Mais, déjà avec le marxisme, nous sommes passes de la perspective “culturaliste” à la perspective “socio-
logique” qui va maintenant nous arrêter.
2 Situation actuelle du problème : la perspective sociologique.
Malgré tous ces progrès, le “culturalisme” nord-américain ne pouvait satisfaire les es prits euro-
péens, et l'apport de l'Europe (I'Europe de la sociologie ou de l'anthropologie sociale tournée vers l'an-
thropologie culturelle) à la clarification des problèmes de l'acculturation nous paraît considérable: il ne
tend à rien de moins qu'à une révision de tout le système théorique élaboré en grande partie d'abord en
Amérique.
Certes il est indéniable que le culturel et le social peuvent se dissocier, et nous comprenons bien le
point de vue américain, car ces dissociations ont été découvertes surtout dans les ethnies indiennes.
Ces faits incontestables dépendent cependant, en dernière analyse, des situations dans lesquelles les
contacts s'établissent, et avec l'apparition de cette nouvelle variable les situations sociales de contact, la
sociologie va rompre le cercle enchanté du culturalisme. Balandier en France, Gluckman en Angleterre, en
parlant de la situation coloniale, n'ont pas été sans doute les premiers à employer l'expression et à souli-
gner le fait; on la trouve chez Herskovits et nous avons noté que le type des relations, amicales ou hos-
tiles, était une des variables données dans le Memorandum - mais ce n'était qu'une “variable”, alors que
Balandier ou Gluckman vont en faire le ressort dernier d'explica tion: “Quand, procédant de manière uni-
latérale, elle [I'anthropologie culturelle] décèle les processus de changement par rapport au seul fonds tra-
ditionnel [ou “primitlf”], elle ne peut guère que les énumérer et les classer; de même, lorsqu'elle se limi-
te à l'étude du “contact” entre “institutions” de meme nature... s” (Balandier 1963).
Et, abordant alors les notions de “situation” et de “phénomène social total”, ce sociologue conclut:
“Dans le cas de l'Afrique noire, société noire et société blanche participent à un meme ensemble [c'est nous
qui soulignons]. Le contact et ses effets ne peuvent être compris qu'à la condition d'être replacés dans des
“ensembles”, c'est-à-dire dans les totalités sociales qui les encadrent, les orientent et les unifient”.
En même temps que l'anthropologie culturelle établissait la série ordonnée de ces concepts, depuis
le conflit jusqu'à l'assimilation, la sociologie nord-américaine établissait à son tour une série de concepts
qui se trouvent être - dans le domaine de la société au lieu de l'être dans celui de la culture parallèles aux
premiers: ceux de compétition d'accommodation et d'intégration sociales.
La compétition entre les groupes peut être écologique, économique ou sociale et morale.
L ' a c c o m m o d a t i o n définit le processus par lequel les individus ou les groupes s'ajustent à une situation de conflit,
par exemple par l'institutionnalisation de la ségrégation raciale, ou le régime des castes, ou encore la réglementa-
tion de la division du travail social, mais l'accommodation ne peut porter que sur de ajustements externes.
L'intégration consiste, par la miscégénation entre les races, par un système unique d'éducation, ou par d'autre
mesures, à forg e r, avec des ethnies ou de groupes d i fférents, une nation commune tous.
Il apparaît clairement que la compétition joue pour les interrelations entre groupes, le même rôle que
le conflit, résistance, la contre-acculturahon pour le contacts culturels; l'accommodation rejoint le syncré-
tisme, et l'intégration nous évoque l'assimilation culturelle.
Cependant la sociologie nord-américaine tend à séparer nettement les deux ordres de phénomènes
I'intégration, en effet, peut - et même doit - se réaliser en conservant la diversité des mentalités culturelles,
il s'agit seulemcnt de faire en sorte qu'elles contribuent toutes à des fins communes: la prospérité et la gran-
deur de la nation.
Une pareille dichotomie est-elle possible ? Qu'il existe une dialectique entre le culturel et le social,
cela est évident, et l'on peut voir les deux series de phénomènes se séparer parfois, il n'en reste pas moins
qu'il y a dialectique et que l'intégration, par exemple postule une assimilation préalable ou, si elle n'existe
pas encore, conduit à une homogé néisation des mentalités forgées par les cultures différentes en contact.
Mais dans cette dialectique, comme on le voit, le social joue le plus souvent le rôle de facteur cau-
sant (bien que le contraire puisse être parfois vrai, R. Bastide, 1960). C'est sur cette constatation que s'est
développée la perspective sociologique des phénomenes d'acculturation, qui se refuse à séparer ce qui est
uni, et envisage les contacts de civilisation comme des “phénomènes sociaux totaux”.
Il n'y a jamais en effet, nous l'avons dit, des cultures en contact, mais des individus, porteurs de cul-
tures différentes; cependant ces individus ne sont pas des êtres indépen dants, ils sont en interrelation