La pharmacothérapie du glaucome a connu un
développement sans précédent au cours de la dernière
décennie, notamment compte tenu des efforts de
recherche et du grand nombre de patients touchés dans le
monde (plus de 600 000 canadiens âgés de plus de
40 ans). L’objectif de cet article est de présenter une mise
à jour des différentes modalités thérapeutiques du glau-
come primaire à angle ouvert.
PHYSIOPATHOLOGIE
La PIO (pression intraoculaire) dépend d’un équilibre
entre la formation de l’humeur aqueuse et sa résorption.
Ainsi, un flot continu de celle-ci est produit à raison d’en-
viron 2 à 3 µl par minute. Cette formation se fait au
niveau des procès ciliaires, structures de la pars plicata du
corps ciliaire qui se trouvent tout juste derrière l’iris. La
circulation se fait alors de la chambre postérieure, via la
pupille, vers la chambre antérieure. De là, l’humeur
aqueuse passe par un filtre appelé trabéculum, se situant
dans l’angle formé par l’iris et la cornée, pour se diriger vers
le canal de Schlemm, puis dans les plexus veineux intra-
scléraux et épiscléraux. Une seconde voie, quoique moins
importante chez l’humain (20 % du drainage de l’humeur
aqueuse) consiste à emprunter les espaces intersitiels le long
du muscle ciliaire pour se rendre dans la choroïde ou
l’espace suprachoroïdien, puis à travers la sclère ou dans les
canaux vasculaires de celle-ci, pour aboutir dans le tissu
conjonctif orbitaire (aussi appelé voie uvéosclérale). Par la
suite, il y a drainage vers les veines systémiques.
Finalement, une faible partie de l’humeur aqueuse quitte
l’œil via l’iris2.
La PIO est élevée lorsqu’il y a une résistance à la sortie
du flot. Par exemple, il peut s’agir d’un contact entre l’iris
et la cornée périphérique (glaucome par fermeture de l’an-
gle) ou encore de plusieurs mécanismes où il n’y a pas de
contact entre ces deux dernières structures (glaucome à
angle ouvert). Dans ce dernier, on pourra rencontrer, par
exemple, une résistance au niveau du trabéculum ou
encore une augmentation de la pression veineuse (sys-
témique ou épisclérale) empêchant l’évacuation du li-
quide. Lorsqu’on définit le glaucome primaire à angle
ouvert (GPAO), on mentionne que la PIO élevée en est le
principal facteur de risque. Toutefois, la PIO peut être
normale chez certains patients atteints d’un glaucome à
pression normale ou basse. Ainsi, le glaucome est une neu-
ropathie optique et non pas une pathologie d’emblée à
pression élevée.
Classifications du glaucome
Il existe plusieurs classifications du glaucome. Retenons
qu’il y a des glaucomes à angle ouvert et d’autres à angle
fermé. Parmi les glaucomes à angle ouvert, il y a le GPAO
qui est le plus fréquent et dont nous parlerons abondam-
ment dans cet article, puis les glaucomes secondaires, soit
ceux qui sont causés par d’autres anomalies oculaires ou
systémiques (prise de corticostéroïdes, hyphéma, uvéitique,
traumatique, obstruction de la veine cave supérieure, etc.).
De même, le glaucome par fermeture de l’angle peut être
primaire ou encore secondaire à d’autres pathologies
(présence de synéchies après une uvéite au long cours, iris
repoussé vers l’avant par un cristallin trop épais – phaco-
morphe – ou encore une tumeur, etc.). Finalement, men-
tionnons les glaucomes pédiatriques, dont le glaucome
congénital, qui représentent un tout autre chapitre1.
Définition
Le glaucome primaire à angle ouvert se définit comme une
neuropathie optique progressive dont le principal facteur de
risque est une PIO trop élevée 3-5. Le nerf optique, composé
d’au moins un million d’axones, permet la transmission de
l’influx nerveux des cellules ganglionnaires rétiniennes vers
le cortex visuel. L’atteinte crée des déficits particuliers du
champ visuel qui sont graduels, jusqu’à une perte complète
de la vision. Comme l’atteinte est progressive et n’affecte la
vision centrale qu’en stade avancé, la personne qui en est
affectée peut ne s’en apercevoir que très tardivement. Une
perte de 40 % des fibres nerveuses peut être atteinte
avant que la maladie ne devienne symptomatique3.
