de la controverse sur la validite de l`induction comme

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Annales FLSH N° 18 (2014)
DE LA CONTROVERSE SUR LA VALIDITE DE
L’INDUCTION COMME METHODE EN SCIENCE
par
BIAMELE Boyo1
ABSTRACT
From the controversy on the validity of the induction as method
in science
The induction is one of the methods used in science. Pillar of
the logic and of scientific thought it is the operation that consists in
founding some generalizations from the observed facts, of the
individual cases called propositions inductive. The induction is then
as BLANCHE(1975, p.5.) notes: “all reasoning that generalizes from
some observed cases”. Thus, its main characteristic is then the
generalization. But a difficulty emerges. It is far to be obvious from
a logical point view that are justified to infer universal statements
from singular statements than numerous they can be; all conclusion
pulled from this manner always can, indeed, to be
false”(.K.POPPER, 1978, p. 23.)
The legitimacy of the induction in science doesn’t make the
unanimity of the philosophers. They find those that sustain it, but
also, those that reject it. And yet, it is the method that uses sciences
of the nature that elaborate the scientific laws to universal
pretension.
The object of this article consists in throwing a critical look on
the validity of the inductive reasoning. It is the analyze question of
induction as the present J.S. MILL, as essentially of this last with the
logical problem of the induction and the research of the basis of the
scientific knowledge at K. POPPER.
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Professeur Associé à l’Université de Kisangani
1
Annales FLSH N° 18 (2014)
0. INTRODUCTION
L’induction est l’une des méthodes utilisées en science. André
LALANDE (1993) la définit comme : « l’opération qui consiste à
remonter d’un certain nombre des propositions données
généralement singulières ou spéciales, (…) à des propositions plus
générales, appelées induites, telles qu’elle implique toutes les
propositions inductives ».
Pilier de la logique et de la pensée scientifique, l’induction est
l’opération qui consiste à fonder des généralisations à partir des faits
observés, des cas individuels appelés propositions inductrices ou
inférences inductives. La principale caractéristique d’un
raisonnement inductif est le fait qu’il y a une grande extension de
compréhension de l’information contenue dans la conclusion que
celle contenue dans les propositions du départ : l’induction est alors
comme le souligne BLANCHE ( 1975, p.5.), « Tout raisonnement
qui généralise à partir de quelques cas observés ». Ainsi, sa
caractéristique principale est alors la généralisation.
Mais une difficulté surgit. C’est ce que nous lisons dans
Logique de la découverte scientifique de POPPER. Il écrit : « Or, il
est loin d’être évident d’un point de vue logique que nous soyons
justifiés d’inférer des énoncés universels à partir d’énoncés
singuliers aussi nombreux soient-ils ; toute conclusion tirée de cette
manière peut toujours, en effet, se trouver fausse »( K. POPPER,
1978, p. 23).
La légitimité de l’induction en science ne fait donc pas
l’unanimité des philosophes. On trouve ceux qui la soutiennent, mais
aussi, ceux qui la rejettent. Et pourtant, c’est la méthode qu’utilisent
les sciences de la nature qui élaborent les lois scientifiques à
prétention universelle.
Notre préoccupation dans cet article, consiste à jeter un regard
critique sur la validité du raisonnement inductif. Ainsi, les questions
suivantes guident notre réflexion : qu’est-ce que l’induction ?, sur
quoi se fonde-t-elle ?, les lois scientifiques découlant de l’induction
sont-elles universelles ou nécessaires ?, quelle est la portée réelle de
l’induction scientifique ?
L’article comprend trois points suivants :
1. Fondement de l’induction selon J.S. MILL
2. Problème de l’induction chez K. POPPER
3. Appréciation critique
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I. FONDEMENT DE L’INDUCTION SELON J.S. MILL
Il est question d’analyser l’induction telle que la présente J.S.
MILL,2 comme essentiellement basée sur le principe de causalité
universelle et de confronter la position de ce dernier avec le
problème logique de l’induction et de la recherche du fondement de
la connaissance scientifique chez K. POPPER.
