les résidents auront des gardes de 16 heures

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RÉSIDENTS
même si travailler 24 heures a « déjà été
régulier pour bien des médecins », il faut
aujourd’hui « s’adapter » et « être capable d’être à l’avant-garde ».
LES MÉDECINS SUIVRONT-ILS LEUR EXEMPLE?
PAR STÉPHANIE SAUCIER
[email protected]
Cette « bonne nouvelle », comme l’a
qualifiée l’avocate spécialisée en droit
médical Christine Clark, aura un impact
sur tous les médecins résidents du
Québec, dont l’entente collective est
échue depuis le 31 mars 2010. « La décision sera nécessairement insérée dans
les modalités de la nouvelle convention.
Comme la sentence est arbitrale, il n’y a
pas de possibilité d’interjeter en appel.
Ce n’est jamais exclu de remettre en
question la décision devant un tribunal
spécialisé, mais c’est très rare dans ce
type de situation », explique-t-elle. Selon
Me Clark, comme la décision ordonne à
l’employeur de modifier les horaires de
garde et que l’arbitre accorde un délai
maximum de six mois, un non-respect
de celle-ci serait considéré comme un
outrage au tribunal, entrainant des
amendes pouvant atteindre 50 000 $.
LES RÉSIDENTS
AURONT DES GARDES
DE 16 HEURES
En pleine négociation de convention collective, les médecins résidents du
Québec ont obtenu ce que la plupart attendaient depuis trois ans : cesser de
faire des gardes de 24 heures en établissements et accéder aux gardes de 16
heures. D’ici six mois, tous les établissements de santé de la province auront
donc réorganisé leurs quarts de travail. Si
les médecins n’entendent pas se lancer
dans un tel processus étant donné que le
contexte qui les concerne diffère, certains y voient une ouverture pour revendiquer de meilleurs horaires.
Le 7 juin, les résidents criaient victoire. L’arbitre Jean-Pierre Lussier a déposé sa sentence fondée sur une preuve qui
« démontre une atteinte à l’intégrité et à la
sécurité des résidents comme celle des patients ». Pour ces raisons, il y avait violation
de l’article 7 de la Charte canadienne des
droits et libertés et de l’article 1 de la Charte
des droits et libertés de la personne.
Dans sa décision, M. Lussier fait référence
aux recherches du docteur en médecine
et professeur de « sleep medecine » au
Harvard Medicine School de Boston,
Charles A. Czeisler, qui démontrent clairement le danger relié aux longues gardes
qui empêchent de dormir suffisamment.
Non seulement les risques d’accident de
voiture suivant un quart de travail de 24
heures augmentent de 168 %, mais les
risques de quasi-accident augmentent
quant à eux de 468 %. Une autre étude
comparant le risque d’erreurs auprès des
patients, selon qu’un résident est soumis
à un quart de 24 heures ou de 16 heures,
démontre également qu’il y a 36 % de
plus de fautes majeures commises par le
32 Santé inc. juillet / août 2011
premier que le second et 5,6 fois plus
d’erreurs diagnostiques.
En moyenne, aux soins intensifs, il y a
109 % d’erreurs d’inattention de plus et
36 % de fautes médicales importantes de
plus. Données à l’appui, l’étude établit à
464 % de plus les probabilités d’erreurs diagnostiques de la part d’un résident travaillant
30 heures d’affilée qu’un autre travaillant 16
heures. Selon une autre recherche, un résident sur cinq a reconnu avoir commis une
erreur liée à la fatigue ayant causé du mal à
un patient lorsqu’il travaillait 24 heures ou
plus. Parallèlement, un résident sur 20 a reconnu avoir commis une erreur causée par
la fatigue ayant entraîné la mort d’un patient.
De son côté, le ministère de la Santé a accepté favorablement la décision de l’arbitre et l’intègrera dans la négociation de la
nouvelle convention, assure la porte-parole du ministre Yves Bolduc.
Si 30 % des résidents ont voté contre le
grief déposé en 2009 parce qu’ils craignaient de voir leurs apprentissages en
souffrir, les recherches de M. Czeisler ont
encore une fois démontré que le manque
de sommeil pouvait affecter les notions acquises. « Le sommeil a pour fonction, entre
autres, de consolider les apprentissages,
et la privation de sommeil a donc un impact sur la rétention de nouvelles connaissances », peut-on lire dans la décision.
On y fait également une comparaison avec
différents pays. En Europe, depuis 2004,
les résidents ne peuvent travailler plus de
13 heures. En Nouvelle-Zélande, la limite
est de 16 heures. Aux États-Unis, il n’y a
pas de limite légale, mais l’ACGME fixe
celle-ci à un maximum de deux quarts de
30 heures et de 80 heures par semaine.
ÉVOLUTION ATTENDUE
Le président de la Fédération des
médecins résidents du Québec (FMRQ),
le Dr Charles Dussault, déplore que le litige déclaré par l’Association des médecins
résidents de McGill contre le Centre universitaire de santé McGill (CUSM) ait pris
trois ans à aboutir. « Ça aurait dû se régler
beaucoup plus tôt, mais c’est un bel accomplissement et une excellente nouvelle
pour les médecins et les patients. C’est
une évolution, du progrès », s’est-il réjoui.
Le « passage obligé » que représentent les
gardes de 24 heures en établissement
n’est donc plus. « Pour les justifier, certains disaient : “Ce n’est pas si pire, je l’ai
fait, donc fais le toi aussi”, se souvient M.