Québec Pharmacie vol. 51, no10, novembre-décembre 2004 859
Texte rédigé par :
Annie Lavoie,
B. Pharm. M.Sc.,
Hôpital Sainte-Justine
(Centre hospitalier
universitaire
mère-enfant)
Patrick Hamel, M.D.,
FRCSC,
Médecin-
ophthalmologiste,
Hôpital Sainte-Justine
et
Jean-François
Bussières,
B. Pharm. M.Sc.
Hôpital Sainte-Justine
(Centre hospitalier
universitaire
mère-enfant)
Texte original soumis
le 24 août 2004
Révision :
Chantal Duquet
B. Pharm. M.Sc.,
et le Dr Dan Bergeron,
médecin-
ophthalmologiste
les pages BLEUES
Pharmacothérapie du glaucome
primaire à angle ouvert
Le glaucome est une pathologie du nerf optique regroupant un ensemble relativement hétérogène
de maladies oculaires qui ont certaines caractéristiques communes, notamment une excavation
anormalement agrandie de la papille optique et une perte du champ visuel et dont le principal
facteur de risque est une pression intraoculaire trop élevée pour la santé de l'œil(1). Nous traiterons
de la physiopathologie, de l'épidémiologie, du diagnostic, des signes et symptômes, de l'évolution
clinique et des modalités thérapeutiques (chirurgicale et pharmacologique).
QP11_0859-0874 11/12/2004 03:36 PM Page 859
On notera que la douleur, la rougeur et la vision de halos
autour des sources de lumière, bien que présents dans
d’autres types de glaucome, ne font pas partie des caractéris-
tiques du glaucome primaire à angle ouvert 6.
La PIO se situe normalement entre 10 et 21 mm Hg.
Il s’agit d’une courbe de Gauss légèrement déplacée vers la
droite, avec une moyenne d’environ 16 mm Hg et un
écart type de 3 mm Hg.
Les raisons invoquées pour cette neuropathie optique
glaucomateuse sont multiples. On parle avant tout d’une
atteinte mécanique par pression élevée ou encore d’une
atteinte ischémique, cette dernière expliquant davantage le
glaucome à pression normale. D’autres théories plus
récentes ont aussi été invoquées, comme l’apoptose (mort
cellulaire programmée), l’excitotoxicité (acides aminés, tel
le glutamate, en quantité excessive), la présence d’oxyde
nitrique, ainsi qu’une hypothèse immunologique4, 7, 8.
L’étiologie même du GPAO n’a pas encore été établie. Les
chercheurs se sont beaucoup intéressés à l’hypothèse géné-
tique, particulièrement depuis la découverte, en 1993,
d’un gène, MYOC, responsable du GPAO juvénile. Bien
que plusieurs études aient proposé un mode de transmis-
sion autosomal dominant, il semble que le GPAO soit
surtout d’origine multifactorielle9-14.
Facteurs de risque
Enfin, outre la PIO, il existe plusieurs facteurs de risque du
glaucome primaire à angle ouvert, notamment le vieillisse-
ment, l’appartenance à la race noire, l’hypertension artérielle,
la pression de perfusion anormale du nerf optique, les
antécédants familiaux, la myopie, ainsi que la minceur de la
cornée15, 16. Les migraines, le vasospasme périphérique et la
maladie cardiovasculaire athérosclérotique ont aussi été invo-
qués. La présence de diabète comme facteur de risque est un
sujet controversé.