1.1. Qu’est-ce que l’induction ? Et en quoi se fonde-t-elle
d’après J.S. MILL ?
Déjà chez Aristote, l’induction est le passage du singulier à
l’universel. J Stuart MILL définit la démarche inductive comme
étant « l’opération de l’esprit par laquelle nous inférons que ce que
nous savons être vrai dans un ou plusieurs cas particuliers sera vrai
dans tous les cas qui ressemblent au premier sous certains rapports
assignables, (…) »( . STUART MILL, 1998, p. 324.).
J.S.MILL fonde l’induction sur l’axiome de l’uniformité du
cours de la nature et sur le principe de causalité universelle.
a. De l’uniformité du cours de la nature
Selon MILL, il y a un principe impliqué dans l’énoncé même
de l’induction, un postulat relatif au cours de la nature et à l’ordre de
l’univers qui peut s’énoncer de la manière suivante : « Il y a dans la
nature des cas parallèles ; que ce qui arrive une fois, arrivera
encore dans les circonstances suffisamment semblables, et de plus
arrivera souvent aussi que les mêmes circonstances se répéteront »
(J.S. MILL, o.c., p. 347.).
C’est là selon MILL, un postulat impliqué dans chaque
induction. L’univers n’est pas fait de façon dispersée ; par contre, il
y a dans l’univers un ordonnancement et par conséquent, il est
constitué de sorte que ce qui s’est avéré vrai pour un cas quelconque,
sera aussi vrai dans tous les cas d’une certaine nature. Il y a donc
dans le monde un certain ordre auquel obéit la nature. Lorsqu’on
affirme que les phénomènes ont lieu suivant les lois générales de la
nature, cela veut dire que l’on avait acquis par expérience, à
l’occasion d’une multitude des phénomènes, quelques connaissances
des lois elles-mêmes.
Un savant illustre, Claude BERNARD, a formulé, comme le
note J. LACHELIER (1924, p. 10.). l’axiome fondamental de
2
Philosophe et économiste anglais J.S. Mill est né le 20 mai 1773. Il est décédé en
1806. Il est un des grands défenseurs de l’empiriste anglais.
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l’induction en disant que : « Chez les êtres vivants aussi bien dans
les corps bruts, les conditions d’existence de tout phénomène sont
déterminées de manière absolue ».
Cette expression selon Jules LACHELIER, paraît aussi juste
que précise et fait parfaitement comprendre les conditions de
possibilités au moyen desquelles notre esprit peut passer des faits qui
ont été observés dans la nature à l’érection des lois. Cela s’explique
dans la mesure où, si chaque phénomène se produit dans des
conditions absolument invariables, il est clair qu’il suffit de savoir ce
que les conditions sont dans un cas pour savoir par cela même ce
qu’elles doivent être dans tous.
Cependant, il faut distinguer dans la nature, deux sortes de
lois : les unes applicables à des faits simples, comme celles qui
stipulent que deux forces égales et opposées se font équilibre ; les
autres, au contraire, qui énoncent entre les phénomènes, des rapports
plus ou moins complexes comme celle qui, selon LACHELIER,
porte que : « Dans les espèces vivantes, le semblable engendre son
semblable »(ibidem).
En disant cela, il y a supposition en vertu de quelque autre
principe, que toutes les conditions sont, en effet, réunies, au moins
dans la plupart des cas. C’est le principe que personnifiera en
quelque sorte Claude BERNARD dans la physiologie, sous le nom
« d’idée directrice ou organique » ; mais qui ne paraît pas moins
indispensable à la science des corps bruts qu’à celle des êtres
organisés. Pour éviter que sa compréhension de l’induction qui part
de l’axiome de l’uniformité de cours de la nature ne soit biaisée,
MILL souligne l’inefficacité de l’induction vulgaire qui
généralement procède par simple énumération d’exemples.
