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Psychiatrie en Afrique Noire
et contexte socio-culturel
Collection Santé, Sociétés et Cultures
dirigée par Jean Nadal
Peut-on être à l'écoute de la souffrance, en comprendre les racines et y
apporter des remèdes, hors d'un champ culturel et linguistique, d'un
imaginaire social, des mythes et des rituels?
Qu'en est-il alors du concept d'inconscient?
Pour répondre à ces questions, la collection Santé, Sociétés et Cultures
propose documents, témoignages et analyses qui se veulent être au plus
près de la recherche et de la confrontation interdisciplinaire.
Dernières parutions
Psychopathologie de la Côte d'Ivoire, D. TCHECHE.
La perception quotidienne de la santé et de la maladie, FLICKUWE.
Le père oblitéré, L. LESEL.
La démiurgie dans les sports et la danse, N. MmoL.
Sujet, parole et exclusion, F. POCHÉ.
L'interculturel
de la psychosociologie
à la psychologie
clinique,
D.PAQUETIE.
Clinique de la reconstruction;
une expérience avec des réfugiés en exYougoslavie, A. CHAUVENET,V. DESPRET,J-M. LEMAIRE.
Yo Garéï, G. DORIVAL.
Communication et expression des affects dans la démence de type Alzheimer par la musicothérapie, S.OGAY.
Adoption et culture:de la filiation à l'affiliation ~ous la direction de S.
DAHOUN.'
Thérapie familiale et contextes socioculturels en Afriqu~ Noire, G. DIMY
TCHETCHE.
Psychiatrie en Afrique, l'expérience camerounaise, Léon FODZO.
Santé, jeunesse et société. La prise en charge des jeunes 18-25 ans au
sein d'un Service de Prévention à l'hôpital, B. N. RICHARD.
L'OMS: bateau ivre de la santé publique, Bertrand DEVEAUD,Bertrand
LEMENNICIER.
Médecine des philosophies et philosophie médicale, J CHAZAUD.
Pour une clinique de la douleur psychique, M. BERTRAND.
L'adolescence en créations. Entre expression et thérapie, J.L. SUDRES,
P. MORON.
@ L'Harmattan,
ISBN:
1998
2-7384-6391-6
Georges DIMY TCHETCHE
Psychiatrie en Afrique Noire
et contexte socio-culturel
L'Harmattan
5-7, rue de l'École Polytechnique
75005 Paris - FRANCE
-
L 'Harmattan
Inc.
55, rue Saint-Jacques
Montréal (Qc) - CANADA H2Y lK9
PREMIERE
PARTIE
Introduction
SCHIZOPHRENIE
ET DESINTEGRATION
FAMIUALE
Le choix des schizophrènes n'est pas dû au hasard.
1) Le problème de la schizophrénie est un des plus irritants qui soit en psychiatrie transculturelle.
Malgré des arguments qui ailleurs paraîtraient indiscutables, on hésite toujours à qualifier un malade de schizophrène.
Nous situons ce malaise nosologique à l'intérieur de la
classification française, que nous ne discuterons pas ici 4 .
Que ce soit au niveau du symptôme, de la structure, de la
qualité du contact, de la relation vécue..., l'hésitation est souvent grande. L'adaptation aux contenus nosologiques occidentaux et de leur contenu aux faits que nous pouvons
observer dans une culture si différente s'avère très malaisée,
particulièrement en ce qui concerne la schi~ophrénie.
Même après un premier ajustement des symptômes aux
représentations traditionnelles de la maladie mentale (représentations qui sont aussi des mises en forme), il persiste souvent une insatisfaction.
Cette insatisfaction nous conduit alors à chercher dans
l'entourage du malade une certitude à notre diagnostic. Il ne
s'agit pas exactement de confronter notre diagnostic avec
celui de la famille ou du groupe, encore qu'une attitude particulière semble caractéristique dans les relations avec le schizophrène : l'être seul par excellence; mais le comportement du
malade dans sa famille, ses relations avec les autres dans son
cadre familier, la façon dont les autres le perçoivent, interprètent sa maladie.., sont autant de "symptômes" qui complètent
Introduction
ou corrigent ceux observés à l'hôpital.