ÉPIDÉMIOLOGIE
Le GPAO de l’adulte représente 90 % de tous les cas de
glaucome17, 18. Le glaucome, dans sa dénomination
générale, serait la deuxième cause de cécité à l’échelle mon-
diale. Environ 6,4 millions de personnes seraient devenues
aveugles après avoir développé cette maladie18. Au
Canada, elle serait à l’origine de 6,2 % des cas de cécité et
représente la deuxième plus importante cause de cécité
chez les plus de 60 ans19. Le GPAO affecte environ 2 %
de la population de plus de 40 ans des pays industria-
lisés20. Au Canada, on estime à 600 000 le nombre de cas;
aux États-Unis, à 2,2 millions21, 22. L’origine ethnique et
l’âge influencent la prévalence de cette affection oculaire.
La prévalence de GPAO chez les Caucasiens de plus de
40 ans a été estimée à 1,69 % dans une méta-analyse
récemment publiée21. Elle grimpe à 6,94 % chez les gens
âgés de plus de 80 ans. La population noire d’origine
africaine est davantage touchée18,23. La prévalence du
GPAO chez les populations hispanique et asiatique
ressemble à celle qu’on a observée chez les Caucasiens.
Cependant, peu d’études ont évalué la prévalence du
GPAO chez ces groupes ethniques18, 21.
DIAGNOSTIC
Il existe différents moyens d’établir la présence de la neu-
ropathie optique. Le plus simple est d’observer la papille
optique à l’aide de l’ophtalmoscopie, le moyen de dépistage
du GPAO recommandé au médecin de famille (plutôt que
la prise de PIO)16. Quant à la PIO, elle peut être vérifiée à
l’aide de différents instruments. Le principal est le tonomètre
de Goldmann, qu’on trouve dans les cliniques spécialisées.
Le tonomètre portatif (Perkins), le tonomètre digital ressem-
blant à un crayon (TonopenMD), le pneumotonomètre, le
tonomètre plus ancien (Schiotz) ainsi que le tonomètre sans
contact à jet d’air sont aussi utilisés.
Le GPAO est une maladie très insidieuse qu’il importe
de dépister. Un examen de base, comprenant particulière-
ment l’ophtalmoscopie pour la visualisation de la papille,
devrait être effectué par un optométriste ou un médecin de
famille selon un intervalle tenant compte de deux des prin-
cipaux facteurs de risque : l’âge et la race16. S’il y a un doute
quant à la présence de la maladie, on consulte un ophtalmo-
logiste en vue d’un traitement possible. Présentement, l’or-
donnance d’une médication anti-glaucomateuse demeure
du ressort du médecin, habituellement l’ophtalmologiste.
Au Québec, des changements législatifs permettent aux
optométristes, en territoires désignés, avec la permission du
médecin, de renouveler la médication en s’assurant que le
nom et le numéro de pratique de ce dernier soient inscrits
sur l’ordonnance24.
SIGNES ET SYMPTÔMES
Compte tenu qu’il existe différents types de glaucomes, la
symptomatologie est très variée. Le GPAO est une maladie
très sournoise. Une PIO ne créera de la douleur que si elle est
très élevée ou si elle augmente rapidement. Dans le GPAO,
elle ne s’élève pas rapidement et peut demeurer normale
(glaucome à pression normale ou basse). Il s’agit habituelle-
ment d’une pathologie indolore. Par ailleurs, la neuropathie
optique engendrée crée une constriction du champ visuel
qui commence en périphérie, pour progressivement ne lais-
ser qu’une vision centrale ou para-centrale, puis finalement
affecter la fixation. Il est très rare qu’une personne
s’aperçoive de cette perte du champ visuel avant qu’il y ait
atteinte de la vision centrale. À ce point, le glaucome est
d’ores et déjà très avancé. Le GPAO ne crée généralement
pas d’érythème oculaire ou d’œdème cornéen. Le glaucome
à angle ouvert doit être dépisté plutôt que diagnostiqué sur
la base de symptômes.
Du point de vue clinique, il faut rechercher l’excava-
tion agrandie de la papille optique, qui, lorsque créée par
le glaucome chez l’adulte, indique une mort neuronale.
