Epictète et la sagesse stoïcienne

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Epictète et la sagesse stoïcienne, Jean-Joël
Duhot, Albin Michel, 265 pages
Introduction
L’auteur place le stoïcisme à l’origine de l’humanisme et explique sa
popularité actuelle par une réaction contre le monde mécanisé des années
1960. Mais cette popularité est aussi attachée au dédoublement lexical
entre « stoïcien » et « stoïque », le stoïque prenant bientôt la place du
stoïcien et inscrivant ce dernier dans une position figée. Cette position
figée est due à la perte des textes et à la difficulté de leur
interprétation puisque l’interprétation d’un texte repose aussi sur la
compréhension de ses non-dits, non-dits que nous ne possédons plus puisque
le découpage conceptuel grec n’est plus d’actualité (un même texte peut
ainsi nous paraître à la fois monothéiste et polythéiste).
Première partie, Historique
Chapitre 1 Le stoïcisme et son temps
Les conditions historiques
Le stoïcisme est la grande philosophie de l’époque Hellénistique qui
commence en -300. Ce succès est du en partie aux troubles de l’époque
(Athènes à perdu son indépendance en -338, Alexandre a redessiné la
Terre…). Mais l’Athènes classique ne doit pas être représentée d’une
manière trop idéalisée puisqu’elle était un lieu de passions (politiques à
travers la mise en œuvre de la démocratie et militaire à travers les
campagnes et les défaites).
La situation de l’Athènes hellénistique est paradoxale puisqu’elle est à
la fois dominée politiquement par les macédoniens mais aussi une capitale
intellectuelle. Le Grec reste la langue des lettrés et, grâce aux
macédoniens, le Moyen orient et L’Egypte entrent dans la sphère hellénique.
Les Romains eux-mêmes s’inspireront des Grecs, même si politiquement la
donne change la suprématie intellectuelle reste grecque.
Le stoïcisme n’est ainsi pas une philosophie de consolation mais celle
d’un hellénisme triomphant, il va pouvoir se développer dans une aire
culturelle agrandie et étendre encore plus son influence puisque les
populations vont e mêler très rapidement. En effet la seule distinction
pertinente pour les Grecs est celle existante entre les Barbares (qui ne
parlent pas leur langue) et les autres, dès lors, en apprenant le Grec on
devient Grec et on bénéficie de la culture grecque. La conséquence de cet
état de fait est qu’on ne connaît plus l’origine des philosophes, qui ne
nous est pas donnée, pour être perçu comme un penseur Grec il suffit d’être
issu de l’enseignement grec. Mais il faut être conscient que toute cette
hellénisation est urbaine, les paysans et les esclaves en dont exclus.
Le stoïcisme
Les origines et les fondateurs
Le fait qu’Athènes ne soit pas un royaume est important puisqu’il permet
qu’il n’y ait pas de caste sacerdotale détentrice des textes sacrés, ceci
permet une réflexion « libre et pluraliste ». Le V° siècle avant J.-C est
l’époque des sophistes, le IV° des premières écoles philosophiques,
l’Académie et le Lycée et l’époque hellénistique voit naître l’Epicurisme
et le Stoïcisme qui sont antagonistes.
Le stoïcisme a été fondé par Zénon de Citium en -301 après que ce
dernier ait abandonné son activité marchande pour se tourner vers
l’enseignement de l’Académie. Le succès de son mouvement est immédiat
puisqu’à sa mort lui sont offerts des honneurs immenses mais il bénéficie
aussi du contexte sociologique puisque l’Académie et le Lycée s’adressaient
à l’élite alors qu’une nouvelle bourgeoisie émerge et que c’est vers elle
que se tourne le stoïcisme. On remarquera que les Epicuriens ne disputeront
pas cette place d’éducateurs du monde hellénique puisqu’ils cherchent la
retraie entre amis mais aussi que Zénon est un héritier de Platon. En fait
l’originalité de la pensée du Portique repose sur la synthèse faite des
éléments empruntés au platonisme, à l’aristotélisme et aux philosophes
présocratiques. Le successeur de Zénon sera Cléanthe, non pas parce qu’il
est le plus brillant mais parce que sa valeur morale est la plus grande
puis viendra Chrysippe, tellement brillant que la postérité le considère
comme le second fondateur de l’école, mais ses livres, très techniques, ont
été tous perdus. Il est convenu de nommer l’époque des ces trois maîtres
« ancien stoïcisme » même si cela n’a aucune valeur conceptuelle.
L’époque romaine
Au second siècle avant J.-C le stoïcisme investit Rome, à travers
Panédius puis Posidonius, deux maîtres, le dernier remettant le Portique
sur la trace de ses origines. On remarquera qu’au premier siècle avant J.-C
Antiochus d’Ascalon, directeur de l’Académie, intègre au platonisme de
nombreux éléments stoïciens en expliquant que selon lui seul Portique a
respecté la pensée de Platon.
Sénèque
Le stoïcisme de vient peu à peu non plus une école mais une pensée
enseignée par plusieurs maîtres, c’est ainsi que Sénèque découvre le
stoïcisme grâce à Attale. Sénèque, proche de Caligula puis exilé par Claude
devient le professeur de son fils, Néron. Il sera cependant poussé au
suicide parce dernier quand il voudra reprendre sa liberté.
