Les sources de sa pensée Epictète est un stoïcien. Le stoïcisme naît avec Zénon de Cittium (335-264 av J.C.) et Chrysippe (280-206 av J.C.). Le stoïcisme d'Epictète est donc un stoïcisme tardif (troisième période). Chez Musonius (le maître d'Epictète), on note, outre le stoïcisme, un retour à l'école cynique qu'Epictète va d'autant plus accentuer que les maîtres du cynisme (Antisthène, Diogène) avaient eux aussi été esclaves. Il subit aussi l'influence de Socrate et de l'héritage aristotélicien. La pensée d'Epictète naît, non pas de découvertes originales, mais d'une synthèse qui permet de revenir aux sources et de choisir entre elles selon les exigences du présent. La vie d'Epictète Epictète est né en Phrygie (Asie Mineure) vers 50 après J.C. et amené à Rome comme esclave d'Epaphrodite, un affranchi devenu grand personnage de la cour de Néron puis de celle de Flavien. Epictète est affranchi à son tour. Il suivait alors les leçons du philosophe romain stoïcien Musonius Rufus. Il commence ensuite à enseigner lui-même le stoïcisme. Vers 94, un décret de Domitien bannit de la cité tous les philosophes, considérés comme fauteurs de trouble et ennemis de l'Etat. Epictète s'exile à Nicopolis en Epire (Grèce occidentale) où il restera jusqu'à sa mort (vers 125-130) et ceci malgré la faveur des grands et notamment celle de l'empereur Hadrien que son renom de philosophe lui avait attirée. Epictète à Nicopolis dirigea une école fréquentée par de nombreux disciples, école paradoxale où les maîtres n'avaient de cesse d'inviter les élèves à quitter l'école pour affronter les épreuves de la vie. Comme Socrate, Epictète ne laissa nulle œuvre et de son enseignement ne nous serait parvenu que la renommée si un de ses élèves, Arrien, soldat et écrivain, n'avait entrepris de transcrire quelques-uns de ses propos et ne s'était décidé à les livrer à la postérité. Nous sont ainsi parvenues les leçons d'Epictète sous la forme d'un "Manuel" (qui contient l'essentiel de la morale stoïcienne), et de huit livres d'"Entretiens" ou "Diatribes" dont nous avons gardé les quatre premiers. Nous avons quelques idées de ce que fut l'enseignement du maître : la séance commençait par une leçon technique (exercice de logique, commentaire d'un texte de l'ancien stoïcisme) par le maître ou un de ses disciples. Puis Epictète se laissait aller, souvent à l'occasion d'une question, à une improvisation dans un style brillant souvent plein d'anecdotes. Quand Epictète donne ses leçons, il est libre, affranchi et jouit de sa liberté de pensée, d'autant plus qu'il se trouve en Grèce. Néanmoins son passé servile a dû exercer sur sa pensée une influence décisive. En tant qu'affranchi, il reste privé de certains droits politiques et des légendes racontent que des tortures infligées par son maître l'avaient rendu boiteux. Il lui a donc fallu trouver en luimême les secours qu'il ne pouvait espérer de la société. Epictete vivait simplement dans une maison pauvre avec en tout et pour tout un grabat et une lampe d'argile. Histoire du stoïcisme 1) Le stoïcisme ancien. Le stoïcisme naît à la fin de l'empire d'Alexandre et s'élabore jusqu'à la conquête romaine. Aux Etats-cités se substituent les empires massifs des successeurs d'Alexandre jusqu'à ce qu'en 146 av. J. C. la Grèce toute entière devienne une province romaine sous le nom d'Achaïe. Privé de son cadre politique, l'individu se découvre dans sa solitude. La question du bonheur individuel devient prépondérante et le seul cadre où puisse s'insérer ce bonheur sera l'univers. Ceci explique à la fois l'individualisme stoïcien (chacun doit faire son salut) et son idéal cosmopolite. Toutes les écoles philosophiques de l'époque affichent le même programme : définir la fin de la vie heureuse et transmettre un art de vivre qui conduise à cette fin. L'école stoïcienne tire son nom du "portique" (stoa) où Zénon de Cittium (332-262 av. J. C.) réunit vers 300 av. J. C. ses premiers disciples. Stoïcisme et philosophie du Portique sont donc deux appellations équivalentes. Les deux premiers successeurs de Zénon seront Cléanthe (-322 ?, -232) et Chrysippe (-277, -210). Pendant près d'un siècle, l'école se prolonge sans grand éclat. Lorsque la Grèce devient une province romaine, c'est Rome qui devient le centre du stoïcisme. 