Il faut aussi examiner le champ visuel, habituellement par
campimétrie automatisée, qui démontrera des pertes typi-
ques du glaucome, ainsi que la PIO, qui bien qu’élevée
dans la majorité des cas, peut parfois être normale. En
860 Québec Pharmacie vol. 51, no10, novembre-décembre 2004
les pages BLEUES
L'hyperémie
conjonctivale
est l'effet
indésirable
le plus fréquent
des analogues
des
prostaglandines.
QP11_0859-0874 11/12/2004 03:36 PM Page 860
présence de douleur, rougeur ou œdème de la cornée, il
faut penser à un autre type de glaucome ou encore à une
autre maladie oculaire.
ÉVOLUTION CLINIQUE
Le but ultime du traitement du GPAO est de préserver un
champ visuel suffisant pour maintenir une qualité de vie
acceptable. Jusqu’à présent, la compréhension des méca-
nismes causant cette neuropathie optique est encore incom-
plète. La PIO est la cible principale à laquelle s’attaquent les
traitements disponibles. Récemment, l’amélioration du flux
sanguin au nerf optique et la neuroprotection ont émergé
comme concepts thérapeutiques25. Il n’existe aucun traite-
ment curatif du GPAO.
La décision de surveiller le patient sans intervention,
d’amorcer un traitement chirurgical ou d’amorcer une
pharmacothérapie repose sur les facteurs suivants : atteinte
du nerf optique ou du champ visuel, PIO élevée, présence
de facteurs de risque. Ainsi, certaines personnes ne se
présenteront qu’avec une PIO élevée sans évidence d’at-
teinte du nerf optique ou du champ visuel, alors que
d’autres démontreront un glaucome franc. En présence
d’un nerf optique et de champs visuels normaux, les ophtal-
mologistes s’entendent le plus souvent pour traiter une PIO
de 30 mm Hg ou plus où les risques d’atteinte glaucoma-
teuse ou d’une complication telle une occlusion de la veine
centrale de la rétine, sont plus élevés22. Une étude récente,
Ocular Hypertension Treatment Study (OHTS), a démontré
qu’en abaissant la PIO de 20 % chez des patients avec PIO
entre 24 et 32 mm Hg, sans atteinte neuronale, le risque de
passage vers un glaucome franc diminuait de 50 %26. Et s’il
y a véritablement glaucome, peut-on l’arrêter ? Une seconde
étude, Early Manifest Glaucoma Trial , a démontré qu’on
pouvait diminuer significativement le risque de progression
de l’atteinte du nerf optique chez un patient souffrant de
glaucome, en le traitant tôt après le diagnostic.27 Toutefois,
la possibilité de progression existe clairement même quand
il y a traitement.
En général, on estime que la PIO doit être réduite d’au
moins 30 % pour éviter la progression des dommages glau-
comateux. Toutefois, même à 50 % de diminution, des
patients ont démontré des dommages supplémentaires28.Il
est important de mentionner que certains groupes sont
aussi plus à risque de progresser et conséquemment d’attein-
dre la cécité, comme les gens de race noire, les patients plus
âgés et ceux dont le nerf optique est déjà atteint22. Somme
toute, certaines personnes peuvent vivre avec une PIO de 26
mm Hg toute leur vie sans connaître l’atteinte glaucoma-
teuse alors que d’autres seront contrôlées à moins de 21 mm
Hg, avec médication maximale ou chirurgie, et deviendront
aveugles.
Avant la publication de l’étude OHTS, le lien entre la
diminution de la PIO et la préservation du champ visuel
demeurait peu étayé. Cette étude contrôlée à répartition
aléatoire, incluait des sujets ayant une hypertension intra-
oculaire sans trace de glaucome. Elle a démontré qu’après
60 mois de traitement et une diminution moyenne de la
PIO de 22,5 % dans le groupe traité et de 4 % dans le
groupe témoin, la probabilité cumulative de développer le
glaucome était de 4,4 % dans le groupe traité et de 9,5 %
dans le groupe témoin (hazard ratio 0,40; 95 % IC, 0,27-
0,59; p< 0,0001). Bien qu’utile, cette étude ne procure
aucune réponse quant au choix thérapeutique, à la PIO visée
ou à la fréquence du suivi. Elle soulève aussi une préoccupa-
tion quant à l’utilité réelle d’un traitement réduisant la PIO,
le risque de développer le glaucome en dedans de cinq ans
étant somme toute peu élevé en comparaison avec la lour-
deur d’un traitement quotidien. Néanmoins, il demeure
indiqué de traiter le GPAO dès que son apparition est
décelée puisque le champ visuel est alors déjà atteint. Les
deux modalités thérapeutiques disponibles sont la chirurgie
et la thérapie médicamenteuse. Elles agiront soit en réduisant
la production d’humeur aqueuse, soit en augmentant son
élimination via la voie trabéculaire ou uvéosclérale.
