Annales FLSH N° 18 (2014) DE LA CONTROVERSE SUR LA VALIDITE DE L’INDUCTION COMME METHODE EN SCIENCE par BIAMELE Boyo1 ABSTRACT From the controversy on the validity of the induction as method in science The induction is one of the methods used in science. Pillar of the logic and of scientific thought it is the operation that consists in founding some generalizations from the observed facts, of the individual cases called propositions inductive. The induction is then as BLANCHE(1975, p.5.) notes: “all reasoning that generalizes from some observed cases”. Thus, its main characteristic is then the generalization. But a difficulty emerges. It is far to be obvious from a logical point view that are justified to infer universal statements from singular statements than numerous they can be; all conclusion pulled from this manner always can, indeed, to be false”(.K.POPPER, 1978, p. 23.) The legitimacy of the induction in science doesn’t make the unanimity of the philosophers. They find those that sustain it, but also, those that reject it. And yet, it is the method that uses sciences of the nature that elaborate the scientific laws to universal pretension. The object of this article consists in throwing a critical look on the validity of the inductive reasoning. It is the analyze question of induction as the present J.S. MILL, as essentially of this last with the logical problem of the induction and the research of the basis of the scientific knowledge at K. POPPER. 1 Professeur Associé à l’Université de Kisangani 1 Annales FLSH N° 18 (2014) 0. INTRODUCTION L’induction est l’une des méthodes utilisées en science. André LALANDE (1993) la définit comme : « l’opération qui consiste à remonter d’un certain nombre des propositions données généralement singulières ou spéciales, (…) à des propositions plus générales, appelées induites, telles qu’elle implique toutes les propositions inductives ». Pilier de la logique et de la pensée scientifique, l’induction est l’opération qui consiste à fonder des généralisations à partir des faits observés, des cas individuels appelés propositions inductrices ou inférences inductives. La principale caractéristique d’un raisonnement inductif est le fait qu’il y a une grande extension de compréhension de l’information contenue dans la conclusion que celle contenue dans les propositions du départ : l’induction est alors comme le souligne BLANCHE ( 1975, p.5.), « Tout raisonnement qui généralise à partir de quelques cas observés ». Ainsi, sa caractéristique principale est alors la généralisation. Mais une difficulté surgit. C’est ce que nous lisons dans Logique de la découverte scientifique de POPPER. Il écrit : « Or, il est loin d’être évident d’un point de vue logique que nous soyons justifiés d’inférer des énoncés universels à partir d’énoncés singuliers aussi nombreux soient-ils ; toute conclusion tirée de cette manière peut toujours, en effet, se trouver fausse »( K. POPPER, 1978, p. 23). La légitimité de l’induction en science ne fait donc pas l’unanimité des philosophes. On trouve ceux qui la soutiennent, mais aussi, ceux qui la rejettent. Et pourtant, c’est la méthode qu’utilisent les sciences de la nature qui élaborent les lois scientifiques à prétention universelle. Notre préoccupation dans cet article, consiste à jeter un regard critique sur la validité du raisonnement inductif. Ainsi, les questions suivantes guident notre réflexion : qu’est-ce que l’induction ?, sur quoi se fonde-t-elle ?, les lois scientifiques découlant de l’induction sont-elles universelles ou nécessaires ?, quelle est la portée réelle de l’induction scientifique ? L’article comprend trois points suivants : 1. Fondement de l’induction selon J.S. MILL 2. Problème de l’induction chez K. POPPER 3. Appréciation critique 2 Annales FLSH N° 18 (2014) I. FONDEMENT DE L’INDUCTION SELON J.S. MILL Il est question d’analyser l’induction telle que la présente J.S. MILL,2 comme essentiellement basée sur le principe de causalité universelle et de confronter la position de ce dernier avec le problème logique de l’induction et de la recherche du fondement de la connaissance scientifique chez K. POPPER. 