2) Le moyen stoïcisme. Rome en est le centre et on latinise les noms d'un certain nombre d'auteurs, notamment les deux plus illustres : Panaïtios (Panetius) et Poséidonios (Posidonius). Panetius (185 , 110 av. J. C.) fut l'ami de Scipion Emilien. Posidonius (135, 51 av. J. C.) vint en ambassade à Rome (-86) et Cicéron alla suivre ses cours à Rhodes. Cicéron, pour se consoler de ses déboires politiques, s'adonnait à la philosophie et présentait à ses concitoyens les grands débats des écoles contemporaines. Ses préférences allaient à l'éclectisme d'Antiochus. Or celui-ci se rapprochait à la fois de l'ancien platonisme, de l'école péripatéticienne et du stoïcisme. C'est surtout pour la morale que Cicéron adhère au stoïcisme. Ailleurs il lui reproche sa rigueur, ses paradoxes. 3) Le stoïcisme impérial. Le trait dominant du stoïcisme impérial est l'idée que la théorie la plus rigoureuse s'éprouve dans la pratique. Les trois grands philosophes de cette période sont Sénèque (-4, 65 apr. J. C.), l'esclave Epictète et l'empereur Marc Aurèle, "libre au sein de toute dépendance, sur le trône comme dans les chaînes", comme le dira Hegel. Tous trois insistent sur la pratique, sur l'application à la vertu, plus essentielle que les subtilités logiques. Ceci explique qu'ils repartitionnent la philosophie : L'ancien stoïcisme comportait une logique (très avancée puisque la logique moderne des propositions s'en réclamera), une physique et une morale. Le stoïcisme impérial, lui, insiste sur la morale. Il reconnaît une dialectique (théorie de la connaissance), une morale théorique et une morale pratique. 4) Postérité du stoïcisme. L'œuvre d'Epictète, et notamment Le Manuel intéressa très tôt les philosophes. Au VI° siècle, Simplicius le commenta. Boëce (IV° s.) unit très intimement christianisme et sagesse stoïcienne. Montaigne fut influencé, ainsi que Descartes dans sa célèbre morale provisoire. Mais c'est surtout Pascal qui fut profondément impressionné par Le Manuel. Quand Descartes s'interroge sur la morale, il relit Sénèque, quand Pascal va à Port-Royal, c'est Le Manuel qu'il emporte et considère comme le fruit suprême de la sagesse humaine, même s'il n'est pas lui-même stoïcien. Apport conceptuel 1) Il faut vivre selon la nature. Pour le stoïcien, la vertu consiste à connaître la nature et à vivre en harmonie avec elle. a) Connaître la nature. Pour vivre selon la nature, il faut logiquement d'abord la connaître. Aussi, le stoïcisme repose sur une physique qui suppose elle-même une théorie de la connaissance ou dialectique. La dialectique est seule susceptible de nous apprendre à raisonner correctement. Elle est la science des choses vraies, des choses fausses et des choses ni vraies ni fausses. "Si la présomption et l'ignorance sont des vices, c'est à juste titre que l'on qualifie de vertu cet art qui les supprime." (Cicéron). Il existe donc une vertu logique. La physique est l'étude de la nature. Celle-ci n'a rien de commun avec celle des romantiques ou de nos modernes écologistes. La nature, c'est l'univers, le monde, la réalité. Pour les stoïciens, le monde est un grand être unique, un organisme, une sorte de grand vivant constitué par les quatre éléments (air, terre, eau, feu) qui passent l'un dans l'autre. Ils y voient la loi de l'éternel retour c'est à dire l'idée d'un temps cyclique selon lequel au bout d'un bon millénaire ce qui a été redevient. Pour les stoïciens, ce grand organisme qu'est le monde, ce vivant éternel, n'est rien d'autre que Dieu lui-même. Dieu n'est pas hors du monde. Les stoïciens croient au fatum c'est à dire au destin. La volonté et l'intelligence humaine sont impuissantes à diriger le cours des événements. La destinée est fixée d'avance et est fixée par Dieu, ordonnateur du monde. Par conséquent, il n'est pas de liberté d'action de l'homme. La seule liberté est la liberté intérieure : la liberté de pensée. Le monde est un organisme où tout se tient et la vraie liberté consiste à agir selon l'ordre du monde. b) Vivre en conformité avec la nature. Quand la nature est connue, il faut vouloir son ordre. La vertu est donc pratique. Elle est une technique et non une contemplation. Il faut distinguer ce qui dépend de moi et ce qui n'en dépend pas. L'ordre du monde ne dépend pas de moi. Ce qui dépend de moi, c'est mon attitude devant cet ordre du monde : ou je le désire, je participe au monde et je suis vertueux, ou je le refuse, je m'insurge et je suis un fou insensé et malheureux. Le malheur, en effet, est de désirer ce qui ne dépend pas de moi. Il faut désirer l'ordre du monde, s'accorder avec le monde sinon on est insensé et fou. L'homme qui se révolte est un fou misérable car il n'aura pas ce qu'il désire dans la mesure où il désire changer ce qu'il n'est pas en son pouvoir de changer. La sagesse stoïcienne n'est du reste pas une acceptation passive et conformiste de l'ordre de la nature mais bien le vouloir actif de cet ordre. Il n'y a pas de milieu entre la sagesse et la folie car ou l'on veut