Médicaments antiépileptiques et troubles du rythme cardiaque

doi: 10.1684/epi.2010.0318
Médicaments antiépileptiques
et troubles du rythme cardiaque
Cécile Sabourdy
Service dexplorations fonctionnelles du système nerveux, département de neurologie, CHU de Grenoble,
BP 217, 38043 Grenoble cedex 9, France
Résumé. Un certain nombre de médicaments sont connus pour être associés à la survenue de troubles du
rythme cardiaque. Compte tenu des implications notamment en termes de mort subite inexpliquée de lépileptique
(SUDEP), il est important pour le neurologue de connaître le risque de troubles du rythme (auriculaire ou ventri-
culaire) associé aux médicaments antiépileptiques. Les données de la littérature sont rares et doivent nous inciter à
la prudence. Toutefois, en dehors de quelques situations particulières que nous détaillons ci-dessous, les antiépilep-
tiques seuls ne semblent pas être particulièrement associés à des troubles de la repolarisation.
Mots clés :antiépileptiques,troubles du rythme cardiaque,espace QT
Abstract. Arrhythmia and antiepileptic drugs
Cardiac dysrrhythmia is often of pharmacologic origin. Herein, we briefly review the reports of adverse cardiac effets of
antiepileptic drugs.
Key words:antiepileptic drugs,cardiac arrhythmia,QT interval
Les morts subites inexpliquées dans
lépilepsie (SUDEP) constituent une des
causes majeures de décès dans les épilepsies
sévères du sujet jeune. Les mécanismes
physiopathologiques qui sous-tendent la
survenue de ce phénomène restent encore
incertains et pourraient incriminer la survenue
dapnées (centrales ou obstructives) et/ou
darythmies cardiaques (Montavont et al.,
dans cette revue).
Compte tenu de ce risque potentiel, le
prescripteur de traitements antiépileptiques
doit sinterroger sur les risques de troubles du
rythme supraventriculaires ou ventriculaires
encourus par ses patients.
Le déclenchement du potentiel daction
cardiaque met en jeu de nombreux flux ioni-
ques. À la phase initiale, la dépolarisation du
myocyte est la conséquence dune entrée
massive de sodium, puis survient une phase
de plateau, caractérisée par lentrée de calcium,
et enfin la repolarisation, sous linfluence de
courants potassiques sortants.
Lors de lenregistrement dun électrocardio-
gramme de surface (ECG), le complexe QRS
correspond à la dépolarisation cardiaque et
londe T à la repolarisation. Ainsi, lorsquun
délai dans la repolarisation cardiaque survient,
on observe un allongement de lespace QT.
Il sagit dun intervalle qui se modifie avec la
fréquence cardiaque (doù le recours au QT
corrigé selon différentes formules) et qui tend
à augmenter avec lâge et le sexe féminin
(Surges et al., 2010).
Un allongement du QT est susceptible de
favoriser le développement darythmies ventri-
culaires (en particulier de torsades de pointes)
et constitue donc un facteur de risque de mort
subite, y compris chez des sujets sains (Morita
et al., 2008).
Épilepsie et cœur
Épilepsie et cœur
Épilepsies 2010 ; 22 (3) : 223-5
Tirés à part :
C. Sabourdy
Épilepsies, vol. 22, n° 3, juillet-août-septembre 2010
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La limite supérieure de la norme pour le QTc est de 450 ms
chez lhomme et 460 ms chez la femme. Bien sûr, la relation
entre le QTc et la survenue de torsades de pointes nest pas
linéaire ; toutefois, un QTc supérieur à 500 ms ainsi quune
augmentation de plus de 60 ms du QTc entre lECG basal et
celui réalisé après lintroduction dun traitement semblent pré-
dictifs de la survenue de torsades de pointes (Schwartz et al.,
1993). Lintervalle QT peut être augmenté, suite à la mutation
de certains canaux ioniques (actuellement une douzaine de
syndromes génétiques du QT long ont été identifiés), mais
nombreuses sont les molécules qui peuvent également provo-
quer un allongement de la repolarisation myocardique. En
effet, les médicaments sont les principaux responsables du QT
long acquis, et la liste des molécules incriminées ne cesse
daugmenter. Ces médicaments sont répertoriés sur différents
sites Internet
1
et regroupent essentiellement des antiaryth-
miques, des antihistaminiques, des antibiotiques (essentielle-
ment macrolides tels que lérythromycine), des antifongiques
de la famille des imidazoles (kétoconazole notamment), des
antimalariques et enfin des psychotropes. Parmi ces derniers,
on note la présence de certains antidépresseurs tricycliques et
antisérotoninergiques (paroxétine et fluoxétine), lhalopéridol,
le lithium (Haverkamp et al., 2000).