Ainsi dit-il : « l’induction des anciens consistait à donner le
caractère de vérités générales à toutes les propositions qui sont
vraies dans tous les cas connus » (J.S. MILL, o.c., p. 352.), il
martèle en même temps le fait qu’il s’agit là de l’espèce de
l’induction naturelle aux esprits non exercés aux méthodes
scientifiques.
L’induction par énumération simple n’est pas utilisée en
science, car elle n’offre aucune chance d’avancer dans la recherche.
Serait-ce la même chose quand il faut parler de la loi de causalité
universelle ? Cette question nous permet alors de passer à
l’explication rationnelle tirée de l’uniformité de cours de la nature
qu’est le principe de causalité.
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b. Du principe de causalité universelle
Les phénomènes sont dans la nature, les uns par rapport aux
autres dans deux rapports distincts, celui de simultanéité et de
succession. Tout phénomène est uniformément en rapport avec des
phénomènes qui coexistent avec lui et avec des phénomènes qui
l’ont précédé et le suivront. Seules les vérités se rapportant à l’ordre
de succession des faits qui peuvent être considérées comme les plus
précieuses de toutes les vérités relatives aux phénomènes. C’est donc
la notion de cause qui est la racine de toute théorie de l’induction :
« Un phénomène est la cause de l’autre »(Idem, p. 369.).
Cette notion s’appuie essentiellement sur le principe de
déterminisme qui stipule que dans les mêmes conditions, les mêmes
causes produisent les mêmes effets. En effet, il s’agit du principe de
causalité physique et, selon l’explication que l’on donne à ce
principe, l’on admet qu’il part de l’observation des faits, des faits
très nombreux, de relations constantes entre phénomènes. La notion
de causalité dont la théorie de l’induction a besoin est celle qui peut
être acquise par expérience. La loi de causalité, considérée par MILL
comme pilier sans lequel la science inductive ne peut être posée est,
déclare-t-il, « cette loi familière trouvée par l’observation de
l’inviolabilité de succession entre un phénomène naturel et quelque
autre fait qui l’a précédé »( Ibidem ).
MILL a proposé les méthodes d’induction qui serviraient à la
découverte ainsi qu’à la justification des lois scientifiques. Il s’agit
des « canons de la méthode inductive » qui sont des règles logiques
ayant pour but de déterminer empiriquement l’antécédent invariable
et inconditionnel d’un phénomène ou d’un groupe de phénomènes.
Ces méthodes sont :
- La Méthode de concordance
Selon J.S. MILL, lorsque deux phénomènes apparaissent toujours
en même temps dans des circonstances variées, on tire la
conclusion selon laquelle ils sont liés l’une à l’autre par une loi.
Par exemple, on peut produire le son par différents moyens :
cloche, corde pincée, timbre, etc. Dans tous ces cas, on trouve des
vibrations du corps sonore et de l’air, celles-ci sont donc la cause
du son.
- La Méthode de différence
Cette méthode repose sur le principe selon lequel : « lorsque deux
phénomènes disparaissent toujours en même temps et que les
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autres circonstances restent semblables, on conclut qu’ils sont liés
par une loi ». Dans le cas précédant, puis que le son se transmet
grâce aux ondulations de l’air, il suffit de supprimer l’air et l’on
entend plus. C’est le cas de PASCAL Blaise qui supprime le
poids de l’air dans l’expérience de vide dans le vide.
- La Méthode de variations concomitantes
Elle est celle selon laquelle quand deux phénomènes, ou deux
éléments d’un phénomène varient toujours en même temps, on
conclut qu’ils sont liés par une loi : l’expérience de PASCAL sur
les régions de hauteurs (Puy-de-Dôme) est une preuve de cette
méthode ; elle montre que la pression barométrique varie en
même temps que l’altitude, c’est-à-dire quand l’altitude
augmente, la pression diminue.