Sénèque est certes un stoïcien paradoxal puisqu’il n’est pas à la
hauteur de la leçon qu’il professe et est englué dans l’argent et le
pouvoir. Mais conceptuellement sa pensée reste intéressante. En même temps
que lui vit Musonius Rufus, un romain, qui sera exilé en 65 avant notre
ère. On remarquera que le stoïcisme est le fer de lance de la résistance
aux tyrans, ce qui ne l’empêche pas d’être enseigné à Rome entre deux exils
des philosophes.
Epictète
Epictète est élève de Musonius et nous délivre la plus grande leçon
stoïcienne, son nom « epiktètos » désigne sa condition d’esclave, condition
qui lui permettra de rester pauvre et d’appliquer les leçons du Portique.
Il est esclave d’Epaphrodite, un proche de Néron et est affranchi en 70, il
enseigne en Grec et est expulsé de Rome en 94. Il échoue ainsi à Nicopolis,
point stratégique de l’empire.
Epictète reste pauvre et ne se marie pas. On peut trouver ce dénuement à
des lieux des bureaux actuels des philosophes, emplis de livres et
d’ordinateurs, mais Epictète a lui aussi un rapport aux livres. En effet le
livre est un outil pédagogique qui initie la réflexion, mais ne la contient
pas. Il est ainsi inutile au sage, qui lui a déjà formé sa propre pensée
(pendant des année puisqu’on reste longtemps disciple).
Mais Epictète n’a jamais écrit et Les entretiens sont des notes de cours
prises par Arrien, un de ses élèves. Ces notes ont circulées puis des
éditions « pirates » se sont crées et nous sont parvenues. L’exactitude de
ces transcriptions est attestée par la langue populaire des textes par
exemple. Mais il faut être conscient qu’Arrien n’a été que peu de temps
élève d’Epictète et qu’il n’a retranscrit qu’une partie de sa parole, celle
qui était la plus apte à former l’homme et qu’il voulait garder auprès de
lui.
Le cours d’Epictète commence ainsi par la lecture de Chrysippe, Zénon ou
un autre stoïcien, en effet, même si Epictète est un stoïcien exceptionnel
sa pensé s’enracine sur le stoïcisme orthodoxe de Chrysippe ou Cléanthe par
exemple. Mais Epictète n’est pas seulement un moraliste puisqu’il estime la
connaissance de la logique et de la physique. Cependant si Epictète ne
possède rien, d’où viennent les textes ? Les Anciens n’ayant ni souci de
rigueur, ni prise en compte de l’érudition on peut penser qu’ils viennent
de la mémoire du maître. En effet, l’érudition pure n’a pas de sens et il
ne s’agit pas de renouveler l’approche d’un auteur, de comprendre le texte
à la lumière des autres écrits du penseur, il faut prendre contact avec une
doctrine sensée nous transformer et vivre quelque chose proche de
l’expérience spirituelle. Mais il ne faut pas imaginer une école
structurée, l’enseignement a lieu dans un rapport direct sans aucune
hiérarchie. Epictète reste cependant un « philosophe de rue », son
enseignement étant écouté par des lettrés comme par des touristes de
passage. Il ne fait pas de concession et met chacun face à lui-même afin de
la transformer, sa parole est en ce sens autant hérité du cynisme que de
Socrate. Ainsi, se mettre à l’école d’un philosophe ne signifie pas vouloir
enseigner la philosophie mais vouloir vivre en philosophe quelle que soit
sa condition. Epictète ne prône aucune ascèse si ce n’est l’ascèse du
désir, qui est plus radicale puisqu’elle est différente chez chacun et ne
laisse place à aucun substitut.
L’invention de la sagesse
Epictète est à la fois le modèle du sage et héritier du stoïcisme, ce
qui n’est pas paradoxal puisqu’on remarque que même les maîtres anciens
sont aux confluents des traditions (Zénon a été élève de l’Académie et des
cyniques). Le sage reste cependant un idéal stoïcien inatteignable
puisqu’il détient la vérité et la liberté totale qu’Epictète explique ne
pas avoir trouvé. Cependant le sage reste une figure mythique à la
confluence de plusieurs termes puisque les Grecs n’ont pas de mot
particulier pour le désigner. De plus le sage grec n’est pas le sage
contemporain puisque les Grecs vénéraient sept sages (qui en fait ne sont
pas sept) et parmi eux Périandre qui était un tyran cruel.
La sagesse semble naître avec Socrate qui pourtant nie la posséder. Mais
la sagesse socratique est la sagesse divine à laquelle nous n’accédons que
par fragments. L’être humain doit ainsi de contenter de tendre vers cette
sagesse.
Autre figure, celle du cynique, qui même si elle hérite de Socrate
(Antisthène, le fondateur de l’école, se réfère à Socrate) substitue à
l’ironie de Socrate la provocation en méprisant les conventions sociales,
ce en quoi le stoïcisme s’en rapproche. Le grand cynique du IV° siècle
avant J.-C est Diogène dont s’inspirent les stoïciens mais aussi les
premiers chrétiens.