l'ordre du monde, ou l'on ne le veut pas. C'est l'un ou l'autre, sans position intermédiaire. Comme la courbe qui se rapproche presque de la droite reste courbe, le fou qui s'approche de la sagesse reste fou. Toutes les fautes sont égales sans gradation car toute faute s'insurge contre l'ordre du monde. Les vertus sont liées et en avoir une, c'est les avoir toutes. Cependant, la sagesse n'existe peut-être pas. Faute de pouvoir la pratiquer, on peut avoir des conduites convenables. La vertu consiste alors à vivre selon le préférable, le plus possible en accord avec le monde au niveau des actions. C'est la dimension pratique, technique de la sagesse : le calcul du meilleur. Il faut faire effort sur sa pensée, changer ses opinions plutôt que l'ordre du monde (ce qui exclut la plainte). De ce point de vue, l'anecdote célèbre de la jambe d'Epictète est significative. On raconte que le maître d'Epictète, lorsqu'il était encore esclave, aurait un jour, pour le punir, tordu sa jambe. Epictète lui aurait dit : "Si tu continues, elle va casser." Le maître continua sa torture et la jambe cassa. Epictète lui aurait simplement répondu : "Je te l'avais bien dit". Cette anecdote explique le sens qu'a pris l'adjectif stoïque dans la langue commune mais a surtout un sens philosophique : l'attitude du maître fait partie de ce qui ne dépend pas d'Epictète. Il ne peut donc rien empêcher mais sa sagesse implique non seulement d'accepter mais même de vouloir ce qui va arriver, avec la satisfaction du sage d'avoir prévu ce qui, en fin de compte, arrive. Il faut "vouloir que les choses arrivent comme elles arrivent" dit Epictète. Le seul bien consiste en la conformité des désirs avec la nature. La seule source des maux est dans la rébellion. Diogène Laërce écrit à propos du stoïcisme : "La vertu de l'homme heureux et le cours bien ordonné de la vie naissent de l'harmonie du génie de chacun avec la volonté de celui qui organise tout." Le sage vit au niveau de l'univers. Il y a chez les stoïciens une morale de l'intention. C'est dans le vouloir (de l'ordre du monde), dans l'intention que réside la morale. On comprend que le stoïcisme soit aussi bien la philosophie des esclaves que celle des empereurs, d'Epictète que de Marc Aurèle. Celui qui naît esclave doit jouer son rôle d'esclave le mieux qu'il peut, tout comme l'empereur doit jouer le sien. L'unité du maître et de l'esclave, c'est la pensée qui rend les hommes égaux. 2) Plaisir, désir et vertu. Celui qui donne son accord à la nature est heureux. La recherche du plaisir est exclue. Ou le plaisir est contraire à l'ordre du monde et est impossible, ou il lui est conforme et nous obtenons non pas le plaisir mais le bonheur. Suivre l'ordre du monde, c'est suivre la raison. Le stoïcisme va aboutir à un indifférentisme et à un ascétisme. Le sage est heureux partout, même dans les pires douleurs car son bonheur est de vouloir la nécessité. Le but premier de tout vivant consiste non dans le plaisir mais dans la seule conservation de soi. L'idéal stoïcien est donc la mort des désirs et des passions considérées comme des maladies. Si nous n'avons aucun empire sur le cours des choses, nous pouvons vaincre nos passions. Cela dépend de nous et l'empire sur les passions fait partie de notre liberté. Le bonheur a lieu lorsque nous sommes dans un état de calme dégagé des plaisirs et des désirs. C'est l'apathie, "où nous sentons et nous expérimentons que nous sommes éternels." Nous sommes éternels en tant que nous vivons dans un état immobile, toujours semblable à lui-même et qui pourrait demeurer toujours semblable, comme l'éternité. Le bien suprême, le plus haut, c'est le beau, au sens éthique d'harmonie avec le tout. La vertu est quelque chose de substantiel. Elle s'enseigne puisque les méchants peuvent devenir vertueux. Elle est souverain bien, bonheur intérieur. Biographie [modifier] Probablement né à Hiéropolis (Sud-Ouest de la Phrygie), Épictète passe son enfance comme esclave au service de Epaphrodite (un affranchi de l’empereur Néron) dont la tradition fait un maître cruel et sadique. Épictète réussit cependant à assister aux conférences du stoïcien Musonius Rufus. Par la suite, il est lui aussi affranchi dans des conditions qui restent indéterminées. Il se met alors à l'étude de la philosophie et du stoïcisme en particulier. Mais en 89, il doit quitter Rome suite à un édit de Domitien contre les philosophes. Domitien s’accommode mal de l’influence qu’a le stoïcisme parmi les opposants à son régime tyrannique. Épictète se retire à Nicopolis d'Épire où il ouvre une école qui connaît un grand succès. Pendant plusieurs années il enseigne