C M Y K
Oriane
Elle avait des cheveux roux
flamboyants et un corps qu’elle
aimait. Aujourd’hui, dernière
chimio avant les rayons, elle
apprivoise son nouveau reflet.
faire la paix a vec le cancer
témOignages Féminité, mutilation, materni: quatre fem mes racontent leur combat contre le cancer du sein.
«Jai découvert mon
cancer en tombant
d’une chaise. Je
me suis tapé le sein, j’y ai décou-
vert une boule. Je n’étais pas
très inquiète, j’avais eu des
kystes nins dans l’utérus. Je
craignais juste que la mammo-
graphie soit douloureuse. A l’ul-
trason, j’ai commen à stresser.
Le technicien était muet. Pas un
mot, rien. Puis il m’a dessi ce
qu’il voyait. Un cancer du sein.
Le choc! J’écoutais mais n’impri-
mais plus rien. On a pris rendez-
vous pour une IRM et une biop-
sie. J’étais dans un état second.
Dehors, les oiseaux chantaient
et je pensais: «Peut-être que je
vais mourir Ma famille et mes
amis étaient effondrés mais fan-
tastiques, mes collègues aussi.
«Prends du temps, va te soi-
gner», m’ont-ils dit.
» Parler de son sein en
public, c’est spécial. Un sein,
c’est un symbole de sensuali,
d’intimité. Comme les testicules
chez un homme, j’imagine. ,
la poitrine devient objet dical.
A la biopsie, l’aiguille qui rentre
dans la chair rend la maladie
concrète. Le médecin était
froid et distant, j’avais besoin
d’empathie, d’une main sur
mon épaule. J’ai trouvé cela au
CHUV, les soignants vivent
leur profession comme une
mission personnelle. Ils m’ont
incluse dans toutes lescisions,
notamment celle de faire une
tumorectomie et non une mas-
tectomie complète. Durant cette
riode, tout change! L’émotion
fait boguer le cerveau. On com-
prend tout lentement. Impos-
sible de se concentrer. Je suis
devenue hypersensible, action-
naire en kleenex. Je visualisais
mon armoire, vêtement serrés et
colles: importables. Dans la
rue, face à une femmes aux seins
rebondis, je pensais: «Pourquoi
moi et pas elle?» C’est terrible
ViVre en apesanteur
«La maladie a été une révélation.
J’ai accepter de remettre le
contrôle de mon corps à quel-
qu’un d’autre. Faire confiance,
me laisser piloter. Pour une li-
bataire forte et inpendante, ce
n’est pas si facile. On se sent à
poil, dans tous les sens du terme.
J’ai culpabili: par mon train
de vie ou mon alimentation,
me suis-je fait mon cancer? La
notion de temps change. On
est en apesanteur, en parallèle
de la vie active. Paradoxale-
ment, la maladie et notre san
deviennent le centre de toutes
les conversations. J’ai perdu
mes cheveux et mes poils mais,
heureusement, conser mes
sourcils et mes cils. J’appelle
ma perruque Madame. Avant,
j’aimais mon corps. J’avais de la
chance, j’étais mince naturelle-
ment, sportive. Aujourd’hui, je
ne me regarde plus vraiment. La
duction, les hommes, se sentir
belle dans un regard, ce sera
pour plus tard. Pour l’instant,
c’est une deuxme adolescence.
J’habite un corps qui n’est pas
tout à fait celui d’une femme.
Je dois réapprendre à m’ap-
privoiser. Accepter aussi que le
cancer a définitivement scellé
toute chance d’avoir un jour des
enfants _
«Je dois me
réapprivoiser»
Oriane seydOux 42 ans, trader,
cancer diagnostiq en 2011
C M Y K
L’ILLUSTRÉ 43/11 61
faire la paix a vec le cancer
témoignages Féminité, mutilation, materni: quatre fem mes racontent leur combat contre le cancer du sein.
Témoignages
«Etais-je encore une femme?»
«Personne dautre que
soi ne connt son
corps aussi bien. Moi,
quand j’ai trou une boule dou-
loureuse dans mon sein droit,
j’ai trou ça bizarre. Mais mon
gycologue de l’époque pensait
que c’était un kyste graisseux. Il
était hyper-rassurant: «Vous êtes
beaucoup trop jeune pour que
ce soit un cancer. D’autant que
c’est douloureux et les tumeurs
sont indolores.» Pour être r,
on a quand me fait un ultra-
son et une mammographie.