Habituellement, on opte en premier lieu pour la thérapie
médicamenteuse.
TRAITEMENT CHIRURGICAL
Il existe plusieurs types de chirurgies qui peuvent être
recommandées dans le traitement du GPAO. Nous abor-
derons brièvement la chirurgie au laser du trabéculum, la
chirurgie filtrante et la chirurgie de destruction du corps
ciliaire.
Il existe deux types de traitements au laser qui peuvent
être utilisés pour diminuer la résistance à l’évacuation de
l’humeur aqueuse. Il s’agit de la trabéculoplastie au laser
argon et, plus récemment, de la trabéculoplastie sélective
au laser. Dans les deux cas, plusieurs impacts de laser sont
pratiqués sur le trabéculum. Par des procédés mécaniques
et/ou biochimiques, le flot d’humeur aqueuse à travers le
trabéculum est amélioré et la PIO s’en trouve diminuée.
Ces interventions peuvent être utilisées soit dès que le diag-
nostic a été établi, soit après que le traitement via les dif-
férentes médications eurent été tentés en vain27, 29, 30.
Si la médication anti-glaucomateuse (avec ou sans la
trabéculoplastie au laser) n’arrive pas à contrôler le glau-
come, on aura alors recours à une chirurgie plus conven-
tionnelle. Il s’agira de créer une voie de dérivation de
l’humeur aqueuse. Une de ces chirurgies, appelée tra-
béculectomie, permet cette dérivation par création d’une
fistule à même les tissus du patient traité.
Depuis récemment, une chirurgie probablement tout
aussi efficace, mais moins risquée, est de plus en plus
employée, surtout par les Européens. Il s’agit encore d’une
méthode visant à améliorer l’évacuation de l’humeur
aqueuse, mais sans que l’œil ne soit complètement
pénétré. On parle alors de viscocanulostomie ou de
sclérectomie profonde31-33. Finalement, si aucune interven-
tion ne fonctionne, il est possible, en tout dernier recours,
de détruire le corps ciliaire, producteur de l’humeur
aqueuse, par laser, ou encore par cyclocryothermie. En
dépit de ces interventions chirurgicales, plusieurs patients
Pharmacothérapie du glaucome primaire à angle ouvert
Québec Pharmacie vol. 51, no10, novembre-décembre 2004 861
QP11_0859-0874 11/12/2004 03:37 PM Page 861
doivent poursuivre une pharma-
cothérapie afin de réduire la PIO qui
demeure élevée.
TRAITEMENT
PHARMACOLOGIQUE
Principes de traitement
L’approche pharmacothérapeutique
du glaucome repose sur les principes
suivants. Compte tenu de l’évolution
clinique et des facteurs de risque du
patient, on amorce une pharma-
cothérapie lorsque la pression demeure
élevée et/ou qu’on observe une détério-
ration de la papille optique ou du champ visuel. La
monothérapie doit être favorisée afin d’assurer une meilleure
observance thérapeutique. La durée d’un essai thérapeutique
devrait être de quatre à 12 semaines avant qu’on passe à un
autre agent. On pourra combiner deux agents ou plus
lorsque l’essai de deux ou trois monothérapies consécutives
aura échoué, à moins que la PIO soit très élevée ou en
présence de facteurs de risque (par exemple, appartenance à
la race noire)34. De plus, il est possible d’expérimenter
d’abord un nouvel agent dans un seul œil pour en vérifier la
tolérance et en comparer l’efficacité. Quant au choix de l’a-
gent utilisé en monothérapie, il repose sur les caractéristiques
individuelles du patient (autres problèmes ophtalmiques,
présence ou absence du cristallin, état de la vision, couleur
des yeux, port de lentilles cornéennes, âge, maladies car-
diaques ou pulmonaires, interactions médicamenteuses
potentielles, nombre de prises quotidiennes, etc.), de la
capacité de payer (pour les médicaments non inscrits sur les
listes de tiers-payeurs) et de l’efficacité recherchée. Au
Québec, on peut consulter les sections 52.20, 52.24 et 52.36
- autres ORLO dans le site de la RAMQ (www.ramq.gouv.-
qc.ca/pro/listmed/pdf/qra4fr52), où on trouve un pdf des
médicaments inscrits à la liste.