1.1. Qu’est-ce que l’induction ? Et en quoi se fonde-t-elle d’après J.S. MILL ? Déjà chez Aristote, l’induction est le passage du singulier à l’universel. J Stuart MILL définit la démarche inductive comme étant « l’opération de l’esprit par laquelle nous inférons que ce que nous savons être vrai dans un ou plusieurs cas particuliers sera vrai dans tous les cas qui ressemblent au premier sous certains rapports assignables, (…) »( . STUART MILL, 1998, p. 324.). J.S.MILL fonde l’induction sur l’axiome de l’uniformité du cours de la nature et sur le principe de causalité universelle. a. De l’uniformité du cours de la nature Selon MILL, il y a un principe impliqué dans l’énoncé même de l’induction, un postulat relatif au cours de la nature et à l’ordre de l’univers qui peut s’énoncer de la manière suivante : « Il y a dans la nature des cas parallèles ; que ce qui arrive une fois, arrivera encore dans les circonstances suffisamment semblables, et de plus arrivera souvent aussi que les mêmes circonstances se répéteront » (J.S. MILL, o.c., p. 347.). C’est là selon MILL, un postulat impliqué dans chaque induction. L’univers n’est pas fait de façon dispersée ; par contre, il y a dans l’univers un ordonnancement et par conséquent, il est constitué de sorte que ce qui s’est avéré vrai pour un cas quelconque, sera aussi vrai dans tous les cas d’une certaine nature. Il y a donc dans le monde un certain ordre auquel obéit la nature. Lorsqu’on affirme que les phénomènes ont lieu suivant les lois générales de la nature, cela veut dire que l’on avait acquis par expérience, à l’occasion d’une multitude des phénomènes, quelques connaissances des lois elles-mêmes. Un savant illustre, Claude BERNARD, a formulé, comme le note J. LACHELIER (1924, p. 10.). l’axiome fondamental de 2 Philosophe et économiste anglais J.S. Mill est né le 20 mai 1773. Il est décédé en 1806. Il est un des grands défenseurs de l’empiriste anglais. 3 Annales FLSH N° 18 (2014) l’induction en disant que : « Chez les êtres vivants aussi bien dans les corps bruts, les conditions d’existence de tout phénomène sont déterminées de manière absolue ». Cette expression selon Jules LACHELIER, paraît aussi juste que précise et fait parfaitement comprendre les conditions de possibilités au moyen desquelles notre esprit peut passer des faits qui ont été observés dans la nature à l’érection des lois. Cela s’explique dans la mesure où, si chaque phénomène se produit dans des conditions absolument invariables, il est clair qu’il suffit de savoir ce que les conditions sont dans un cas pour savoir par cela même ce qu’elles doivent être dans tous. Cependant, il faut distinguer dans la nature, deux sortes de lois : les unes applicables à des faits simples, comme celles qui stipulent que deux forces égales et opposées se font équilibre ; les autres, au contraire, qui énoncent entre les phénomènes, des rapports plus ou moins complexes comme celle qui, selon LACHELIER, porte que : « Dans les espèces vivantes, le semblable engendre son semblable »(ibidem). En disant cela, il y a supposition en vertu de quelque autre principe, que toutes les conditions sont, en effet, réunies, au moins dans la plupart des cas. C’est le principe que personnifiera en quelque sorte Claude BERNARD dans la physiologie, sous le nom « d’idée directrice ou organique » ; mais qui ne paraît pas moins indispensable à la science des corps bruts qu’à celle des êtres organisés. Pour éviter que sa compréhension de l’induction qui part de l’axiome de l’uniformité de cours de la nature ne soit biaisée, MILL souligne l’inefficacité de l’induction vulgaire qui généralement procède par simple énumération d’exemples. Ainsi dit-il : « l’induction des anciens consistait à donner le caractère de vérités générales à toutes les propositions qui sont vraies dans tous les cas connus » (J.S. MILL, o.c., p. 352.), il martèle en même temps le fait qu’il s’agit là de l’espèce de l’induction naturelle aux esprits non exercés aux méthodes scientifiques. L’induction par énumération simple n’est pas utilisée en science, car elle n’offre aucune chance d’avancer dans la recherche. Serait-ce la même chose quand il faut parler de la loi de causalité universelle ? Cette question nous permet alors de passer à l’explication rationnelle tirée de l’uniformité de cours de la nature qu’est le principe de causalité. 