sous la forme de discussions et de remises en question. Ses contemporains semblent avoir la plus grande estime pour la qualité de son enseignement. Selon Spartianus, il revient ensuite à Rome où il devient familier de l'empereur Hadrien, mais le fait est incertain. Selon la Souda, il vit jusqu'au règne de Marc-Aurèle, mais d'après Aulu-Gelle, Épictète est déjà mort quand celui-ci arrive au pouvoir. De son vivant Épictète n'a rien écrit, mais l'un de ses disciples, Arrien, a recueilli ses propos regroupés en deux ouvrages Les entretiens (Διατριβαί [diatribai]) et Le manuel (Enchiridion) qui résument sa doctrine sous la forme d’aphorismes. Doctrine [modifier] La philosophie d’Epictète se veut pratique, comme un ensemble de règles permettant de mettre en application de grandes valeurs morales. La droiture d’esprit qu’il préconise lui fait rejeter les effets de style des orateurs, les joutes pseudo logiques des sophistes et la recherche effrénée des honneurs. La question principale à laquelle tente de répondre la philosophie d’Epictète est de savoir comment il faut vivre sa vie. Face à cette première interrogation, tous les autres grands questionnements de la philosophie sont de peu d’importance à ses yeux. A cette fin Epictète se pose tout d’abord la question de l’existence, ou non, d’une ‘nature des choses’ qui est invariable, inviolable et valable pour tous les hommes sans exception. Sa réponse est claire: la ‘nature des choses’ existe et il la formule, au début de son Manuel, en disant que, de toutes les choses du monde, certaines sont en notre pouvoir exclusif tandis que d’autres ne le sont pas. Nos opinions, nos mouvements, nos désirs, nos inclinaisons, nos aversions -en un mot, toutes nos actions- appartiennent à la première classe des choses et il les appelle ‘prohairetiques’. Le corps, les biens, la réputation, les dignités -en un mot, toutes les choses qui ne sont pas du nombre de nos actions- appartiennent à la deuxième classe des choses et il les appelle ‘aprohairetiques’. Qu’est-ce donc la ‘prohairesis’? Epictète nous montre que la prohairesis est la faculté qui nous fait différents de tous les autres êtres vivants. Elle est la faculté qui nous permet de désirer ou d’avoir de l’aversion, de ressentir un besoin impulsif ou de la répulsion, de dire oui ou non, selon nos jugements. Les choses prohàiretiques sont libres par leur nature justement parce que la liberté de notre prohairesis est absolue: elle ne peut être restreinte ni par la douleur, ni par la mort, ni par quoi que ce soit qui lui est extérieur. Si notre prohairesis fait que nous nous accommodons d’un fait quelconque c’est qu’elle a ainsi décidé. Ainsi, bien que nous ne soyons pas responsables des représentations qui naissent librement dans notre conscience, nous sommes absolument et sans aucune doute responsables de la manière dont nous faisons usage de celles-ci. D’après Epictète il est primordial de garder à l’esprit qu’en dehors de notre prohairesis il n’existe ni bien ni mal, et qu’il est vain de tenter de modifier la nature des choses. Quel est donc le critère qui nous permet de respecter dans n’importe quelle situation la nature des choses? Epictète nous explique que ce critère est un jugement qu’il faut apprendre par la philosophie et il appelle ce jugement ‘dihairesis’. Face à tout ce qui est aprohairetique (événements, objets, individus, etc.) quelle est alors l’attitude qu’il faut avoir? Il faut avoir l’attitude du bon joueur d’échecs, c’est à dire le courage de jouer et de vaincre. Et si on perd la partie? Perdre aussi fait partie de la nature des choses. Si on perd la partie, la dihairesis qui nous guide nous empêche de faire quelconque réclamation pour ce qui advient et qui ne dépend pas de nous. En effet, il faut accepter ce que les événements et le destin nous apportent, tant que ceci n’est pas de notre ressort. L’Homme est partie intégrante d’un système qui le dépasse. Plutôt que de s’opposer vainement au sort qui lui est réservé, il l’accepte et dit merci pour l’occasion qu’il a eu de jouer, car il comprend le divin qui est en lui et fait raisonner sa vie au diapason de ses jugements guidés par la dihairesis. Ça signifie que, pourvu qu’on ait sauvegardé la liberté de notre prohairesis et respecté les règles du jeu, même si on a perdu le match d’un jour, le vrai match a toujours été gagné. Pour le stoïcien rien ne sert de vénérer la nature, les dieux ou d’autres maîtres. Seuls des principes rationnels doivent permettre de comprendre – ou simplement accepter - le mouvement du monde et des hommes. C’est par une analyse rationnelle qu’il détermine ce qui ne dépend pas de lui, et