En étudiant ces quinze familles, il serait peut-être possible, après une observation
de quelques heures ou de
quelques heures ou de quelques jours dans le milieu familial
même, de remettre en question le diagnostic de schizophrénie
dans certains casS
2) La plupart des malades sont suivis depuis plusieurs
années au Centre Hospitalier. Cela signifie que des relations
existaient déjà avant notre enquête entre les médecins ou psychologues et un ou plusieurs membres de la famille. Dans certains cas, il y avait déjà une histoire de visites à domicile, de
quête d'informations dans le milieu familial ou dans le groupe social dont faisait partie la famille.
Cette relation motivée par notre demande d'informations
et alimentée par la réponse de la famille ou sa propre demande facilitait de nouvelles rencontres, mais en même temps
orientait la qualité des échanges et la qualité de l'observation.
Il conviendra d'en tenir compte dans la critique méthodologique.
3) Un dernier facteur qui est intervenu dans notre choix
tient, pour une part, à l'essence de la schizophrénie, expression privilégiée de la folie, dans toutes les cultures, et, pour
une autre part, à des hypothèses déjà formulées ailleurs6 sur
les racines culturelles et sociales de la schizophrénie. Dans ces
hypothèses, la schizophrénie serait l'expression d'une mauvaise intégration familiale au niveau de l'organisation
indivi,',
duelle.
Cette formulation, trop générale, dolt être précisée dans le
cadre socio-cultuel Africain :
a) Si la pathologie mentale est davantage une réponse à
un environnement
qui désorganise ici-maintenant,
qu'une
actualisation d'une structure pathologique mise en place dans
les premières années de l'histoire individuelle, la schizophrénie, pour répondre à ce modèle, sera surtout l'expression d'un
désordre de l'environnement familial actuel.
b) La famille africaine traditionnelle est soumise à des
pressions nées des changements sociaux rapides qui sont
aussi des forces de désintégration
plus que des forces de
transformation vers de nouvelles formes mieux adaptées au
10
Introduction
monde moderne.
Ces deux remarques complémentaires
situent mieux
notre hypothèse: la schizophrénie devrait apparaître surtout
comme une conséquence des changèments sociaux rapides
sur une société jusqu'ici déterminée par la tradition. Elle serait
une forme pathologique en expansion, par rapport à d'autres,
davantage
caractéristiques
des sociétés traditionnelles,
comme les bouffées délirantes.
DÉLIMITATION
DES OBJECTIFS
ET MÉTHODOLOGIE
GÉNÉRALE
1) Notre objectif visait une information et non pas une
action thérapeutique de la famille. Nous avons délibérément
choisi de ne pas intervenir, mais d'observer et de nous informer.
Cette position est justifiée par la difficulté de l'entreprise
thérapeutique dans les conditions qui sont les vôtres. La différence culturelle interdit de proposer des conduites nécessairement inspirées d'un autre système de valeurs, d'entrer dans
une relation dont vous n'êtes pas en mesure de contrôler
l'évolution.
Le médecin n'a pas le détachement de l'ethnologue. Il est
habitué à traiter et à vouloir guérir; la préoccupation thérapeutique latente s'exprime parfois dans son comportement,
de façon plus ou moins évidente.
De toute façon, quelque chose se passe que nous percevons mal et que nous ne pouvons utiliser, 'diriger, maîtriser. Il
serait souhaitable de pouvoir mesurer ce que qlobilise le passage du groupe enquêteur dans le réseau des relations familiales et dans les rapports de la famille avec le village, ce qui
reste après ce passage et qui peut avoir un effet bénéfique ou
non.
Le groupe enquêteur vient de l'hôpital où est traité, confié
ou déposé le malade. Il participe nécessairement aux circuits
qui concernent le malade et sa famille. La vitalité de ces circuits, en ce qui concerne le shizophrène,
est discutable,
puisque celui-ci est très souvent frappé d'exclusion. Dans les
formules de politesse, qui remercient, y a-t-il trace d'un lien
que le groupe enquêteur rétablit ou renforce par sa présence
11
Introduction
et ses questions entre la fanùlle et le malade ?7 . Il est difficile
de répondre.
2) Ce qui est surtout repéré, au cours des interviews,
concerne:
- les évènements importants de l'histoire individuelle,
tout d'abord;
- les conflits au niveau de la relation inter-individuelle
(entre générations, époux et co-épouses, frères) et les relations
privilégiées;
- les conflits entre lignées;
- l'effet des changements sociaux sur le déterminisme des
relations et l'intégration individuelle (islamisation et relation
traditionnelle, modernisation et attachement aux traditions,
conflits vécus soit entre lignées, individus, soit au niveau personnel);
-l'organisation de la famille en tant qu'institution.