Les stoïciens se rapprochent ainsi des cyniques, tout en refusant la
provocation et en conservant l’amour socratique du savoir. Ils attribuent
aussi la sagesse au seul dieu, la rendant inhumaine.
Marc Aurèle
L’empereur Marc Aurèle, qui régna dix neuf ans fut la dernière figure
marquante du Portique. Son règne fut marqué par de nombreuses invasions et
luttes et même si, en tant que membre de la famille des Antonin il est
humaniste, il a initié des persécutions contre les chrétiens.
L’empereur a su rester philosophe (il fréquente des stoïciens comme
Epictète) grâce à la conscience avec laquelle il accomplit sa fonction mais
aussi parce qu’il n’a pas à se préoccuper des honneurs ou de son image. Il
nous a légué un écrit privé, organisé en douze livres et sans titres. Le
succès de cette « œuvre » est relativement récent puisqu’il n’est mis au
rang des grands textes qu’à la Renaissance et que les Anciens faisaient peu
de cas des écrits privés et des esquisses. Son titre même (traduisible par
« Ecrit pour lui-même ») vient de la Renaissance.
Après Marc Aurèle il y aura encore des stoïciens mais ils n’écriront
plus et au II° siècle, avec Plotin, naîtra le néo platonisme.
Chapitre 2 La pensée stoïcienne, Dieu, le monde, l’homme
Contrairement à notre vision de la philosophie le stoïcisme cherche à
permettre l’accession au bonheur par une ascèse fondée sur la connaissance.
Le stoïcisme n’est pas une religion mais se fonde sur la raison. Notre
découpage conceptuel est de plus très différent du découpage stoïcien
puisque la philosophie est pour nous une grille interprétative alors que
pour les Grecs elle permet de construire un véritable modèle de vie afin de
parvenir au bonheur.
Le Portique a ainsi développé une pensée unitaire et même si une
approche sectorielle n’est pas impossible, il faut garder à l’esprit qu’un
stoïcien vivait la spiritualité à travers la physique et la logique même si
on peut distinguer la physique, la logique et la morale comme trois
approches de la réalité. La pensée stoïcienne s’affirme de plus comme un
élément de continuité avec les pensées grecques antérieures par son
caractère encyclopédique. Cependant elle reste farouchement opposée à toute
forme d’atomisme et donc à Démocrite puis à l’Epicurisme. Pour le stoïcien
le monde est continu et il ne s’agit pas de s’y soustraire.
La physique stoïcienne donne à voir un monde continu et harmonieux où
les éléments se répondent. Ce modèle exclu le vide et le hasard de
l’atomisme, il s’agit de donner un modèle intelligible en conformité avec
l’exigence
rationnelle
du
stoïcisme.
Cette
physique
influence
la
représentation de Dieu car elle n’a pas découvert le principe d’inertie qui
explique tout corps persiste dans son mouvement (il est découvert au XVII°
siècle). Dès lors si le monde est abandonné à lui-même il sombre dans le
chaos et il faut un principe pour l’ordonner. De plus il ne peut y avoir
d’action à distance et ce principe doit donc être omniprésent. Il y a ainsi
un dieu (unique pour les stoïciens) qui ordonne le tout à chaque moment
pour lui donner son harmonie, le fonctionnement même du monde prouve Dieu.
Mais le dieu stoïcien ne crée rien ex nihilo, la matière est éternelle,
mais informe et reçoit sa forme du principe actif qu’est dieu. Le modèle de
l’action divine est ainsi pensé sur celui de l’agent et du patient.
Mais comme le monde est continu et qu’il faut que dieu ait un contact
avec les choses pour les modifier (la pensée classique cherchera ainsi à
savoir comment un être sans corps peut agir sur des corps), dieu doit avoir
un corps. Le stoïcisme s’appuie ainsi sur la biologie pour qui le principe
vital est le souffle, présent dans le sang. Le principe vital divin est
ainsi tout trouvé, c’est le souffle, qui est trop fin pour être observé
mais forme le corps divin et parcourt le monde. C’est ici que le stoïcisme
s’oppose à l’atomisme puisque le souffle interdit le vide et donc le hasard
alors que les atomes d’Epicure sont lancés dans le vide. On est ainsi en
face de deux attitudes métaphysiques opposées expliquant le monde par le
hasard ou la raison. Le stoïcisme est ainsi finaliste, tout dépend de la
volonté divine, qui est le logos de l’univers, le dieu n’est pas réduit à
la matière et aux forces physiques même si contrairement au platonisme le
dieu se « compromet » avec la matière. Le platonisme pose en effet que
l’être divin n’est pas lié à la matière, qui est indigne de lui, ce qui
contraint à penser des divinités intermédiaires (néo platonisme) ou une
divinité maléfique responsable de la matière (manichéisme). Le point de
discorde avec les platoniciens est ainsi la matière puisque pour le
platonisme la vérité ne peut être atteinte que par l’envol hors de la
matière et des sens qui nous trompent (ce que reprendra Descartes et que
l’on peut sentir à travers l’extase plotinienne) alors que les stoïciens
font confiance au monde et admettent une saisie totale de l’objet par un
effort de l’attention, c’est la catalepse. Une science du sensible est
ainsi possible.
