les jeunes dépressifs sont très souvent ignorés et on ne connaît encore que très peu de Patricia Arnaud 6 Abandon et retour aux études choses sur la relation dépression/école. À l’inverse des jeunes présentant des troubles du comportement, les jeunes dépressifs sont peu dérangeants et suscitent beaucoup moins d’attention des enseignants. Pour Marcotte (2009), il est impossible au stade de recherche où nous nous trouvons d’identifier si la détérioration du rendement scolaire précède ou agit comme conséquence de la dépression, puisque les rares études longitudinales dont nous disposons n’ont pas examiné cette relation. Une vaste étude longitudinale d’une durée de huit ans est menée présentement par une équipe de recherche du CRIRES (Fortin, Marcotte, Potvin & Royer). La dépression aurait été identifiée comme la deuxième variable, la première étant le faible rendement scolaire, prédisant l’appartenance au groupe d’élèves à risque d’abandon scolaire en première année du secondaire. Parmi un large ensemble de variables personnelles, familiales et scolaires, l’auteur a identifié sept variables comme étant les plus fortement prédictrices du risque d’abandon, soit dans l’ordre : le faible rendement en mathématiques et en français, la dépression, le manque de cohésion familiale, le manque d’organisation familiale, les attitudes de l’enseignement envers l’élève et le manque d’engagement scolaire. Les élèves dépressifs rapporteraient un manque de soutien de leurs enseignants. Il semblerait que plus les symptômes dépressifs augmentent, plus le rejet augmente et plus l’attraction interpersonnelle diminue de la part des enseignants. De plus, environ le tiers des jeunes dépressifs, particulièrement les garçons souffriraient simultanément de troubles de comportement, ce qui n’améliorerait pas la qualité des relations interpersonnelles au sein de l’école. D’après Quiroga (2009), la prévalence annuelle de la dépression chez les adolescents canadiens s’élevait à 7,2%; 9,4% chez les filles et 5,1% chez les garçons. 21,4% des filles Patricia Arnaud 7 Abandon et retour aux études et 10,7% des garçons âgés de 12-23 ans rapportaient de la dépression au cours de leur vie. La dépression est deux fois plus élevée chez les filles que chez les garçons. La dépression chez les adolescents est souvent associée à d’autres problèmes de santé mentale : anxiété et problèmes de comportement. Toujours selon l’auteur, l’ensemble des études qui ont examiné la relation entre la dépression et le décrochage n’ont rapporté qu’une association limitée entre la dépression et le décrochage. Certains chercheurs n’auraient pas trouvé de liens entre un épisode de dépression et l’obtention du diplôme secondaire. L’effet de la dépression pouvait disparaître si l’on tenait compte de l’expérience familiale, individuelle et scolaire des participants. Le lien entre la dépression et la scolarisation ne serait que le reflet des conditions d’adversité auxquelles ces jeunes auraient été exposés. Y aurait-il donc un lien indirect entre la dépression et le décrochage scolaire ? Comme par exemple, des expériences difficiles ayant nui au développement de l’individu. Quiroga (2009) propose deux pistes de recherche : 1. La dépression et la perception de compétence scolaire. Une perception négative de la compétence scolaire serait à la fois un prédicteur et une conséquence de la dépression chez les jeunes. 2. La dépression et le retard scolaire. Les élèves qui ont doublé au moins une année scolaire durant leurs études rapporteraient plus de détresse, d’impuissance et de symptômes de dépression à l’adolescence. Patricia Arnaud 8 Abandon et retour aux études 2. QUAND RIEN DE VA PLUS ! DÉTECTER UN TROUBLE MAJEUR DE SANTÉ MENTALE CHEZ UN JEUNE 2.1 L’adolescence Selon Saucier et Marquette (1985), la puberté entraîne chez tous les adolescents un changement tumultueux de la personnalité accompagné de sautes d’humeur, de comportements imprévisibles, de moments de rébellion et d’éloignement affectif des adultes aussi bien parents qu’éducateurs. L’adolescent affirme avec force son autonomie naissante, réagit brusquement à la moindre remarque critique et refuse l’aide même quand le besoin s’en fait sentir. Dans leur article Cycle de l’adolescence, processus sociaux et santé mentale, ils rapportent que 54% des adolescents seraient normaux, que 27% d’entre eux auraient des problèmes sporadiques et que seulement 19% auraient des problèmes importants. Sans minimiser ce presque 20% des jeunes, il est toutefois important de s’y pencher et c’est le but de ce travail. De nombreux changements sont apparus dans les dernières décennies. Toujours selon Saucier et Marquette (1985) : Les pays occidentaux commencèrent par rendre le cours primaire obligatoire, puis y ajoutèrent le cours secondaire. L’État a donc prolongé l’état de dépendance économique de tous les jeunes qui auparavant avaient accès au travail beaucoup plus tôt, sur la ferme ou dans l’atelier. Dans les siècles antérieurs, la majorité des enfants devenaient socialement adultes avant ou au moment de leur maturité sexuelle. Au cours de la première moitié de ce siècle, la majorité des enfants devenaient biologiquement adultes plusieurs années avant de le devenir socialement. Venait de naître une nouvelle phase, celle