4 Annales FLSH N° 18 (2014) b. Du principe de causalité universelle Les phénomènes sont dans la nature, les uns par rapport aux autres dans deux rapports distincts, celui de simultanéité et de succession. Tout phénomène est uniformément en rapport avec des phénomènes qui coexistent avec lui et avec des phénomènes qui l’ont précédé et le suivront. Seules les vérités se rapportant à l’ordre de succession des faits qui peuvent être considérées comme les plus précieuses de toutes les vérités relatives aux phénomènes. C’est donc la notion de cause qui est la racine de toute théorie de l’induction : « Un phénomène est la cause de l’autre »(Idem, p. 369.). Cette notion s’appuie essentiellement sur le principe de déterminisme qui stipule que dans les mêmes conditions, les mêmes causes produisent les mêmes effets. En effet, il s’agit du principe de causalité physique et, selon l’explication que l’on donne à ce principe, l’on admet qu’il part de l’observation des faits, des faits très nombreux, de relations constantes entre phénomènes. La notion de causalité dont la théorie de l’induction a besoin est celle qui peut être acquise par expérience. La loi de causalité, considérée par MILL comme pilier sans lequel la science inductive ne peut être posée est, déclare-t-il, « cette loi familière trouvée par l’observation de l’inviolabilité de succession entre un phénomène naturel et quelque autre fait qui l’a précédé »( Ibidem ). MILL a proposé les méthodes d’induction qui serviraient à la découverte ainsi qu’à la justification des lois scientifiques. Il s’agit des « canons de la méthode inductive » qui sont des règles logiques ayant pour but de déterminer empiriquement l’antécédent invariable et inconditionnel d’un phénomène ou d’un groupe de phénomènes. Ces méthodes sont : - La Méthode de concordance Selon J.S. MILL, lorsque deux phénomènes apparaissent toujours en même temps dans des circonstances variées, on tire la conclusion selon laquelle ils sont liés l’une à l’autre par une loi. Par exemple, on peut produire le son par différents moyens : cloche, corde pincée, timbre, etc. Dans tous ces cas, on trouve des vibrations du corps sonore et de l’air, celles-ci sont donc la cause du son. - La Méthode de différence Cette méthode repose sur le principe selon lequel : « lorsque deux phénomènes disparaissent toujours en même temps et que les 5 Annales FLSH N° 18 (2014) autres circonstances restent semblables, on conclut qu’ils sont liés par une loi ». Dans le cas précédant, puis que le son se transmet grâce aux ondulations de l’air, il suffit de supprimer l’air et l’on entend plus. C’est le cas de PASCAL Blaise qui supprime le poids de l’air dans l’expérience de vide dans le vide. - La Méthode de variations concomitantes Elle est celle selon laquelle quand deux phénomènes, ou deux éléments d’un phénomène varient toujours en même temps, on conclut qu’ils sont liés par une loi : l’expérience de PASCAL sur les régions de hauteurs (Puy-de-Dôme) est une preuve de cette méthode ; elle montre que la pression barométrique varie en même temps que l’altitude, c’est-à-dire quand l’altitude augmente, la pression diminue. - La Méthode de résidu Selon cette méthode, si l’on retranche d’un phénomène complexe, de circonstances qui peuvent agir sur lui tous les éléments déjà expliqués par des expériences antérieures et toutes les circonstances qui les expliquent, ce qui reste à expliquer pourra l’être au moyen des circonstances non éliminées. Exemple : la différence entre le poids atomique de l’azote de l’air et l’azote chimique, a conduit à la découverte de l’argon (L.M. MORFAUX, 1980, p. 216). Donc, selon J.S. MILL, l’induction