La plupart des médicaments utilisés dans le traitement
du glaucome sont administrés par voie topique. Bien qu’on
ait utilisé certains médicaments par voie systémique (p.ex.
acétazolamide sol. inj., méthazolamide p.o., mannitol, gly-
cérine), la voie topique est maintenant presque toujours
utilisée, ce qui limite les effets systémiques et favorise l’at-
teinte de concentrations intraoculaires plus élevées.
L’épithélium et l’endothélium cornéen sont lipophiles, tan-
dis que le stroma cornéen est hydrophile. Puisque la formu-
lation topique doit traverser la cornée pour agir, elle doit
être à la fois liposoluble et hydrosoluble. Les produits neu-
tres, les acides ou les bases faibles qui sont non ionisés sont
plus aptes à pénétrer la couche lipidique de la cornée. Le
véhicule peut aussi jouer un rôle dans la pénétration
cornéenne du médicament. En effet, l’hydroxypropyl-
méthylcellulose ou l’alcool polyvinylique, les gels, les sus-
pensions ou les émulsions augmentent l’absorption en pro-
longeant la durée du contact35.
Pharmacologie et pharmacocinétique
En dépit de sa petite taille, l’œil est une composante com-
plexe du corps humain comportant de nombreux récep-
teurs des systèmes sympathique (récepteurs alpha 1 aux
fibres radiaires de l’iris responsable de la mydriase),
parasympathique (récepteurs M3 aux muscles ciliaires
affectant la vision), des prostaglandines (récepteurs des
prostamides) et de nombreuses autres substances1, 2. La plu-
part des médicaments ont un effet sur la production de
l’humeur aqueuse (via les procès ciliaires) ou l’élimination
de l’humeur aqueuse (via le réseau trabéculaire ou la voie
uvéosclérale). Certains médicaments ont plus d’un effet
pharmacologique qui peuvent être parfois opposés; il est
important de retenir l’effet net produit sur la production
ou l’élimination16. On connaît peu de chose sur la pharma-
cocinétique oculaire comparativement à celle des médica-
ments ingérés par voie orale. Dans le traitement du GPAO,
on ne recherche pas un début d’action rapide compte tenu
du fait que l’affection est chronique. La plupart des agents
disponibles sur le marché ont un début d’action de 30 à 60
minutes et l’on recherche une demi-vie oculaire prolongée
pour limiter le nombre de prises, idéalement à une seule
par jour28.
Nous avons regroupé, plus loin, l’ensemble des médica-
ments généralement utilisés dans le traitement du glaucome
primaire à angle ouvert en deux groupes, soit les agents con-
tribuant à une augmentation de l’écoulement de l’humeur
aqueuse et les agents contribuant à une réduction de la pro-
duction d’humeur aqueuse.
Intolérances et allergies médicamenteuses
Il est important de préciser la nature de l’intolérance médica-
menteuse avant de conclure au passage à une autre classe de
médicament ophtalmique. Puisqu’il existe de plus en plus de
choix de classes, on passe plus rapidement de l’une à l’autre.