de l’adolescence. Cette nouvelle catégorie de jeunes Patricia Arnaud 9 Abandon et retour aux études allait vivre souvent sous le signe du renoncement : celui de dépendre d’autrui et de ne pouvoir jouir de leur pleine liberté; de l’importance accrue de la réussite scolaire; du refoulement des agirs agressifs, sauf les compétitions sportives encadrées par les adultes; et de l’établissement progressif d’une sous-culture propre à l’adolescence, avec ses rites, son langage, ses modes vestimentaires, sa musique, etc. Cette sousculture permettrait à la majorité des adolescents d’attendre sans trop de mal le moment d’accéder aux privilèges du jeune adulte. Une surveillance moins stricte des adolescents par les deux parents qui travaillent; l’idéologie courante chez les adultes de la réalisation maximum de leur potentiel, qui pousse ceux-ci à consacrer beaucoup d’énergie à leur carrière et à parfois désinvestir plus tôt leurs enfants, dès la puberté; le taux croissant du divorce, l’adolescent étant plus souvent laissé à lui-même, ou à recevoir tôt des confidences d’adulte, ou conseiller le parent sur des sujets difficiles tels un changement de travail ou le choix d’un nouveau conjoint. À l’école secondaire, la structure académique tend maintenant vers le modèle universitaire, avec une diversification plus grande des programmes, laissant apparaître la nécessité d’une série de décisions de plus en plus précoces engageant l’avenir de l’enfant, et qui consiste souvent pour celui-ci de changer continuellement de groupe d’étudiants. Le groupe de pairs est ainsi effrité à répétition, privant d’amitié et de support émotionnel la minorité d’adolescents qui n’ont pas la facilité de se bâtir euxmêmes un réseau d’amis. Les masse-médias, en particulier la télévision, exposent constamment et sans ménagement l’adolescent à tout l’éventail des problématiques d’adultes. Patricia Arnaud 10 Abandon et retour aux études Une précocité graduelle des expériences sexuelles, accompagnées parfois de grossesses non désirées, suivies de la décision de l’avortement ou de celle de garder l’enfant. La prise de drogues. Ce type d’achat a été rendu possible par une augmentation sensible du pouvoir économique des jeunes qui, grâce à la générosité accrue des parents, et/ou à un travail partiel rémunéré a rendu l’adolescent responsable d’un pouvoir d’achat non négligeable. La violence a augmenté en fréquence et en intensité. L’abandon scolaire a été plus souvent observé à l’adolescence, soit temporairement, ou soit définitif, mettant l’avenir occupationnel en danger. Bref, cet accès plus précoce à la vie d’adulte semble avoir aussi modifié le tableau psychiatrique de l’adolescence : augmentation de la dépression; réactions aiguës suite à la prise de drogues et augmentation de la toxicomanie chronique; tentatives de suicide ou suicides complétés; augmentation des troubles anxieux, des troubles de la personnalité, des troubles de comportements divers, etc. Mélissa a toujours détesté l’école. À trois ans, ses parents divorcent, puis des familles recomposées, qui se séparent à leur tour. Beaucoup de mouvance dans sa vie : des déménagements, des changements d’école, l’arrivée d’un demi-frère, etc. À l’école, elle est plutôt sage; celle qui s’assoit au fond de la classe et qui ne dérange pas. Souffrant d’un peu de dyslexie, ses difficultés scolaires sont suffisantes pour la décourager de l’étude et la faire redoubler sa 4e année. Surtout que cette année-là, elle avait deux professeurs à mi-temps qui se partageaient la classe. Sa mère très présente tente en vain d’avoir des services de l’école. Les ressources de l’école sont insuffisantes et offertes à des cas plus graves que Mélissa. La dépression apparaît vers ses 16 ans : absentéisme à l’école, isolement, pleurs, anxiété, troubles du sommeil, tristesse, agressivité, etc. Les échecs s’accumulent. Elle décroche en sec. 4 et tentera de se suicider. Patricia Arnaud 11 Abandon et retour aux études 2.2 Le normal et le pathologique à l’adolescence Il est très complexe d’évaluer le normal et le pathologique chez l’adolescent. Selon Marcelli et Braconnier (2008), ils citent P. Blos et M. Laufer : La distinction entre les stress normaux temporaires et les troubles psychiques peut apparaître malaisée si l’on ne prend en considération qu’un phénomène isolé, une conduite ou un comportement donné. Par contre, l’évaluation du fonctionnement global de la personnalité permet en général de saisir les interférences et de préciser le risque qu’elles puissent entraver la poursuite de l’évolution vers l’âge adulte. Deux modalités d’analyse sont ainsi dégagées : 1. d’un côté la souplesse opposée à la rigidité des conduites et la manière dont ces conduites interfèrent avec le fonctionnement global de la personnalité, c’est-àdire les événements actuels et l’organisation mentale historiquement construite; 2. d’un autre côté l’entrave plus ou moins importante que ces conduites représentent pour la poursuite du développement psychique, c’est-à-dire une analyse prospective sur les interactions entre ces événements actuels et le processus psychique en cours de construction. 