c’est grâce à cette même raison qu’il définit ses jugements sur le monde. Les modèles historiques auxquels Epictète fait penser sont Diogène et Socrate. D’après ses Discours on peut tracer le portrait de ce qui serait pour lui le stoïcien accompli. Ce sage serait libre et heureux même s’il n’avait ni pays, ni maison, ni terres, ni femme, ni enfant, ni esclaves, et même si son lit était le sol et son seul toit était le ciel. Il souffrirait sans se plaindre les moqueries et les coups jusqu’à aimer son bourreau comme un frère ou un père. Il est l’égal des héros et des dieux car il a vaincu ses démons intérieurs : la souffrance, la peur, le désir… Le stoïcisme est une école philosophique de la Grèce antique fondée par Zénon de Kition. On peut résumer cette doctrine à l'idée qu'il faut vivre en accord avec la nature et la raison pour atteindre la sagesse et le bonheur. Ce mot désigne aujourd'hui, dans l'usage courant, l'aspect moral de cette philosophie : on entend en effet par stoïcisme une attitude caractérisée par l'indifférence à la douleur et le courage face aux difficultés de l'existence. Il ne nous reste que des fragments des premiers Stoïciens (Zénon de Kition (344 - 262), Cléanthe), et les seules œuvres complètes que nous possédions sont celles de Sénèque, Épictète et Marc-Aurèle. Cicéron nous a transmis des débats de l'époque hellénistique qui nous renseignent sur l'ancien stoïcisme. Les adversaires des stoïciens (Plutarque, Sextus Empiricus) nous ont également laissé des témoignages sur leur pensée. Ce que nous pouvons en savoir en logique, en physique et en éthique nous montre des esprits puissants et originaux qui ont marqué l'histoire occidentale jusqu'à aujourd'hui. Cet article propose un exposé des traits généraux de la doctrine, sans oublier qu'il existe quelquefois des nuances notables d'un stoïcien à l'autre. Sagesse et philosophie [modifier] La philosophie stoïcienne est un tout cohérent : c'est une philosophie de la totalité qui se veut consciemment systématique, ce qui est l'une des grandes originalités de cette doctrine. Elle procède à des divisions du discours philosophique, divisions qui servent à l'exposé de la doctrine, et à son enseignement. Il apparaît donc naturel de suivre ces divisions dans cet article. Comme les autres philosophes hellénistiques, les Stoïciens considèrent que la fin de la philosophie est éthique : pour eux, il faut « vivre en accord avec la nature ». L'ontologie stoïcienne [modifier] Divisions de l'être [modifier] Le genre suprême de la métaphysique stoïcienne est appelé, selon Sénèque (Lettres, 58, 13 - 15) « quelque chose » ; mais, selon Sextus Empiricus (Contre les professeurs, VIII, 32), le genre suprême serait l' « existant ». Néanmoins, malgré cette divergence, on admet généralement que les Stoïciens divisent les choses en général en existant et subsistant. (Galien, De la méthode médicale, X) Est dit « quelque chose » tout ce qui dans la nature existe ou n'existe pas. Le quelque chose a pour contraire les « non-quelques-choses », i.e., selon les Stoïciens, les universaux. Tous les existants sont des corps. Au genre des non existants appartiennent les incorporels et les choses qui sont dans l'esprit, formées faussement par la pensée, comme les centaures et les géants, et d'une manière générale tout ce qui fait impression sur la faculté directrice sans avoir de substance (Sénèque, Lettres, 58, 13 - 15). Ces incorporels sont dits « subsistant » - car, par exemple, une fiction dans l'esprit n'a de réalité que dans la pensée. Ce dernier cas semble néanmoins montrer l'existence d'une division supplémentaire du quelque chose : ce qui n'est ni corporel ni incorporel. Les corporels seuls sont dits existant. Les « quelques choses » sont donc soit des corps (existant), soit des incorporels (subsistants). Les Stoïciens distinguent quatre espèces de corporels : le substrat, le qualifié (de façon commune ou de façon particulière), le disposé, le disposé relativement (Simplicius de Cilicie, Sur les Catégories d'Aristote, 66). Ils distinguent quatre espèces d'incorporels : le dicible, le vide, le lieu et le temps. Les existants sont des entités individuelles corporelles qui appartiennent à la fois aux quatre genres du corporel, mais tout « quelque chose » est une entité individuelle : être quelque chose, c'est donc être une chose particulière, corporelle ou incorporelle. Ainsi « quelque chose » est ou subsistant ou existant ; l'existant se prédique seulement des corps, mais « quelque chose » est prédiqué aussi des incorporels. Puisque l'existence est chez les Stoïciens corporelle, et que ce qui agit sur un corps est un