Association
math´ematique
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en mettant `a leur disposition divers services et ressources.
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1
Les ouragans : engins de destruction
Marc Laforest, département de mathématiques et génie industriel,
École Polytechnique de Montréal
marc.laforest@polymtl.ca
le site de Marc Laforest
Résumé
Cet article décrit, à l’aide de mathématiques du collégial, deux phénomènes physiques
dissimulés derrière la majesté des ouragans. La présentation commence avec une description
de la force de Coriolis. Cette force induit une rotation cyclonique des vents centrés autour
d’une dépression stationnaire. En deuxième lieu, cet article présente le modèle de Bister et
Emanuel (1998) de la thermodynamique d’un ouragan. Bien que la physique de ce modèle
soit particulièrement subtile, l’article inclut une présentation complète des pré-requis
de la thermodynamique. Grâce à une analogie avec le cycle de Carnot, le modèle de
Bister et Emanuel permet de comprendre comment la chaleur de l’océan alimente le cycle
énergétique des ouragans. La présentation exploite plusieurs techniques mathématiques de
niveau collégial, donnant à celle-ci une valeur pédagogique intéressante.
1 Introduction
Les ouragans, connus sous le nom de typhons en Asie et de cyclones dans l’hémisphère sud, sont
des phénomènes météorologiques très médiatisés. En Amérique du Nord, nous avons tous été
témoins de la dévastation laissée par les ouragans Andrew (1992), Katrina (2005), et récemment
par l’ouragan Sandy. Dans cette ère de changements climatiques, ces ouragans ont certainement
sensibilisé la population à l’impact de l’homme sur son environnement. Toutefois, on parle
rarement du mystère de la genèse d’un ouragan. Encore plus important, les journalistes prennent
souvent pour acquis la relation entre le réchauffement de la planète et l’intensité en apparence
croissante de ces ouragans. Cet article tente de démystifier ces enjeux contemporains à l’aide
d’outils enseignés au collégial.
Dans les sections 2 et 3, nous décrirons en détail la force de Coriolis et comment elle entraine
les vents d’un ouragan dans un mouvement circulaire. Cette étude est un mariage enrichissant
des notions d’algèbre linéaire et de calcul différentiel à plusieurs variables.
Les sections 4 et 5, indépendantes des deux précédentes, analysent le cycle thermodynamique
de l’ouragan. Plus précisément, ces sections analysent le bilan énergétique de l’ouragan afin
c
Association mathématique du Québec Bulletin AMQ, Vol. LIII, no2, mai 2013 25
d’établir une relation entre la vitesse de ses vents et la température à la surface de l’océan. Le
titre de cet article vient du fait que le cycle énergétique d’un ouragan est identique à celui de
l’engin de Carnot. Cette analogie permet de mieux conceptualiser les ouragans et de comprendre
la grande efficacité avec laquelle ceux-ci transforment la chaleur emmagasinée dans l’océan
en vents turbulents et destructeurs. Cette deuxième partie est tirée de l’article de Bister et
Emanuel (1998) et de l’excellente synthèse d’Emanuel (2003), qui eux se sont inspirés des
travaux de Riehl (1950) et de Kleinschmidt (1951).
2 La force de Coriolis
On a tous senti le vent souffler, on a tous vu les nuages voguer de l’ouest vers l’est, et même
parfois, nous avons eu l’occasion d’observer ces petits tourbillons éphémères qui emportent les
feuilles à l’automne. Par contre, quand on observe la taille et la structure dans la figure 1, il est
indéniable que quelque chose de très différent est à l’oeuvre.
Figure 1 – Composition de deux images de la Terre prises par des satellites de la NASA [1].
Un ouragan possède une symétrie parfaite, des spirales de nuages et un œil bien défini. L’ouragan
impressionne par sa puissance et sa stabilité, mais son mystère vient du fait que sa structure
26 Bulletin AMQ, Vol. LIII, no2, mai 2013
circulaire et sa rotation se développent singulièrement dans des vents qui se déplacent en
majorité en ligne droite. Connaissez-vous beaucoup d’objets qui tournent spontanément ? Même
si vous placez vous-même un objet en rotation, est-ce que cette rotation s’accélère d’elle-même ?
Nous verrons que la rotation de la Terre autour de son axe induit une force fictive dans notre
repère à la surface de la Terre. Nous connaissons déjà la force centrifuge, orientée vers le
centre de la Terre, mais cette nouvelle force ne sera présente qu’aux yeux d’un observateur en
déplacement et cette force sera perpendiculaire à sa vitesse. Dans le cas des ouragans, cette
force expliquera en partie pourquoi les vents associés aux dépressions tropicales se structurent
d’eux-mêmes en ouragans. Gaspard-Gustave Coriolis a été le premier à formaliser cet effet en
1835, bien que les artilleurs et les navigateurs connussent déjà les conséquences de ce phénomène
depuis plus de deux siècles.
Soient deux systèmes de coordonnées,
A
et
B
(
t
), où le premier ne subit aucune force externe,
ainsi appelé inertiel, et le second ne se déplace pas en ligne droite par rapport au premier et
subit donc une force. L’objectif est de mesurer l’effet de cette force sur un déplacement en ligne
droite dans le repère
B
(
t
). Supposons que
xAB
(
t
)est la position de l’origine du système
B
(
t
)
mesurée dans les coordonnées de
A
, et que
e1
(
t
)
,e2
(
t
)
,e3
(
t
)sont les trois vecteurs orthonormaux
décrivant les axes du système
B
(
t
), exprimés dans les coordonnées de
A
. Soit un objet en
mouvement et dont les coordonnées sont
pA
(
t
)dans le système
A
et
pB
(
t
)dans le système
B(t). On peut donc écrire, à l’aide de trois scalaires pj(t), l’identité suivante :
pA(t) = xAB (t) + pB(t) = xAB (t) +
3
X
j=1
pj(t)ej(t).