2.3 Les troubles mentaux les plus courants Vous trouverez un court résumé des troubles les plus couramment rencontrés chez les jeunes et qui peuvent affecter de façon significative leur rendement scolaire, inspiré de Gagnon (2001). Ces troubles sont davantage décrits dans le manuel de psychiatrie DSMIV (Diagnostic and Statistical Manual - Revision 4) et celui du CIM-10 (Classification internationale des maladies). Cependant, l’étude de ces troubles en général chez l’enfant ou l’adolescent, et le diagnostic sont rarement simples. En résumé : Patricia Arnaud 12 Abandon et retour aux études a) Dépression ou épisode dépressif majeur : La caractéristique essentielle de ce trouble est soit une humeur dépressive ou irritable, soit une perte d’intérêt ou de plaisir. Les autres symptômes incluent des troubles de sommeil ou d’alimentation, des sentiments de dévalorisation, des idées et tentatives de suicide. b) Trouble bipolaire ou maniaco-dépression : Ce trouble se caractérise par la survenue d’un ou plusieurs épisodes maniaques, ou d’épisodes mixtes (maniaques et dépressifs). L’épisode maniaque se définit par une perturbation de l’humeur se manifestant par des idées de grandeur, une réduction du besoin de sommeil, un engagement dans de multiples activités (scolaires, sexuelles, religieuses, etc.) ou d’autres symptômes qui peuvent être psychotiques. c) Schizophrénie : Ce trouble se caractérise par des idées délirantes, des hallucinations, un discours ou un comportement désorganisé et des symptômes négatifs tels que le retrait, un désintérêt pour les activités scolaires ou de loisirs et de la négligence dans les soins corporels. d) Troubles anxieux ou anxiété généralisée : La caractéristique essentielle de ce trouble est une anxiété ou des soucis excessifs au sujet d’événements ou d’activités (performances scolaires, compétitions sportives, etc.) s’accompagnant de symptômes de tension et entraînant une souffrance significative ou une altération du fonctionnement habituel du jeune. 2.4 Un peu plus sur la dépression Selon Marcelli et Braconnier (2008), les variations d’humeur des garçons et des filles âgés de 13 à 20 ans ont été négligées et souvent attribués au processus normal Patricia Arnaud 13 Abandon et retour aux études d’adolescence. Pour ceux qui traversent une véritable période dépressive, deux tiers d’entre eux ne sont pas psychologiquement et/ou médicalement soignés. Les conséquences sont pourtant nombreuses et parfois graves. Elles sont à l’origine d’échecs scolaires, de troubles de caractère, de conduites suicidaires et de conduites de dépendances. Depuis vingt ans, le nombre d’adolescents présentant ces épisodes dépressifs se serait fortement accru au point de pouvoir être considéré comme un véritable problème de santé publique. À l’origine de ces dépressions, on retrouve des vulnérabilités neurobiologiques, mais aussi un cumul d’événements de vie négatifs, familiaux (deuil, parent déprimé, conflits familiaux, divorce) ou existentiels (déception sentimentale, échec scolaire, maladie physique). À cet âge, où l’espoir et l’idéalisation sont des mouvements naturels, la pression culturelle et sociale actuelle pousse certains jeunes à vivre le monde comme décevant ou inquiétant par rapport à l’avenir. Une métaanalyse de E.J. Costello et coll. (2006) portant sur 36 études représentant environ 60 000 patients conclue à des taux de prévalence globale de 2,8% chez les moins de 13 ans et de 5,6% entre les 13 et 18 ans; avec dans cette tranche d’âge selon le sexe, chez les filles : 5,9% et chez les garçons : 4,6%. À côté de cette dépression majeure, il existe une ambiance dépressive dont les taux varient de 28 à 44% selon la rigueur des critères diagnostiques. 2.5 Un peu plus sur le trouble bipolaire (ou maniaco-dépression) Chez l’adolescent, le trouble bipolaire est beaucoup plus fréquent qu’on ne l’imaginait antérieurement. Toujours selon Marcelli et Braconnier (2008), vingt à quarante pour cent des adultes bipolaires déclarent que leur maladie a commencé dès l’enfance ou surtout à Patricia Arnaud 14 Abandon et retour aux études l’adolescence. Le diagnostic serait difficile à établir, car il commence souvent à l’adolescence par un épisode dépressif. Les suivis de cohorte montrent que si une majorité de sujets s’améliorent après le premier épisode (85%), nombre d’adolescents conservent des symptômes modérés, 52% environ présenteront au moins un des symptômes du trouble et 80% auront un ou plusieurs épisodes de récidive. Il existe des difficultés d’adaptations sociales fréquentes avec un échec ou un décrochage scolaire. La précocité du diagnostic et du traitement constitue un facteur important dans le pronostic. B. Birmaher (2006) considère que chaque année de retard dans le traitement d’un adolescent bipolaire diminue de 10% la qualité de la récupération. 