Le temps passé dans chaque famille ne permet pas d'éviter toujours la question directe. Cependant, il faut souligner
que bien souvent l'information utile se révèle à propos des
discussions libres sur des thèmes très éloignés de nos préoccupations. On ne peut s'empêcher ici d'évoquer la libre association de la technique psychanalytique.
Il faudrait alors
disposer de beaucoup plus de temps, écouter patiemment,
déplacer sa propre curiosité et son intérêt, c'est-à-dire établir
une relation plus profonde pour une meilleure connaissance
et une meilleure analyse des conflits, des modèles intégrateurs, des possibilités d'intégration individuelle.
3) Notre demande procédait à la fois d'UJl souci obsessionnel d'exhaustivité et d'une orientation. (à la recherche de
système explicatifs pour fonder une hypothèse).
Elle était par ailleurs servie par une méthode dont l'adéquation à l'objet est loin d'être au point.
Le parti pris d'oublier le malade pour étudier la famille, y
déceler éventuellement
une maladie de la famille (famille
pathologique) ou une organisation pathogène (famille pathogène), n'a pas été suffisant pour opérer une véritable décentration.
Cette décentration n'a guère été possible:
a) parce que l'étude de la famille requiert d'autres disci12
Introduction
plines que le milieu occidental.
Elle a eu cependant un effet. C'est qu'à vouloir oublier
trop le malade, nous perdions peut-être quelque chose d'essentiel, à savoir le reflet, dans son comportement et son délire,
de cette désintégration cherchée au niveau de la famille et du
groupe.
b) l'étude de la famille se heurte aussi à cette difficulté,
déjà soulignée: c'est qu'il n'existe aucun modèle satisfaisant,
qui pourrait servir de référence. Le phénomène est trop complexe, participe de trop de contradictions pour être enfermé
dans un modèle simple.
Le modèle opératoire est encore à définir ou a construire.
En s'inspirant
de l'enseignement
de M. MAUSS et de sa
conception des "faits sociaux totaux", comme suggère pour la
maladie mentale R. BASTIDE (1967)9, un tel modèle comporterait trois étapes:
la considération des secteurs ou des niveaux, suivant le
cas, par une discipline particulière (chaque secteur ou niveau
ayant sa structure, sa loi, et surtout ses méthodes d'étude);
. l'établissement de la liaison et des rapports entre ces
secteurs ou niveaux;
. enfin, en suivant les lois de ces enchaînements,
la
reconstitution du fait total dans sa globalité.
Par exemple, il serait possible d'envisager, pour ce qui
nous concerne:
a) l'étude du comportement familial selon les niveaux
d'analyse du déterminisme des relations êntre les individus:
niveau psychosomatique, niveau culturel (syst~me de valeurs
et de représentations en particulier), niveau psycho-sociologique (la distribution de l'autorité, les échanges de biens, les
circuits d'information, etc...);
b) l'intégration, ou la non-intégration chez l'individu, des
contradictions issues de ces déterminismes (intégration psychosomatique consciente, morale), les modèles d'intégration;
c) la pression exercée par les autres (institutions religieuses, politiques, sociales) et par la société globale sur la
famille en tant qu'institution.
Ces suggestions,
inspirées
aussi de Ph. GARIGUE
(1967)10 , n'épuisent pas le fait social total. Elles soulignent
.
13
Introduction
simplement notre embarras à construire le modèle idéal.
Si lion ajoute à ce qui a été dit l'ambiguïté
de notre
demande, l'absence de modèle de référence, la qualité discutable de l'instrument (médecins et psychologues, avec la formulation de leur demande sous forme d'interviews plus ou
moins exigeants et avides...), on comprendra que le résultat
ne soit pas très satisfaisant.
Cependant, une masse de faits a été recueillie, faits qui ne
sont pas sans intérêt: une meilleure connaissance du milieu à
été acquise, connaissance
empirique, et vécue, plus que
découpage en signifiants et repérage des structures; des
méthodes ont été expérimentées, et un projet plus clair peut
être envisagé par le futur.
En ce qui concerne LES SOURCES de notre documentation, elles sont diverses. Notre séjour en Côte d'Ivoire et au
Sénégal nous donnait l'occasion de visiter les secteurs de la
Santé Publique. A Abidjan, nous avons trouvé une importante documentation
relative à la période coloniale, à la
Bibliothèque
Nationale d'Abidjan; de même, au Centre
Hospitalier de Fann, à Dakar, où le Professeur Henri COLLOMB (1913-1979) a mis différents services au point dont on
ne saurait trop apprécier la qualité, ni la contribution qu'il a
apportée au peuple Sénégalais et même à l'Afrique entière. Le
compte-rendu de ces cas a été l'objet de notre visite dans ces
Centres.