Dussault. Comme il y a déjà des services
qui le font, ça montre qu’il y a déjà du soutien de certains patrons. La majorité
saluera le changement. »
Le Dr Louis Godin, président de la
Fédération des médecins omnipraticiens
du Québec, voit d’un bon œil la nouveauté : « C’est une question de sécurité
des patients et de qualité de travail. On
se réjouit pour les résidents, d’autant
plus que la décision a eu des échos positifs du gouvernement. » Notant que « les
choses changent », ce dernier admet que
DÉJÀ 16 HEURES
Le délai d’application du nouvel horaire de
six mois est tout à fait raisonnable, selon le
Dr Dussault, d’autant plus que certains
départements dans plusieurs établissements de soins de la province fonctionnent
déjà avec des gardes de 16 heures, notamment au Centre hospitalier universitaire
de Sherbrooke (CHUS). Quatre grands
secteurs fonctionnent de la sorte : pédiatrie, soins intensifs, anesthésiologie et
médecine interne. Les résidents de la
pédiatrie ont adopté cette formule il y a 10
ans, indique le directeur des services professionnels du CHUS, le Dr Stéphane Tremblay. « Le modèle n’est pas identique pour
les quatre secteurs, la structure est flexible,
explique-t-il. Ça ne prend pas beaucoup de
temps à mettre en place, mais la première
année est complexe à coordonner. La structure des stages influence tout. »
Ce dernier a instauré des stages de jour, de
8 h à 17 h, et de nuit, de 22 h à 8 h. La fin
de semaine, la façon de faire diffère selon
le département. « Le fil conducteur, c’est le
patient », affirme le Dr Tremblay. juillet / août 2011 Santé inc. 33
Pour le Dr Dussault, il existe en effet
plusieurs modèles possibles, dont un système par quart basé sur les besoins et les
services. Certains feront quelques semaines ou des mois répartis sur des
quarts de nuit afin de pouvoir inverser leur
cycle de sommeil. « L’avantage, dit-il en
citant la décision, est que les résidents
seront là tous les jours de la semaine au
lieu d’être absents le lendemain. » Ce
dernier point représente un gain en termes de suivi des patients. Une résidente
en quatrième année de résidence en
médecine interne au CUSM, a elle-même
vécu un changement de garde de 24 h à
16 h : « D’une part, elle se sentait plus
éveillée et mieux habilitée à faire son travail de nuit. D’autre part, ce nouveau système enlevait l’obligation d’être en congé
le lendemain d’une garde, de sorte qu’elle
connaissait mieux les patients dont elle
s’occupait », est-il écrit dans la décision.
MÉDECINS « PRÉOCCUPÉS »
Si les médecins ont, quant à eux, des
gardes de 24 heures à la maison, il arrive régulièrement qu’ils passent une
majorité de ce temps en établissement.
« Nous sommes préoccupés par ces
longues heures de travail. On essaie
d’aménager l’horaire le mieux possible
pour qu’il soit vivable et sécuritaire, mais
c’est un travail de longue haleine »,
souligne le Dr Louis Godin.
médecin et la convention d’un médecin
résident ont une différence majeure. « Les
modalités permanentes obligent un
médecin à faire des gardes, même si, souvent, elles ne se font pas sur place, indique
Christine Clark. Il a des droits et des obligations, mais aussi des privilèges. En onze ans
de pratique, je n’ai, de toute façon, jamais
vu un règlement qui oblige les médecins à
faire des gardes de 24 heures. »
Concédant qu’il existe des conflits en milieu hospitalier par rapport aux modalités
de garde, Christine Clark affirme que les
médecins ont accès à des recours. Si un
centre hospitalier oblige à faire des gardes
de 24 heures, le médecin peut se désister
en invoquant certaines clauses du code
déontologique. L’une d’entre elles stipule
qu’il doit « agir selon ses capacités et les
méthodes dont il dispose dans le respect
de ses limites ». L’autre, qu’il doit « s’abstenir d’exercer sa profession dans des circonstances qui pourraient compromettre
la qualité des soins ».
La décision de l’arbitre Jean-Pierre Lussier
devient également une possibilité de faire
valoir les mêmes motifs pour un médecin
qui se présente devant un tribunal administratif ou de droits communs. « Il a de
bonnes chances d’avoir les mêmes gains
de cause que les résidents, en évoquant
les mêmes articles des chartes des droits
et libertés », ajoute Mme Clark. ⌧
Il indique que certaines situations retiennent les médecins pendant 24 heures à
l’hôpital et qu’il faut s’assurer que le service soit bien rendu. « Il faut tenir compte
de la réalité locale, ça dépend des
secteurs, des situations, de l’intensité de
la tâche », indique celui qui écarte toutefois un projet de loi qui plafonnerait à 16
heures la durée des gardes.
Le Dr Stéphane Tremblay, du CHUS, affirme que la différence entre une garde sur
place et une garde à domicile est trop différente pour envisager une démarche
similaire à celle des résidents. L’organisation du travail de ces derniers, qui ont une
obligation de formation, constitue également un aspect distinct entre les deux situations. « Je ne dis pas que la question ne
se pose pas. La décision est un argument
de plus dans le dossier, mais un médecin
est responsable du patient et doit assurer
une continuité des soins », soutient-il.
Mis côte à côte, le contrat de travail d’un
Le Dr Charles Dussault
juillet / août 2011 Santé inc. 35
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