2.6 Un peu plus sur la schizophrénie et les autres psychoses Dans un contexte de bouleversements multiples qu’est l’adolescence, un épisode psychotique peut être passager. De plus, on ne dispose que de très peu d’études épidémiologiques concernant les psychoses aiguës de l’adolescent. Marcelli et Braconnier (2008) rapportent une étude réalisée par P.H. Thomsen (P.H. Thomsen, 1996) qui montre que dix ans après un diagnostic de schizophrénie sur un groupe d’enfants et d’adolescents, 21% présentent en réalité un trouble de la personnalité, dont 12,4% de type borderline. Michael donne beaucoup de fil à retordre à son père avec lequel il vit. Il ne se lève plus le matin pour aller à l’école et s’est désintéressé de ses cours. Il tient des propos bizarres et est devenu agressif. Son père est persévérant et tient à sortir son fils de cette mauvaise période, pense-t-il. Après beaucoup de démarches, le fils reçoit un diagnostic de schizophrénie. C’est le désespoir pour le père, qui cherche à comprendre. Après quelques mois de soins, le fils commence l’éducation aux adultes et se trouve un petit emploi. Le père continue d’assister à des groupes d’entraide pour parents à l’APAMMRS et à suivre différents ateliers psychoéducatifs. Le fils retrouve son estime. Le psychiatre modifiera le lourd diagnostic initial en trouble de personnalité limite. Patricia Arnaud 15 Abandon et retour aux études Cela n’enlève rien à la gravité des symptômes psychotiques lorsqu’ils surviennent, et qui doivent être pris en charge en tant que tels. Mais faire attention à une stigmatisation diagnostique trop rapide. Les psychoses toxiques, quant à elles deviennent de plus en plus fréquentes, dû à la consommation de drogues. Il est considéré que le risque de survenue ultérieure de psychose est majoré d’environ 40% chez les consommateurs occasionnels de cannabis et de 200% chez les gros fumeurs. Il y a donc une relation dose-effet (T. Moore, 2007). L’entourage familial joue un rôle primordial dans le repérage plus ou moins précoce des symptômes de troubles de santé mentale; dans l’accompagnement du proche vers les services nécessaires (santé et services sociaux); et dans le soutien du jeune dans son parcours scolaire et à l’école. 3. IMPACT SUR L’ENVIRONNEMENT ET L’ÉCOLE La présence d’un trouble de santé mentale touchera non seulement la personne ellemême, mais ses relations avec ses amis, ses proches, sa famille, son milieu scolaire et son milieu de travail si elle occupe un emploi en plus de ces études. Les relations avec l’environnement auront tendance à s’altérer et à se modifier. Par peurs, par craintes, par préjugés, certains proches stigmatiseront davantage le jeune souffrant ou le laisseront tomber. Toutefois, de nombreux proches deviendront de sérieux alliés qui aideront considérablement l’adolescent aux prises avec un mal souvent inconnu ou difficilement acceptable. Patricia Arnaud 16 Abandon et retour aux études Corinne a deux fils. Son plus vieux de 23 ans a été diagnostiqué schizophrène lors de son adolescence. Son parcours est houleux. Sa maladie, mais surtout sa consommation de drogues, l’empêchera de terminer ses études secondaires. Son plus jeune frère, Jonathan, a longtemps été considéré comme un hyperactif. L’école obligeait Corinne à ce que son fils prenne du Ritalin pour suivre sa scolarité. Il s’adaptait mal à l’école, aux enseignants et à ses camarades. Corinne se bat pour obtenir des services et aider ses deux fils. Enfin, Jonathan se fait évaluer à l’Hôpital Sainte-Justine, dont le diagnostic montre des troubles anxieux sans aucun trouble de déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH). Les médicaments ont donc été arrêtés, mais Corinne a dû continuer à se battre avec les enseignants et psychoéducateur de l’école qui ne croyait pas vraiment le nouveau diagnostic. Une fois même, Corinne entend une conversation voulant faire croire que Jonathan pouvait lui aussi avoir la schizophrénie. Corinne se fâche; rencontre la direction; informe le personnel sur les maladies mentales, etc. Finalement, le problème de perception se résorbe et le personnel de l’école change sa vision. Tout le monde se met à collaborer. En quelques mois, son fils va beaucoup mieux. Pour d’autres jeunes aux prises avec un trouble de santé mentale, les difficultés durent et s’organisent en un système stable. Les attitudes d’échec, les sentiments dépressifs et des difficultés importantes à traverser envahiront leur fonctionnement psychique. Les difficultés scolaires peuvent prendre des formes plus spécifiques comme la phobie scolaire, l’absentéisme ou l’abandon scolaire. Sans établir une équivalence simpliste entre difficultés scolaires et difficultés psychopathologiques, Marcelli et Braconnier (2008) explique que la grande majorité des pathologies mentales ont un retentissement sur la qualité de la scolarité allant jusqu’à l’échec scolaire complet. Par la suite, les jeunes déscolarisés cumulent les signes et les conduites à risque y compris les manifestations symptomatiques de la série dépressive en particulier les tentatives de suicide. Patricia Arnaud 17 Abandon et retour aux études 4. FACTEURS DE RISQUE ET FACTEURS DE PROTECTION Comment se fait-il que certains enfants et adolescents vivant dans un contexte similaire vont développer un problème de santé mentale et que d’autres vont éviter la présence d’une psychopathologie ? Il existe plusieurs facteurs expliquant la présence d’un trouble de santé mentale chez l’enfant et chez l’adolescent. Habimana (1999) décrit quatre facteurs souvent en interaction. Les caractéristiques de ces facteurs sont en soi des facteurs de risque ou le cas contraire, des facteurs de protection. a) Les facteurs biogénétiques ou individuels : sous le contrôle du système nerveux central, la génétique, le tempérament, l’intelligence, les lésions cérébrales, la