Au sujet du Professeur COLLOMB, pionnier de l'ethno
psychiatrie, qui aura parqué la psychiatrie française, et celle
du tiers-monde, d'une empreinte profonde"le
Professeur
MAZERA écrit dans Le Monde du Mercredi 31 Octobre 1979,
. P.17:
"Pour un temps encore, la folie sera acceptée en Afrique,
la colonisation nia pas réussi le silence en professant ses
modèles asilaires. Mais les changements sociaux opèrent une
destruction plus radicale des valeurs du passé. Le fou commence à clamer son appel et sa souffrance dans un espace
vide de toute communication, où l'homme est désormais seul
avec lui-même.
Nous avons eu par contre beaucoup de mal à obtenir l'autorisation de consulter les archives, bien que le Ministre, Jean14
Introduction
Baptiste MOKE, et son successeur, aient donné leur accord.
Nous avons travaillé dans des conditions matérielles difficiles, le manque de matériel ne permettant pas à l'équipe,
douée de bonne volonté, de travailler avec efficacité. Nous
avons fait appel, là où cela était possible, à la situation vécue,
et c'est le cas des différents exemples cités.
15
CHAPITRE
I
L'acculturation
L'histoire des changements culturels ou de la dynamique
culturelle a été l'un des premiers domaines de réflexion de
l'anthropologie du IXèmesiècle.
En fait, les études portant sur la dimension temporelle des
phénomènes de culture sont aussi anciennes que l'anthropologie elle-même. Mais, paradoxalement, ce champ théorique et
méthodologie restera faible et mal intégré, durant une très
longue période.
Ce n'est qu'après 1930 que sera tentée la définition systématique de l'ensemble des problèmes relevant des contacts
culturels et de l'acculturation.
mSTORlQUE
La théorie de l'acculturation a subi des fluctuations, liées à
la fois aux changements du contexte hi~torique et sociologique qui servait de cadre à la réflexion des chercheurs, et au
développement
des diverses
branches
des Sciences
Humaines.
Nées aux alentours de 1910 aux Etats-Unis du besoin fondamental de résoudre le problème de "l'américanisation des
immigrants", les recherches portant sur les phénomènes de
contacts culturels mettront, selon l'expression de LINTONI0,
les sciences de l'homme" au service de la colonisation". La fin
poursuivie par ces travaux est, non pas la préservation de
l'originalité des groupes humains en présence, mais la découverte des mécanismes su&ceptibles de favoriser une assimilation rapide et une efficace diffusion des valeurs occidentales.
Dès lors, les Américains centrent leurs recherches sur les
L'acculturation
problèmes de diffusion.
Ils postulent qu'une même culture peut se diffuser dans
des sociétés différentes, de telle sorte que la structure de la
société réceptrice n'aurait aucune importance et l'approche
sociologique aucun intérêt.
LeS études sur l'assimilation envisagent, jusqu'en 1930, le
contact culturel comme un processus unilatéral d'absorption.
Les chercheurs anglo-saxons, bien que guidés au départ
par des considérations d'ordre pratique (telle l'adaptation de
la main d'oeuvre étrangère) furent, dès l'abord, confrontés à
des problèmes d'ordre sociologique.
Il n'était pas question de la difficile création d'un consensus culturel, mais des rapports d'une société différente.
Moins impliqués par les phénomènes qu'ils se proposaient d'étudier, ils optèrent, très tôt, pour l'anthropologie
sociale.
La France restera longtemps en marge des grands courants anthropologiques. C'est MAUSS qui donnera à l'anthropologie ses lettres de noblesse, en même temps que son
caractère autonome.
Les impératifs
pratiques
qui avaient conduit
les
Américains et les Britanniques à concilier recherches sur le
terrain et réflexion théorique n'existaient pas. Le moteur initial (les problèmes à l'intérieur même du pays) était absent.
Jusqu'à la Seconde Guerre Mondiale, le clivage sera profond
entre les chercheurs sur le terrain, méthodologiquement
mal
armés, et les théoriciens de cabinet. En 1937, R.H. LOWIE
pouvait écrire, à propos du domaine français : "Quant aux
spécialistes formés à l'observation sur le terrain, jusqu'à tout
récemment, il n'yen avait aucunll".