Pour comparer les forces dans les deux systèmes, on doit comparer les accélérations. On calcule
d’abord la vitesse
dpA
dt =dxAB
dt +
3
X
j=1
dpj
dt ej+
3
X
j=1
pj
dej
dt ,
et ensuite l’accélération
d2pA
dt2=d2xAB
dt2+
3
X
j=1
d2pj
dt2ej+ 2
3
X
j=1
dpj
dt
dej
dt +
3
X
j=1
pj
d2ej
dt2,
où l’on a omis la dépendance en temps afin de simplifier l’écriture. Selon la loi de Newton, la
force sur l’objet est obtenue en multipliant l’expression précédente par la masse. On en déduit
que la force
FB
mesuré par un observateur dans le système de coordonnées
B
(
t
), dans lequel
on ne sait rien du déplcement de l’origine et des axes de B(t), est la somme de deux forces
FB:= m
3
X
j=1
d2pj
dt2ej=FA+Ff,
Bulletin AMQ, Vol. LIII, no2, mai 2013 27
FAest la force mesurée dans le système inertiel A
FA=md2pA
dt2,
et
Ff
est une correction attribuable au déplacement de l’origine de
B
et à la rotation du système
Bpar rapport à A:
Ff=md2xAB
dt2
| {z }
accélération
de l’origine de B
2m
3
X
j=1
dpj
dt
dej
dt m
3
X
j=1
pj
d2ej
dt2
| {z }
accélération
des axes de B
.
Le terme du milieu est une contribution de deux sources : la variation d’une vitesse constante
dans
B
attribuable à la rotation des axes de
B
et la variation de la vitesse d’un objet attribuable
à la variation de sa distance à l’origine dans un système de coordonnées en rotation.
Ces expressions se simplifient considérablement dans le cas où
A
est centré sur la Terre et
B
(
t
)
est centré sur la surface de la Terre, avec deux de ses axes dans les directions des méridiens et
des parallèles à la surface de la Terre
1
. Sur une échelle de temps de quelques jours, le centre de
la Terre se déplace approximativement en ligne droite et ne subit aucune force, et le système
A
est donc inertiel à cette échelle, mais l’origine de
B
(
t
)tourne plusieurs fois autour du centre
de la Terre et doit donc être sujet à une force. À l’aide d’une description explicite du système
de coordonnées
B
(
t
), il est facile de montrer que si
est un vecteur dans la direction nord de
l’axe de rotation de la Terre et d’une longueur égale à la vitesse angulaire constante
||
=
ω
de
la Terre, alors les variations des axes et de l’origine de B(t)sont
dej
dt =×ej,d2ej
dt2=××ej,dxAB
dt =×xAB ,d2xAB
dt2=××xAB .
Une fois substitué dans la formule pour la force fictive,
Ff=m××xAB pB2m×dpB
dt ,
on découvre que la force fictive a une composante centrifuge
m×
(
×
(
xAB pB
))
,
car
|pB||xAB |, et une composante que l’on appelle la force de Coriolis :
2m×dpB
dt .
À l’aide de la règle de la main droite pour le produit vectoriel appliquée à la figure 2 , on
peut interpréter géométriquement cette formule. Dans l’hémisphère nord, la force de Coriolis a
pour effet de
faire dévier vers la droite tout déplacement parallèle à la surface de la
Terre.
1
. Comme bien souvent en mathématiques, les calculs dans le cas général sont plus simples que dans un cas
spécifique.
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2m×dpB
dt
dpB
dt
0
45
1
Figure 2 – La figure illustre la direction de la force de Coriolis pour un déplacement le
long du 45
parallèle. Selon la règle de la main droite pour le produit vectoriel,
×dpB
dt
est
perpendiculaire à
et
dpB
dt
. En prenant le signe inverse, on conclut que la force de Coriolis
est approximativement orientée à 45
par rapport au plan tangent et approximativement vers
l’espace. La composante perpendiculaire de cette force est négligeable par rapport à la force
centrifuge. La composante de cette force dans le plan tangent est orientée vers la droite d’un
observateur debout sur la Terre et regardant dans la direction de la vitesse
dpB
dt
. On voit
immédiatement que pour un déplacement le long de l’équateur, la force de Coriolis est parallèle
au vecteur position
xAB
. En revanche, la force de Coriolis est comprise dans le plan tangent, et
donc maximale, aux pôles.
3 L’effet Coriolis et les ouragans
À partir de ce que nous savons déjà, on peut tirer des conclusions préliminaires concernant
l’écoulement de l’air en 2-D sur la surface de notre planète. Considérons une région de basse
pression entourée d’une région de plus haute pression. En coordonnées polaires, si la dépression
est centrée en
r
= 0 et que la pression est une fonction uniquement de la distance à l’origine,
p
=
p
(
r
), alors le gradient de pression est dirigé dans la direction inverse à
er
. Les vents sont
alors dirigés vers le centre de la dépression. En revanche, tout vent dans l’hémisphère nord qui
se dirige vers le centre de la dépression subit une force fictive qui induit une déviation vers la
droite. Une fois le gradient de pression équilibré par la force fictive, l’on retrouve des vents en
rotation cyclonique autour d’une zone circulaire de basse pression, communément appelée l’œil
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