malnutrition et la maladie physique. b) Les facteurs familiaux : la qualité des relations parent-enfant, la structure et la taille de la famille, les événements stressants comme la mort d’un parent, la séparation et le divorce, les enfants des mères adolescentes, la violence physique et psychologique, les problèmes psychiatriques des parents, la dysfonctionnalité. c) Les facteurs sociaux : tels que le manque d’habiletés sociales, la capacité de communiquer ses besoins, les influences sociales comme le rôle des multimédias par les valeurs transmises (la violence, l’hypersexualité…), l’impact de l’école qui représente le milieu de vie le plus important dans la socialisation de l’enfant, la structure de l’école, son organisation, le climat. Selon Quiroga (2009), l’expérience scolaire de l’élève est le facteur le plus élevé de risque de décrochage (habiletés cognitives, verbales, retard, échecs, faible rendement, etc.). Ces Patricia Arnaud 18 Abandon et retour aux études difficultés engendrent une perception négative chez le jeune de sa compétence scolaire. Des problèmes de motivation et d’engagement scolaire s’en suivent. d) Les facteurs culturels et la pauvreté : tels que le revenu familial, le stress vécu de l’immigration, les choix identitaires des enfants et des adolescents, l’adaptation à un autre style de vie, le niveau de scolarisation faible du milieu, le manque de ressources matérielles. Dumas (2007) mentionne que les données scientifiques s’accordent à montrer qu’il n’existe pas de facteur qui, à lui seul, explique pourquoi certains jeunes développent des problèmes de santé mentale. Les troubles sont rarement la conséquence d’une ou deux causes directes. Il s’agit plutôt d’un cumul de risques. Il mentionne qu’en règle générale, plus les facteurs de risque sont nombreux et moins les facteurs de protection sont présents, plus la probabilité est forte qu’un trouble se développe et se prolonge malgré l’intervention. Il dit aussi que le cumul de facteurs de risque n’est jamais déterminisme, c’est-à-dire qu’il est faux de dire quoi qu’il arrive le phénomène va se produire. Souvent l’intervention précoce auprès des jeunes et de leur famille est un facteur de protection qui diminue la probabilité de développer un trouble majeur de santé mentale. L’école aurait intérêt à tisser davantage de liens avec les familles qui ont un impact important sur leurs enfants peu importe leur âge. Tous les parents n’ont peut-être pas les habiletés de soutenir leur adolescent en difficulté, mais une grande partie des parents en sont capables. Ils vont s’outiller en allant chercher l’aide nécessaire auprès du réseau de la santé et des services sociaux et en frappant aux portes de divers organismes, sans négliger leur implication et leur capacité à collaborer avec le personnel de l’école dans la recherche de solutions. Patricia Arnaud 19 Abandon et retour aux études Mais l’école a-t-elle les ressources nécessaires pour répondre aux besoins des jeunes touchés par un trouble de santé mentale ? Monique Sénécal, psychologue à la Commission scolaire Marie-Victorin (2009) rapporte un relevé de recherches épidémiologiques fait en 1996 couvrant la période de 1987 à 1990 où on estime que dans une école de 1 000 étudiants, on peut s’attendre à retrouver de 180 à 220 étudiants porteurs d’un diagnostic de troubles psychiatriques. Les troubles anxieux et de comportement en constitueraient la majorité. Dans une école secondaire, ce sont la dépression et les comportements suicidaires qui prévalent. Si on tient compte de ces chiffres et du ratio de un psychologue par 1 000 étudiants recommandé par la NASP, en 1992, il est impossible que les psychologues scolaires puissent répondre de façon significative, à ces besoins. Il est mis en évidence le besoin de développer des services en santé mentale chez les enfants et les jeunes, allant de la prévention au traitement, dans les écoles et la communauté. Selon Marcotte (2001), le style parental a une influence sur le parcours scolaire du jeune adulte même en contexte de maladie mentale. Une étude menée auprès de préadolescents par Stark (Stark, Humphrey, Crook et Lewis, 1990) suggère que les enfants dépressifs évaluent leur famille comme étant moins démocratique que leurs pairs non dépressifs, et qu’un tel contexte engendre de l’impuissance du fait qu’ils ne peuvent influencer ou contrôler les décisions qui les concernent. Il ressort également que les garçons et les filles dépressives souffriraient d’un manque d’engagement de la part de leurs parents. Pour l’auteur, il est indéniable qu’un faible engagement parental a non seulement une influence directe sur le risque d’abandon scolaire, mais aussi une influence indirecte sur ce risque par son effet sur la dépression des adolescents. Patricia Arnaud 20 Abandon et retour aux études Cintia Quiroga (2009) parle dans sa thèse universitaire que la participation de l’élève aux activités scolaires (éducatives ou sociales) a directement des conséquences scolaires positives qui favorisent l’identification de l’élève au milieu scolaire, son sentiment d’appartenance, son estime de lui et ainsi, diminuent le risque de décrochage scolaire. Selon Gagnon (2001), les facteurs de protection les plus souvent mentionnés sont un quotient intellectuel