Les stoïciens aboutissent ainsi à deux problèmes qui deviendront
classiques, si dieu est bon comment expliquer le mal, et comment rendre
compte de la liberté et du hasard devant son omnipotence ? La théodicée
stoïcienne sera reprise par Leibniz, le mal est justifié par le fait qu’il
n’est que local est qu’il faut le comprendre dans la perspective de la
continuité du monde pour voir qu’il concourt à l’harmonie de ce dernier.
Le seul mal véritable est moral, résidant dans la mauvaise action, qui
elle-même ne tient pas à la richesse, aux biens physiques etc. qui ne sont
pas condamnables moralement mais sont indifférents même si le mal pourra
surgir des désirs qu’ils excitent.
La liberté est un problème plus délicat eu égard à l’omnipotence divine.
Mais il faut tout d’abord être conscient du fait que la liberté grecque est
un statut socio politique et que le problème n’est ainsi pas posé en tant
que telle avant que les cyniques n’extraient la liberté de son cadre
politique. La liberté devient ainsi l’objet d’une quête intérieure et peut
mener à un « paradoxe » à savoir le fait que si on pose la liberté comme la
victoire sur ses désirs un esclave, par l’ascèse, peut être libre.
Mais les détracteurs du stoïcisme lui objectent le fait que si tout est
prévu, ce n’est as la peine de se fatiguer, rien ne dépend de nous. La
réponse stoïcienne est subtile, le stoïcisme ne cherche pas à défendre la
liberté des hommes. En effet seul le sage, être exceptionnel, est libre
mais l’homme en lui-même ne l’est pas. Mais l’homme est responsable, ce qui
pour nous est paradoxal.
Il reste que les stoïciens sont les premiers à penser le sujet, pensée
appuyée par le fait que deux personnes peuvent réagir différemment à une
même chose, l’homme n’est pas le jouet du monde mais de ce qu’il possède au
fond de lui-même. Il y a dès lors une responsabilité parce qu’il y a un
moi, les circonstances n’agissent jamais à notre place. Toute action nous
engage et nous révèle ainsi, c’est pourquoi même si mon action est bénigne,
si elle est mauvaise, je suis mauvais. Nous sommes ainsi responsables de
nous. Mais nous ne sommes pas responsables fac à un tribunal ou à cause
d’un châtiment divin, nous ne sommes responsables que devant nous même
parce l’enjeu de la responsabilité est la sagesse et donc le bonheur. C’est
sur la responsabilité de la faute que repose l’entreprise de la sagesse,
c'est-à-dire de la libération qui ne peut être atteinte que par l’ascèse.
Nous voyons dans cette quête un paradoxe, une réduction du bonheur (qui
la justifie) à l’utopie, à l’idéal mais nous ne voyons cela que parce que
nous ne connaissons pas la figure du sage qui pour les Grecs était évidente
(Epictète considère Socrate et Diogène comme des sages) alors que nous
connaissons les figures du martyr et du saint qui considèrent la douleur
comme rédemptrice alors qu’il n’y a aucun dolorisme dans le stoïcisme. En
effet, au sens Grec le désir est signe de manque et entraîne d’autres
douleurs en menant à l’hybris, l’excès final. La passion grecque est à
prendre au sens étymologique de souffrance, en ressentant la passion
l’homme n’est plus maître de lui, la passion est ainsi désignée du même
terme que la maladie. C’est pourquoi Epicure, en faisant du plaisir
l’étalon du bonheur ne vise pas le plaisir physique mais la fuite de la
douleur, le plaisir épicurien n’est pas loin de l’ascèse. Le Portique
cherche ainsi à nous détacher des biens physiques mais ôte aussi toute
valeur à la pauvreté. Le but stoïcien n’est pas de mener l’humanité à la
sagesse mais de permettre à ceux qui le veulent de l’approcher.
Mais le stoïcisme repose aussi sur une métaphysique puisqu’en devenant
sage le sage s’identifie au divin. La liberté n’est ainsi pas un choix
entre les possibles mais l’adhésion au divin afin de ne plus être un jouet
mais d’agir en pleine conscience de ses actes, conformément à sa nature,
c'est-à-dire au logos universel.
Deuxième partie, Anthologie thématique
Chapitre 1, Dieu
Dieu et le monde
Cette première étude porte sur des textes extraits du De natura deorum de
Cicéron.
L’astronomie du Portique est héritée de Platon et Aristote pour qui les
astres, appartenant au monde supralunaire, étaient divins car se mouvant en
cercles et étant incorruptibles, c’est pourquoi elle n’a de fait rien
d’original. La différence vient du fait que le Portique refuse de
radicaliser l’opposition entre deux mondes, ce n’est pas la mathématisation
possible de l’univers qui prouve son caractère divin mais l’harmonie, le
monde est profondément unique. Cicéron parle ainsi de la nature comme d’un
« feu artiste » et évoque la régularité des astres pour prouver leur
intelligence. La nature est artiste car elle suit un plan, « veille et
pourvoit au besoin de toute chose », Cicéron parle aussi de « providence »
dans le De natura deorum. La notion d’âme du monde est platonicienne, ce
qui est nouveau c’est la vitalité de la nature, le fait qu’elle soit un
principe actif qui ait une volonté similaire au psychisme humain. La nature
stoïcienne est principe d’organisation tout autant que de croissance.