se fonde sur l’axiome de l’uniformité du cours de la nature : il y a dans la nature, affirme J.S. MILL, un ordre de sorte que ce qui arrive une fois arrivera encore dans les circonstances semblables. Cet axiome s’explique rationnellement par le principe de causalité universelle selon lequel dans les mêmes conditions, les mêmes causes produisent les mêmes effets. La controverse au sujet de l’induction nous pousse à aborder la position de Karl POPPER. II. KARL POPPER ET LE PROBLEME DE L’INDUCTION Le problème qui a préoccupé D. HUME vers le XVIIIème siècle, celui de chercher un fondement à la connaissance et par extension à la science, revient avec force dans la pensée de Karl POPPER3. Si, contre les rationalistes, HUME s’insurge en 3 Philosophe d’origine autrichienne, Karl POPPER est né vers les années 1902 et décédé en 1994. 6 Annales FLSH N° 18 (2014) recommandant de fonder la connaissance scientifique sur autre chose que l’induction, POPPER pour sa part, pose le problème d’une autre manière : quel est le critère de démarcation entre science et pseudo science ? 2.1. Le problème de l’induction chez K. POPPER La pensée de K. POPPER sur la méthodologie des sciences commence par l’examen de « certains problèmes fondamentaux » qui caractérisent les sciences de la nature. Et il commence sans doute par le plus épineux de tous en même temps que le plus indispensable : le problème de l’induction. On ne peut douter que l’induction est un procédé qui peut paraître hasardeux, mais c’est bien celui qui permet d’avancer dans les sciences et, les sciences empiriques se caractérisent, le montre Popper, « par le fait qu’elles utilisent des méthodes dites inductives »( K. POPPER, 1978, p. 23). En effet, POPPER émet un doute sur le fait qu’il soit logique de justifier une inférence d’énoncés universels à partir d’énoncés singuliers aussi nombreux soient-ils. Dès les premières pages de la « Logique de la découverte scientifique », apparaît donc le fameux exemple de cygnes blancs à propos duquel il écrit : « Peu importe le grand nombre des cygnes blancs que nous puissions avoir observés, il ne justifie pas la conclusion que tous les cygnes sont blancs » (Ibidem). Chose qui le pousse à poser d’une manière générale la question de savoir si les inférences inductives sont justifiées ou à qu’elle condition elles le sont. Or telle qu’il la pose, cette question relèverait de la logique pure, c’est-à-dire qu’elle est hors de toute référence à l’expérience et même si cette méthode a une référence à l’expérience, la question se posera sur le nombre de cas à observer pour déclarer la vérité d’une théorie. Pour saisir la critique de POPPER (1985, pp.47-48) sur la validité logique de l’induction, résumons-le comme suit : 1. Qu’on ne peut justifier par des raisons empiriques l’affirmation qu’une théorie universelle est vraie, c’est-à-dire par le fait qu’on admet la vérité de certains énoncés expérimentaux ; 2. Mais qu’on peut justifier par des raisons empiriques l’affirmation qu’une théorie explicative est vraie ou l’affirmation qu’elle est fausse. 3. Enfin, qu’on peut justifier quelques fois par des raisons empiriques une inférence de point de vue de leur vérité ou de leur fausseté, en faveur de certaines théories universelles 7 Annales FLSH N° 18 (2014) concurrentes : Ce qui veut dire que certains expérimentaux permettent de réfuter certaines concurrentes. énoncés théories Simplement, ces trois déclarations peuvent être traduites ( A. Kremer MARIETTI, 2002 ) de la manière suivante : 1. Non, il n’est pas possible d’admettre la vérité de certains énoncés expérimentaux ; 2. Oui, il est possible d’admettre la vérité de certains énoncés expérimentaux pour justifier l’affirmation d’une théorie universellement vraie ou d’une théorie universellement fausse ; 3. Oui et non, certains énoncés expérimentaux permettent de réfuter certaines théories concurrentes mais pas toutes. POPPER voit donc, dans le problème logique de l’induction des difficultés qui vont au-delà de ce problème.( Ibidem). 