élevé, un tempérament facile, une bonne estime de soi, une relation gratifiante avec au moins un des deux parents, la cohésion et l’harmonie dans la famille, et enfin, un réseau adéquat et l’accessibilité des services de santé. Le Plan d’action du ministère de la santé et des services sociaux 2005-2010 visait justement l’amélioration de l’accessibilité aux soins de santé, la qualité des services et la continuité. Hors, suite à une première évaluation de ce plan d’action, le réseau de la santé, ainsi que les organismes communautaires en santé mentale, constatent l’échec des mesures qui devaient prendre place, surtout au niveau de l’accessibilité. Comme il est souvent déploré par les familles dont un proche est atteint d’un trouble de santé mentale : « Quand notre proche finit par entrer dans le système de santé, les soins peuvent être de qualité, mais le problème se situe lorsque la personne souffrante n’arrive pas à obtenir les services en temps voulu ». Yanick, 17 ans, semble dépressif depuis quelques temps. Sa copine vient de le laisser et ses parents s’aperçoivent qu’il manque des journées d’école, qu’il ne fait plus de devoir et qu’il s’isole. Ils ne le reconnaissant plus. L’an dernier, Yanick a eu un cousin de son âge qui s’est suicidé. Ses parents sont très inquiets. La famille n’a pas de médecin de famille. La mère de Yanick l’emmène à une clinique de Longueuil sans rendez-vous. Le médecin qui le rencontre ne veut pas se prononcer disant qu’il n’est pas spécialisé dans les problèmes de santé mentale. Il conseille d’aller rencontrer un psychiatre. Mais où aller ? Le médecin parle de l’hôpital. Yanick et sa mère se rendent à l’urgence de l’hôpital Charles-LeMoyne. Au triage, il est refusé car il n’a pas de pensées suicidaires. Il n’est pas considéré comme « en danger », alors il doit aller voir son médecin de famille. La mère répond : « Nous n’avons pas de médecin de famille! » Alors on lui Patricia Arnaud 21 Abandon et retour aux études explique, qu’elle doit en trouver un pour Yanick afin qu’il obtienne une référence pour une évaluation psychiatrique. Il sera sur une liste entre 9 et 12 mois d’attente. D’ici un an,: soit Jonathan va mieux et il n’a plus besoin de consulter, ou la situation s’est détérioré et l’année scolaire s’est soldé par un échec, un décrochage ou pire un suicide, pense la mère. 5. LES SERVICES DE DEUX ORGANISMES COMMUNAUTAIRES « D’un couvert à l’autre » depuis 1990. Au fil du temps, l’entreprise d’économie sociale qui opérait une petite bouquinerie et un atelier de plastification a fait place à une organisation beaucoup plus articulée pour le soutien des personnes ayant une difficulté de santé mentale plus particulièrement avec la schizophrénie. Aujourd’hui, l’organisme offre des services d’éducation, d’encadrement, de formation et de soutien dans le but d’intégrer activement ces personnes dans la société dans laquelle ils vivent. Les moyens utilisés pour rencontrer la mission : des ateliers de développement et d’intégration sociale, ateliers de cuisine, activités physiques, communication et expression par l’écriture, atelier d’estime de soi, chorale, initiation à l’ordinateur, bénévolat, préparation à l’emploi, travail dans un atelier de finition de documents, café branché, témoignages des jeunes dans divers organismes, projets spéciaux, etc. Plusieurs jeunes passent dans cet organisme à chaque année, dont plusieurs se trouvent un emploi et d’autres retournent aux études. Malheureusement, l’organisme n’a pas pu me donner de statistiques. J’ai eu à cœur de présenter cet organisme dans ce travail car je le connais comme très dynamique et que nous accueillons à chaque année plusieurs jeunes atteints de maladie mentale qui nous parlent de leur cheminement et des bienfaits que leur a apporté l’organisme D’un couvert à l’autre. Les témoignages sont toujours très touchants Patricia Arnaud 22 Abandon et retour aux études de ces jeunes qui « viennent de loin »; que l’environnement a perçu souvent comme des « jeunes incurables » et qui ont étonné par leur résilience, leurs efforts et leur motivation, lorsqu’ils ont été mis dans un contexte répondant à leurs capacités, à leurs besoins… dans un contexte très humain. L’Association des parents et amis de la personne atteinte de maladie mentale Rive-Sud (APAMM-RS) Depuis 1980, l’APAMM-RS vient en aide aux familles ayant un proche atteint de maladie mentale (diagnostiquée ou non) – que ce soit un conjoint, un enfant, un père, une mère, un autre membre de la famille ou un ami proche. Parmi les services : interventions psychosociales, activités d’information, groupe de soutien et d’entraide, activités de formation, répit-dépannage et activités de sensibilisation. Nous recevons autour de 3 000 demandes par téléphone annuellement ; 1 300 entrevues individuelles, de couple ou familiales et ce, seulement pour la région de l’agglomération de Longueuil et de la MRC Lajemmerais – environ 500 000 de population. La clientèle provient des références des deux hôpitaux de la région; des cinq CLSC; cliniques médicales, journaux locaux, policiers, centres de crise, organismes communautaires, etc. Peu nous sont référés par le système scolaire, demeurant encore fermé aux organismes du milieu. Pendant deux années, nous avons eu une employée (travailleuse sociale) qui avait réussi à entrer dans une école de Longueuil, recevant principalement des élèves de familles immigrantes. Les enseignants vivaient de grandes difficultés avec des jeunes réfugiés et leur famille, touchés par des stress post-traumatiques et autres stress migratoires (ex : le père assassiné dans le pays d’origine, etc.). Ces jeunes pouvaient réagir différemment dans certains contextes; souffrir d’états dépressifs; se préoccuper d’un parent en difficultés Patricia Arnaud 23 Abandon et retour aux études d’adaptation au nouveau pays, etc. Les enseignants semblaient apprécier l’aide de notre travailleuse sociale d’origine chilienne, qui comprenait la situation de ces jeunes et celle des enseignants en sol québécois; les différences de culture et de valeurs. Notre employée a pu rencontrer plusieurs familles régulièrement et assister les enseignants dans leurs tâches et l’intégration de ces jeunes. Malheureusement, l’école a été fermée et ces jeunes immigrants ont été répartis dans plusieurs écoles de la région. La direction a supprimé ces rencontres de soutien et d’aide. Il existe en Montérégie des organismes de soutien aux immigrants au niveau des besoins physiques, emploi, hébergement, dépannage alimentaire, apprentissage du français, etc. Toutefois, il n’en existe pas au niveau d’aide psychologique. Même les travailleurs sociaux des CLSC dans notre région disent manquer de formation pour comprendre les communautés ethnoculturelles. Nous travaillons beaucoup avec une approche familiale. Nous tentons d’outiller les parents à mieux agir et réagir en contexte de trouble de santé mentale. Être touché par une problématique ne veut pas dire que la personne est handicapée ou totalement incapable. Nous utilisons les forces de chacun pour arriver à une harmonie, à un meilleur fonctionnement familial et à un mieux-être pour chacun. À notre époque, il nous arrive très souvent d’inciter les parents à mettre des limites à leur jeune, à redéfinir leur rôle, à offrir une aide adaptée, affective, stable, mais aussi ferme et tournée vers l’avenir du jeune. Beaucoup de parents ont démissionné de leur rôle; agissent avec complaisance, ou ne savent carrément plus comment agir avec leurs enfants. On les aide à redéfinir des buts, à reprendre l’éducation de leur jeune, à mieux le comprendre, à mieux communiquer, à se battre souvent pour avoir des services avec le réseau de la santé ou de l’école, à ne pas hésiter à s’impliquer et à travailler fort dans l’intérêt du jeune. Nous les Patricia Arnaud 24 Abandon et retour aux études accompagnons dans ce processus par de l’information, de la formation, du soutien et de l’accompagnement. Dans des cas extrêmes de danger pour la vie du jeune ou celle de son entourage, nous accompagnons les familles dans une démarche au Palais de justice pour une ordonnance d’évaluation psychiatrique (contre le gré de la personne). En 2011, nous soulignerons nos 30 ans d’existence. CONCLUSION La recherche de Quiroga (2009) emmène quelques éclaircissements à ce jour sur la problématique du décrochage chez les jeunes particulièrement touchés par la dépression. Les résultats montreraient que les symptômes de dépression rapportés par les élèves en première secondaire augmenteraient le risque de décrocher parce qu’ils sont associés à une perception négative de leur compétence scolaire. Il semble donc que les symptômes de dépression soient directement liés à une composante cognitivo-affective de l’expérience scolaire de l’élève plutôt qu’à sa performance scolaire et aux apprentissages. Les résultats ont aussi démontré que le risque de décrocher associé au retard scolaire est considérablement plus élevé chez les élèves qui rapportent de la dépression en première secondaire que chez ceux sans dépression. La dépression au début de l’école secondaire agit donc comme un facteur de vulnérabilité en aggravant le risque associé au retard scolaire. Toujours selon Quiroga (2009), les adolescents qui souffrent de dépression peuvent présenter des limites dans différents domaines. Ils ont souvent des lacunes au niveau des compétences sociales, des habiletés de résolution de problèmes, et sur certains aspects de l’intégration scolaire, comme la perception de compétence, ou encore un sentiment Patricia Arnaud 25 Abandon et retour aux études d’aliénation à l’école, en plus de problèmes de santé mentale co-occurrents. Parmi ces derniers, l’anxiété est souvent présente et peut affecter la réussite scolaire d’un jeune. Des études auraient démontré que l’anxiété chez certains adolescents étaient associée à des formes d’absentéisme chronique, et qu’une proportion importante d’adultes avec des troubles anxieux n’avaient pas complété leurs études secondaires. Les études démontreraient également que la dépression chez les jeunes seraient associée à plusieurs autres problèmes d’adaptation parmi lesquels on retrouve le manque d’attachement, de faibles aspirations scolaires et des difficultés dans les relations sociales. Les interventions visant à prévenir ou diminuer les sentiments dépressifs chez les adolescents auraient à la fois le potentiel d’améliorer la santé mentale et l’engagement scolaire chez les jeunes. Les résultats indiquent que la dépression en première année de l’école