- La Méthode de résidu
Selon cette méthode, si l’on retranche d’un phénomène complexe,
de circonstances qui peuvent agir sur lui tous les éléments déjà
expliqués par des expériences antérieures et toutes les
circonstances qui les expliquent, ce qui reste à expliquer pourra
l’être au moyen des circonstances non éliminées. Exemple : la
différence entre le poids atomique de l’azote de l’air et l’azote
chimique, a conduit à la découverte de l’argon (L.M.
MORFAUX, 1980, p. 216).
Donc, selon J.S. MILL, l’induction se fonde sur l’axiome de
l’uniformité du cours de la nature : il y a dans la nature, affirme J.S.
MILL, un ordre de sorte que ce qui arrive une fois arrivera encore
dans les circonstances semblables. Cet axiome s’explique
rationnellement par le principe de causalité universelle selon lequel
dans les mêmes conditions, les mêmes causes produisent les mêmes
effets.
La controverse au sujet de l’induction nous pousse à aborder la
position de Karl POPPER.
II. KARL POPPER ET LE PROBLEME DE L’INDUCTION
Le problème qui a préoccupé D. HUME vers le XVIIIème
siècle, celui de chercher un fondement à la connaissance et par
extension à la science, revient avec force dans la pensée de Karl
POPPER3. Si, contre les rationalistes, HUME s’insurge en
3
Philosophe d’origine autrichienne, Karl POPPER est né vers les années
1902 et décédé en 1994.
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recommandant de fonder la connaissance scientifique sur autre chose
que l’induction, POPPER pour sa part, pose le problème d’une autre
manière : quel est le critère de démarcation entre science et pseudo
science ?
2.1. Le problème de l’induction chez K. POPPER
La pensée de K. POPPER sur la méthodologie des sciences
commence par l’examen de « certains problèmes fondamentaux »
qui caractérisent les sciences de la nature. Et il commence sans doute
par le plus épineux de tous en même temps que le plus
indispensable : le problème de l’induction. On ne peut douter que
l’induction est un procédé qui peut paraître hasardeux, mais c’est
bien celui qui permet d’avancer dans les sciences et, les sciences
empiriques se caractérisent, le montre Popper, « par le fait qu’elles
utilisent des méthodes dites inductives »( K. POPPER, 1978, p. 23).
En effet, POPPER émet un doute sur le fait qu’il soit logique
de justifier une inférence d’énoncés universels à partir d’énoncés
singuliers aussi nombreux soient-ils. Dès les premières pages de la
« Logique de la découverte scientifique », apparaît donc le fameux
exemple de cygnes blancs à propos duquel il écrit : « Peu importe le
grand nombre des cygnes blancs que nous puissions avoir observés,
il ne justifie pas la conclusion que tous les cygnes sont blancs »
(Ibidem). Chose qui le pousse à poser d’une manière générale la
question de savoir si les inférences inductives sont justifiées ou à
qu’elle condition elles le sont. Or telle qu’il la pose, cette question
relèverait de la logique pure, c’est-à-dire qu’elle est hors de toute
référence à l’expérience et même si cette méthode a une référence à
l’expérience, la question se posera sur le nombre de cas à observer
pour déclarer la vérité d’une théorie.
Pour saisir la critique de POPPER (1985, pp.47-48) sur la
validité logique de l’induction, résumons-le comme suit :
1. Qu’on ne peut justifier par des raisons empiriques l’affirmation
qu’une théorie universelle est vraie, c’est-à-dire par le fait qu’on
admet la vérité de certains énoncés expérimentaux ;
2. Mais qu’on peut justifier par des raisons empiriques l’affirmation
qu’une théorie explicative est vraie ou l’affirmation qu’elle est
fausse.
3. Enfin, qu’on peut justifier quelques fois par des raisons
empiriques une inférence de point de vue de leur vérité ou de leur
fausseté, en faveur de certaines théories universelles
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concurrentes : Ce qui veut dire que certains
expérimentaux permettent de réfuter certaines
concurrentes.
énoncés
théories
Simplement, ces trois déclarations peuvent être traduites ( A.