La crise de 1929 avait amené les tenants des Sciences
Humaines, aux Etats-Unis et en Grande Bretagne, à porter un
autre regard sur des sociétés bouleversées.
L'intérêt soulevé par les questions de contact culturel se
trouve stimulé par l'importance des contacts raciaux et culturels dans le monde moderne, liés en particulier à la colonisation.
Le terme d'acculturation
(ad., passage; culturation)
triomphe de celui de "contact culturel" proposé par les
18
L'acculturation
Anglais, qui désigne à la fois la condition nécessaire pour que
les échanges se produisent et le processus de leur production.
Il s'agit désormais d'étudier, dans une perspective dynamique, la totalité des phénomènes compris dans le contact
humain, les relations entre institutions, les rapports entre les
groupes et les interprétations de civilisations dans leur réalité
temporelle.
Plus ou moins conscients des erreurs de l'empirisme de
l'époque précédente, les théoriciens nord-américains
tenteront, à partir des années 30, de repenser les phénomènes
d'" accul tura tion" .
Leur démarche les conduira à remettre en question la
notion d'unilatéralité des changements issus du contact.
Dans le Mémorandum sur l'acculturation, réalisé en 1936
par HERSKOVITS, LINTON et REDFIELD, l'acculturation est
définie ainsi:
"..l'ensemble des phénomènes qui résultent de ce que les
groupes d'individus de cultures différentes entrent en contact
continu et direct, avec les changements qui surviennent dans
les patrons culturels, originaux, de l'un ou l'autre des deux
groupes. Selon cette définition, l'acculturation doit être distinguée du changement culturel, dont elle n'est qu'un aspect, et
de l'assimilation, qui n'en est qu'une de ses phases. Elle doit
être également différenciée de la diffusion qui, bien que se
produisant dans tous les cas d'acculturation, peut non seulement se produire sans qu'il y ait contact de groupes, mais
encore qui ne constitue qu'un des aspeds
du processus de
.
l'acculturation12".
.
Les monographies se multiplient, accumulant une série de
données, malheureusement
pas toujours comparables. Les
types de contacts sont classés suivant leur modalité; contacts
entre populations
entières ou entre groupes déterminés;
contacts entre civilisations relativement homogènes ou hétérogènes.
L'importance des situations sociales à l'intérieur desquelles joue l'acculturation
est mis en lumière: climat de
domination ou climat de liberté politique ou économique. De
nouveaux concepts sont élaborés: solution des traits culturels, assimilation, acceptation, adaptation; syncrétisme, ré19
L'acculturation
interprétation, réaction, contre acculturation, acculturation
antagoniste, acculturation contrôlée.
On assiste à la création de nouvelles méthodes et techniques d'approche. HERSKOVITS introduit, avec la notion de
"conditions de contact", l'utilisation de documents historiques13.
REDFIELD14 substitue la dimension spatiale à la dimension temporelle. Il cherche à rendre compte de la dimension
diachronique des processus d'acculturation selon un ordre
synchronique.
Un peu plus tard, seront systématisées
les méthodes
quantitatives et comparatives.
Bien qu'ayant gagné en rigueur, l'étude de l'acculturation
est restée influencée aux Etats-Unis par le contexte historicosociologique qui avait favorisé son essor.
Les difficultés méthodologiques, la négation de l'histoire,
s'enracinent dans un contexte idéologique.
Ainsi, MALINOWSKI,
dans son Introduction
aux
"Méthods of Culture Contact in Africa"15 , affirme clairement
sa volonté d'étudier les sociétés telles qu'elles existent.
Il met en garde contre le risque d'une" approche unilatéraIe". Il distingue trois réalités distinctes en présence: la culture Africaine, la société Occidentale, et celle qui naît du
contact, qui ont chacune leur propre déterminisme. Mais, bien
qu'il reconnaisse le principe de leur interdépendance,
HIes
traite en réalité d'une manière séparée.
Pour lui, la référence à l'histoire est in'1.Üile,et même dangereuse.
L'observation de la réalité actuelle doit suffire au chercheur, engagé dans l'étude des contacts culturels. Les institutions conservées fonctionnent dans le contexte nouveau d'une
manière différente à celle de l'ancien système.
Ce sont davantage les données comparatives que les données historiques incertaines que doit rechercher le spécialiste
attaché à de tels problèmes.