La nature est de plus un principe rationnel qui crée les choses les
meilleures possibles et apporte ainsi une cohérence, le hasard d’Epicure
est intenable. Cicéron attaque directement Epicure en refusant la
multiplicité des mondes, le hasard et les atomes. Le monde est ainsi un et
cohérent. La nature stoïcienne a ainsi ne fait les propriétés d’une
personne parfaite (elle nourrit, crée…). Dieu est le tout (que nous voyons
ou pas), « l’intelligence de l’univers ». Dieu est tout et assure ainsi la
cohérence interne et externe de son œuvre. La différence entre Dieu et nous
réside dans le fait que notre meilleure partie est l’âme alors que Dieu
n’est qu’âme, il est pure raison. Le Dieu stoïcien recouvre ainsi tous les
domaines de la rationalité et permet de tout expliquer par la théologie
sans nier une activité rationnelle nécessaire à la compréhension. Si les
néoplatoniciens pensent qu’il est impossible de dire quoi que ce soit de
Dieu, qui est transcendant (il faut se contenter de dire ce qu’il n’est
pas), les stoïciens pensent que l’on peut tout dire tant que cela montre
ses perfections.
Ainsi, « le monde manifeste Dieu », mais l’âme est divine, ainsi la quête
de savoir, l’astronomie mène à la contemplation et à l’expérience
spirituelle puisqu’il s’agit pour l’âme, à travers la raison, de découvrir
son propre domaine, le domaine divin.
Dieu et les Dieux
Comment articuler le polythéisme gréco romain au principe divin unique
stoïcien ? (On remarquera que Platon déjà exclut les poètes de sa
république afin qu’ils ne diffusent pas de mythologies).Les stoïciens
articulent ces deux dimensions par la métaphore et l’allégorie, la
pluralité des Dieux est allégoriques comme l’exprime Cicéron dans le De
natura deorum. Diogène Laërce reprend cette assertion en expliquant que les
différents noms désignent différentes facettes du Dieu. Les stoïciens
emploient ainsi l’exégèse allégorique pour relier les noms aux choses par
l’étymologie. Le stoïcisme procède ainsi par assimilation et non par
opposition avec la croyance populaire, ce qui explique que le conflit entre
polythéisme et monothéisme n’ait pas lieu d’être. Les stoïciens parlent
ainsi indifféremment du Dieu ou des Dieux parce que la multiplicité des
actions divines se déploie sur l’unité du principe divin.
Le stoïcisme est ainsi une voie vers la piété mais pas une religion
puisqu’il ne préconise pas de culte.
Epictète refuse ainsi, dans Les
entretiens, la superstition et les cultes s’ils n’ont de portée que locale
dans le temps, il faut les prendre comme des exercices pour se purifier, le
but et de tenter d’approcher le divin.
La parenté divine
Cléanthe, dans une prière bouleversante, chante ainsi les louanges du
Dieu « père » et appelle les Dieux et les hommes à se relier au « logos
universel ». Le Zeus chanté ici n’est cependant pas celui de la mythologie
puisqu’il est personnel et unique, mais il s’agit de lui demander la
connaissance, qui seule apporte le bonheur.
Il y a ainsi une parenté divine, qui est renforcée par les lois de la
nature et par le fait que le pneuma est en nous. Dieu n’est pas un élément
physique mais la physique permet de voir en lui en tout.
Il reste que nous sommes fils de Dieu car si notre corps est animal,
notre âme est elle divine, nous ne sommes jamais abandonnés grâce au fait
que toute chose est d’essence divine. Notre parenté n’est cependant pas due
au fait que nous sommes le produit de l’action divine, mais parce que nous
participons à la rationalité divine. La présence divine est « noûs »,
intelligence. L’homme est une « fin en soi » en tant qu’il possède la
conscience. Chacun porte Dieu en lui et ce dieu observe tout, c’est la
conquête de l’autonomie qui nous le rend accessible et nous permet de ne
pas le souiller, en effet en agissant mal nous atteignons ce dieu
intérieur. Il s’agit ainsi de rester digne du créateur parce que Dieu nous
donne à nous même, ce qui fonde notre responsabilité. Nous n’appartenons
ainsi pas à une lignée humaine mais à l’univers tout entier, qui est œuvre
de Dieu. Il faut rapprocher cela de Luc 12, 22-34 et Mathieu 6, 25-34.
Nous sommes liés à Dieu par la sympathie universelle, par le fait que
nos âmes sont des fragments divins, de plus Dieu a placé auprès de nous un
« génie », c'est-à-dire un ange gardien.
L’Autre
Dieu est un Autre familier en tant qu’il est omniprésent, nous ne sommes
ainsi jamais seul et il est possible de le rejoindre par la raison, il
n’est pas d’une ontologie différente.
La confiance
On peut toujours tomber malade etc. et le stoïcisme ne garantit pas
contre le malheur, en quoi avoir confiance ? En sa « faculté de choisir »
(Entretiens). En garantissant cette faculté on se garantit en un sens
contre le malheur puisque les biens physiques n’en sont pas et ne peuvent
ainsi nous rendre malheureux. Le « don du philosophe » est ainsi la
volonté, qu’il s’agit de conserver intacte afin de réaliser la réunion avec
la raison universelle, ce qui même en étant difficile, ne nous condamne pas
à l’irrationnel. Le but de la philosophie est ainsi de réaliser notre
nature divine.