Kremer MARIETTI, 2002 ) de la manière suivante :
1. Non, il n’est pas possible d’admettre la vérité de certains énoncés
expérimentaux ;
2. Oui, il est possible d’admettre la vérité de certains énoncés
expérimentaux pour justifier l’affirmation d’une théorie
universellement vraie ou d’une théorie universellement fausse ;
3. Oui et non, certains énoncés expérimentaux permettent de réfuter
certaines théories concurrentes mais pas toutes.
POPPER voit donc, dans le problème logique de l’induction
des difficultés qui vont au-delà de ce problème.( Ibidem).
1. La question de la validité ou de la fausseté des universelles
relatives à certains énoncés expérimentaux ;
2. Au lieu de réfléchir comme Hume, si nous sommes ou non
justifiés à raisonner à partir des cas dont nous avons l’expérience
sur des cas dont nous n’avons pas l’expérience, du connu à
l’inconnu, Popper demande plutôt si les cas admis antérieurement
restent valides.
3. Popper veut relier le problème de l’induction au problème des lois
universelles ou des théories scientifiques, car il considère toutes
les lois comme hypothétiques ou conjecturales. Mais avant d’y
arriver, arrêtons-nous un peu sur les caractéristiques de
l’induction ?
2.2. Les caractéristiques de l’induction
Il y a trois caractéristiques de l’induction scientifique que
POPPER n’admet pas parce que l’induction est sujette du passage du
particulier au général ( A. K. MARIETTI, O.C., p.4).
1. Un processus donné se déroulera de la même façon en même
temps au même lieu pour tous les cas de cette classe ;
2. Une classe d’objets étant reconnue, la loi valide pour un ou
plusieurs cas le sera pour tous les cas de cette classe ;
3. Selon la continuité de la nature, la loi valant pour certains cas vaut
pour tous les cas similaires.
En fait, David HUME (1711-1776) avait déjà nié qu’il eût des
connexions nécessaires enregistrées par l’observation et les
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jugements particuliers portant sur des cas non observés (par la
relation de cause à effet). Prenant pour sûr que cette forme de
raisonnement construit la science expérimentale parce que disait-il :
« Qu’en histoire de la science, la connaissance des causes était la
plus instructive puisque, c’est par cette connaissance seule que nous
avons la possibilité de contrôler les événements et de gouverner
l’avenir »( A. K. MARIETTI, O.C., p.5).
Il refuse cependant de reconnaître dans l’induction une
quelconque fonction scientifique. En effet, des inférences inductives
ne sauraient justifier une conclusion. Une expérience peut belle et
bien être répétée avec succès mais cela ne justifie pas nécessairement
que la théorie générale que l’on tente d’induire soit vraie. L’avenir
pourrait tout aussi montrer le contraire.
HUME faisait remarquer aussi que la méthode n’est pas
défendable d’un point de vue purement empirique. Mais il lui arrivait
de penser plus sur la notion de causalité : « La poule qui a vu la
fermière lui apporter du grain aujourd’hui, la verra-t-elle demain
poser le même acte ? La bille en contact avec une autre la mettra-telle toujours en mouvement ».
C’est la notion de causalité qui est au centre des
investigations de HUME sur l’entendement humain. A tout bien
considérer, POPPER pense plus au principe de l’induction qui, selon
lui, n’est pas rationnel. Il qualifie d’échec, la tentative de justifier le
fondement de l’induction sur la logique et l’expérience par les
néopositivistes.
Après cette esquisse de compréhension de ce qu’est
l’induction, nous passons maintenant à l’examen du principe et des
problèmes issus de l’induction. L’on peut se demander : si
l’observation nous fournit le point de départ des énoncés
d’observation que nous tenons assurés, par quel cheminement le
raisonnement inductif conduit-il à une connaissance scientifique
digne de foi et éventuellement vraie ?