corps, l'action est la propriété des corps seuls : la vertu et le savoir sont ainsi des réalités corporelles. Cette ontologie pose quelques problèmes pour expliquer l'action causale d'un incorporel sur un corps. On retrouve quelques éléments de cette métaphysique au XIXe siècle chez Alexius Meinong et Bertrand Russell. Tableau récapitulatif Quelque chose (en grec ti) Corps Substrat La logique [modifier] Qualifié Disposé Incorporels Disposé relativement Dicible Vide Lieu Temps La rhétorique La rhétorique est la science du bien parler dans les discours. Elle se divise en trois parties : parlementaire, judiciaire et panégyrique, ou en invention, énonciation, plan et mise en scène. Ils divisent le discours rhétorique en préambule, narration, réplique aux adversaires, épilogue. La dialectique la dialectique est la science de la discussion correcte dans les discours par questions et réponses ; la dialectique est la science de ce qui est vrai, de ce qui est faux, et de ce qui n'est ni l'un ni l'autre. Elle se divise en deux lieux : les signifiés et les émissions vocales ; le lieu des signifiés se divise à son tour en impressions et dicibles dérivées des impressions (cette partie est exposée à partir de la section suivante). Le lieu des émissions vocales concerne l'articulation selon les lettres, distingue les parties du discours, traite des solécismes, des barbarismes, etc. Les dicibles La notion de dicible est le fondement de la logique stoïcienne ; c'est un incorporel et, en tant que tel, il a été traité dans la section Le dicible de cet article. Les propositions [modifier] Chrysippe, dans ses Définitions dialectiques (cité par Diogène Laërce, VII, 65), définit la proposition comme « ce qui est vrai ou faux, ou un état de choses complet qui, pour autant qu'il est lui-même concerné, peut être asserté. » Ainsi, pour que quelque chose soit vrai ou faux, il doit être un dicible, un dicible complet, un dicible complet qui est une proposition. (Sextus Empiricus, Contre les professeurs, VIII, 74). Une proposition est ou vrai ou fausse ; une proposition qui n'est pas vraie est donc fausse (Cicéron, Du destin, 38). La contradictoire d'une proposition est une proposition qui l'excède d'une négation : « Il fait jour » « Non Il fait jour » (formalisable en : p ~p). Une proposition vraie est ce qui est, et une proposition fausse est ce qui n'est pas (Sextus Empiricus, Contre les professeurs, VIII, 84) : « Quelqu'un dit « il fait jour » semble proposer qu'il fait jour. Dès lors, s'il fait jour, la proposition avancée se révèle vraie, et sinon, elle se révèle fausse. » (Diogène Laërce, VII, 65). La distinction la plus générale entre les propositions est celle qui sépare propositions simples et propositions non simples (Sextus Empiricus, Contre les professeurs, VIII, 93 - 98). Les propositions simples [modifier] « Sont simples les propositions qui ne sont pas composées à partir d'une proposition unique énoncée deux fois ; par exemple, « il fait jour », « il fait nuit », « Socrate parle » [...] » (Sextus Empiricus, Contre les professeurs, VIII, 93 - 98). Les Stoïciens distinguent trois types de propositions simples : les définies, les indéfinies, les intermédiaires. Les propositions définies s'expriment par une référence ostensive. Exemple : « Celui-ci est assis. » Les propositions indéfinies ont pour sujet une particule indéfinie. Exemple : « Quelqu'un est assis. » Les propositions intermédiaires ne sont ni indéfinies (elles déterminent le sujet), ni définies (elle ne sont pas ostensives). Exemple : « Socrate marche ». Les Stoïciens discernent des rapports de dépendance quant à la vérité entre ces types de propositions : par exemple, si une proposition définie est vraie, la proposition indéfinie qui peut en être dérivée est également vraie. Exemple : « Celui-ci marche » est vraie ; donc « quelqu'un marche » est vraie. Diogène Laërce donne les distinctions suivantes (VII, 69) : les propositions simples peuvent être négatives, négatives assertoriquement, privatives, assertorique, démonstratives et indéfinies. Une proposition simple négative est composée d'une négation et d'une proposition : « Non il fait jour » (~p). La double négative en est une espèce : « Non : Non : il fait jour » (~~p), qui revient à « Il fait jour » (p). Une proposition simple négative assertoriquement est composée d'une particule négative et d'un prédicat : « Personne ne marche ». Une proposition privative est composée d'une particule négative et d'une proposition en puissance. Une proposition assertorique est composée d'un cas nominatif et d'un prédicat. Exemple : « Dion marche. » Une proposition démonstrative