Le mal n’existe pas ne lui-même, il vient d’une erreur, d’un désir
s’appliquant au mauvais objet, la douleur, la maladie ont une explication
dans l’économie de l’univers. Rien de mal ne vient ainsi de l’extérieur
mais il s’agit de dominer son psychisme pour ne pas créer de mal intérieur.
Nous ne possédons que notre personne morale et il ne faut pas se faire du
mal pour des choses qui ne nous concernent pas.
La vie n’est qu’une escale et il faut attendre l’appel divin pour y
répondre, sous peine de le faire dans la douleur, notre destin est
inéluctable et il faut conquérir notre liberté pour répondre à cet appel.
Le Portique cherche ainsi à permettre à chacun la liberté.
Chapitre 2, L’Homme et la fête du monde
La fête du monde
Dans le quatrième livre des Entretiens Epictète explique que le monde
est une fête à laquelle Dieu nous invite mais pas pour l’éternité, il faut
ainsi le vivre pleinement puis s’en aller lorsque c’est l’heure. Il y a
ainsi un usage du monde qui répond au désir, le stoïcisme ne nie pas que
nous éprouvons des désirs et qu’ils provoquent en nous des réactions, il
s’agit simplement de faire en sorte que ces réactions soient adéquates, ce
qui ne peut être atteint que par une prise de temps dans la réflexion. Il
s’agit de se réaliser dans ce monde en usant du « logos » ce qui justifie
la science (physique et métaphysique) et explique qu’il nous faut arriver à
la contemplation afin de comprendre que la plupart des épreuves n’en sont
pas, elles permettent simplement que nous mettions en œuvre l’équipement
que Dieu nous a fourni, c’est parce qu’il nous a fourni cet équipement
qu’il faut le changer. La philosophie s’inscrit dans cette activité
puisqu’on arrive à Dieu par la raison et non par une révélation. Ainsi « Si
tu le veux tu es libre » (Entretiens), l’action dépend de nos valeurs
profondes.
Jouer son rôle
Le monde est une fête dont nous sommes autant les spectateurs que les
acteurs, Dieu nous a attribué un rôle qu’il nous faut tenir en l’acceptant.
Il faut accepter le costume du personnage et lui prêter sa voix avec
ardeur. Ainsi Dieu nous donne une « balle », c’est à la dire la matière de
nos actions, du geste et il faut faire en sorte que ce geste soit bien
fait.
Cependant « la porte est ouverte » est lorsque je suis dans une
situation intolérable, que je perds ma dignité je peux me suicider tout en
sachant que je le fais parce que je n’ai pas réussit à assumer mon rôle.
Mais la pensée même du suicide en retire l’utilité puisqu’elle permet de
montrer que la vie n’est qu’un rôle et qu’il ne faut pas la prendre plus à
cœur que nécessaire, la situation n’est jamais désespérée. (Entretiens où
Epictète imagine un dialogue avec Agamemnon qui refuse le suicide ce sui
montre la vacuité de la guerre de Troie). Le suicide, même s’il est
possible n’est cependant pas encouragé, voire condamné, car il serait faux
de penser que l’on rejoint Dieu par là, il faut accepter le costume (le
corps), le mener au bout de son rôle et ne partir qu’au retentissement de
l’appel. Logiquement, le suicide est intenable. Il n’y a pas de promesse
dans l’au-delà parce qu’il est possible de s’unir à Dieu ici. La mort nous
dilate simplement, la partie matérielle se dissout et la partie divine
rejoint Dieu.
Chapitre 3, La philosophie
Le travail du philosophe
Il s’agit de bien user de ses représentation car le mal n’a pas de
réalité, le bien et le mal ne sont en fait que les deux bords qui endiguent
notre action. « La première tâche du philosophe est de mettre ses
représentations à l’épreuve » (Epictète, Entretiens). Il s’agit de bien
user de ses représentations et l’essentiel tient à peu de choses, il faut
suivre les Dieux, c’est tout. Le philosophe doit pour cela « harmoniser sa
volonté avec ce qui arrive » (ibidem), pour cela il faut adapter notre
prénotion du bien au bien divin que l’on peut atteindre par la raison. Nous
avons en effet, par nature, des prénotions. Cependant ces prénotions, mal
utilisées, peuvent être le lieu du subjectivisme, voila pourquoi il faut
tenter de leur donner leur sens vrai. Le philosophe constate ainsi le
conflit des opinions, la nécessaire fausseté de certaines opinions et
cherche l’opinion droite. Il faut ainsi définir une règle pour discriminer
les opinions, règle semblable à une balance.
L’objet de la philosophie est ainsi de transformer l’homme, l’érudition
ne sert qu’à la pratique, sinon elle est vaine. La philosophie a ainsi une
partie technique, importante, qui doit servir à nous transformer. Ainsi il
s’agit de « digérer » les principes et non pas de les vomir en les
professant, il faut avoir une conduite exemplaire en les mettant en
application.