2.3. Le problème de l’induction sur le plan logique
Les arguments logiques, jugés valides, sont spécifiques étant
donné que, leur prémisse étant vraie, alors la conclusion est
forcément vraie. La justification du principe de l’induction serait
possible si les arguments le sont également, chose qui n’est pas le
cas, déclare POPPER : « Les arguments inductifs ne sont pas des
arguments logiquement valides » ( K. POPPER, O.C., p.24.).
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Le fait que les prémisses d’une inférence inductive soient
vraies n’implique pas ipso facto que la conclusion le soit. La
conclusion d’un argument inductif peut être fausse alors que les
prémisses sont vraies. Supposons, par exemple, que nous ayons
observé un grand nombre des corbeaux dans des circonstances fort
variées. Après avoir constaté que tous les corbeaux observés jusqu’à
ce jour étaient noirs, nous en concluons que « tous les corbeaux sont
noirs ». POPPER montre que cette induction est légitime d’autant
plus que jusque là un cas nouveau n’a pas encore dit le contraire,
cette légitimité est relative selon la configuration spatio-temporelle
déterminée.
Cependant, l’induction ne peut être justifiée sur des bases
purement logiques car une inférence inductive avec des prémisses
vraies peut conduire un jour à une conclusion fausse lorsqu’un
élément non encore observé fera son apparition. On ne peut donc
justifier le principe de l’induction en faisant recours à la seule
logique. Si l’on tient ce principe pour acquis, l’intuitiviste sera
désormais obligé d’indiquer comment à partir de l’expérience il faut
tirer le principe de l’induction.
2.4. L’expérience dans le raisonnement inductif
Le fonctionnement de l’induction se fait dans un grand nombre
de cas observés. Cette façon de justifier l’induction semble
inacceptable comme l’a montré de façon non moins convaincante
David HUME, dès le XVIIIème siècle. La forme d’argument de
justification est la suivante : le principe d’induction a marché dans le
cas 1. Le même principe a marché dans les cas 2, 3, 4, 5, etc. A partir
de ces différents cas observés, on conclut que ce principe marchera
dans tous les cas semblables. Cette justification d’un énoncé
universel qui affirme la validité du principe de l’induction est tirée
ici d’un certain nombre d’énoncés singuliers portant sur des
explications heureuses de l’expérience.
En effet, la revendication extrême que toute connaissance soit
tirée de l’expérience par induction, ruine le principe de l’induction,
fondement de la position intuitiviste. D’autant plus que la question
peut s’agir de savoir si combien d’observations il faudra accumuler
pour en obtenir un grand nombre ?
De ce qui précède, on remarque qu’en partant de l’examen de
ce qu’il appelle « problème de l’induction », POPPER affirme que
sur le plan logique, on ne peut soutenir l’induction car un cas non
encore observé peut dans l’avenir contredire ce qui est soutenu
aujourd’hui comme vrai.
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Comme on le voit, la question de l’expérience dans l’induction
a soulevé une vraie difficulté concernant le nombre d’observations
qu’il faut pour l’obtention d’un grand nombre des cas.
III. APPRECIATION CRITIQUE
Les premier et deuxième points de cet article ont consisté en
une analyse du raisonnement inductif aussi bien chez J.S. MILL que
chez K. POPPER. Dans ce troisième point qui est le dernier de notre
démarche, nous nous assignons comme tâche d’apprécier la théorie
de l’induction chez ces deux philosophes.
3.1. Mérites et limites de la théorie de J.S.MILL
a. Mérites
J.S. MILL a le mérite d’avoir élaboré sa théorie empiriste de la
connaissance pour critiquer la philosophie occidentale basée sur les
lois catégorielles. En posant le problème de l’induction, il a en même
temps mis sur pied « les méthodes d’inductions » pour permettre de
découvrir et de justifier les lois scientifiques, chose qui lui a valu la
célébrité au 19ème siècle. Mais si des jours après, sa théorie se révèle
inefficace, elle a au moins servi de tremplin à partir duquel sont
partis les autres philosophes comme notamment D. HUME et K.