1. La question de la validité ou de la fausseté des universelles relatives à certains énoncés expérimentaux ; 2. Au lieu de réfléchir comme Hume, si nous sommes ou non justifiés à raisonner à partir des cas dont nous avons l’expérience sur des cas dont nous n’avons pas l’expérience, du connu à l’inconnu, Popper demande plutôt si les cas admis antérieurement restent valides. 3. Popper veut relier le problème de l’induction au problème des lois universelles ou des théories scientifiques, car il considère toutes les lois comme hypothétiques ou conjecturales. Mais avant d’y arriver, arrêtons-nous un peu sur les caractéristiques de l’induction ? 2.2. Les caractéristiques de l’induction Il y a trois caractéristiques de l’induction scientifique que POPPER n’admet pas parce que l’induction est sujette du passage du particulier au général ( A. K. MARIETTI, O.C., p.4). 1. Un processus donné se déroulera de la même façon en même temps au même lieu pour tous les cas de cette classe ; 2. Une classe d’objets étant reconnue, la loi valide pour un ou plusieurs cas le sera pour tous les cas de cette classe ; 3. Selon la continuité de la nature, la loi valant pour certains cas vaut pour tous les cas similaires. En fait, David HUME (1711-1776) avait déjà nié qu’il eût des connexions nécessaires enregistrées par l’observation et les 8 Annales FLSH N° 18 (2014) jugements particuliers portant sur des cas non observés (par la relation de cause à effet). Prenant pour sûr que cette forme de raisonnement construit la science expérimentale parce que disait-il : « Qu’en histoire de la science, la connaissance des causes était la plus instructive puisque, c’est par cette connaissance seule que nous avons la possibilité de contrôler les événements et de gouverner l’avenir »( A. K. MARIETTI, O.C., p.5). Il refuse cependant de reconnaître dans l’induction une quelconque fonction scientifique. En effet, des inférences inductives ne sauraient justifier une conclusion. Une expérience peut belle et bien être répétée avec succès mais cela ne justifie pas nécessairement que la théorie générale que l’on tente d’induire soit vraie. L’avenir pourrait tout aussi montrer le contraire. HUME faisait remarquer aussi que la méthode n’est pas défendable d’un point de vue purement empirique. Mais il lui arrivait de penser plus sur la notion de causalité : « La poule qui a vu la fermière lui apporter du grain aujourd’hui, la verra-t-elle demain poser le même acte ? La bille en contact avec une autre la mettra-telle toujours en mouvement ». C’est la notion de causalité qui est au centre des investigations de HUME sur l’entendement humain. A tout bien considérer, POPPER pense plus au principe de l’induction qui, selon lui, n’est pas rationnel. Il qualifie d’échec, la tentative de justifier le fondement de l’induction sur la logique et l’expérience par les néopositivistes. Après cette esquisse de compréhension de ce qu’est l’induction, nous passons maintenant à l’examen du principe et des problèmes issus de l’induction. L’on peut se demander : si l’observation nous fournit le point de départ des énoncés d’observation que nous tenons assurés, par quel cheminement le raisonnement inductif conduit-il à une connaissance scientifique digne de foi et éventuellement vraie ? 2.3. Le problème de l’induction sur le plan logique Les arguments logiques, jugés valides, sont spécifiques étant donné que, leur prémisse étant vraie, alors la conclusion est forcément vraie. La justification du principe de l’induction serait possible si les arguments le sont également, chose qui n’est pas le cas, déclare POPPER : « Les arguments inductifs ne sont pas des arguments logiquement valides » ( K. POPPER, O.C., p.24.). 