Sera publié dans: Cattacin, Sandro (2006). "Retard, rattrapage, normalisation. L’Etat social suisse face aux défis de transformation de la sécurité sociale." Etudes et Sources 2006(To be published): x-y. Retard, rattrapage, normalisation L’Etat social suisse face aux défis de transformation de la sécurité sociale Sandro Cattacin Introduction* L’Etat social suisse n’existe pas. Ainsi s’exprimait le syndicat en Suisse dans les années 1970 confronté à la restructuration économique. Quelques années plus tard, c’est toujours le monde syndical qui dénonce une remise en cause de ce même Etat social1 – la contestation de cette analyse ne s’est pas faite attendre2. En effet, les années 1970-1980 représentent en Suisse – à l’inverse du reste de l’Europe occidentale3 – une période de croissance de l’Etat social. C’est seulement depuis quelques années que l’Etat social suisse est mis en cause du point de vue de son ampleur et que des efforts sont faits pour réduire les prestations. Retard, rattrapage, normalisation ? Dans cet article, qui adopte une perspective sociologique dans l’analyse des politiques sociales4, nous essayerons de comprendre pourquoi, au moment où en Europe la tendance est à promouvoir des Etats sociaux forts, la Suisse a limité l’expansion des prestations sociales étatiques et surtout pourquoi elle s’est mise à récupérer son retard quand se dessinait dans le paysage international une tendance inverse, soit lorsque la légèreté de l’Etat était perçue comme un avantage sélectif dans la restructuration économique internationale. Nous analyserons cette dynamique avec une attention particulière aux arrangements entre l’Etat et les autres acteurs producteurs du bien-être (le welfare pluralism5), à savoir l’économie et les organisations privées sans but lucratif ayant des activités sociales (le « privé social »). Ce texte débute par un bref historique des premières décisions à l’origine d’un Etat social pour se pencher ensuite sur les années de l’après-guerre si différentes en Suisse – en ce qui concerne la dynamique de l’Etat social – par rapport au reste de l’Europe. Le moment clé de ce développement n’intervient qu’à partir du milieu des années 1970 pour aboutir à une saturation dans les années 1990. La normalisation de la Suisse du point de vue de son développement étatique en est le résultat. Une normalisation du modèle d’Etat social – cependant déséquilibrée, comme le souligne Bertozzi et al.6 – qui sera aussi visible par l’insertion de ces efforts de restructuration actuelle dans les tendances lourdes internationales. Le développement subsidiaire de l’Etat social suisse L’évolution de l’Etat moderne en Suisse est avant tout marquée par le principe de subsidiarité et par ses développements. Ce principe, caractéristique du système politique suisse, introduit une division des tâches entre différentes institutions et différents acteurs, à la fois à l’intérieur même de l’organisation étatique et entre l’Etat et la société civile. A l’intérieur de l’Etat, ce principe apparaît dans la structure fédérale. Tout ce qui ne relève pas de la compétence de la Confédération est du ressort des niveaux territoriaux inférieurs, c’est-à-dire des cantons et des communes. À côté de cette segmentation verticale, la subsidiarité provoque aussi des effets de segmentation horizontale en attribuant une large autonomie aux cantons. Ceux-ci peuvent en effet gouverner indépendamment les uns des autres dans de nombreux domaines politiques – notamment en matière de santé, d’éducation et de politique sociale7. En ce qui concerne la division des tâches entre l’Etat et la société civile, le principe de subsidiarité favorise l’initiative privée au détriment de l’action étatique. L’Etat endosse un rôle subsidiaire par rapport aux activités privées (qu’elles soient lucratives ou non lucratives) et lorsqu’un problème apparaît, celui-ci est d’abord pris en charge par la société civile (que ce soit par les individus ou par ses expressions organisationnelles). C’est seulement lorsque l’initiative privée ne parvient à trouver de solution que l’intervention étatique est demandée par des groupes politiques ou sociaux. Dans ce cas, les institutions étatiques interviennent soit en participant aux structures préexistantes, soit en les complétant. En Suisse, ce processus a pour conséquence une cohabitation entre les structures publiques et privées dans la production du bien-être, et une constellation particulièrement complexe entre l’Etat, l’économie et la société civile8. La période de l’industrialisation peut être considérée en Suisse comme le point de départ pour l’organisation étatique moderne en Suisse9. Cette période est en effet accompagnée de l’émergence de la question sociale et de l’échec de l’aide traditionnelle aux pauvres, essentiellement apportée par l’Eglise et les familles. Conformément au principe de subsidiarité, ces développements obligent la société civile à chercher de nouvelles solutions permettant de remédier aux problèmes sociétaux. Cette tâche d’innovation est principalement prise en charge par des organisations du privé social qui se développent à cette époque, dans une logique de concurrence morale entre le monde bourgeois et le monde syndical en constitution10. Ainsi, au XIXe siècle, avant que l’Etat n’entreprenne quoi que ce soit dans le domaine de la politique sociale, deux mouvements dont le but est de réduire et d’éliminer les disparités sociales apparaissent. D’une part, le mouvement ouvrier organise progressivement, conjointement à ses pressions politiques en faveur des ouvriers, des associations d’entraide dans les domaines de la consommation, de la production, du logement et de la sécurité sociale. Par exemple, dans le cadre de la sécurité sociale, des caisses de secours mutuels sont organisées pour distribuer des prestations en cas de maladie, d’invalidité, de chômage et de vieillesse11. Parallèlement au mouvement ouvrier, les « réformistes sociaux », principalement composés d’intellectuels et de philanthropes d’origine bourgeoise, se regroupent au sein d’organisations d’utilité publique afin d’aider les personnes socialement défavorisées. Si ces personnages sont motivés par le besoin d’apaiser leur conscience, ils le sont aussi par une volonté de stabiliser l’ordre existant12. Mais affirmer que la modernisation politique en Suisse trouve ses origines dans les pressions ouvrières et celles des réformistes sociaux reviendrait à minimiser à tort le rôle de la bourgeoisie. Celle-ci, alors au pouvoir, est en effet consciente de la menace que représentent les conséquences de l’industrialisation pour le système en place. Premièrement, de larges tranches de la population risquent de tomber dans la pauvreté, ce qui peut nuire à la sécurité et à l’ordre interne. Deuxièmement, l’industrie a besoin de main-d’œuvre qualifiée, en bonne santé et jouissant de mesures minimales de sécurité. Enfin, les demandes des organisations ouvrières se font plus pressantes et nécessitent des mesures de conciliation13. Ainsi, à la fin du XIXe siècle, les membres de l’aile progressiste du parti radical – les radicaux éclairés – estiment qu’à l’instar de la politique prônée par Bismarck, l’Etat a le devoir de fournir à chacun les conditions nécessaires à une vie décente. De plus, ils espèrent que l’intervention étatique puisse redonner confiance dans le système politique et économique, ébranlé par la dépression des années 1870-188014. Les premiers développements de la sécurité sociale illustrent l’importance des acteurs intermédiaires. Par le biais de subventions privées et étatiques, un réseau d’associations et d’œuvres d’entraide privées15 était en mesure de couvrir une partie des besoins sociaux de la population ainsi que de combler les lacunes évidentes laissées par l’économie et les premières mesures de l’Etat social suisse. L’origine des acteurs sans but lucratif actifs dans le domaine social en Suisse remonte à la deuxième moitié du XIXe siècle16. Parallèlement aux organisations émanant du mouvement ouvrier (les mutuelles), on assiste à l’émergence d’associations caritatives (par exemple la Croix-Rouge, fondée en 1866, la Croix-Bleue en 1877, Caritas en 1901). Celles-ci interviennent là où l’Etat est absent et remplissent une fonction substitutive. Les mutuelles, en particulier, ont joué un rôle primordial au sein du monde du travail. L’organisation de la société civile (le « privé social ») est à tel point développée que les autorités fédérales n’osent pas introduire une assurance accident et maladie avant que l’idée ne soit proposée par les associations d’entraide mutuelle. Mais dès que l’idée d’une assurance réglée au niveau fédéral a été acceptée, les caisses mutuelles privées se sont développées à un tel point qu’il n‘a plus été possible de les remplacer par une structure étatique obligatoire17. Il est donc