est composée d'un cas nominatif ostensif et d'un prédicat. Exemple : « Celui-ci marche. » Une proposition indéfinie est composée d'une ou plusieurs particules indéfinies et d'un prédicat. Exemple : « Quelqu'un marche ». Les propositions non simples [modifier] Raisonnement et démonstration [modifier] Selon Diogène Laërce (VII, 76 - 81) les Stoïciens appellent argument (en grec logos) ce qui est constitué par une ou plusieurs prémisses (en grec lèmma), une prémisse additionnelle et une conclusion. Exemple : « S'il fait jour, il fait clair ; mais il fait jour ; donc il fait clair » (formalisable en : ((p ⊃ q) ∧ p) ⊃ q). Parmi les arguments, certains sont valides, d'autres invalides : sont invalides ceux dont l'opposé de la conclusion ne sont pas en contradiction avec la conjonction des prémisses ; il y a deux sortes de raisonnements valides : o ceux qui sont simplement valides ; o ceux qui sont syllogistiques : ceux-ci sont soit indémontrables, soit réductibles aux indémontrables. La théorie de la connaissance Les impressions La vérité et la certitude sont dans la perception les plus communes qu'il s'agit de systématiser. Ainsi la connaissance part-elle de la représentation, ou image (phantasia), impression d'un objet réel dans l'âme (comme le cachet dans la cire pour Zénon). C'est là un premier jugement sur les choses auquel peut être ou non donné volontairement un assentiment par l'âme : si celle-ci est dans le vrai, elle a alors une compréhension, ou perception (katalepsis) de l'objet qui est immédiate : une certitude des choses en tant que telles. La sensation est donc distincte de l'image puisqu'elle est un acte de l'esprit. Pour que la perception soit vraie, l'image doit être fidèle. L'image fidèle, en tant que critère de la vérité, est appelée représentation compréhensive. Elle est passive, mais capable de produire l'assentiment vrai et la perception. Les critères de la vérité [modifier] La science sera alors la perception solide et stable, inébranlable par la raison : solidité due à l'appui des certitudes entre elles, à leurs accords rationnels. Ainsi la perception sûre et totale est la science systématique et rationnelle, système de perceptions rassemblées par l'expérience visant à une fin particulière utile à la vie. En dehors de ces réalités sensibles, il n'y a pas d'autres connaissances. Pourtant, à côté des choses sensibles, il y a ce qu'on peut en dire. Ainsi la dialectique porte-t-elle sur les énoncés qui sont vrais ou faux, relatifs aux choses. Ces énoncés se disent sous la forme d'un sujet et d'un attribut exprimé par un verbe : Socrate se promène. C'est un jugement simple qui exprime un rapport entre des faits, celui-ci s'exprimant par un jugement complexe : s'il fait clair, il fait jour. Il s'agit donc d'une liaison de fait entre un antécédent et un conséquent. La physique Le monde et la nature Le monde est totalement dominé par la raison et a en conséquence à chaque instant la plénitude de sa perfection. Par là on voit que l'activité de la raison est corporelle : seul existe ce qui a la capacité d'agir ou de pâtir (i. e. les corps). Or, la raison agit, donc elle est un corps. Ce qui subit la domination de la raison sera aussi un corps, la matière. Voilà les deux principes de la physique : l'un est la cause unique, l'autre reçoit cette causalité sans faire de résistance. Ces deux corps s'unissent donc et forment le mélange total qui explique l'action d'un souffle matériel (pneuma) traversant la matière pour l'animer. Les éléments Le cycle cosmique [modifier] L'ensemble du monde a un cycle : le feu, ou force active (Zeus), absorbe et réduit en lui-même toutes les choses. Tout recommence ensuite à l'identique, après la fin du monde dans une conflagration où toutes choses sont rentrées dans la substance divine. Cette conflagration est une purification du monde : l'âme du monde absorbe toute la matière en restituant un état parfait par un changement conforme à la nature. Du feu primitif, naissent les quatre éléments et le monde naît sous l'action d'un souffle divin. Ensuite, par la fragmentation du souffle, naissent les êtres individuels qui forment le système du monde. C'est ce souffle qui fait l'unité du monde, en le parcourant et en maintenant ses parties. Ce souffle est une force, une pensée et une raison qui contient tout et fait que sous l'action de sa tension l'être existe. Ce souffle crée une sympathie entre toutes les parties du monde. Quant à la Terre, elle est au centre, pressée de tout côté par l'air. La causalité et le destin Tout ce qui arrive est conforme à la nature universelle, puisque tout agit suivant une cause totale, qui