9 Annales FLSH N° 18 (2014) Le fait que les prémisses d’une inférence inductive soient vraies n’implique pas ipso facto que la conclusion le soit. La conclusion d’un argument inductif peut être fausse alors que les prémisses sont vraies. Supposons, par exemple, que nous ayons observé un grand nombre des corbeaux dans des circonstances fort variées. Après avoir constaté que tous les corbeaux observés jusqu’à ce jour étaient noirs, nous en concluons que « tous les corbeaux sont noirs ». POPPER montre que cette induction est légitime d’autant plus que jusque là un cas nouveau n’a pas encore dit le contraire, cette légitimité est relative selon la configuration spatio-temporelle déterminée. Cependant, l’induction ne peut être justifiée sur des bases purement logiques car une inférence inductive avec des prémisses vraies peut conduire un jour à une conclusion fausse lorsqu’un élément non encore observé fera son apparition. On ne peut donc justifier le principe de l’induction en faisant recours à la seule logique. Si l’on tient ce principe pour acquis, l’intuitiviste sera désormais obligé d’indiquer comment à partir de l’expérience il faut tirer le principe de l’induction. 2.4. L’expérience dans le raisonnement inductif Le fonctionnement de l’induction se fait dans un grand nombre de cas observés. Cette façon de justifier l’induction semble inacceptable comme l’a montré de façon non moins convaincante David HUME, dès le XVIIIème siècle. La forme d’argument de justification est la suivante : le principe d’induction a marché dans le cas 1. Le même principe a marché dans les cas 2, 3, 4, 5, etc. A partir de ces différents cas observés, on conclut que ce principe marchera dans tous les cas semblables. Cette justification d’un énoncé universel qui affirme la validité du principe de l’induction est tirée ici d’un certain nombre d’énoncés singuliers portant sur des explications heureuses de l’expérience. En effet, la revendication extrême que toute connaissance soit tirée de l’expérience par induction, ruine le principe de l’induction, fondement de la position intuitiviste. D’autant plus que la question peut s’agir de savoir si combien d’observations il faudra accumuler pour en obtenir un grand nombre ? De ce qui précède, on remarque qu’en partant de l’examen de ce qu’il appelle « problème de l’induction », POPPER affirme que sur le plan logique, on ne peut soutenir l’induction car un cas non encore observé peut dans l’avenir contredire ce qui est soutenu aujourd’hui comme vrai. 10 Annales FLSH N° 18 (2014) Comme on le voit, la question de l’expérience dans l’induction a soulevé une vraie difficulté concernant le nombre d’observations qu’il faut pour l’obtention d’un grand nombre des cas. III. APPRECIATION CRITIQUE Les premier et deuxième points de cet article ont consisté en une analyse du raisonnement inductif aussi bien chez J.S. MILL que chez K. POPPER. Dans ce troisième point qui est le dernier de notre démarche, nous nous assignons comme tâche d’apprécier la théorie de l’induction chez ces deux philosophes. 3.1. Mérites et limites de la théorie de J.S.MILL a. Mérites J.S. MILL a le mérite d’avoir élaboré sa théorie empiriste de la connaissance pour critiquer la philosophie occidentale basée sur les lois catégorielles. En posant le problème de l’induction, il a en même temps mis sur pied « les méthodes d’inductions » pour permettre de découvrir et de justifier les lois scientifiques, chose qui lui a valu la célébrité au 19ème siècle. Mais si des jours après, sa théorie se révèle inefficace, elle a au moins servi de tremplin à partir duquel sont partis les autres philosophes comme notamment D. HUME et K. POPPER. b. Limites de la théorie de MILL Les faiblesses de la théorie de MILL sont dues à la justification de l’induction par le principe de causalité universelle, appelé aussi le principe du déterminisme. 