tout à fait adéquat d‘envisager le développement de l’Etat social suisse selon une logique catégorielle ou « bismarckienne » qui sera modifiée, comme nous le verrons, après la Deuxième Guerre mondiale. Cette logique est celle du maintien des positions sociales et des structures préétablies, typique dans des contextes pluralisés comme la Suisse. C’est donc un changement orienté vers la conservation, non pas à cause d’un choix politique conservateur, mais en raison d’une force relative des différentes composantes de la société18. Pendant la période allant du début de la Première Guerre mondiale jusqu’à la fin de la Seconde, la constellation des acteurs change en effet de visage. Vers les années 1910, le rôle des organisations sociales du secteur privé s’est étendu avec la reconnaissance de leur caractère substitutif par des instances publiques. L’attribution par la Confédération et les cantons des premières subventions remonte à cette période. La reconnaissance de ce mode de fonctionnement fait émerger de nouvelles instances productrices de solidarité. Non seulement le nombre d’organisations de solidarité (comme par exemple Pro Senectute crée en 1917, Pro Infirmis en 1920 et Pro Familia en 1942) augmente, mais leur attitude à l’égard de l’Etat change. Elle n’est plus faite d’autonomie ou de conflits (les associations issues du monde syndical), mais de coopération. La grève générale de 1918, moment culminant de la protestation ouvrière, marque le passage pour le mouvement syndical de la logique de conflit à l’intégration dans la concertation politique nationale19. Plus tard, après la crise de 1929, la gauche socialedémocrate modère ses positions – en acceptant notamment les institutions de l’Etat – et se sépare des communistes qui deviennent alors une force politique mineure20. Quant aux syndicats, ils privilégient la négociation à la grève et promeuvent ainsi des revendications sur les droits et les conditions de vie des ouvriers au détriment de la lutte des classes. Ce changement de stratégie des syndicats introduit un nouveau mode de régulation sociale basé sur des mécanismes de négociation qui, face à une crise économique profonde et aux menaces de guerre, se concrétise en 1937 par la « paix du travail »21. Ce « traité de paix » a profondément marqué la relation entre l’Etat et la société civile en Suisse en rendant ses différents éléments interdépendants et en introduisant un modèle de régulation consensuelle, basé sur la coopération entre les différents acteurs22. L’après-guerre et la sécurité sociale dans un modèle marchand (1945-1975) Depuis la naissance de la Suisse moderne, l’Etat fédéral a été politiquement déterminé par le parti radical et, de manière générale, par les partis bourgeois qui représentaient l’économie suisse. Cette forte alliance ne s’est que faiblement atténuée au cours du développement économique et social des « trente glorieuses » (19451975). La majorité politique ainsi que les positions politiques clés sont restées aux mains de représentants de l’économie suisse23. Ce constat explique pourquoi pendant longtemps l’Etat fédéral ne s’est développé que marginalement dans le champ du social et pour quelles raisons l’économie joue un rôle important dans la production du bien-être en Suisse. Le pouvoir traditionnel des partis bourgeois – qui ont d’ailleurs constitué une force centrale dans la création de l’Etat démocratique suisse – a freiné toute velléité antérieure de construction d’un Etat social24. La figure 1 illustre ce retard comparatif. Elle indique le taux d’inclusion de la population dans les quatre assurances maladie, chômage, accidents et retraite. J’y ai indiqué la Suisse, la Suède (pour montrer l’Etat social phare de ce point de vue) et la moyenne de 14 pays européens. Ce tableau montre que la Suisse, après une accélération due à l’introduction de l’Assurance vieillesse et survivants en 1948, a perdu en vitesse comparée au reste de l’Europe, pour arriver même en retard au milieu des années 1970. Ce retard aurait pu être plus marqué dans la figure, si l’on en avait exclu l’assurance maladie, non-obligatoire jusqu’en 1996. En d’autres termes, l’inclusion dans cette assurance s’est fait de manière volontaire et donc dans le cadre de l’offre venant d’un système organisé de manière libérale. L’économie libérale, sensible à son rôle de producteur du bien-être, emprunte plusieurs voies de remplacement de l’Etat social par des soutiens privés, voire la création de variantes privées d’assurances sociales. Tout d’abord, à travers des salaires relativement élevés, l’économie suisse a longtemps compensé l’absence de développement de l’Etat social. De plus, la « paix du travail » établie dans les années trente a permis le développement d’un système stable de négociation entre des partenaires sociaux toujours sensibles à la défense de la population – du moins l’autochtone – contre un grand nombre de risques sociaux25. C’est ainsi le modèle de la négociation par branche et par secteur qui s’impose. Celui-ci débouche sur l’émergence non pas d’un Etat social mais plutôt d’une société marchande sociale. Dans ce contexte de négociation, l’Etat a une position faible, même s’il agit parfois en tant que médiateur en défendant les intérêts de certains secteurs, comme l’a montré la recherche sur le développement des arrangements corporatistes en Suisse, qui qualifie ce modèle de « modèle néo-corporatiste libéral »26. Par conséquent, le système d’intégration politique en Suisse est caractérisé par une coopération sectorielle déployée dans un contexte où le patronat est fort et les syndicats faibles27. Figure 1 : Inclusion dans les assurances sociales * Suède Suisse Moyenne** Inclusion en pourcentage*** Année *Assurances: accidents ; maladie ; retraite ; chômage **Moyenne de 14 pays européens (Belgique, Allemagne, Danemark, Finlande, France, Grande-Bretagne, Irlande, Italie, Pays-Bas, Norvège, Autriche, Suède, Suisse) ***Moyenne du pourcentage de la population active incluse dans les quatre assurances centrales (accidents ; maladie ; retraite ; chômage) Source: Adaptation de Jens Alber, Vom Armenhaus zum Wohlfahrtsstaat. Analysen zur Entwicklung der Sozialversicherung in Westeuropa, Frankfurt M./New-York 1982, 152. A titre d’exemple, citons le cas de certaines entreprises qui ont introduit dès les années 1960 des systèmes d’assurance garantissant un niveau de vie similaire après la retraite (les « caisses de pension »). D’autres entreprises, et en particulier les entreprises les plus importantes, ont créé des sortes d’Etats sociaux privés miniatures au travers de toute une série d’activités et de programmes réservés à leurs employés et à leur famille. Naturellement, cette figure de l’entreprise forte et engagée dans la sauvegarde du bien-être de ses employés n’est pas une particularité suisse, mais une particularité de la période fordiste. Mais ce phénomène est plus prononcé en Suisse, dans la mesure où une partie des tâches que d’autres pays attribuent aux programmes de l’Etat sont déléguées à l’économie. Ainsi le système de formation professionnelle est entièrement laissé aux soins des organisations patronales de différents secteurs et branches économiques. Ces acteurs définissent le standard de qualité de l’apprentissage, mais sont aussi subventionnés par l’Etat28. De surcroît, les caisses maladies ou les assurances intégrant la retraite de base sont aussi en large partie privées – alors que l’affiliation aux deux est aujourd’hui obligatoire29. L’application du principe de subsidiarité joue, pendant la période de croissance de l’après-guerre, un rôle mineur et perd de sa valeur pratique devant l’importance prise par l’Etat social. Le principe de concordance et sa version dans les relations industrielles (la « paix du travail »), ainsi que la croissance économique sont les caractéristiques politiques et économiques centrales qui permettent la poursuite de l’accroissement du système de l’Etat social suisse jusque dans le milieu des années 1970. Les organisations du privé social perdent de leur importance face à la croissance de l’Etat social à tous les niveaux nationaux. C’est à partir de l’aprèsguerre, parallèlement à un timide développement de l’Etat social, que l’on constate que, à l’assistance sociale déployée au sein d’organisations caritatives ou ouvrières, s’ajoute un type nouveau d’intervention professionnalisée (intitulée de manière générique travail social). Le processus de professionnalisation commencé après la guerre connaîtra un développement rapide dans les années 1960. Malgré cela, on assiste pendant cette période à la naissance, au sein des dispositifs sociaux et de la santé, de groupes de bénévoles organisés par des professionnels. Ces groupes jouent un rôle complémentaire à celui des services professionnalisés en cours de développement. En réalité, il s’agit