POPPER.
b. Limites de la théorie de MILL
Les faiblesses de la théorie de MILL sont dues à la justification
de l’induction par le principe de causalité universelle, appelé aussi le
principe du déterminisme.
1. Si je constate un certain nombre de fois que le phénomène A est
suivi du phénomène B. et si je pose la loi : nécessairement tout
phénomène A entraînera B : Si c’est mon esprit qui pose la
relation universelle et nécessaire entre A et B, rien ne me garantit
par contre que les phénomènes réels s’y conforment, ni même que
A sera toujours suivi de B. En d’autre termes ; maintes fois que le
phénomène A est suivi du phénomène B, on peut être tenté de
penser que toujours et nécessairement A appelle B. C’est
pensable, on est alors porté à le penser.
Mais en quoi cela est vrai ? C’est ici qu’il n’y a pas de preuve.
Car le fait qu’une chose soit pensable ne prouve pas qu’elle est
vraie. Il n’est pas exclu qu’un jour A se présente sans B. Et alors
la loi universelle ne sera plus pensable que comme une idée.
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2. « Si un grand nombre des A ont été observés dans les conditions
fort variées et si tous les A observés sans exception possèdent la
propriété B, alors tous A possèderont probablement la propriété
B. » (A. F. CHALMERS, 1988, p.37).
Donc plus grand est le nombre d’observations menant à une
induction, et plus variées sont des conditions dans lesquelles les
observations sont faites, plus grande est la probabilité que les
généralisations qui en résultent soient vraies. C’est autant dire
que le même phénomène se produit 5, 10, 20, 30, … fois sans que
l’on constate jamais A sans B, la probabilité que ce soit par
hasard que cela arrive est extrêmement faible. Or, le savant ne
répète pas 5, 10, 20, 30, … fois la même expérience. Il organise
plutôt des expériences différentes en faisant varier le plus possible
les conditions afin de déterminer la forme, les limites de la
validité de la loi.
3. Il faut dire que le principe du déterminisme est fondé sur les faits
d’expérience. Ce faisant, la science serait basée ou fondée sur les
faits d’expérience. Or, il faut s’en tenir à ce qu’il est convenu
d’être appelé dans l’histoire des sciences la « révolution
copernicienne » de KANT : « Jusqu’ici, on admettait que toute
notre connaissance devrait se régler sur les objets, (…) ce sont
maintenant les objets qui doivent se régler sur notre
connaissance » (E. KANT, 1944, pp.18-19).
Si MILL a le mérite de montrer que la science doit partir de
l’expérience, mais il serait faux de réduire l’acquisition de la science
uniquement à l’expérience. Si les lois scientifiques sont suggérées
par l’expérience, elles sont posées mentalement selon les lois de
notre esprit. La raison joue par conséquent un rôle important dans
l’élaboration des lois scientifiques.
Que dire de POPPER ?
3.2. Mérites et limites de la théorie de K. POPPER
a. Mérites
1. De nos jours, il est généralement admis que l’induction pose
ce qu’il est convenu d’être appelé « problème de
l’induction ». La réformulation par POPPER du problème de
l’induction, vaut son pesant d’or. L’effectivité de cette
reformulation a été rendue possible grâce à sa méthode de
mise à l’épreuve des théories.
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En effet, pour POPPER, rien sur le plan logique ne justifie
l’induction ; car il n’y a aucune garantie pour poser que ce
qui est vrai aujourd’hui le sera aussi demain.
2. Bien plus, la substitution de l’induction par la déduction,
POPPER a le mérite d’avoir mis à l’œuvre un critère
susceptible d’assurer à la science sa fécondité : c’est le critère
de falsifiabilité.
b. Les limites
Bien que POPPER soit considéré de nos jours par d’aucuns
comme l’un des plus grands philosophes des sciences, il ne manque
pas cependant des faiblesses.
Nous nous limitons à deux critiques qui lui sont formulées :
1. Popper a critiqué l’induction en y retournant ou en la défendant
sans s’en rendre compte. Il faut dire que la « corroboration » des
hypothèses falsificatrices nécessite la répétition.