1. Si je constate un certain nombre de fois que le phénomène A est suivi du phénomène B. et si je pose la loi : nécessairement tout phénomène A entraînera B : Si c’est mon esprit qui pose la relation universelle et nécessaire entre A et B, rien ne me garantit par contre que les phénomènes réels s’y conforment, ni même que A sera toujours suivi de B. En d’autre termes ; maintes fois que le phénomène A est suivi du phénomène B, on peut être tenté de penser que toujours et nécessairement A appelle B. C’est pensable, on est alors porté à le penser. Mais en quoi cela est vrai ? C’est ici qu’il n’y a pas de preuve. Car le fait qu’une chose soit pensable ne prouve pas qu’elle est vraie. Il n’est pas exclu qu’un jour A se présente sans B. Et alors la loi universelle ne sera plus pensable que comme une idée. 11 Annales FLSH N° 18 (2014) 2. « Si un grand nombre des A ont été observés dans les conditions fort variées et si tous les A observés sans exception possèdent la propriété B, alors tous A possèderont probablement la propriété B. » (A. F. CHALMERS, 1988, p.37). Donc plus grand est le nombre d’observations menant à une induction, et plus variées sont des conditions dans lesquelles les observations sont faites, plus grande est la probabilité que les généralisations qui en résultent soient vraies. C’est autant dire que le même phénomène se produit 5, 10, 20, 30, … fois sans que l’on constate jamais A sans B, la probabilité que ce soit par hasard que cela arrive est extrêmement faible. Or, le savant ne répète pas 5, 10, 20, 30, … fois la même expérience. Il organise plutôt des expériences différentes en faisant varier le plus possible les conditions afin de déterminer la forme, les limites de la validité de la loi. 3. Il faut dire que le principe du déterminisme est fondé sur les faits d’expérience. Ce faisant, la science serait basée ou fondée sur les faits d’expérience. Or, il faut s’en tenir à ce qu’il est convenu d’être appelé dans l’histoire des sciences la « révolution copernicienne » de KANT : « Jusqu’ici, on admettait que toute notre connaissance devrait se régler sur les objets, (…) ce sont maintenant les objets qui doivent se régler sur notre connaissance » (E. KANT, 1944, pp.18-19). Si MILL a le mérite de montrer que la science doit partir de l’expérience, mais il serait faux de réduire l’acquisition de la science uniquement à l’expérience. Si les lois scientifiques sont suggérées par l’expérience, elles sont posées mentalement selon les lois de notre esprit. La raison joue par conséquent un rôle important dans l’élaboration des lois scientifiques. Que dire de POPPER ? 3.2. Mérites et limites de la théorie de K. POPPER a. Mérites 1. De nos jours, il est généralement admis que l’induction pose ce qu’il est convenu d’être appelé « problème de l’induction ». La réformulation par POPPER du problème de l’induction, vaut son pesant d’or. L’effectivité de cette reformulation a été rendue possible grâce à sa méthode de mise à l’épreuve des théories. 12 Annales FLSH N° 18 (2014) En effet, pour POPPER, rien sur le plan logique ne justifie l’induction ; car il n’y a aucune garantie pour poser que ce qui est vrai aujourd’hui le sera aussi demain. 2. Bien plus, la substitution de l’induction par la déduction, POPPER a le mérite d’avoir mis à l’œuvre un critère susceptible d’assurer à la science sa fécondité : c’est le critère de falsifiabilité. b. Les limites Bien que POPPER soit considéré de nos jours par d’aucuns comme l’un des plus grands philosophes des sciences, il ne manque pas cependant des faiblesses. Nous nous limitons à deux critiques qui lui sont formulées : 1. Popper a critiqué l’induction en y retournant ou en la défendant sans s’en rendre compte. Il faut dire que la « corroboration » des hypothèses falsificatrices nécessite la répétition. A ce sujet, POPPER écrit : « Lorsque nous essayons d’évaluer le degré de corroboration d’une théorie, nous pouvons raisonner un peu de la manière suivante : son degré de corroboration se lèvera avec le nombre de cas de corroborant. Nous accédons habituellement ici aux premiers cas corroborant la théorie, une importance beaucoup plus grande qu’aux premiers. »( M. GHINS, 1996-1997, p.16-17). En lisant Karl POPPER, n’assiste-t-on pas ici à l’induction ? 