secondaire constitue un facteur de vulnérabilité majeur pour les élèves qui ont vécu du retard scolaire au primaire. Les élèves qui cumulent ces deux facteurs de risque sont à très haut risque d’abandonner l’école et ils devraient recevoir, selon Cintia Quiroga, une attention prioritaire et urgente. Il devient important de sensibiliser les élèves et les adultes au problème de la dépression chez les jeunes. En 2004, l’Association canadienne de la santé mentale (ACSM) préoccupée par les stigmates associés à la maladie mentale, lançait une campagne de sensibilisation sur la santé mentale des adolescents et l’école secondaire. Toutefois, la majorité des élèves qui éprouvent des difficultés émotionnelles ne feraient pas appel aux services de santé de leur école pour obtenir de l’aide. Les adolescents et les enseignants ont une connaissance très limitée de la dépression et des autres troubles de santé mentale, et en identifient difficilement les symptômes. Le dépistage des problèmes de santé Patricia Arnaud 26 Abandon et retour aux études mentale peut avoir des répercussions positives en réduisant les obstacles qui entravent la réussite scolaire des élèves en difficulté, en plus de favoriser leur mieux-être. Claude Leclerc (1996) a soutenu une recherche sur l’adaptation à la communauté de jeunes adultes ayant vécu une ou plusieurs hospitalisations en psychiatrie. Il résume en disant que les 96 participants à cette recherche n’étaient pas aussi démunis, ni irresponsables que ce que rapportent plusieurs écrits recensés concernant les jeunes adultes atteints de troubles mentaux. La majorité d’entre eux posséderait des ressources qui ne sont pas toujours reconnues ou sollicitées. Les résultats mettent particulièrement en lumière l’importance des dimensions fonctionnelles du soutien social dans ce processus. La satisfaction tirée du soutien social aurait un effet sur la perception du stress vécu. En conclusion, il serait important de : Dépister les problèmes émotionnels, particulièrement lors de la transition entre l’école primaire et l’école secondaire et ce, afin d’éviter les conséquences néfastes sur toute la scolarisation ultérieure, pouvant aller jusqu’à l’abandon scolaire. Faire alliance avec la famille comme principale alliée, autant que possible. Référer les familles aux organismes communautaires qui peuvent les soutenir tout au long du processus, comme les Associations des parents de la personne atteinte de maladie mentale. Il existe 40 de ces associations dans le Québec. Faciliter un soutien social au jeune en difficulté à l’école : activités, pairs aidants, groupe de jeunes, présence d’organismes communautaires venant en aide aux jeunes en difficulté. Patricia Arnaud 27 Abandon et retour aux études Offrir des services professionnels à l’école : psychologues, psychoéducateurs; en quantité suffisante pour répondre à la demande. Faire alliance avec le réseau de la santé afin de pouvoir référer rapidement des jeunes qui ont besoin d’un psychiatre ou autre professionnel de la santé spécialisé : diagnostic, psychothérapie, médication si applicable. Éviter ainsi qu’un jeune attende longtemps sur une liste d’attente et perde ses chances de rétablissement. Offrir la formation adéquate touchant les troubles émotionnels et de santé mentale aux enseignants et personnel des écoles (incluant les directions). Faire des campagnes de sensibilisation dans les écoles sur les troubles de santé mentale afin de dépister, mais surtout de diminuer les préjugés et la stigmatisation. Sensibiliser le grand public aux difficultés que vivent les nouvelles générations. Nous, les adultes d’aujourd’hui, que laissons-nous en héritage aux futures générations ? Les écoles et les parents ont besoin de l’aide de la communauté et du grand public. En Afrique, un dicton dirait que ça prend un village pour élever un enfant. Récemment, un psychiatre de l’Hôpital Charles-LeMoyne disait : J’ai bien hâte qu’on consacre autant de visibilité à la cause de la maladie mentale, qu’on en a consacré ces dernières années au cancer du sein! Patricia Arnaud 28 Abandon et retour aux études BIBLIOGRAPHIE Dumas, J. E. (2007). Psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent. Bruxelles : Éd. De Boeck Université. Fondation des maladies mentales du Québec. (2010) Dépression et maladies mentales : un des premiers facteurs de risque du décrochage scolaire! Adresse Web : http://www.fondationdesmaladiesmentales.org/fr/news/nouvelle/90 (consulté le 2010.10.01) Gagnon, André et collaborateurs. (2001). Démystifier les maladies mentales : Les troubles de l’enfance et de l’adolescence. Boucherville : Éditions Gaëtan Morin. Habimana, E., Éthier, L.S., Petot, D., Tousignant, M. (1999). Psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent. Approche intégrative. Boucherville : Éditions Gaëtan Morin. Leclerc, Claude. (1996). Adaptation à la communauté de jeunes adultes ayant vécu une ou plusieurs hospitalisations en psychiatrie. Revue Santé mentale au Québec, XXI, 2, 5372. Montréal. Marcelli, D., Braconnier, A. (2008). Adolescence et psychopathologie. Issy-lesMopulineaux (Hauts-de-Seine) : Elsevier Masson. Marcotte, D. (2003) Les jeunes dépressifs - Un groupe à haut risque d’abandon scolaire. 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