A ce sujet, POPPER écrit : « Lorsque nous essayons
d’évaluer le degré de corroboration d’une théorie, nous pouvons
raisonner un peu de la manière suivante : son degré de
corroboration se lèvera avec le nombre de cas de corroborant.
Nous accédons habituellement ici aux premiers cas corroborant la
théorie, une importance beaucoup plus grande qu’aux premiers. »(
M. GHINS, 1996-1997, p.16-17). En lisant Karl POPPER,
n’assiste-t-on pas ici à l’induction ?
2. Une deuxième critique que l’on peut relever est celle que Thomas
KUHN lui adresse : POPPER ne justifie pas l’option par laquelle
les savants conviennent d’admettre les lois jusqu’ici vérifiées. En
effet, cette option est guidée par un consensus de tous les
spécialistes d’une même discipline sur les orientations de base.
CONCLUSION
Notre réflexion était centrée sur le problème philosophique de
la validité du raisonnement inductif utilisé dans les sciences
positives.
En effet, en philosophie des sciences, la validité du
raisonnement inductif ne fait pas l’unanimité des philosophes. Il se
crée alors deux camps : ceux qui soutiennent sa légitimité d’une part,
et ceux qui la contestent d’autre part.
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Nous avons analysé la démarche inductive chez JS MILL
comme l’un de ceux qui soutiennent l’induction. En fait, pour lui, on
peut partir de l’axiome de l’uniformité du cours de la nature pour
fonder le principe de l’induction. Et cet axiome trouve son
explication rationnelle dans le principe de causalité universelle
appelé « principe de causalité physique » ou « principe du
déterminisme ». Ce principe fonde, selon le philosophe, les lois
scientifiques.
POPPER, par contre, rejette la validité du raisonnement
inductif en science de la nature. Il soutient que rien ne justifie
l’induction sur le plan logique d’autant plus que les lois de la science
ne sont pas absolues mais provisoires et hypothétiques car,
susceptibles de changement. Ce qui apparaît vrai aujourd’hui peut se
révéler faux demain.
Enfin, le dernier point de notre démarche était essentiellement
consacré à l’appréciation critique de la théorie de l’induction chez
les deux auteurs. Nous avons ici relevé l’aspect selon lequel chacun
de deux auteurs a des mérités dans sa théorie mais qu’il accuse aussi
des insuffisances dans ce qu’il défend.
Quant à nous, tout en reconnaissant avec K POPPER que le
raisonnement inductif soulève un problème sur le plan logique, nous
soutenons contre lui que l’induction est incontournable en sciences
positives, car celles-ci commencent toujours par la collecte des faits
scientifiques. Avec I. LAKATOS, nous pouvons également faire
remarque à K. POPPER, au sujet de son principe de falsifiabilité,
qu’un seul fait ne pourrait pas réfuter une théorie. Illustrons cela par
un exemple : si la trajectoire observée d’une planète P ne correspond
pas à sa trajectoire calculée, plutôt que d’imaginer que la théorie de
la gravitation est fausse, on peut toujours imaginer qu’il existe une
autre planète P’, jusque là inconnue, qui perturbe la trajectoire de P.
si de nouvelles observations ne mettent pas en évidence l’existence
de la nouvelle planète P’, ce n’est pas pour autant que la théorie de la
gravitation soit fausse ; on peut toujours imaginer qu’un nuage de
poussière cosmique cache la planète P’. si on ne découvre pas le
nuage en question, il sera toujours possible d’avancer une nouvelle
hypothèse et ainsi de suite. Une réfutation ne serait donc possible
que si l’on pouvait être sûr qu’il n’y avait pas de paramètres cachés
responsables de la perturbation observée. Cet exemple confirme la
dynamicité de la science. Les lois scientifiques, œuvres de l’esprit,
ne sont pas absolues, mais provisoires, susceptibles de changement
comme le dit bien K. POPPER.
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Annales FLSH N° 18 (2014)
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