2. Une deuxième critique que l’on peut relever est celle que Thomas KUHN lui adresse : POPPER ne justifie pas l’option par laquelle les savants conviennent d’admettre les lois jusqu’ici vérifiées. En effet, cette option est guidée par un consensus de tous les spécialistes d’une même discipline sur les orientations de base. CONCLUSION Notre réflexion était centrée sur le problème philosophique de la validité du raisonnement inductif utilisé dans les sciences positives. En effet, en philosophie des sciences, la validité du raisonnement inductif ne fait pas l’unanimité des philosophes. Il se crée alors deux camps : ceux qui soutiennent sa légitimité d’une part, et ceux qui la contestent d’autre part. 13 Annales FLSH N° 18 (2014) Nous avons analysé la démarche inductive chez JS MILL comme l’un de ceux qui soutiennent l’induction. En fait, pour lui, on peut partir de l’axiome de l’uniformité du cours de la nature pour fonder le principe de l’induction. Et cet axiome trouve son explication rationnelle dans le principe de causalité universelle appelé « principe de causalité physique » ou « principe du déterminisme ». Ce principe fonde, selon le philosophe, les lois scientifiques. POPPER, par contre, rejette la validité du raisonnement inductif en science de la nature. Il soutient que rien ne justifie l’induction sur le plan logique d’autant plus que les lois de la science ne sont pas absolues mais provisoires et hypothétiques car, susceptibles de changement. Ce qui apparaît vrai aujourd’hui peut se révéler faux demain. Enfin, le dernier point de notre démarche était essentiellement consacré à l’appréciation critique de la théorie de l’induction chez les deux auteurs. Nous avons ici relevé l’aspect selon lequel chacun de deux auteurs a des mérités dans sa théorie mais qu’il accuse aussi des insuffisances dans ce qu’il défend. Quant à nous, tout en reconnaissant avec K POPPER que le raisonnement inductif soulève un problème sur le plan logique, nous soutenons contre lui que l’induction est incontournable en sciences positives, car celles-ci commencent toujours par la collecte des faits scientifiques. Avec I. LAKATOS, nous pouvons également faire remarque à K. POPPER, au sujet de son principe de falsifiabilité, qu’un seul fait ne pourrait pas réfuter une théorie. Illustrons cela par un exemple : si la trajectoire observée d’une planète P ne correspond pas à sa trajectoire calculée, plutôt que d’imaginer que la théorie de la gravitation est fausse, on peut toujours imaginer qu’il existe une autre planète P’, jusque là inconnue, qui perturbe la trajectoire de P. si de nouvelles observations ne mettent pas en évidence l’existence de la nouvelle planète P’, ce n’est pas pour autant que la théorie de la gravitation soit fausse ; on peut toujours imaginer qu’un nuage de poussière cosmique cache la planète P’. si on ne découvre pas le nuage en question, il sera toujours possible d’avancer une nouvelle hypothèse et ainsi de suite. Une réfutation ne serait donc possible que si l’on pouvait être sûr qu’il n’y avait pas de paramètres cachés responsables de la perturbation observée. Cet exemple confirme la dynamicité de la science. Les lois scientifiques, œuvres de l’esprit, ne sont pas absolues, mais provisoires, susceptibles de changement comme le dit bien K. POPPER. 14 Annales FLSH N° 18 (2014) BIBLIOGRAPHIE BLANCHE, R., l’induction scientifique, Paris, P.U.F., 1975. CHALMERS, A. F., Qu’est-ce que la science ? Récents développements en philosophie des sciences : POPPER, KUHN, LAKATOS, FEYEREBAND, Paris, la découverte, 1988. GHINS, M., Introduction à la philosophie des sciences de la nature. Aide mémoire, l’Université Catholique de Louvain, 1996. KANT, E., Critique de la raison pure, Paris, PU.F., 1944. LALANDE, A, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, 1993. LACHELIER, J., Du fondement de l’induction, Paris, L.F. Alcan, 1924. MARIETTI, A. K., (Conférence donnée au centre universitaire de Luxembourg le 19 déc. 2002 à l’invitation de la société Luxembourgeoise de philosophie) WWW.érudi/éruditorg/philosophie. MILL, J.S., Système de logique déductive et inductive, Paris, Librairie philosophique de Ladrange, 1998. MORFAUX, L.M., Vocabulaire de la philosophie et des sciences humaines, Paris, Armand Colin, 1980. POPPER, K., Logique de la découverte scientifique, Paris, Payot, 1978. IDEM. , La connaissance objective, éditions complexes, 1985. 15