Médecin et chômeur: ces deux mots risquent d’aller bientôt ensemble… PAR MICHEL DONGOIS LE 24 JANVIER 2013 POUR PROFESSION SANTÉ Pour consulter plus d’articles sur: AMQ • Résidents • Étudiants Courriel Imprimer Redimensionner Commenter Chez les résidents, le chômage est maintenant un facteur de stress, a indiqué aux étudiants le Dr Brian Goldman, urgentiste et auteur. Photo: AMQ «Médecin et chômeur, un oxymoron*? Et pourtant, on semble se diriger dans cette direction», a lancé le Dr Brian Goldman1 aux 135 étudiants en médecine des quatre facultés québécoises présents samedi dernier à la 6e édition du Colloque médical étudiant du Québec (CMÉQ). Organisé à l’Université McGill par l’Association médicale du Québec (AMQ), l’événement avait le thème suivant: «Le système de santé québécois: modèle enviable ou perfectible?» La crainte du chômage, précise le Dr Goldman, figure désormais comme nouveau facteur de stress chez les résidents2. Les perspectives d’emplois sont en effet un sujet de préoccupation pour eux, certaines spécialités étant carrément perçues «comme des espèces en danger» (orthopédie et chirurgie cardiaque, entre autres). Pourquoi? Parce que, entre autres, aux restrictions draconiennes des entrées en médecine du milieu des années 1990 a succédé un véritable boom d’entrées en 2005. Et que nombre de médecins ont repoussé leur départ à la retraite de plusieurs années à la suite du crash boursier de 2008. Nouvelle culture «C’est vrai que nous constituons des classes nombreuses. Vrai aussi qu’on se demande si nous aurons tous un emploi, et un emploi qui correspond à ce que nous voulons», explique à ProfessionSanté.ca Evelyne Gentilcore-Saulnier, présidente du Regroupement des étudiants de l’AMQ et du comité organisateur du CÉMQ. «Il y a beaucoup de craintes, chez les externes et les résidents surtout, de ne pas trouver d’emploi, surtout dans les spécialités chirurgicales», indique-t-elle. Et en même temps, poursuit l’étudiante de troisième année à l’Université Laval, une nouvelle culture est en train d’émerger chez les étudiants en médecine. Une culture qui se bâtit sur la fin des illusions et qu’elle résume en trois points: humilité, intégration de la culture de l’erreur et déconstruction de la hiérarchie. “Une nouvelle culture émerge à la faculté de médecine autour de trois points : humilité, intégration de la culture de l’erreur et déconstruction de la hiérarchie.” «Ça va donner une nouvelle génération de médecins collaborateurs, plus portés sur le partage des responsabilités avec les autres professionnels. C’est un bon temps pour être étudiant en ce moment, en autant qu’on encourage les nouvelles cohortes à garder l’espoir», déclare l’étudiante. Jadis, ajoute-t-elle, le médecin, tel Atlas, portait seul le monde sur ses épaules. «Or, les gens ne veulent plus se casser le dos; et puis, la montée des autres professions de la santé est aussi révélatrice de la façon dont le public perçoit désormais les docteurs. La foi aveugle envers le médecin n’existe plus.» Le Dr Goldman a par ailleurs brièvement évoqué les erreurs médicales évitables, précisant qu’elles causent 24 000 morts chaque année au Canada (200 000 aux États-Unis). Il a parlé d’un endroit sécurisé où les médecins peuvent parler de leurs erreurs. «Et s’il n’existe pas, créez-le!», a-t-il dit aux étudiants, indiquant avec humour qu’il ne faudrait pas qu’on pense que seuls font des erreurs ceux des médecins qui ont l’honnêteté de remplir le formulaire de déclaration des incidents/accidents! Menace sur la profession «Une menace plane sur notre profession, a affirmé aux étudiants la présidente de l’AMQ, la Dre Ruth Vander Stelt (lire notre entrevue). Pour tout un courant de la population désormais, une IPS + un pharmacien, ça suffit. On n’a plus besoin du docteur.» Cette réalité, dit-elle, devrait encourager les médecins à démontrer au public la valeur ajoutée qu’ils peuvent apporter. «Sommes-nous le dernier recours, à nous cacher dans les hôpitaux, laissant aux infirmières et pharmaciens le soin de faire le reste, ou avons-nous encore une «plus-value» à apporter?» Il est temps de se poser la question, affirme la présidente de l’AMQ, précisant que le seuil de tolérance de la