Or, l'acculturation suppose en réalité la discussion temporelle.
Certes, la documentation fait souvent défaut, mais le refus
systématique de l'histoire tient surtout au clivage postulé
20
L'acculturation
entre culture et société.
Participant d'une société intimement convaincue de sa
supériorité, les chercheurs nord-américains ont élaboré une
théorie culturaliste, séparant le culturel et le social, en se donnant pour justification le fait que les sociétés sont aptes à supporter
des changements
profonds
de culture,
sans
modification de structure. Les cultures peuvent passer d'une
société à l'autre et l'acculturation est l'étude de ces passages
de sociétés urbaines à communautés rurales, de sociétés capitalistes à sociétés de prestation et de contre-prestation.
Dès lors, l'histoire s'avère effectivement inutile.
Par ailleurs, en faisant de la société un élément de la culture globale, le culturalisme rend impossible l'analyse dialectique indispensable
à la compréhension
des processus
d'acculturation.
La conscience même de la coloration ethnocentrique de
leurs positions théoriques n'était pas suffisante pour libérer
les Américains de leur conditionnement idéologique.
Pourtant, MALINOWSKI lui-même en était averti, qui
écrivait, dans la préface du livre de F. ORTIZ: Le concept
d'acculturation "implique par la préposition "ad" qui l'ouvre,
le concept de terminus ad quem. L'homme inculte doit recevoir les bénéfices de notre culture; c'est lui qui doit
changer
.
pour se convertir en l'un de nous16".
Le contexte sociologique qui a dQnné naissance à ces travaux aura une autre conséquence tout aussi grave: le psychologisme.'
R. BASTIDE17 écrit: "C'est surtout en Amérique que ce
psychologisme se fait jour, et ce fait n'est pas dû seulement,
croyons-nous, à la tendance nominaliste de la sociologie en ce
pays". C'est que la rencontre des civilisations sont faites, soit
aux Etats-Unis, sous la forme pathologique de l'explosion des
cultures indigènes, soit pour les cultures importées, sous la
forme de l'esclavage; or, dans les deux cas, les structures
sociales étaient brisées, les relations sociales ramenées à une
poussière de relations inter-humaines. Le sociologique faisait
place au psychologisme.
Partie d'un point de vue ethnocentrique, l'anthropologie
culturelle tend progressivement à s'en dégager. Elle substitue
21
L'acculturation
le terme de "changement culturel" à celui dl" acculturation".
Elle introduit dans son système de référence de concept de
"tendance culturelle" qu'elle emprunte à la linguistique par
l'intermédiaire de SAPIR, et qui montre comment la sélection
des traits de la culture donneuse par la culture réceptrice s'organise selon une direction déterminée, en suivant la pente
que fixe la culture réceptrice elle-même. Il n'en demeure pas
moins que l'absence de séparation entre société et culture
amène la plupart des concepts utilisés à être inopérants.
Peut-être parce que, en Grande Bretagne, les problèmes
posés par les contacts culturels avaient une résonance moins
profonde (relations avec une main d'oeuvre étrangère d'une
part, lointaines colonies de l'autre), les Britanniques ont, dès
le début du XXème siècle, choisi l'option sociologique et délibérément mis entre parenthèses l'option culturaliste.
En fait, l'étude du fonctionnement des sociétés dans le
cadre Britannique, loin de desservir la société Anglaise, pouvait
lui permettre d'asseoir son influence politique plus solidement
dans le cadre de l'empire. RADCLIFFE-BROWN, commente
MERCIER, dans son "Histoire de l'Anthropologie"18 est un de
ceux qui conduiront à cette" désaffection vis-à-vis du concept
de culture" qui caractérise tout un secteur de l'anthropologie
moderne, désaffection qui repose sur "la conviction que le
comportement humain peut être mieux structuré en terme d'interactions, celles-ci étant plutôt considérées entre des populations qu'entre des individus ou des éléments de culture19" .
Les grandes notions-clefs de l'oeuvre de RADCLIFFEBROWN sont celles de fonction et de structure. Pour cet
auteur, la fonction d'un élément socio-culturel est "le rôle
qu'il joue dans la vie sociale en tant que totalité et, par conséquent, la contribution qu'il apporte au maintien de la continuité culturelle". La structure" manifeste les caractéristiques
d'un système. Elle est faite de plusieurs éléments dont aucun
ne peut subir un changement sans que des changements
interviennent dans tous les autres éléments20" .
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