d’un phénomène d’instrumentalisation du bénévolat par les professionnels travaillant au sein de ces organisations, phénomène qui subsiste encore aujourd’hui30. Durant cette période (de l’après-guerre jusqu’au milieu des années 1970), ces organisations passent donc d’une fonction substitutive, acquise au début de la construction du système du bien-être, à une fonction complémentaire. Les organisations de solidarité les plus importantes telles que Pro Infirmis, Pro Juventute, Pro Senectute, Caritas, l’Entraide protestante suisse, la Croix-Rouge et certaines associations de femmes (les « Frauenvereine » en Suisse alémanique notamment, groupes de femmes actifs au niveau communal) gardent néanmoins une position centrale dans le système du bien-être, même si elles ont perdu leur rôle pionnier et leur dynamisme. Elles se stabilisent en de grandes organisations traditionnelles et polyvalentes qui, en cette période d’euphorie économique, ne sont confrontées à aucun problème financier31. La crise et le rattrapage – croissance à contre courant (1976-1985) Le passage d’un Etat aidant uniquement les pauvres à un Etat social au secours de toute la population (et de la classe moyenne en particulier) a débuté, dans la majorité des pays européens, à la fin du XIXe siècle. En Suisse, en revanche, ce tournant a eu lieu plus tardivement et a longtemps gardé une portée limitée. Ce n’est en effet qu’à partir de la fin des années 1940 qu’on assiste au passage d’une politique d’assistance à une politique de prévoyance. Au principe de subsidiarité qui combine en Suisse les traditions libérale (primauté économique et auto-organisation sociétale) et catholique (primauté de la famille et corporatisme associatif), soutenu par la majorité bourgeoise, est venu s’ajouter, dans l’après-guerre, une perspective étatique et sociale. Celle-ci s’explique par le compromis trouvé entre les partenaires sociaux et l’Etat durant la Deuxième Guerre mondiale. En échange d’un pacte de solidarité nationale contre les risques liés à la guerre, le syndicat a obtenu des concessions pour la mise en place de mesures étatiques, notamment l’Assurance vieillesse et survivants (AVS) qui introduit une logique universaliste dans le modèle catégoriel de la sécurité sociale. De ce fait, il n’est pas surprenant que les analystes internationaux voient le modèle d’Etat social suisse comme un mélange de principes libéraux, catholiques et socialistes32. Comparée aux modèles de welfare occidentaux, la Suisse représente ainsi une voie différente de développement de l’Etat social. Du point de vue organisationnel, elle a longtemps suivi une voie libérale (et nationaliste-conservatrice dans sa défense des emplois des autochtones et de l’emploi masculin) avec un Etat faible et des mécanismes d’auto organisation forts. En ce qui concerne la sphère économique, elle a fonctionné grâce à un système de négociations basé sur la paix du travail, dont le pendant politique est la « formule magique », qui a réglé dès 1959 la participation socialiste au gouvernement suisse. Au niveau social, les grandes œuvres d’entraide et les assurances privées (souvent issues du mouvement des mutuelles) ont garanti la production d’une partie importante des services du bien-être33, alors que dans d’autres pays ces ressources ont été fournies par l’Etat social. Rappelons qu’en plus d’une classe ouvrière limitée dans son poids politique en raison de sa composition à forte dominance étrangère et de syndicats longtemps restés ouvertement anti-étrangers34, les femmes sont sans droits politiques jusqu’en 1972 et n’ont ainsi pas pu participer à la réorientation sociale de la Suisse. Or, tant la classe ouvrière que les femmes auraient pu, de différentes manières, contribuer à améliorer leurs conditions35. Ce n’est qu’à partir des années 1960 et jusque dans les années 1980 que l’Etat se substitue à la société civile à un rythmesoutenu – le « Tschudi-Tempo » en référence à l'ancien Conseiller fédéral promoteur de maintes réformes sociales – en renforçant notamment sa position par la création d’un système complexe de prise en charge de la vieillesse, de l’invalidité, de la santé, du chômage et des accidents. Ce système de production du bien-être, qui trouvait sa force dans une structure économique et sociale stable et forte, a subi dans les années 1970 des contrecoups importants. L’affaiblissement de la croissance économique a incité l’Etat à agir. C’est seulement à partir des années 1970 qu’à cette configuration se sont ajoutés des éléments typiques d’un Etat social moderne. Pendant cette période, les assurances vieillesse et invalidité garantissant une retraite minimale à tous ont connu une croissance importante des prestations, et l’assurance-chômage obligatoire (datant de 1976, entrée en vigueur de manière transitoire en 1977 et finalement adoptée en 1984) a vu le jour. Une croissance importante des employés étatiques dans les années 1970 en a été la conséquence36. Cette tendance a été brusquement bloquée en 1977 par la décision parlementaire d’interdire toute augmentation du personnel au sein de l'administration fédérale (politique appelée halte au personnel). Beaucoup de cantons et de nombreuses communes se sont inspirés de cette politique et ont provoqué une surcharge du système global à tous les niveaux et dans tous les secteurs. L’assurance-accidents (la loi est adoptée en 1981 et mise en vigueur en 1984) et la prévoyance vieillesse professionnelle (introduction décidée en 1982 et mise en œuvre en 1985) s’y sont néanmoins ajoutées dans la logique d’aboutissement du dispositif de l’Etat social. Comment expliquer ce changement de cap ? Le développement différé de l’Etat social suisse s’explique par l’effet compensatoire produit par une économie forte, au moins jusque dans les années 1960, qui garantissait par des hauts salaires une prise en charge individuelle de risques, qui était ailleurs en Europe occidentale généralement couverte par l’Etat37. En effet, des salaires élevés permettaient de renforcer la solidarité développée dans les réseaux familiaux par des assurances privées. Dans les années 1970 débute cependant le découplage entre économie et Etat, qui deviennent des sphères d’action antagonistes, comme l’explique Claus Offe38. Mais les conséquences de ce découplage ne sont pas les mêmes en Suisse que dans d’autres pays, où les gouvernements acceptent, dans l’ancienne logique keynésienne, de supporter les coûts sociaux de la deuxième grande transformation de l’économie capitaliste39. En effet, ces coûts qui ont bloqué les autres Etats européens dans leur développement social sont supportés en Suisse par les étrangers et les femmes. Ceci est dû en premier lieu au fait que la Suisse n’a pas d’assurance-chômage obligatoire et pas de garantie d’emploi (comme en Italie, par exemple). Les années 1970 voient par conséquent un retour en masse des populations migrantes dans leur pays d’origine, elles qui n’étaient pas assurées contre le chômage. Ce retour est d’ailleurs fortement encouragé par les initiatives xénophobes lancées et votées durant toutes les années 197040. Les femmes, incitées dans les mêmes conditions à retourner au foyer, représentent le deuxième facteur d’amortissement. Alors que les coûts du chômage frappent les pays avec un Etat social développé, la Suisse se trouve avantagée, pouvant même continuer ses investissements sociaux tout en restructurant l’économie. Elle connaîtra la transformation la plus radicale de tous les pays de l’OCDE lors du passage de production économique et industrielle fordiste à la société des services. Entre 1975 et 1977, près de 300’000 personnes sortent du marché du travail, dont 70’000 femmes41. Les arrangements corporatistes, en crise dans la majorité des pays européens qui passent d’un corporatisme constructif à un corporatisme conflictuel42, se trouvent en Suisse stabilisés dans une coalition intégrant les partenaires sociaux dans la gestion des flux migratoires et dans l’organisation de la transformation économique. La monnaie d’échange reste, comme durant la Deuxième Guerre mondiale, le développement de l’Etat social contre la paix du travail43. Le fait que le développement de l’Etat social suisse se poursuive dans les années 1980 s’explique par l’émergence d’une économie flexible (« vers le nouvel esprit du capitalisme »44) et par la sortie plus rapide et sans chômage de la crise des années 1970. En bref, le développement de l’Etat social n’est donc pas bloqué par des motifs internes à son fonctionnement, mais par un changement social qui est initié d’un côté par une critique à l’Etat et au corporatisme et, de l’autre, par l’insertion de la Suisse dans la dynamique internationale. Changement social et globalisation. Vers une normalisation du modèle suisse du bien-être (depuis les années 1980) Les années 1980 sont les années des