population envers la profession est peut-être déjà passé. Travaillez plus… Les jeunes médecins se retrouvent coincés entre deux messages apparemment contradictoires. D’un côté, on leur dit «Travaillez plus!» et de l’autre, «Prenez soin de vous!» Deux exigences d’ailleurs documentées, preuves à l’appui, par deux des conférenciers au CÉMQ, Damien Contandriopoulos3 et la Dre Lorraine LeGrand Westfall4. Damien Contandriopoulos a dévoilé des données démontrant que: • année après année, on a plus de médecins au Québec, mais le nombre de services rendus par médecin diminue. Malgré l’augmentation du nombre d’omnipraticiens, il y a moins de services disponibles par personne qu’il y a cinq ans; • la hausse de rémunération des médecins ne se traduit pas par une amélioration de l’accessibilité des soins. Une étudiante a demandé pourquoi. M. Contandriopoulos a mentionné «l’effet de revenu»: à partir d’un certain seuil de rémunération, la recherche d’une amélioration des conditions de vie prime sur l’argent; • de 50% à 80% des soins de première ligne ordinaires (ex: un patient non médicamenté et non vulnérable) peuvent être pris en charge par d’autres professionnels que le médecin. «Les études convergent en ce sens». Central, le docteur, mais plus tout seul. «Tous veulent une première ligne forte, qui joue vraiment son rôle, sans se contenter d’être un guichet de recrutement pour plus de soins spécialisés», signale le chercheur. 135 étudiants assistaient à la sixième édition du Colloque médical étudiant du Québec le 19 janvier dernier. Photo: AMQ Le chercheur a également mentionné les coûts croissants, et non contrôlés, des médicaments. Un phénomène aussi dû, selon lui, à la hausse constante du seuil de définition de la maladie. Il a pris l’exemple du diabète, de l’hypertension et du taux de cholestérol, précisant que l’immense majorité des gens de plus de 65 ans sont susceptibles de souffrir de l’une ou l’autre de ces trois maladies à un moment donné. «Alors, avoir l’âge de la retraite va bientôt constituer en soi une maladie chronique!», a-t-il commenté. Mais faites attention à vous… La Dre LeGrand Westfall4 a en effet indiqué que la santé du médecin doit aussi être une priorité constante. Ainsi, dit-elle, 90% des médecins canadiens se disent en bonne santé. Et pourtant, • ils travaillent même quand ils sont malades; • les trois quarts se traitent eux-mêmes quand ils sont malades; • seul un médecin sur deux dit avoir un bon équilibre travail/vie personnelle; • plus de 20% souffrent d’anhédonisme/dépression; • 30% disent que le travail est un obstacle à leur bien-être. La voie du milieu Entre ces deux tensions, il peut exister une voie d’équilibre. Elle consiste à revenir à l’essence même de la profession, soit la clinique, avec le patient comme valeur première. Deux jeunes médecins pratiquant en région en ont donné un témoignage rafraîchissant, les Drs Katerine Charbonneau (Senneterre, Abitibi) et Julie Desjardins (Kuujjuak). Limités par les moyens techniques, ces médecins disent qu’au lieu d’avoir le réflexe d’envoyer automatiquement les patients passer une multitude de tests, elles font d’abord tout ce qu’elles peuvent par elles-mêmes. «Et cela implique de toucher les patients, de porter intérêt aux besoins des gens, de faire de la vraie clinique», signalent-elles. Bref de pratiquer une médecine qui va au-delà des techniques et protocoles, concluent-elles, en misant d’abord sur les compétences propres du médecin. * Oxymoron: figure qui consiste à allier deux mots de sens contradictoires pour leur donner plus de force expressive ( Le Petit Robert). 1 Urgentiste à l’Hôpital Mount-Sinaï, à Toronto. Auteur de The Night Shift. 2 Sondage Cair (Canadian Association of Internes and Residents), 2012, concernant les perspectives d’emplois (The 2012 National Resident Survey, réalisé par Nanos Research). 3 Chercheur à la Faculté des Sciences infirmières de l’université de Montréal. Doctorat en santé publique. 4 Directrice des Affaires régionales à l’Association canadienne de protection médicale. http://www.professionsante.ca/medecins/actualites/infos-professionnelles/la-societe-netolere-plus-que-lautonomie-professionnelle-serve-de-pretexte-dr-ruth-vander-stelt-22816