Rien à signaler. Il a fallu plus
d’une année et une poige de
mammographies pour quenfin,
en 2003, mon gyco, ex
par mon insistance, menvoie au
CHUV pour un ultime examen.
A l’ultrason, le technicien a dit:
«Allez me chercher un kit de
biopsie.» J’ai tout de suite com-
pris. Je me souviendrai toute ma
vie du 3 juin 2003. Je taillais les
rosiers dans mon jardin quand
les sultats des analyses sont
arrivés
Un corPs asymétriqUe
«Autour de moi, mes proches
ont é satellisés par la nou-
velle. Moi, j’étais focalie sur
ce qu’il fallait faire, sur l’action.
D’ailleurs, tout s’est enchaîné
très vite. Analyses, opération,
sept ances de chimiothérapie,
33ances de rayons. Quand on
seveille de la mastectomie avec
un sein en moins, à 28 ans, on se
demande si on est toujours une
femme complète. On a un corps
asymétrique. D’un côté, celui
d’une femme de bient 30 ans,
de l’autre, celui d’une enfant de
8 ans. Je ne portais plus que des
chemises amples. J’étais embar-
rassée par mon corps, j’avais
l’impression qu’on ne voyait
que cela. La première fois que
je suis allée dans un magasin de
lingerie spécialisée, je me suis
sentie vieille. Vous auriez vu les
soutien-gorges qu’ils proposent!
L’apparence, c’est important. J’ai
eu mon cancer l’été de la cani-
cule. Je n’ai pas mis de perruque,
mais des bandanas. Faire trop
fille, trop joli, à ce moment, ce
n’était pas possible. Pour mon
traitement, on m’a mis en no-
pause artificielle. Plus degles,
un bonus, mais en échange des
bouffées de chaleur. Et puis sur-
tout, même si je n’avais jamais
ressenti très fort l’envie d’avoir
des enfants, là, c’est la decine
qui a décidé pour moi. Pas de
bés avant cinq ans, au moins.
Et c’est cela aussi la maladie: on
n’est plus tout à fait maître de
son destin, de ses choix.
» Pendant les séances de chimio-
thérapie, vous ne croisez que
des malades, blafards, chauves.
On ressemble à des morts en
sursis. A ce moment, le soutien
des proches et des infirmières est
essentiel. Un copain a ra mes
cheveux avant qu’ils ne tombent
tout seuls. Par solidarité, ma mère
a fu des joints avec moi pour
lutter contre les nausées de la
chimio. Et j’ai beaucoup parlé.
Cela aussi, c’était thérapeutique.
» En 2004, j’ai fait recons-
truire mon sein. J’étais tellement
contente de revoir cette petite
bosse sur ma poitrine! Je me suis
mariée. Et un mois après mon
mariage je suis partie. Je n’avais
rien à reprocher à mon conjoint,
mais j’avais changé. Il était un
train régional, j’étais devenue
un TGV. Je voulais aller vite,
vivre vraiment. J’ai fait un grand
voyage à travers l’Afrique. Je me
suis mise à écouter beaucoup
plus mon instinct, mes envies.
Mon ex-mari, qui m’avait soute-
nue à travers toutes les épreuves
de la maladie, n’arrivait pas
à me voir comme quelqu’un
d’énergique, de vivant. Dans
ses yeux, j’étais restée une petite
chose fragile, à protéger. Moi,
je me sentais forte. Le cancer
était derrière moi. J’ai dragué
deux fois plus, un peu comme
un mec. Mon sein refait, ma
cicatrice faisaient plus peur aux
hommes qu’à moi. Mais, quand
j’ai rencontré Luc, mon mari
aujourd’hui, je cachais mon sein
derrière mon bras. C’est lui qui
m’a dit: «Il ne faut pas que tu
aies peur Son regard m’a libé-
rée. Aujourd’hui, il traite mes
deux seins pareil!» _
Peggy moreillon
36 ans, ambulancière,
cancer diagnostiq
en 2003
C M Y K
62 L’ILLUSTRÉ 43/11
Peggy
Sondecin ne croyait
pas quelle avait un can-
cer. Il la trouvait parano.
Il a fallu près de deux
ans pour le convaincre.
Aujourd’hui, son sein est
reconstruit, elle aussi.