transformations socio-démographiques de la population suisse et du passage d’une entente d’Etats-nations autonomes à une réalité économique et sociale globalement enchevêtrée. Ces transformations signifient pour l’Etat social une crise financière et l’inadéquation de ses politiques traditionnelles visant un public uniforme. Le financement de l’Etat social se pose à lui comme un premier problème. Loin de l’équation simple qui conjuguait croissance économique et croissance sociale45, l’action étatique est confrontée à la rationalisation de la production économique et au changement du référentiel d’action du national à l’international, phénomènes tous deux synonymes pour les salariés d’une diminution du pouvoir d’achat et d’une augmentation des risques de chômage. Ainsi, alors que la production économique a longtemps contribué au bien-être de la société, elle exclut du monde du travail une partie de la population locale et, de ce fait, accroît plutôt que ne soulage les problèmes sociaux. De même, en excluant du travail une proportion importante de salariés et en négociant des traitements fiscaux favorables, avec l’argument d’un arrêt total de la production locale, les bases du financement de l’Etat social s’effritent. Espérer que la croissance économique élimine les problèmes sociaux s’avère donc une formule dépassée. Aux problèmes sociaux sur lesquels s’étaient spécialisées les organisations traditionnelles et étatiques s’est ajoutée, dès les années 1980, une deuxième problématique liée à la transformation de la société suisse traditionnelle en société urbaine (multipliant les situations d’exclusion et affaiblissant la classe moyenne)46. Dans le cadre d’une diminution du poids de la classe moyenne, continuer à privilégier des politiques sociales s’adressant principalement aux membres de la société intégrés au processus économique mène tout droit à la création d’une « société des deux tiers », ou encore d’une « société à deux vitesses. » Autrement dit, on passe à une société qui impose à la minorité des pauvres le bien-être de la majorité, afin que celleci puisse garder sa suprématie économique. Et les situations d’exclusion sont simplement le reflet de l’incapacité structurelle de l’action étatique à apporter aide et soutien à la partie de la population ne suivant pas – ou plus – un parcours d’intégration sociale et économique. En d’autres termes, on observe que la politique sociale traditionnelle exclut une partie de la population, les moyens mis en oeuvre n’étant plus adéquats pour répondre aux problèmes créés par les changements socioéconomiques intervenus ces dernières années. Et il devient clair qu’une politique sociale moderne ne peut plus s’adresser à une majorité uniforme, mais doit viser différents publics-cibles afin de répondre à la diversité des problèmes vécus47. Pour affronter ces nouveaux problèmes (par exemple ceux liés à l’environnement, aux nouvelles immigrations, à l’atomisation des formes de vie, à la « nouvelle pauvreté »), ni les organisations traditionnelles surchargées par leurs activités ou incompétentes, ni l’Etat soumis à des restrictions budgétaires et de personnel ne se sont montrés prêts48. Cela a débouché sur un vide institutionnel occupé par de nouveaux acteurs sociaux. Ce vide a engendré de nouvelles formes de solidarité et abouti au phénomène des nouveaux mouvements sociaux49. La fonction critique de ces derniers, qui se sont créés en opposition au modèle fordiste, les distingue des formes traditionnelles d’action collective, animées par l’approche coopérative50. De plus, la complexification sociale a pour conséquence l’augmentation des modèles identitaires individuels et diversifie ainsi, en les multipliant, les besoins sociaux auxquels la welfare society doit faire face. Ces nouveaux acteurs sont cependant restés faibles en raison du manque de soutiende l’Etat – imputable à leurs critiques ouvertes de l’action, ou mieux, de la non-action étatique51 – et en raison de leur position relativement marginale dans la société suisse. Enfin, durant cette période, les acteurs étatiques réalisent que les instruments d’action développés dans les années soixante et surtout dans les années soixante-dix ne sont plus appropriés pour répondre aux nouveaux défis sociaux. C’est à partir de ces multiples crises de l’organisation du bien-être en Suisse que de nouveaux instruments et formes de collaboration entre Etat et instances non-étatiques se développent. La relation avec le non-étatique (le marché, les organisations du privé social traditionnelles que nouvelles, les citoyens) est en effet rediscutée au cours des années 1980. Ce processus aboutit à une transformation du système de production du bien-être. La collaboration et les synergies entre l’étatique et le non-étatique sont désormais perçues en tant que possibilité de réponse organisationnelle aux défis sociaux. La production du bien-être diffère de celle qui a caractérisé la longue phase d’action subsidiaire et de celle, relativement brève, de type planificateur. Elle peut être décrite par deux éléments. D’une part, cette nouvelle forme de bien-être se caractérise par une subsidiarité renouvelée, plus dynamique et mise en oeuvre de manière plus professionnelle grâce à un Etat qui joue le rôle d’incitateur de nouveaux programmes et qui assume le rôle de modérateur52 des acteurs53. Les nouveaux acteurs du privé social sont donc différents des traditionnels. En raison de leur rapport privilégié aux instances publiques, leur degré de professionnalisation est important sans que cela implique une instrumentalisation des bénévoles comme c’est le cas pour des acteurs traditionnels. En revanche, ces nouvelles formes de privé social parviennent en Suisse à mobiliser des bénévoles grâce aux motivations identitaires qu’elles suscitent. La nouvelle structure qu’elles représentent les pousse de plus à renforcer leur fonction critique. Exception faite des mutuelles nées du mouvement ouvrier, cette dimension les distingue nettement du privé social traditionnel. Pour comprendre cette politique nous disposons d’un exemple parlant, celui de la prévention du VIH/sida54. Dans ce cas, le message préventif a dû tenir compte de l’extrême diversité des publics concernés (toxico-dépendants, homosexuels, hétérosexuels, etc.) tout en promouvant une prévention de proximité (par exemple la prévention par les pairs par des contacts directs). Or l’Etat est parvenu en Suisse à travailler avec une seule organisation, tout en collaborant avec les multiples identités en présence et les divers territoires concernés. Cela a permis de diffuser les messages sous des formes différenciées et d’entrer en contact avec des groupes sociaux difficilement atteignables (par exemple les prostituées). En fait, il a stimulé la création d’une organisation unitaire (l’Aide suisse de lutte contre le sida, ASS), capable d’intégrer les diverses identités en présence, car conçue à partir du travail de celles-ci. Cette opération s’est effectuée avec la collaboration des acteurs déjà présents sur le terrain et a permis de diffuser un message préventif efficace. Cette nouvelle subsidiarité n’aurait pas été possible dans des domaines traditionnels d’intervention déjà occupés par des instances de solidarité bien en place. D’autre part, le deuxième élément caractérisant cette nouvelle forme de production du bien-être, commune aux Etats sociaux occidentaux55, est son insertion dans une législation de la responsabilisation individuelle (de « citoyenneté active ») des citoyens par le biais d’instruments qui lient le comportement individuel à ses causes (par exemple à travers l’augmentation de la participation aux coûts de la santé) ainsi que par une augmentation des choix en matière de providence (par exemple en rendant obligatoire uniquement une assurance de base et en laissant les personnes décider pour elles-mêmes de renforcer, selon leurs besoins, leur situation assurantielle)56. Ces deux caractéristiques de la production du bien-être en Suisse, tant le renforcement de l’action de modération et d’incitation de l’Etat envers le non-étatique (soit le passage du rôle critique à celui d’intégration communautaire des nouveaux acteurs sociaux) que l’augmentation de la sélectivité dans les prestations de base ont des conséquences importantes sur le pluralisme du bien-être en Suisse et sur les acteurs du privé social en particulier. Solutions différenciées dans une société pluralisée De nos jours, une politique sociale adéquate doit chercher des solutions plus complexes, dépassant l’équation qui soumet le social à l’économique. Et il est nécessaire de reconnaître qu’une politique sociale centrée sur le travail ne constitue plus la solution pour résoudre les problèmes sociaux. Ces deux écueils auxquels l’Etat est actuellement confronté – diversification des problèmes sociaux et crise du