Pour les antiépileptiques, en dehors du felbamate, il
nexiste pas de données très claires en faveur de troubles de la
repolarisation cardiaque qui leur soient associés.
Une équipe a rapporté un blocage plus important in vitro
dun courant potassique Ikr par la lamotrigine comparée au
topiramate et à la gabapentine (Danielsson et al., 2005), mais
ces données nont pas été confirmées par une étude clinique
ayant recherché un allongement de lespace QTc avant et
après traitement par lamotrigine chez des adultes sains (Dixon
et al., 2008).
En ce qui concerne les autres molécules, Saetre et al. (2009)
nont pas mis en évidence de différence significative en termes
de durée du QRS et dintervalle QTc entre 108 patients traités
soit par carbamazépine, soit par lamotrigine dans le cadre
dune étude de monothérapie de première intention chez des
sujets de plus de 65 ans.
Pour la carbamazépine, aucun trouble de la repolarisation
na été rapporté chez de jeunes patients sains (Kennebäck
et al., 1995) ou épileptiques (Matteoli et al., 1994).
Par ailleurs, une équipe coréenne a mesuré lespace QTc
chez 152 enfants sous antiépileptiques (valproate de sodium,
carbamazépine, oxcarbazépine, topiramate) et na pas trouvé
de différence significative avec le groupe témoin non traité
(Kwon et al., 2004).
Il sagit certes de quelques rares études comportant un
nombre limité de patients, mais il ne semble pas exister de
données cliniques très claires en faveur de lexistence dune
augmentation du QT par les antiépileptiques.
On restera par contre attentif en cas de mise en place dun
régime cétogène, puisque quelques modifications de lespace
QT ont été rapportées (Best et al., 2000), et lors de la co-
prescription de médicaments connus pour augmenter le QT et
métabolisés au niveau hépatique via le cytochrome P450, avec
des antiépileptiques inhibiteurs de ce système de cytochromes
tels le valproate de sodium et le stiripentol.
Par ailleurs, des situations de QT particulièrement court
(< 320 ms) peuvent également entraîner des troubles du
rythme (Morita et al., 2008), et certains anticonvulsivants tels
la primidone (DeSilvey et Moss, 1980) et le rufinamide (Cheng-
Hakimian et al., 2006) sont connus comme pouvant être
responsables dun raccourcissement de lespace QT. Toutefois,
limplication clinique dun QT court semble actuellement bien
moins claire que celle dun QT long (Lu et al., 2008).
En ce qui concerne les risques darythmies supraventricu-
laires, là encore les données sont relativement rares et reposent
essentiellement sur des cas cliniques ou de petites études non
contrôlées et concernent essentiellement la phénytoïne et la
carbamazépine.
Pour la phénytoïne, on retrouve essentiellement, des bra-
dyarythmies chez des patients âgés avec des anomalies cardia-
ques préexistantes (Tomson et Kennebäck, 1997).
De même pour la carbamazépine, les anomalies rapportées à
type de bradycardie sinusale ou de bloc auriculoventriculaire le
sont essentiellement chez des patients prédisposés (Tomson et
Kennebäck, 1997), mais ne sont pas retrouvées lors détudes élec-
trophysiologiques plus systématiques sur un plus grand nombre
de patients (Kennebäck et al., 1992, Matteoli et al.,1994).
Ainsi, au vu des données de la littérature, les médicaments
antiépileptiques ne semblent pas associés de façon notable à la
survenue de troubles du rythme cardiaque. Nos patients sont
toutefois fréquemment traités avec des médicaments allon-
geant le QT tels que certains antidépresseurs, neuroleptiques,
lithiumIl conviendra dans ces conditions dêtre plus attentif
à la prescription dinhibiteurs du cytochrome P450 surtout
dans des contextes connus pour être des facteurs de risque
dallongement du QT (hypokaliémie, hypomagnésémie, sexe
féminin) (Wolbrette, 2004).
Enfin, au moindre doute et surtout en cas dantécédents
familiaux de mort subite, le neurologue ne devra pas hésiter à
réaliser un ECG et à ressortir sa règle !
Conflit dintérêts : aucun.
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1
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