La vocation du philosophe
Le philosophe est témoin de Dieu par ses actions puisqu’il cherche à
rejoindre le logos universel en agissant conformément à ce dernier. Ainsi
enseigner la philosophie est une vocation, un rôle accordé par le Dieu qui
est le maître de la cité du monde. Epictète prend ainsi l’exemple de
Diogène, qu’il idéalise, pour monter que le cynique est le témoin de Dieu
et que c’est pour cette raison qu’il faut être sur de sa vocation pour
devenir cynique. Le cynique voit en effet Dieu dans l’homme qui le frappe
et ne peut ainsi que l’aimer. De plus pour être cynique il faut renoncer à
toute attache humaine ce qui explique la dureté de cette vie. Le cynique
est ainsi un stoïcien modèle car il montre la possibilité du bonheur sans
bien.
Chapitre 4, La conscience et la vie intérieure
L’examen de conscience, le travail sur soi
La discipline stoïcienne se déploie selon trois axes, la discipline
intellectuel (l’encyclopédisme), la discipline physique (le choix de la
nourriture, qui n’a pas toute les mêmes effets) et l’entraînement mental.
C’est
ainsi
que
le
jeune
ponctuel
est
encouragé,
tout
comme
l’endurcissement face à ce qui est désagréable. Il s’agit par là d’endurcir
le corps et l’âme pour se rapprocher de la sagesse. L’entraînement mental
se développe lui par le travail de l’imagination car il s’agit de se mettre
face à des représentations pour bien y répondre, c'est-à-dire avoir la
bonne réaction. Il s’agit ainsi de ne pas être sujet à l’étonnement mais de
pouvoir avoir une conduite adaptée à chaque situation. Suite à cet
entraînement mental se développe l’examen de conscience, sûrement d’origine
pythagoricienne. Dans le De ira Sénèque exprime ainsi son habitude de
l’examen de conscience afin de corriger sa conduite dans le futur. Comme le
montre Marc Aurèle dans ses Pensées la véritable retraite et en soi et non
pas extérieure. La retraite n’est pas ainsi le lieu du jugement par le dieu
mais bien le dieu du jugement de l’home par lui-même, il n’y a pas
d’échappatoire dans une casuistique.
La faute
Dans les Entretiens Epictète préconise de ressentir de la pitié pour
les fautifs parce que s’ils commettent des erreurs ce n’est pas parce
qu’ils portent le mal mais parce qu’ils se trompent. Il faut ainsi les
plaindre de ne pouvoir être en harmonie avec Dieu et donc de ne pourvoir
être heureux. Mais la faute, comme elle est reconnue par notre
responsabilité envers nous même, est un comportement autodestructeur
puisqu’elle supprime en nous l’homme fidèle, mais elle a aussi un poids
social puisqu’elle supprime la confiance que l’on peut mériter. Il n’y a
ainsi pas d’indulgence envers la faute.
Cependant la faute, en tant qu’acte n’est pas envisagée dans ses
conséquences possibles, le stoïcisme ne pense pas l’homme comme acteur de
l’Histoire. C’est le sujet de l’action qui compte car c’est sur lui que
l’action a un effet (bonheur ou non). Dès lors, la faut étant purement
personnelle, notre salut l’est aussi. En effet on peut trouver son salut en
soi même et ainsi non pas faire amende honorable auprès de Dieu mais
restaurer notre nature et la déployer.
Autrui
En plaçant en soi même le bien, on expulse l’autre de cette acquisition
et on apaise les conflits, je ne peux trouver le bien qu’en moi-même et dès
lors je n’ai pas à lutter avec les autres pour l’obtenir. Mais l’autre
n’est pas absent de la philosophie puisqu’il s’agit de vivre pleinement les
relations sociales en guidant les autres vers la liberté en étant un
exemple pour eux. Les hommes sont liés entre eux par la nature, les hommes
sont par nature « des amis » et c’est pourquoi il ne faut pas détester ses
détracteurs, l’autre est objet de fraternité avant tout.
La prière
Même si le stoïcien ne demande pas de faveur matérielle à Dieu la
prière, comme le montre Cléanthe, n’est pas exclue puisqu’elle peut aussi
être louange. La prière peut aussi être le lieu par lequel nous rejoignons
Dieu afin de tenter de lui ressembler, d’évacuer ses désirs et d’éviter de
tomber dans le malheur. Il s’agit de s’abandonner à la volonté divine,
d’accepter pleinement le « costume » qu’elle nous donne. La prière idéale
est celle qui présente l’homme dans son abandon complet à Dieu.
Troisième partie, influences, permanence, présence
Introduction
Même si le Portique a été victime d’un naufrage littéraire il reste
présent et ce particulièrement à travers le christianisme, relation que
l’on peut étudier pour voir si elle se construit sur le mode de l’aide ou
sur celui de l’antagonisme. Cette étude doit commencer par celle des
relations entre le Portique et le judaïsme.
Chapitre 1, La rencontre avec le judaïsme
On a pensé à une influence sémitique sur le Portique, mais cette
conjecture est fausse, toutes les notions stoïciennes sont grecques même si
le stoïcisme ne se fonde pas sur un polythéisme par exemple. Cependant si
une influence chrétienne ou juive est à bannir, d’où vient la ressemblance
entre le Portique et le message de ces religions ? La ressemblance est en
effet telle qu’un juif pharisien peut se reconnaître dans le stoïcisme.