financement – témoignent donc d’une vision limitée et erronée de l’action étatique contemporaine. Mais que l’on s’entende: il ne s’agit pas d’inverser la logique de l’action étatique et de retourner à l’Etat du XIXe siècle en réservant les prestations sociales aux plus pauvres. Ne plus prendre en compte les majorités – à savoir la classe moyenne – dans l’élaboration d’une politique sociale est une erreur politique dont le prix à payer s’exprime par un renforcement des positions populistes. La droite néo-conservatrice, prônant une politique sociale s’adressant uniquement aux personnes en graves difficultés, ne s’aperçoit pas des risques de déstabilisation de la cohésion sociale qu’une telle politique contient, en raison notamment de son manque de solidarité « redistributive ». Prétendre cependant développer une politique sociale sans prendre en considération les impératifs de l’économie serait un acte tout aussi irresponsable compte tenu de l’endettement endémique des Etats. La croissance des déficits publics a en effet montré les limites d’un Etat syndical ou de la politique keynésienne traditionnelle, qui intervient dans l’économie afin de garantir l’emploi. Quelles sont alors les solutions que l’action étatique est en train d’envisager? En Suisse, le débat autour du rôle de l’Etat prend une tournure légèrement différente que dans les autres pays d’Europe occidentale. Du fait du développement lent et retardé de l’Etat social suisse, on ne discute pas aussi sérieusement de la diminution du poids étatique que dans d’autres pays57. Certes, la crise des années 1970 a aussi frappé la Suisse, mais ses effets sur le financement de la politique sociale ont pu être limités. Dans ce contexte, une discussion sur le démantèlement de l’Etat social n’a pas pris, en Suisse, une dimension aussi importante. Les positions des partis gouvernementaux sont – et ceci n’est guère surprenant – plus pragmatiques. L’alliance bourgeoise de droite ainsi que les organisations patronales suivent une politique que l’on peut qualifier de moratoire. A titre d’exemple, la droite a exigé l’interruption de la croissance du personnel dans le secteur public. De même, elle a inlassablement essayé de freiner les révisions du système suisse des assurances sociales. Elle a en particulier tenté pendant de longues années d’attaquer certains acquis des classes protégées en substituant au principe de garantie universelle le principe de nécessité. Alors que pendant les années 1980 cette stratégie de moratoire et de frein à la révision des assurances sociales n’a guère été couronnée de succès, elle a depuis peu permis aux forces bourgeoises de l’emporter sur plusieurs dossiers. On citera par exemple les dixième et onzième révisions de l’assurance vieillesse et survivants (AVS), offrant d’un côté une meilleure couverture pour les femmes, mais augmentant de l’autre l’âge de leur retraite. Il en va de même pour la révision de la loi sur l’assurance maladie entrée en vigueur en 1996, qui établit le caractère obligatoire de celle-ci, mais qui renforce aussi le principe d’autofinancement des prestations ainsi que la logique de concurrence entre les assurances. On peut aussi citer la dernière révision de l’assurance-chômage, caractérisée par un renforcement des mesures d’intégration, mais aussi par une diminution des prestations pour certaines catégories de chômeurs ; ou encore la révision de l’assurance invalidité visant des restrictions plus sévères dans l’accès aux prestations. Ainsi, les forces bourgeoises semblent rencontrer le succès dans leur stratégie consistant à remettre en question certaines prestations sociales en échange d’une modernisation du système de sécurité sociale. L’initiative d’une assurance maternité, qui revient à un représentant du parti radical et président de l’Union suisse des arts et métiers (Pierre Triponez), n’est d’ailleurs pas un contre-exemple, puisque son introduction est financée par la diminution des dépenses de l’assurance militaire. Il s’agit donc plus d’un transfert de fonds que d’une expansion de l’Etat social voulu par une partie de la coalition bourgeoise , et passé en vote parlementaire grâce au soutien de la gauche. La gauche traditionnelle et les syndicats, confrontés aux positions de la coalition bourgeoise, ont poursuivi pour leur part une stratégie consistant à « limiter les dégâts ». En acceptant de négocier sur des thèmes de politique sociale et grâce à une politique du coup par coup, les forces de gauche ont néanmoins participé de manière déterminante à la réforme du système des assurances sociales. Elles ont même réussi à créer la base d’une loi sur l’assurance maternité. Dès les années 1980, la gauche a en outre été sensible à la précarisation de la situation de bien des personnes, et cela malgré les assurances sociales existantes. Ce n’est qu’à partir des années 1990 que la gauche a cependant réussi à développer une politique qui dépasse la défense des acquis et qui permette d’apporter – partiellement du moins – une solution aux situations d’exclusion de plus en plus nombreuses. L’éventail d’actions qui s’offre au système politique suisse pour faire face à l’aggravation de la question sociale est donc relativement limité. Devant l’augmentation parallèle des dépenses sociales et des situations d’exclusion sociale, les réponses politiques ont été essentiellement pragmatiques et réformatrices. En d’autre termes, la direction prise en Suisse est celle d’une réforme de l’« existant ». Les pistes de réformes du système de bien-être suisse Un peu partout en Europe, les législations donnant corps aux systèmes nationaux de protection sociale sont réexaminées, afin d’identifier les lacunes de couverture de certaines catégories sociales et de procéder aux adaptations législatives nécessaires58. Mais des efforts de rationalisation des législations nationales doivent encore s’ajouter à ce travail qui prend une forme essentiellement sectorielle, ceci afin d’améliorer la cohérence du droit social. Il est vrai que dans de nombreux cas – citons l’exemple du droit familial – des adaptations législatives sont suffisantes pour éliminer le risque qu’une partie de la population soit exclue des prestations sociales. Or de telles adaptations restent limitées et ne contribuent nullement à augmenter la cohérence du système de protection sociale. Dans ce contexte, le réel défi pour les Etats consiste à mettre en relation les différentes mesures d’intervention sociale pour éviter des effets d’auto annulation et pour mettre en rapport les différents éléments de politique sociale. Il faudrait éviter, par exemple, que dans un système d’allocation universelle, rien ne soit mis en place pour empêcher l’endettement des catégories sociales les plus pauvres. Toujours au niveau de la législation, le Traité de Maastricht demande qu’à l’intérieur de l’Union européenne au moins, les Etats harmonisent les mesures les plus importantes en matière de sécurité sociale (notamment celles concernant la retraite, la maladie, les accidents et le chômage) afin qu’en cette période de mobilité croissante des populations, un déplacement n’amène pas à une couverture sociale défaillante. A côté de ces adaptations essentiellement politiques et juridiques, les Etats sont aussi en train d’imaginer des formules destinées à responsabiliser les bénéficiaires des prestations de l’Etat social. Plus exactement, il s’agit de solutions intégrant des éléments de prévention et d’activation, qui visent à combattre l’attitude passive de la population envers les risques liés à l’existence, et à remédier aux problèmes financiers rencontrés par les grands systèmes d’assurances. Mais responsabiliser les bénéficiaires de prestations signifie aussi modifier la façon de considérer les personnes connaissant de graves difficultés matérielles et sociales, qui trop souvent sont reléguées à de simples preneurs d’aide matérielle, sans être intégrées dans des projets ou des programmes leur permettant de trouver une issue à leur situation d’exclusion. Il est clair que les possibilités de responsabilisation des bénéficiaires des prestations sociales prennent différentes formes, que nous nous trouvions dans des situations d’exclusion liées à l’âge, à la maladie, à un accident ou au chômage. Dans ce contexte, il convient d’exemplifier quelques formes de responsabilisation que peuvent encourager les Etats sociaux dans le cadre des piliers de l’Etat social, à savoir les assurances vieillesse, maladie et chômage ainsi que l’aide sociale. Retraite. Le système de retraite se réorganise pour atteindre au moins le but de garantir un minimum vital par la redistribution étatique. Ce qui dépasse ce minimum – et c’est la tendance à l’échelle internationale – sort de la logique de redistribution étatique pour être privatisé par le biais des assurances complémentaires qui garantissent