lie toutes les causes entre elles. L'éthique [modifier] L'éthique stoïcienne est en accord avec cette physique. Nous connaissons plusieurs divisions de l'éthique stoïcienne : « [Ils] divisent la partie éthique de la philosophie en plusieurs lieux : de l'impulsion, des biens et des maux, des passions, de la vertu, de la fin, de la valeur première et des actions, des fonctions propres, de ce qu'il faut conseiller et ce qu'il faut déconseiller. » (Diogène Laërce, VII, 84). Diogène indique que cette division n'appartient pas au stoïcisme le plus ancien (Zénon de Kition et Cléanthe qui en ont traité, selon lui, de manière plus simple), mais à Chrysippe, Apollodore, Posidonios, etc. Sénèque (Lettres, 89, 14) nous apprend une tripartition de l'éthique stoïcienne : « [...] vient en premier la valeur que tu attribues à chaque chose, en second l'impulsion, ordonnée et mesurée, que tu as vers les choses, en troisième la réalisation d'une convenance entre ton impulsion et ton acte, de façon qu'en toutes ces occasions tu sois en accord avec toi-même. » Épictète indique trois sujets de l'éthique (Entretiens, III, 2), mais qui se rapportent aux exercices que l'on doit suivre pour devenir homme de bien : les désirs et les aversions : ne pas manquer ce que l'on désire, ne pas tomber sur l'objet de l'aversion ; les impulsions et les répulsions, i.e. ce qui concerne la fonction propre (agir avec ordre, raisonnablement et sans négligence) ; éviter l'erreur et la précipitation, i.e. ce qui concerne l'assentiment. Le bien Les premiers biens sont la santé, le bien-être et tout ce qui peut nous être utile. Mais ce ne sont pas des biens au sens absolu. Le bien absolu se suffit à lui-même, il est le suprêmement utile. Il est découvert rationnellement par notre assentiment spontané à nos inclinations. Et c'est en considérant la nature universelle, en saisissant la volonté de la nature totale à se conserver que l'on comprend le bien comme raison universelle. La vertu Pour les Stoïciens, vertu et bien sont identiques. La vertu est désirable pour elle-même et est parfaite : elle est donc atteinte d'un coup, d'une manière complète, i. e. avec toutes ses parties. Ses parties sont, selon Zénon de Citium, des aspects d'une vertu fondamentale, la prudence. Qui a une vertu, les a toutes. Les passions Mais les inclinations naturelles se pervertissent, sous l'influence du milieu social, et troublent l'âme : ce sont les passions. Pourtant, si l'âme est rationnelle, toute inclination n'est possible que si elle reçoit l'assentiment de la raison. Comment expliquer les passions ? La passion est une raison irrationnelle, un jugement qui nous dépossède de notre maîtrise : l'habitude et l'éducation nous persuadent par exemple que toute douleur est un mal. Mais ressentir la douleur physique et en éprouver de la peine (mal moral) sont deux choses différentes. Ainsi le stoïcisme montre que les passions sont de mauvaises raisons de croire. L'opposition radicale entre raison et passions qu'on lui attribue n'est donc pas exacte : si les passions sont mauvaises, ce n'est pas en tant qu'elles sont différentes par nature de la raison, mais parce qu'elles sont plutôt des raisons égarées ; à l'inverse, la raison peut-être vue comme une passion droite. Finalité de l'éthique [modifier] La morale stoïcienne peut donc se résumer ainsi : le fondement de la vie morale, c'est la vie des instincts, qui nous font agir suivant l'utile ; la fin de cette morale, c'est de vivre par des choix conformes à la raison universelle : vivre en suivant la nature, puisque tout arrive par la raison universelle. Le sage [modifier] Il n'y a pas de nuance entre la perfection du sage et le caractère insensé de la vie de tous les hommes. On peut donc dire que le stoïcisme recherche une transformation de l'homme dans sa totalité : un homme purement rationnel, non pas parce que ses passions seraient éteintes, mais parce qu'elles seraient elles-mêmes raison. Influence du stoïcisme [modifier] L'influence du stoïcisme sur les cultures grecque et romaine est considérable, rares furent les penseurs antiques à ne pas critiquer cette doctrine. Cette influence continua même après la conversion de l'Occident au christianisme, certains monastères ayant ainsi érigé le manuel d'Épictète, quelque peu modifié, en règles intérieures.Le stoïcisme se perpétua aussi à travers des philosophes français tel Pascal ou, plus proche de nous, Émile Bréhier. Principales périodes du stoïcisme [modifier] Ancien stoïcisme (Zénon de Kition, le fondateur, Cléanthe, Chrysippe,...) Moyen stoïcisme (Panétius, Posidonius...) Stoïcisme impérial (Sénèque, Epictète, Marc Aurèle,...)