Ainsi, un inconfort à l’instillation avec le bétaxolol ne justi-
fie pas forcément d’opter pour une autre classe. Par contre,
une douleur périorbitaire avec la pilocarpine ou un change-
ment de pigmentation avec le latanoprost nécessite un
changement de classe. On note plusieurs types d’intolérances
avec les préparations ophtalmiques comme l’irritation, la
démangeaison ou les picotements.
Par ailleurs, il existe différents types de réactions
allergiques. Elles sont parfois dues aux excipients (lors de
substitution thérapeutique de génériques de pilocarpine ou
de timolol), parfois dues à l’ingrédient actif (ex. apracloni-
dine, brimonidine, latanoprost). Dans le premier cas, on
doit tenter à nouveau la solution bien tolérée initialement.
Dans le second cas, il faut passer à une autre molécule. Il ne
semble pas y avoir d’allergie croisée entre l’apraclonidine et
la brimonidine. Il peut exister une allergie croisée entre les
bêta-bloquants via un dérivé aldéhyde commun.
Effets indésirables
La fréquence des effets indésirables varie considérablement
selon les études et selon les ouvrages consultés. Il faut savoir
862 Québec Pharmacie vol. 51, no10, novembre-décembre 2004
les pages BLEUES
Figure 1
Cheminement de l'humeur aqueuse à partir de son site de
production (procès ciliaires), jusqu'à sa filtration
(canal de Schlemm).
QP11_0859-0874 11/12/2004 03:37 PM Page 862
que la plupart des études utilisent des questionnaires validés
pour faciliter la collecte d’information, ce qui peut toutefois
la biaiser en suggérant des effets aux patients. Par ailleurs,
des effets indésirables systémiques ont été rapportés pour
plusieurs produits, souvent chez les enfants ou les personnes
âgées dont le métabolisme est immature ou perturbé.
L’inconfort à l’instillation, qui se manifeste sous forme
de picotements, de brûlures ou de démangeaisons et qui
est rapporté pour la plupart des agents ophtalmiques dure
généralement moins de 5 minutes. Il en est de même pour
la vision brouillée observée davantage avec les suspensions
et les gels.
En ce qui concerne les effets systémiques, il est impor-
tant de noter que jusqu’à 80 % d’une goutte atteint la
muqueuse nasale et peut gagner la circulation systémique.
On peut réduire les effets indésirables systémiques en admi-
nistrant la dose adéquate (et non une double-dose), en
appuyant sur la canal lacrymal et en fermant la paupière
durant 5 minutes pour chaque œil36-38.
Interactions et contre-indications
On note très peu d’interactions médicamenteuses significa-
tives dans le domaine du glaucome. Toutefois, il faut tenir
compte de certains éléments. De ce fait, on doit utiliser avec
prudence deux médicaments d’une même classe par des
voies différentes (topique et orale, par exemple) comme le
timolol et le métoprolol (risque de bradycardie) ou le dorzo-
lamide avec l’acétazolamide (risque accru de troubles élec-
trolytiques). De plus, il faut tenir compte de la pharmacolo-
gie des médicaments et éviter les combinaisons antagonistes.
À ce chapitre, on évite d’associer les parasympathomimé-
tiques qui pourraient avoir un effet contraire aux analogues
des prostaglandines sur la musculature ciliée. Par ailleurs, le
recours aux inhibiteurs de l’anhydrase carbonique par voie
orale induit plusieurs interactions médicamenteuses poten-
tielles, notamment avec l’acide acétylsalicylique les hypogly-
cémiants oraux, les anticoagulants et les diurétiques.
L’utilisation du latanoprost concomitamment à des produits
contenant du thimérosal (ex. Sulf-10MD, FluoracaineMD,
OcufenMD) doit se faire en les espaçant d’au moins 5 à
10 minutes car on observe la formation d’un précipité39.