le statut social selon les choix individuels. En ce qui concerne la Suisse, les adaptations proposées dans le cadre des dernières révisions de l’AVS vont vers l’augmentation de la partie d’assurance privée (en renforçant notamment le troisième pilier) et la stabilisation, voire la diminution de la partie étatique. La compensation d’une AVS toujours plus faible ne s’est en revanche pas faite en privatisant le risque de pauvreté, mais en introduisant un système d’aide sociale pour les personnes âgées complétant les prestations de l’AVS (les « prestations complémentaires »). Maladie. Le système de santé développe, lui aussi, des prestations à la baisse, différencie les riches des pauvres et nous prépare à une médicine à plusieurs vitesses avec la crainte qu’une partie de la population – à l’image des clandestins – n’accède plus du tout aux prestations. Des adaptations sont visibles dans des initiatives de diminution des barrières d’accès à la santé qui ne visent pas la meilleure santé pour tous, mais des services minimaux pour les personnes en situation de précarité59. Les révisions du système d’assurance maladie en Suisse ont introduit une base minimale généreuse de type solidaire, garantissant aussi aux personnes démunies l’accès aux services de santé. En effet, la loi en vigueur sur l’assurance maladie consacre l’accès aux soins pour tous et prévoit des mesures de financement pour les personnes et les familles les moins aisées. Il y a cependant des tentatives de réduire le catalogue de base (à l’exemple de la médicine alternative, sortie de celui-ci en 2005 ) et d’inciter les gens à s’assurer par le biais d’assurances complémentaires pour une série de prestations précises. L’aide sociale baisse aussi ses prestations. La pauvreté est relativement facile à déterminer; en revanche déduire les prestations auxquelles elle donne droit est difficile et dépend non seulement du statut de la personne, mais aussi de l’organisation et de l’unité territoriale qui s’en occupent. De l’aide matérielle fournie par le système caritatif à l’aide sociale étatique, les traitements se différencient fortement. En Suisse, par exemple, être pauvre et requérant d’asile induit des prestations inférieures à celles accordées à un citoyen suisse; être pauvre amène aussi à une différence de traitement selon le canton où l’on est établi. Notons pour la Suisse aussi que les directives d’orientation de la Conférence suisse des institutions d'action sociale (CSIAS) ont été adaptées vers le bas. Chômage. A l’exemple du Royaume-Uni, l’assurance chômage diminue l’ampleur de ses prestations pour s’aligner toujours plus sur les standards de l’aide sociale. Ce qui, au début du XXe siècle, a été introduit un peu partout en Europe comme une différenciation fondamentaleentre « fainéants » et personnes en quête de travail60 se dédifférencie à nouveau pour entrer dans une redéfinition des relations entre soutien matériel et droit à l’aide. A la place d’un droit d’assurance acquis s’instaure une logique de réciprocité, pénalisant l’attitude jugée non-coopérative ou simplement une difficulté de placement d’une personne61. En Suisse, la Loi fédérale sur l’assurance chômage obligatoire et l’indemnité en cas d’insolvabilité (LACI) va, depuis les efforts de réformes du milieu des années 1990, dans une direction similaire62. Même si toute velléité de baisser ses prestations au niveau minimal est combattue par des mouvements organisés autour du syndicat. C’est le cas, par exemple en 1997 lorsqu’un référendum contre une diminution des prestations – initié par un mouvement de chômeurs – parvient à faire échouer la votation populaire de la loi (le 28 septembre 1997 avec 50.2% de non). De la logique d’assurance à la logique des droits individuels Cet ébranlement des prestations d’assurance et des garanties de survie ainsi que cette dédifférenciation entre aide aux chômeurs, soutien aux salaires faibles et aide sociale changent le questionnement de base de notre système de bien-être. Les Etats sociaux ne réfléchissent plus à la question du plus haut bien-être pour le plus grand nombre de personnes – le modèle fordiste –, mais au standard minimum d’intervention63. La recherche du meilleur encadrement en termes sociaux et de santé publique est individualisée et privatisée, pendant que l’action collective, en particulier l’étatique, s’occupe des personnes en situation précaire. Ces personnes ne sont pas organisées dans une logique de classe sociale, mais vivent leur destin – d’ailleurs extrêmement différencié, comme l’ont montré les études sur la nouvelle pauvreté64 – de manière isolée65. Les transformations du welfare pluralism en Suisse durant ces dernières années en font aujourd’hui non plus un cas exceptionnel, retardé, particulièrement complexe ou encore en récupération en contre tendance, mais une référence internationale en ce qui concerne l’individualisation des responsabilités, l’activation des citoyens ou encore l’incitation et la modération des acteurs producteurs de bien-être. Le tableau 1 résume ces transformations dans les grandes lignes. Tableau 1 : le welfare pluralism changeant en Suisse Rôle dans la production du bien- Économie faible Économie forte être (fort/faible) Depuis 1985 : Etat Privé social fort incitateur et modérateur, XIXe siècle : Etat libéral, faible, activant le privé social et les privé autonome citoyens 1975-1985 : phase de Privé social faible récupération de l’Etat social suisse 1945-1975 : « trente glorieuses » à la Suisse, avec une économie au centre de la production du bien-être Avec cette mouvance récente vers une intervention du système du bien-être orienté vers les marges (importantes) de la société, nous revivons une situation qui rappelle les racines de l’Etat libéral minimal qui s’est transformé – malgré lui pour certains pays comme la Suisse – en Etat social. L’Etat libéral, qui avait justement programmé l’aide aux personnes matériellement précarisées, allait compenser ce minimalisme par une logique de droits individuels permettant la plus grande liberté possible – au moins théoriquement – à la libre entreprise, qu’elle soit orientée économiquement ou socialement66. Ces racines libérales qui se présentent comme « force des origines »67 dans le débat actuel réactualisent la logique de droits individuels qui s’oppose à la logique de classe. La lutte contre la pauvreté, la marginalité et l’exclusion sociale se réinvente, au début de ce siècle, en termes libéraux. La société civile est appelée à s’aider ellemême et l’Etat prend en charge les personnes qui sont dans le besoin, ceci dans une logique d’aide à la survie et non plus dans une logique de maintien d’appartenance de classe. Malgré le « consociationnalisme » économique et politique caractérisant les institutions68, on assiste à un regain d’idéologie libérale, comme l’illustre le slogan « moins d’Etat, plus de marché ».69 En d’autres termes, on assiste à un changement important du modèle néo-corporatiste à penchant libéral70. Cette nouvelle orientation influence les programmes politiques et gouvernementaux. Plutôt que de continuer le développement de l’Etat social d’assurantes, la Suisse cherche à renforcer les mécanismes du marché et à développer toute une série de politiques visant la résolution de problèmes sociaux par la coopération avec des organisations issues de la société civile. De ce fait, l’Etat et son administration déploient une activité d’incitation et de réanimation de la société civile. Ceci rend possible le partenariat dans le domaine de la production du bien-être et réconcilie l’idéologie libérale avec la nécessité de continuer à proposer des solutions aux problèmes sociaux concrets. Cette activation combinant donc, comme le souligne Franz Schultheis, moralité et technique est « […] d’abord un ensemble d’incitations à la mise au travail de catégories inactives, qui se donnent pour but d’élargir l’assise du financement de la protection tout en diminuant le nombre de bénéficiaires “passifs“ des largesses de l’Etat providence. La dimension morale et moralisatrice de ce système est évidemment centrale. »71 Ce n’est là qu’une partie de la réinvention du système de bien-être en cours. L’autre tendance qu’on pourrait nommer « l’américanisation de l’Europe » lit les situations de précarité comme un effet du manque d’égalité sur le libre marché des compétences et comme une fermeture des corporatismes territoriaux à l’égard du pluralisme humain. Cette lecture des transformations en cours qui se fait par exemple au niveau de la législation européenne nous conduit à identifier l’obstacle majeur à la lutte contre la précarité dans l’empêchement de la mobilité sociale et territoriale – seule clé de l’avancement social. Qu’il s’agisse donc de la législation anti-discriminatoire, de droits minimaux d’accès à la santé ou encore de la mise en place de lieux d’accueil pour les sans-abris, le système du bien-être est en train de focaliser ses énergies sur la lutte contre la permanence (définitive) dans la marginalité72. Il est évident que ceci ne réussit pas toujours et les ajustements en cours en témoignent. Néanmoins, le passage d’une situation de garanties pour les uns et de marginalités pour les autres à un système qui tente de donner des possibilités d’avancement73 dans toute situation de marginalité est désormais l’orientation du changement. * J’aimerais remercier en particulier Milena Chimienti et Isabelle Renschler pour les critiques pertinentes formulées à des versions précédentes de ce texte et à l’Université de Malmö et sa School of International Migration and Ethnic Relations (IMER) pour l’invitation qui m’a permis de dédier du temps précieux à mes recherches et à l’écriture de ce texte. 