Cette identification est appuyée par la prise en compte dans les deux
mouvements du destin et de la responsabilité.
En fait les deux pensées se rencontrent à Alexandrie où les juifs
participent à le vie de la cité et adoptent le Grec (ils traduisent la
Bible en Grec et y ajoutent des livres). Le livre de la sagesse est ainsi
ajouté à la bible et ses origines sont stoïcienne (Dieu y est un
« souffle » assurant la cohésion des êtres). Cette rencontre s’explique par
un besoin spirituel nouveau. En effet les juifs d’Alexandrie n’ont plus à
espérer une terre promise car ils sont bien intégrés dans la cité, il leur
faut ainsi une nouvelle théologie. De plus le stoïcisme est séduisant en
tant qu’il permet la construction d’une théologie rationnelle, mais surtout
il faut garder à l’esprit que les juifs pensent à travers des cadres grecs
et qu’il leur faut ainsi trouver une théologie en adéquation avec ces
cadres.
Philon d’Alexandrie illustre la croisée des chemins entre le judaïsme,
le stoïcisme et le platonisme car s’il part d’une conception platonicienne
(les Idées), il utilise des concepts stoïciens pour l’appliquer au monde,
mais aussi pour pratiquer l’exégèse. Les juifs ne font qu’utiliser les
outils conceptuels stoïciens pour se construire une théologie. Philon
repousse ainsi les biens physiques et fait appel au logos universel. Il
reste que Philon se sent juif et qu’il pense que les stoïciens ont
empruntés aux juifs. Philon cherche ainsi à penser l’Ecriture en termes
grecs et à travers sa culture, ce qui l’amène à se rapprocher de Platon
comme du stoïcisme.
Chapitre 2, Stoïcisme et christianisme
Le Nouveau Testament
Paul et Jean affirment que Jésus est le premier né de Dieu et qu’il est
l’incarnation du logos divin. Quant au souffle, on le retrouve dans le
Saint Esprit. Même si ce pneuma n’est pas le souffle stoïcien il lui
emprunte une partie de son outillage conceptuel. La doctrine de Paul est en
effet tirée de son propre fond, le fond grec, car il n’a pas connu Jésus et
ses relations avec les apôtres ont pu être « fraîches ». L’aboutissement de
la Bible est dans l’action de Jésus accomplie au niveau universel (de toute
l’humanité) pour Saint Paul. La foi de Paul repose sur l’abandon au divin
en nous et est le lieu de la rupture avec le judaïsme puisque l’Eglise, en
affirmant que le logos est arrivé par Jésus, rompt avec le judaïsme. On
remarque ainsi qu’avec Paul, et cela va durer, le christianisme va
s’affirmer comme l’aboutissement de toutes les aspirations spirituelles
humaines, c’est ainsi que sur l’Aréopage il parle en Grec dans les termes
stoïciens pour convertir les Grecs.
Naissance de la philosophie chrétienne
La philosophie ne naît pas avec les apôtres mais avec les premiers
apologistes (Justin, Athénagore, Tertullien…) pour qui le Christ est moins
celui de la Bible que le Logos, Athénagore reconnaît ainsi expressément sa
parenté avec le Portique. L’Eglise s’appuie sur le Portique pour redonner
une unité au monde face au gnosticisme, polythéiste, qui préconisait la
fuite vers la connaissance et l’attribution de la matière à un Dieu
pervers. Origène lui-même utilise la pensée stoïcienne et Eusèbe de
Césarée, même s’il récuse le stoïcisme se réfère à Philon qui fonde le
« polythéisme » de la Trinité en instituant le Logos comme « second dieu »
puisqu’il n’est pas possible de ressembler à Dieu lui-même qui est
incorporel. La théologie chrétienne prend ainsi naissance à Alexandrie où
le judaïsme s’est mêlé avec le stoïcisme.
Stoïciens et chrétiens
Si le Stoïcisme a été influent quand le christianisme était faible et
que quand l’Eglise s’est dressée au III° siècle le Portique s’était
effondré, il ne faut pas voir là de concurrence car les « clientèles »
respectives des mouvements sont différentes et que si le stoïcisme implique
une discipline afin d’atteindre Dieu il ne comprend ni les martyrs, ni les
missionnaires. Marc-Aurèle, qui a persécuté les chrétiens ne les prend
ainsi pas au sérieux. Les stoïciens eux-mêmes ne comprennent ainsi pas les
chrétiens et ne voient pas leur propre influence sur ce mouvement même si
des écrivains chrétiens, comme Saint Jérôme, assument leur héritage
stoïcien.
Chapitre 3, Le stoïcisme à l’époque moderne
Après trois siècle d’aristotélisme la Renaissance revient au stoïcisme,
c’est ainsi que Saint François de Sales encourage l’étude de Sénèque.
Guillaume du Vair va même jusqu’à pratiquer un stoïcisme chrétien.
Aujourd’hui, même si plus personne ne se déclare stoïcien, nous pouvons
voir que rien n’est réellement déconnecté du tout même si notre approche
est nécessairement séquentielle. C’est ainsi ce revirement qui nous amène à
réhabiliter la pensée du Portique.
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