Témoignages
«Etais-je encore une femme?»
«Personne d’autre que
soi ne connaît son
corps aussi bien. Moi,
quand j’ai trouvé une boule dou-
loureuse dans mon sein droit,
j’ai trouvé ça bizarre. Mais mon
gynécologue de l’époque pensait
que c’était un kyste graisseux. Il
était hyper-rassurant: «Vous êtes
beaucoup trop jeune pour que
ce soit un cancer. D’autant que
c’est douloureux et les tumeurs
sont indolores.» Pour être sûr,
on a quand même fait un ultra-
son et une mammographie.
Rien à signaler. Il a fallu plus
d’une année et une poignée de
mammographies pour qu’enfin,
en 2003, mon gynéco, excédé
par mon insistance, m’envoie au
CHUV pour un ultime examen.
A l’ultrason, le technicien a dit:
«Allez me chercher un kit de
biopsie.» J’ai tout de suite com-
pris. Je me souviendrai toute ma
vie du 3 juin 2003. Je taillais les
rosiers dans mon jardin quand
les résultats des analyses sont
arrivés.»
Un corPs asymétriqUe
«Autour de moi, mes proches
ont été satellisés par la nou-
velle. Moi, j’étais focalisée sur
ce qu’il fallait faire, sur l’action.
D’ailleurs, tout s’est enchaîné
très vite. Analyses, opération,
sept séances de chimiothérapie,
33 séances de rayons. Quand on
se réveille de la mastectomie avec
un sein en moins, à 28 ans, on se
demande si on est toujours une
femme complète. On a un corps
asymétrique. D’un côté, celui
d’une femme de bientôt 30 ans,
de l’autre, celui d’une enfant de
8 ans. Je ne portais plus que des
chemises amples. J’étais embar-
rassée par mon corps, j’avais
l’impression qu’on ne voyait
que cela. La première fois que
je suis allée dans un magasin de
lingerie spécialisée, je me suis
sentie vieille. Vous auriez vu les
soutien-gorges qu’ils proposent!
L’apparence, c’est important. J’ai
eu mon cancer l’été de la cani-
cule. Je n’ai pas mis de perruque,
mais des bandanas. Faire trop
fille, trop joli, à ce moment, ce
n’était pas possible. Pour mon
traitement, on m’a mis en méno-
pause artificielle. Plus de règles,
un bonus, mais en échange des
bouffées de chaleur. Et puis sur-
tout, même si je n’avais jamais
ressenti très fort l’envie d’avoir
des enfants, là, c’est la médecine
qui a décidé pour moi. Pas de
bébés avant cinq ans, au moins.
Et c’est cela aussi la maladie: on
n’est plus tout à fait maître de
son destin, de ses choix.
» Pendant les séances de chimio-
thérapie, vous ne croisez que
des malades, blafards, chauves.
On ressemble à des morts en
sursis. A ce moment, le soutien
des proches et des infirmières est
essentiel. Un copain a rasé mes
cheveux avant qu’ils ne tombent
tout seuls. Par solidarité, ma mère
a fumé des joints avec moi pour
lutter contre les nausées de la
chimio. Et j’ai beaucoup parlé.
Cela aussi, c’était thérapeutique.
» En 2004, j’ai fait recons-
truire mon sein. J’étais tellement
contente de revoir cette petite
bosse sur ma poitrine! Je me suis
mariée. Et un mois après mon
mariage je suis partie. Je n’avais
rien à reprocher à mon conjoint,
mais j’avais changé. Il était un
train régional, j’étais devenue
un TGV. Je voulais aller vite,
vivre vraiment. J’ai fait un grand
voyage à travers l’Afrique. Je me
suis mise à écouter beaucoup
plus mon instinct, mes envies.
Mon ex-mari, qui m’avait soute-
nue à travers toutes les épreuves
de la maladie, n’arrivait pas
à me voir comme quelqu’un
d’énergique, de vivant. Dans
ses yeux, j’étais restée une petite
chose fragile, à protéger. Moi,
je me sentais forte. Le cancer
était derrière moi. J’ai dragué
deux fois plus, un peu comme
un mec. Mon sein refait, ma
cicatrice faisaient plus peur aux
hommes qu’à moi. Mais, quand
j’ai rencontré Luc, mon mari
aujourd’hui, je cachais mon sein
derrière mon bras. C’est lui qui
m’a dit: «Il ne faut pas que tu
aies peur.» Son regard m’a libé-
rée. Aujourd’hui, il traite mes
deux seins pareil!» _
Peggy moreillon
36 ans, ambulancière,
cancer diagnostiqué
en 2003
C M Y K
62 L’ILLUSTRÉ 43/11
Peggy
Son médecin ne croyait
pas qu’elle avait un can-
cer. Il la trouvait parano.
Il a fallu près de deux
ans pour le convaincre.
Aujourd’hui, son sein est
reconstruit, elle aussi.