1 Jean-Noël Rey, Trop d'Etat?, Lausanne 1983. 2 Pierre Gilliand, Politique sociale en Suisse, Lausanne 1988, 53 ; Fabio Bertozzi, Giuliano Bonoli et Benoît Gay-des-Combes, La réforme de l'Etat social en Suisse. Vieillissement, emploi, conflit travailfamille, Lausanne 2005. 3 Voir Manfred G. Schmidt, Sozialpolitik. Historische Entwicklung und internationaler Vergleich, Opladen 1988. 4 Comme elle a été développée en particulier par Franz-Xaver Kaufmann, Sozialpolitik und Sozialstaat: Soziologische Analysen, Wiesbaden 2005, 27-28. 5 Le terme « welfare pluralism » est utilisé pour indiquer que le bien-être dans une société n’est pas seulement produit par l’Etat, mais aussi par l’économie, les familles et les organisations du privé social; sur ce concept voir Adalbert Evers et Thomas Olk (éd.), Wohlfahrtspluralismus. Vom Wohlfahrtsstaat zur Wohlfahrtsgesellschaft, Opladen 1996. 6 Bertozzi et al., La réforme de l’Etat social en Suisse, 31 (voir note 2). 7 Voir Antonin Wagner, Wohlfahrtsstaat Schweiz, Bern 1985; Danielle Bütschi et Sandro Cattacin, "The Third Sector in Switzerland: The Transformation of the Subsidiarity Principle", in: West European Politics, 16, n° 3 (1993), 362-379 ; Antonin Wagner, "Les associations dans le secteur social et sanitaire", in : Vie associative et solidarités sociales, Marie-Chantal Collaud et Claire-Lise Gerber (éd.), Lausanne 1993, 39-58. 8 Hotz, en décrivant ce processus, parle d’un “modèle libéral de transfert des fonctions“ (liberales Verlaufsmuster). Voir Beat Hotz, Politik zwischen Staat und Wirtschaft, Diessenhofen 1979, 36-42. 9 Le take off industriel précoce (en 1830) fait d’ailleurs de la Suisse un des premiers pays à développer toute une série de lois sociales, notamment concernant la législation du travail. Voir Jean-Pierre Fragnière et Gioia Christen, Sécurité sociale en Suisse, Lausanne 1988. 10 Danielle Bütschi et Sandro Cattacin, Le modèle suisse du bien-être. Coopération conflictuelle entre Etat et société civile: le cas de l'alcoolisme et du vih/sida, Lausanne 1994. 11 Jean-Pierre Fragnière et Gioia Christen, Sécurité sociale en Suisse, 36 (voir note 9). 12 Silvano Möckli, Der Schweizerische Sozialstaat, Bern 1988, 19. 13 René Knüsel et Félix Zurita, "Aux origines de la politique sociale en Suisse. Une sécurité pour qui?", in : Jean-Pierre Fragnière et Pierre Gilliand (éd.), Santé et politique sociale, Vevey 1980, 119-129 (120). 14 Voir Hansjörg Siegenthaler, "Konsens, Erwartungen und Entschlusskraft: Erfahrungen der Schweiz in der Überwindung der Grossen Depression vor hundert Jahren.", in: Schweizerische Zeitschrift für Volkswirtschaft und Statistik, 3 (1983), 213-235. 15 En d’autres termes, le privé social. Pour une discussion définissant les contours de ce thème voir Sandro Cattacin, "La rete di produzione di benessere. Una critica all’analisi settoriale del sistema di benessere", in: Jean-Pierre Fragnière, Gianfranco Domenighetti, Christian Marazzi et Luca Broder (éd.), Fare politica sociale oggi, Lausanne 1998, 129-155. 16 Sur les acteurs traditionnels en particulier cf. Claude Bovay, Jean-Paul Tabin et Roland J. Campiche, Bénévolat, modes d'emploi, Lausanne 1994 ; voir, dans une perspective comparative avec la Suisse Monica Battaglini, Sandro Cattacin et Véronique Tattini, "Reconnaissance et coopération: quelle institutionnalisation de l’associationnisme? Deuxième partie", in : Associations transnationales/Transnational Associations, 3 (2001), 130-156. 17 Sur le développement législatif pragmatique, voir Alfred Maurer, Geschichte des schweizerischen Sozialversicherungsrechts, Berlin-West 1981. 18 Comme le dit Maurizio Ferrera, la logique « bismarckienne » se caractérise par la sensibilité envers les diverses positions sociales dans la société (les catégories). Voir Maurizio Ferrera, Modelli di solidarietà. Politica e riforme sociali nelle democrazie, Bologna 1993. Pour la description de la logique « bismarckienne », voir Franz-Xaver Kaufmann, Sozialpolitisches Denken. Die deutsche Tradition, Frankfurt M. 2003, 64. 19 Pierre Gilliand, Politique sociale en Suisse, 48 (voir note 2). David E. Bohn, "The Failure of the Radical Left in Switzerland", in: Comparative political studies, 1 (1986 ), 71-103. 21 Une tendance commune à bien des pays démocratiques durant la période de guerre. Voir Sandro Cattacin, Marco G. Giugni et Florence Passy, Etats et mouvements sociaux. La dialectique de la société politique et de la société civil, Arles 1997. 22 Sur ce développement de la politique consensuelle, voir notamment Hanspeter Kriesi, Le système politique suisse, Paris 1995. 23 Hanspeter Kriesi, Entscheidungsstrukturen und Entscheidungsprozesse in der Schweizer Politik, Frankfurt M. 1980; André-Noël Roth, Les hauts fonctionnaires de l'administration fédérale suisse. Profils sociopolitiques, positions et pouvoir des élites administratives de la Confédération helvétique en 1991, Genève 1994 (coll. Etudes et Recherches No 29). 24 Jürg H. Sommer, Das Ringen um soziale Sicherheit in der Schweiz, Diessenhofen 1978, 35-45. 25 Sur le développement de la « paix du travail » en Suisse, voir Bernard Degen, Peter Farago, Pierre Franzen, Giaco Schiesser, Urs Sekinger et Jakob Tanner (éd.), Arbeitsfrieden - Realität eines Mythos. Gewerkscahftspolitik und Kampf um Arbeit - Geschichte, Krise, Perspektiven, Zurich 1987. 26 Hanspeter Kriesi, "Überblick über den gegenwärtigen Stand der Korporatismus-Debatte", in: Swiss Journal of Sociology, 2 (1983), 235-256. 27 Voir H. Kriesi, Le système politique suisse, 224 (voir note 22). 28 Peter Farago, Verbände als Träger öffentlicher Politik, Grüsch 1987. 29 Sur les développements de ce système voir Pierre Gilliand, Politique sociale en Suisse (voir note 2). 30 Voir Monica Budowsky, Christian Suter, Peter C. Meyer et Jakob Bösch, "Empirischer Vergleich der Helfenden und der Hilfesuchenden", in: Peter C. Meyer et Monica Budowsky (éd.), Bezahlte Laienhilfe und freiwillige Nachbarschaftshilfe, Zürich 1993, 143-240 (162) ; Monica Battaglini, Sandro Cattacin et Véronique Tattini, "Reconnaissance et coopération: quelle institutionnalisation de l’associationnisme? Première partie", in : Associations transnationales/Transnational Associations, 2 (2001), 60-73. 31 Sandro Cattacin et Rocco Vitali, "La Suisse entre subsidiarité et étatisme. Quelques réflexions sur le rôle des instances non étatiques de production du bien-être en Suisse", in : Revue des études coopératives mutualistes et associatives, 76, n° 263 (1997), 35-47. 32 A l’exemple de Maurizio Ferrera qui définit la Suisse comme un « système occupationnel avec des éléments universels » (notre traduction) ; voir M. Ferrera, Modelli di solidarietà, 162 ss. (voir note 18) ; ou comme un système mixte, connaissant des caractéristiques typiques à la fois du modèle bismarckien et du modèle scandinave [S. Möckli, Der Schweizerische Sozialstaat, 27, (voir note 12)]. 33 S. Möckli, Der Schweizerische Sozialstaat, 18-21 (voir note 12). 34 Comme Mauro Cerutti l’a souligné, les syndicats ont été longtemps anti-étrangers ; voir Mauro Cerutti, "L'immigration italienne en Suisse dans le contexte de la Guerre froide", in : Jean Batou, Mauro Cerutti et Charles Heimberg (éd.), Pour une histoire des gens sans histoire: ouvriers, exclues et rebelles en Suisse 19e-20e siècles, Lausanne 1995, 213-231. Cette attitude a eu comme conséquence un manque de responsabilisation du pouvoir politique envers une classe ouvrière essentiellement composée, à partir des années 1960, d’immigrés sans droits politiques et a contribué à ce désintérêt pour la mise en place d'instruments incisifs de politique sociale ; voir Manfred G. Schmidt, Der schweizerische Weg zur Vollbeschäftigung: eine Bilanz der Beschäftigung, der Arbeitslosigkeit und der Arbeitsmarktpolitik, Frankfurt M. 1985, 111. 35 Sur la lutte de reconnaissance politique des femmes en Suisse, voir Martin Senti, Geschlecht als politischer Konflikt, Berne 1994. 