«J’allaitais mon
troisième enfant
quand mon can-
cer a été diagnostiqué. J’avais
36 ans, deux enfants en bas
âge et un bébé de 6 mois. Les
examens qui ont suivis n’étaient
que des contraintes sur mon
emploi du temps de jeune mère.
Je me suis dit: «La barbe, ce
n’est franchement pas prati-
queLa nouvelle − «c’est pas
bon» − fut un vrai choc. Un
mélange d’émotions. J’ai réalisé
que je pouvais mourir. Que les
enfants avaient besoin de moi.
Que j’avais encore tant de cho-
ses à vivre, à faire. Surtout, je
me suis dit que c’était injuste.
» Mon sein, c’était la vie.
Je nourrissais mon bébé avec.
J’était à ce moment charnière
où je me réjouissais de devenir
à nouveau une femme et moins
une mère qui allaite. J’allais
redevenir féminine, et le méde-
cin voulait me couper un sein
pour enlever les trois tumeurs
qui s’y trouvaient! Paradoxale-
ment, avant la mastectomie, au
moment de m’endormir, je me
suis sentie presque soulagée. Les
probmes étaient entre les mains
des decins et plus entre les
miennes. Parce qu’un cancer avec
trois petits enfants, ce nest pas
qu’un combat contre la maladie.
C’est une intendance de fous,
un marathon. Il faut tout gérer:
les sacs des enfants, les dîners, les
modes de garde, les soins. Des
soucis ts concrets. Heureuse-
ment que nous avons eu le sou-
tien de toute notre famille.
» Au veil, j’avais une balafre
en zigzag sur la poitrine. Je me
suis sentie mutilée. Il n’y a plus
de pudeur. On est obsere par
des cohortes de médecins, avec
la sensation, parfois, de n’être
qu’un numéro. Je me sentais
comme dans la chanson d’Henri
s qui parle d’une machine
pleine de tuyaux, qui pète par
tous les bouts et quon rafistole.
Je n’étais pas du tout à l’aise
avec mon corps. Je me sentais
lourde, moche, chauve. J’ai
quand même pu me montrer à
mon mari. Durant cette période,
il a beaucoup pris sur lui, et
il a su me montrer que j’étais
encore désirable. Cela aussi,
ce n’est pas si facile à accepter.
Je mettais une perruque, les
enfants détestaient me voir le
crâne nu. La nuit, je dormais
avec un bonnet, j’avais tout le
temps froid.
» Quand ça a été ni, j’ai senti
que tout le monde était content
de passer à autre chose. On
attendait de moi que je reprenne
tout comme avant, mon le de
re, d’épouse. Je me suis sentie
un peu lâchée dans la nature,
primée sans savoir pourquoi.
On m’a reconstruit mon sein
en 2002. Redevenir symétrique,
quel bonheur!»
Pas de seins, un utérus
«Et puis, en 2005, boum, lors
d’un contle on me retrouve
une tumeur, dans le sein droit
cette fois! J’étais en rage: com-
ment était-ce possible que cela
recommence? J’ai pen que
j’allais à nouveau perdre mes che-
veux, j’étais furieuse. Je me suis
crue foutue: persuadée d’avoir
des tastases partout. Savoir
que le cancer était localisé dans le
sein fut un soulagement. Et puis
je savais ce que j’allais vivre, je
connaissais les étapes.
» Le cancer était hormo-
nodépendant: on m’a mise
en ménopause. Ils voulaient
m’ôter l’utérus: j’ai refusé.
Symboliquement, c’était ce qui
restait de ma féminité. Le plus
dur à gérer, c’est après. Tout le
monde me disait: «Tu verras,
on voit la vie différemment,
c’est un renouveau.» Moi,
j’étais au fond du trou, loin de
cette euphorie. J’ai eu besoin
d’une aide psychologique.
Pour faire avec les regards et les
attentes, aussi. Ceux qui disent
«Je ne veux surtout pas qu’on
m’en parle», comme si la parole
pouvait rendre le cancer conta-
gieux. Ou cette connaissance
qui s’est exclamée que j’avais de
la chance de m’être fait refaire
les seins, parce que je n’ai plus
besoin de soutien-gorge. Trop
du bol, effectivement!» _
«Mon sein, cétait la vie»
suzanne Balimann
48 ans, mère au foyer.
Cancer du sein gauche
diagnostiq en 2000,
cancer du sein droit
diagnostiq en 2005
C M Y K
L’ILLUSTRÉ 43/11 63
Suzanne
Elle a vaincu le cancer
de son sein gauche.