Quant aux contre-indications, mentionnons l’utilisation
d’anticholinergiques ophtalmiques et systémiques (anti-
parkinsoniens, antispasmodiques, antihistaminiques, anti-
psychotiques, antidépresseurs, autres médicaments ayant des
propriétés anticholinergiques) qui peuvent augmenter de
façon transitoire la PIO. On doit donc les éviter dans les
angles étroits et les utiliser avec prudence dans les angles nor-
maux, en monitorant la PIO. Les benzodiazépines représen-
tent un risque très limité. Les sympathomimétiques (décon-
gestionnants, vasoconstricteurs, stimulants du SNC, coupe-
faim, bronchodilatateurs) sont contre-indiqués uniquement
chez les patients affligés d’un angle étroit (qui ne se connais-
sent pas forcément). La xylométazoline topique est accepta-
ble chez les patients atteints de glaucome à angle ouvert et
devrait être employée de préférence. La principale contre-
indication chez les patients atteints de glaucome est liée à l’u-
tilisation concomitante des stéroïdes ophtalmiques (ex. pred-
nisolone, dexaméthasone, fluormétholone) qui augmentent
la PIO après plusieurs semaines d’utilisation (>2-3
semaines). Un patient atteint de glaucome ne doit générale-
ment pas utiliser de stéroïdes topiques sans supervision d’un
ophtalmologiste. On peut toutefois utiliser des stéroïdes top-
iques en présence de glaucome inflammatoire ou d’uvéite
accompagnée de glaucome (avec cyloplégie adéquate en évi-
tant les analogues des prostaglandines). Un suivi plus étroit
de la PIO de même qu’une observance des quantités à
administrer est de rigueur chez les patients utilisant des
stéroïdes inhalés ou oraux.
Quant aux précautions, il faut savoir utiliser avec pru-
dence ces médicaments en présence de contre-indications
ou de précautions pour certaines pathologies. Notam-
ment, les bêta-bloquants (incluant le bétaxolol) doivent
être utilisés avec prudence chez les patients souffrant
d’asthme, de troubles respiratoires, de diabète ou de trou-
bles cardiaques. On doit utiliser avec prudence les sympa-
thomimétiques en présence de glaucome par fermeture de
l’angle, les prostaglandines en présence de glaucome de
type inflammatoire. Il faut éviter les agonistes alpha-2 chez
les jeunes enfants, compte tenu de cas de dépression du
système nerveux central pouvant aller jusqu’à la dépression
respiratoire.
Pharmacoéconomie
Le coût d’acquisition des nouveaux médicaments utilisés
dans le traitement du glaucome est plus élevé. Il faut toute-
fois tenir compte de plusieurs facteurs dans l’examen du coût
d’un médicament ophtalmique. Le coût d’un format ne
reflète pas le coût quotidien. En fait, le coût dépend du vo-
lume total disponible dans le flacon; les fabricants pratiquent
le sur-remplissage pour s’assurer d’avoir en tout temps le for-
mat indiqué sur l’étiquette (ex. 5 mL); cette pratique amène
des surplus pouvant atteindre 0,7 mL pour un format de
5 mL. Le coût dépend aussi de la taille de la goutte libérée
(un flacon libère une goutte de 20 à 40 uL; le sac conjonc-
tival accueille généralement environ 30 uL); plus la taille est
petite, plus le nombre de gouttes dans le flacon sera élevé.
Enfin, le coût dépend du nombre de médicaments requis
pour assurer un contrôle. Le tableau 1 présente les données
concernant les particularités, l’efficacité relative, la posologie
et la pharmacocinétique des médicaments utilisés.
AGENTS QUI AUGMENTENT L’ÉLIMINATION
DE L’HUMEUR AQUEUSE
Les analogues des prostaglandines, les agonistes alpha-adré-
nergiques non spécifiques et les parasympathomimétiques
augmentent l’élimination de l’humeur aqueuse.
Parasympathomimétiques
Les parasympathomimétiques, ou agents cholinergiques,
apparus en 1877, furent les premiers hypotenseurs oculaires
utilisés pour traiter le glaucome. Leur action peut être directe
Pharmacothérapie du glaucome primaire à angle ouvert
Québec Pharmacie vol. 51, no10, novembre-décembre 2004 863
On peut réduire les
effets indésirables
systémiques en
administrant la
dose adéquate en
appuyant sur le
canal lacrymal et
en fermant la
paupière durant
5 minutes.
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