36 Jean-Noël DuPasquier et Daniel Marco, L'Etat englobé: l'insertion de l'Etat dans l'économie suisse, Lausanne 1986, 20. 37 Gøsta Esping-Andersen, The Three Worlds of Welfare Capitalism, Cambridge 1990. 38 Claus Offe, "Democracy Against the Welfare State? Structural Foundations of Neoconservative Political Opportunities", in: Donald J. Moon (éd.), Responsibility, Rights, and Welfare. The Theory of the Welfare State, Boulder/London 1988, 189-228. Ossipow en fait le point: « Si dans une perspective macroéconomique, on peut lire une corrélation entre croissance et justice, on peut aussi supposer qu'il 20 y a très certainement une corrélation entre décroissance (ou déflation) et injustice entendue comme extension du chômage, difficultés croissantes des systèmes de sécurité sociale à assurer le bien-être de tous, creusement des inégalités. La vague vient à se casser et, avec elle, ce bel équilibre de développement et de justice » ; voir William Ossipow, "Prospérité, crise économique et justice sociale", in : Bernard Baertschi, François Dermange et Pierre Dominicé (éd.), Comprendre et combattre l'exclusion, Lausanne 1998, 31-42 (35). 39 Fritz W. Scharpf, Sozialdemokratische Krisenpolitik in Europa, Frankfurt M./New York 1987. 40 Hans Mahnig, "La politique migratoire de 1970 au milieu des années 1980", in : Hans Mahnig (éd.), Histoire de la politique d'immigration, d'intégration et d'asile en Suisse, Zurich 2005, 135-159. 41 Manfred G. Schmidt, "Der Schweizerische Weg zur Vollbeschäftigung. Das Schweizer Vollbeschäftigungs-Wunder", in: Politische Vierteljahresschrift, 25, n° 2 (1984), 209-216.; Piguet et Mahnig avancent des chiffres plus réduits en parlant de 150'000 migrants rentrant dans leur pays; voir Etienne Piguet et Hans Mahnig, Quotas d'immigration: l’expérience suisse, Genève 2000 (International Labour Office / Bureau International du Travail - Service des migrations internationales). 42 Rolf G. Heinze, Verbändepolitik und Neokorporatismus, Opladen 1981. 43 Leonardo Parri, The historical development of state-unions in Switzerland: from confrontation to stable political exchanges: paper prepared for the 7th Congress of the Schweizerische Gesellschaft für Soziologie "Industriegesellschaft - Ende einer Epoche? Fakten, Analysen, Perspektiven", Zürich, 17.19. Oktober 1985, Florence 1985; Leonardo Parri, Neo-corporatist arrangements, "Konkordanz" and political exchange: the swiss experience: paper prepared for the World Congress of the International Political Science Association, Paris, 15-20 July 1985, Florence 1985 ; , Gerhard Lehmbruch, "Consociational Democracy and Corporatism in Switzerland", in: Publius: The Journal of Federalism, 2, n° 23 (1993), 43-60. 44 Luc Boltanski et Eve Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisme, Paris 1999 (coll. NRF Essais). 45 Ludwig Gärtner et Yves Flückiger, Probleme des Sozialstaats: Ursachen, Hintergründe, Perspektiven, Zurich/Choire 2005, 23. 46 F. Bertozzi et al., La réforme de l’Etat social en Suisse, 38-39 (voir note 2) ; sur les questions sociales liées en particulier à la migration : Sandro Cattacin, Denise Efionayi-Mäder et Philippe Wanner, "Der schweizerische Sozialstaat und die Migration", in: Schweiz Caritas (éd.), Sozialalmanach 2001 - Sozialpolitik in der Weltgesellschaft, Luzern 2001, 135-152. 47 Stefan Kutzner, Ueli Mäder et Carlo Knöpfel (éd.), Working poor in der Schweiz - Wege aus der Sozialhilfe. Eine Untersuchung über Lebensverhältnisse und Lebensführung Sozialhilfe beziehender Erwerbstätiger, Zurich/Choire 2005. 48 Peter Farago, Verhütung und Bekämpfung der Armut: Möglichkeiten und Grenzen staatlicher Massnahmen. Forschungsbericht 3/95, Berne 1995. 49 Voir Claus Offe, "New Social Movements Challenging the Boundaries of Institutional Politics", in: Social Research, 52 n° 4 (1985), 817-868. 50 Hanspeter Kriesi, Ruud Koopmans, Jan Willem Duyvendak et Marco G. Giugni, New Social Movements in Western Europe. A Comparative Analysis, Minneapolis 1995. 51 Voir aussi Marco G. Giugni, Entre stratégie et opportunité. Les nouveaux mouvements sociaux en Suisse, Zurich 1995. 52 Dans le sens d’abord d’un intervenant qui cherche l'amélioration de la coordination de l’action des autres intervenants privés, mais aussi dans le sens d’un modérateur des demandes (sur ce concept de modérateur voir Helmut Willke, Systemtheorie III: Steuerungstheorie, Stuttgart 1995). 53 Danielle Bütschi et Sandro Cattacin, "L'Etat incitateur: nouvelles pratiques de subsidiarité dans le système du bien-être suisse", in : Annuaire Suisse de Science Politique, 33 (1993), 143-162. 54 Rocco Vitali et Sandro Cattacin en collaboration avec Martin Abele et Charles Landert, La prévention du sida dans les cantons suisses: une analyse organisationnelle, Muri 1997. 55 Jørgen Goul Andersen et Anne-Marie Guillemard, "Conclusion: policy change, welfare regimes and active citizenship", in: Jørgen Goul Andersen, Anne-Marie Guillemard, Per H. Jensen et Birgit PfauEffinger (éd.), The changing face of welfare. Consequences and outcomes from a citizenship perpsective, Bristol 2005, 257-271 (268). 56 Sandro Cattacin, "Organiser les solidarités. La construction du bien-être par l'interface public-privé en Europe", in : Marc-Henry Soulet (éd.), Crise et recomposition des solidarités. Vers un nouvel équilibre entre Etat et société civile, Fribourg 1996, 53-93. 57 Giuliano Bonoli, Vic George et Peter Taylor-Gooby, European welfare futures towards a theory of retrenchment, Cambridge (U.K.) 2000. 58 Jørgen Goul Andersen et Anne-Marie Guillemard, Conclusion: policy change, (voir note 55). 59 Isabelle Renschler et Sandro Cattacin, "Unterschiede integrieren statt Abweichungen wahrnehmen", in: Bulletin de la Commission fédérale contre le racisme, n° 16 (2004), 107-112. 60 Jens Alber, "Regierungen, Arbeitslosigkeit und Arbeitslosenschutz: Zur Entwicklung der Arbeitslosenversicherung in Westeuropa" in: Kölner Zeitschrift für Soziologie und Sozialpsychologie, 30 (1978), 726-760. 61 Sandro Cattacin, Matteo Gianni, Marcus Mänz et Véronique Tattini, Retour au travail! Le workfare comme instrument de réforme, Fribourg 2002. 62 Chantal Magnin, Beratung und Kontrolle. Widersprüche in der staatlichen Bearbeitung von Arbeitslosigkeit, Zurich 2005. 63 Maurizio Ferrera, Le trappole del welfare. Uno stato sociale sostenibile per il XXI secolo, Bologna 1998. 64 Silvano Toppi et Christian Marazzi, La povertà in Svizzera: sintesi delle ricerche sul fenomeno della povertà, Bellinzona 1991; Robert Leu, Stefan Burri et Tom Priester, Lebensqualität und Armut in der Schweiz, Berne 1997. 65 Comme nous l’avons montré en travaillant sur le « workfare » (Sandro Cattacin et al., Retour au travail !, voir note 61). D’ailleurs l’expérience danoise du « Individual Action Plan – IAP » est parlante pour l’individualisation des situations de difficulté aussi par les pratiques administratives ; voir Asmund W. Born et Per H. Jensen, "Individualising citizenship", in : Jørgen Goul Andersen, Anne-Marie Guillemard, Per H. Jensen et Birgit Pfau-Effinger (éd.), The changing face of welfare. Consequences and outcomes from a citizenship perpsective, Bristol 2005, 151-167. 66 Sandro Cattacin et Barbara Lucas, "Autorégulation, intervention étatique, mise en réseau. Les transformations de l’Etat social en Europe: les cas du VIH/sida, de l’abus d’alcool et des drogues illégales", in : Revue française de science politique, 49, n° 3 (1999), 379-398. 67 Je fais référence aux idées néo-institutionnalistes mettant en évidence la force des premières décisions institutionnelles pour le développement structurel et la marge de manœuvre des réformes (voir François-Xavier Merrien, "Etat et politiques sociales: contribution à une théorie "néoinstitutionnaliste"", in : Sociologie du Travail, n° 3 (1990), 267-294). 68 H. Kriesi, Système politique suisse, 311 (voir note 22). 69 Sandro Cattacin, "Gouverner les dépenses publiques: le processus budgétaire", in : Barbara Pfister, Ruggero Crivelli et Michel Rey (éd.), Finance et territoires. Leur place dans la prise de décision publique, Lausanne 1999, 48-58. 70 Peter J. Katzenstein, Small States in World Markets. Industrial Policy in Europe, Ithaca/London 1985, 105. 71 Franz Schultheis, "La stratégie européenne de l'emploi", in : Swiss Journal of Sociology, 30 n° 3 (2004), 303-318 (315). Sur la problématisation de la dimension morale dans le contexte suisse voir aussi Chantal Magnin, "Beratung und Kontrolle. Ein für den aktivierenden Staat typisches Handlungsdilemma", in: Swiss Journal of Sociology, 30 n° 3 (2004), 339-361. 72 Sandro Cattacin, "Dynamiques sociétales et aide sociale. Le droit d'exister dans un environnement précarisant", in : Walter Schmid et Ueli Tecklenburg (éd.), Menschenwürdig leben? - Vivre dignement?, Lucerne 2005, 106-112. 73 Comme le préconise d’ailleurs aussi Amartya Kumar Sen, Inequality reexamined, New York/Cambridge 1992.