Puis celui de son sein
droit. Aujourd’hui, elle
dit: «La vie continue.»
Témoignages
«Ma mère est décé-
dée d’un cancer
du sein, ma
grand-mère avant elle. Après
que je suis tombée malade, on
m’a diagnostiqué positive au
gène BRC A1, responsable du
cancer du sein. Mais, en sep-
tembre 2007, quand j’ai décou-
vert une boule douloureuse
dans mon sein, je n’ai pas cru
à une tumeur. J’avais toujours
imaginé avoir du temps avant de
me préoccuper d’un potentiel
cancer. Le temps de me marier,
de faire des enfants, de vieillir
un peu. J’ai fait des examens
sans rien dire à mon père et à
mes deux sœurs, pour ne pas les
inquiéter inutilement. Chez ma
gynécologue, j’ai lu le résultat
des analyses dans les yeux des
assistantesdicales. Le pre-
mier truc auquel j’ai pensé, ce
n’est pas «Je vais mourir», mais
«Je vais traverser tout ce qu’a
enduré ma mère: la douleur,
la chimio, l’opération et j’ai
peur de ne pas être aussi cou-
rageuse». Puis j’ai pensé à mon
futur mariage, prévu l’année
suivante: «Comment je vais faire
pour la robe, pour le chignon
Destails, mais cette cérémo-
nie, c’était mon rêve et j’avais
déjà tout prévu. Je me suis
aussi interrogée: «Est-ce que
mon homme restera avec moi
J’ai pris la maladie comme un
test: s’il reste et qu’on survit
à cela, ce sera le bon. Grâce à
mon expérience avec ma mère,
je connaissais la maladie et ce
qu’elle implique. Le plus dur fut
de retourner enseigner en classe
cet après-midi-là, d’appeler
mon futur mari, de parler à ses
parents, à ma famille. A chaque
«Le cancer nest
quun obstacle
sur le chemin»
Fdérique Vuadens
30 ans, enseignante,
cancer diagnostiq en 2007
fois, il fallait remonter le moral
de la personne, rassurer, récon-
forter. Personnellement, passé
le premier choc, j’allais mieux.
Je me suis dit: «Ce cancer, c’est
l’histoire de six mois. Je vais me
battre et ce sera fini.» Je n’ai
jamais eu peur. Dans mate, le
cancer n’était qu’un passage, un
obstacle sur le chemin. Je suis
très optimiste et cet état d’esprit
a rendu les choses plus faciles.
La maladie n’a pas gagné sur ma
vie et ma personnalité.»
Pas de tabous
Mais de l’huMour
«Mon cancer était déjà très
avancé, mais les ganglions
n’étaient pas touchés et la
tumeur pas hormonosensible.
Finalement, on peut dire que
j’ai eu de la chance dans mon
malheur. Il a juste fallu accepter
que je n’allaiterais jamais mes
enfants. Le centre de la ferti-
lité du CHUV a congelé mes
ovules fécondés, au cas où la
chimio me rendrait stérile.
On n’en a finalement pas eu
besoin, je suis tombée enceinte
naturellement, deux ans après
le traitement. Aujourd’hui,
on a deux enfants.
» J’ai été orée le 10 octo-
bre 2007, un mois après le dia-
gnostic. J’ai obligé les médecins
à me faire une double mastec-
tomie. Il était hors de question
que le cancer puisse apparaître
dans mon autre sein. Les onco-
logues étaient contre. Vu mon
âge, ils craignaient que le choc
psychologique soit trop violent.
Ils n’ont pas eu le choix. J’étais
si déterminée qu’au CHUV un
des médecins me surnommait le
petit soldat.
» Se voir avec deux cica-
trices en V à la place des
seins, c’est impressionnant.
Mais même sans poitrine, ni
cheveux, ni cils et sourcils,
je mettais toujours des pulls
moulants et je me maquillais.
Avec mon mari, on n’avait
pas de tabous. On a beaucoup
plaisanté: l’humour, ça aide à
tout surmonter. Il m’appelait
ma p’tite Chucky mais m’a
toujours trouvée désirable. Ce
cancer m’a enseigné beaucoup
de choses sur moi et les autres.
Entre les chimiothérapies, j’ai
C M Y K
64 L’ILLUSTRÉ 43/11
Frédérique
Déterminée, on la
surnommait le petit
soldat. Elle a perdu ses
deux seins, mais mis au
monde deux enfants.
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