Pédiatrie: La médecine du sommeil en tant que modèle pour la prise

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HIGHLIGHTS 2006
Forum Med Suisse 2006;6:1170–1171
1170
Pédiatrie: La médecine du sommeil en tant que modèle
pour la prise en charge des enfants et des adolescents
Felix H. Sennhauser
Medizinische Universitäts-Kinderklinik, Kinderspital Zürich
Introduction
En pédiatrie, le sommeil constitue en pédiatrie
aussi un thème d’actualité, qui intéresse aussi
bien les pédiatres généralistes que certains sousspécialistes, en particulier dans le domaine de la
pédiatrie du développement, de même que les
pneumologues et les neurologues. Il n’est pas
rare que l’une ou l’autre maladie perturbe le
sommeil durant l’enfance ou l’adolescence. Ces
troubles du sommeil peuvent avoir d’importantes répercussions sur la santé, le comportement
et le développement des enfants et des adolescents et représentent souvent un fardeau considérable pour l’entourage familial. En Suisse, un
enfant sur trois se réveille la nuit ou présente une
fois ou l’autre des difficultés d’endormissement
au cours de son développement. En effet, les
troubles du sommeil comptent parmi les principaux troubles comportementaux chez l’enfant
[1]: celui-ci ne parvient plus à s’endormir, ne dort
plus d’une seule traite, se réveille, parfois en
criant, fait de l’énurésie, ronfle, tousse ou respire
de façon irrégulière durant son sommeil. La plus
grande partie des troubles du sommeil de l’enfant peut être diagnostiquée, interprétée et souvent traitée de manière curative dans le cadre
d’une consultation pédiatrique comprenant une
anamnèse soigneuse, une bonne observation,
ainsi qu’un protocole du sommeil établi par les
parents. Les parents attendent alors du pédiatre
qu’il soit capable de prendre en charge leur
enfant souffrant de troubles du sommeil dans
sa globalité, en tenant compte aussi bien des caractéristiques somatiques que des facteurs
psychosociaux ainsi que des éléments spécifiques liés à son développement. Dans ce contexte,
ce ne sont donc pas uniquement les connaissances somatiques qui importent, mais également
celles qui ont plus particulièrement trait au processus de développement de l’enfant et de l’adolescent.
Le réveil de la science du sommeil
Ces dernières années, le sommeil et les troubles
le concernant ont suscité un regain d’intérêt
spectaculaire chez les scientifiques. Le retentissement de l’intense activité de recherche dans ce
domaine s’exprime ainsi dans le grand nombre
de travaux publiés au cours des deux dernières
années dans des revues de premier plan, telles
que Nature et Science. Un thème central abordé
dans ces articles est celui des fonctions du sommeil pour l’organisme humain. Les résultats de
ce type de projets de recherche montrent que
le sommeil joue un rôle essentiel dans la mémorisation et l’apprentissage [2, 3]. Des connaissances fraîchement acquises ne peuvent être
stockées de manière durable que si les empreintes mnésiques peuvent être fixées durant le sommeil [4]. Certains indices suggèrent que le sommeil joue un rôle primordial dans l’enfance déjà
dans le processus d’apprentissage et le développement cérébral. Un sommeil perturbé – par
exemple en raison d’un trouble de la régulation
de la respiration nocturne – peut également entraîner chez l’enfant des troubles cognitifs et des
perturbations au niveau du processus d’apprentissage [5]. L’importance grandissante attribuée
au sommeil par la science se reflète par
ailleurs aussi dans le nombre croissant d’unités
d’analyse du sommeil (cf. www.swiss-sleep.ch/
index3.html).
Le sommeil chez l’enfant et l’adolescent
De nombreux travaux proposant de nouveaux
paramètres de référence pour le comportement
des enfants durant le sommeil ont été publiés
ces deux dernières années [1]. Dans ce contexte
trois constatations me paraissent particulièrement importantes:
1. la dynamique du développement du sommeil
en fonction de l’âge tout au long de l’enfance;
2. la grande variabilité du comportement en matière de sommeil parmi les enfants (variabilité interindividuelle);
3. la grande stabilité individuelle des caractéristiques du sommeil au cours du temps par rapport à la population du même âge (stabilité
intra-individuelle).
Les enfants du même âge peuvent ainsi avoir des
durées de sommeil très variables: par exemple,
96% des enfants âgés de cinq ans dorment entre
9,5 et 13,3 heures par jour [6]. Le besoin individuel en sommeil reste néanmoins stable par
rapport aux camarades du même âge; autrement
dit, un petit dormeur restera un petit dormeur et
un gros dormeur restera un gros dormeur. La
grande stabilité intra-individuelle du sommeil
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au cours de l’enfance suggère donc que le sommeil est soumis à des mécanismes de régulation
biologiques. Les processus de maturation de la
régulation du sommeil ont pour conséquence que
l’enfant en âge préscolaire, de trois à quatre ans,
peut rester éveillé toute la journée et n’a plus
besoin de faire la sieste et que les adolescents
vont se coucher de plus en plus tard [7].
La régulation du sommeil ne relève cependant
pas uniquement d’un processus biologique, elle
dépend aussi fortement de facteurs socioculturels. Dans les pays du Sud, les enfants vont
en général plus tard au lit que dans le Nord. D’autre part, en Asie, les enfants dorment le plus
souvent avec leurs parents, dans le même lit ou
du moins dans la même chambre. Il faut bien
connaître les interactions entre la biologie et
le contexte psychosocial et culturel pour pouvoir
prendre correctement en charge certains troubles du développement et par là même les
différents troubles du sommeil [8]. Une connaissance approfondie du développement de l’enfant
intégrant l’ensemble des aspects biologiques,
médicaux, systémiques et psychosociaux, est absolument indispensable.
Le concept global de la médecine
du sommeil chez les enfants
La médecine du sommeil constitue ainsi un modèle idéal et un bon exemple de prise en charge
globale et interdisciplinaire des enfants et des
adolescents. Certains troubles du sommeil de
l’enfance sont d’origine organique, d’autres
caractéristiques du sommeil sont circonstancielles, résultant de certaines particularités psychosociales ou socioculturelles. La compréhension
d’une pathologie cliniquement significative présuppose donc toujours une excellente connaissance du comportement normal pour l’âge, de
la physiologie propre à ce dernier et du dévelop-
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pement normal des enfants et des adolescents.
Une médecine du sommeil ainsi comprise nous
enseigne donc les bases fondamentales indispensables à l’application d’une méthodologie scientifique correcte et à une prise en charge médicale
compétente dans les troubles du comportement
et du développement:
– la collecte de données de référence, servant
de point de départ pour une bonne compréhension des fonctions normales;
– une bonne connaissance de l’étiopathogénie
des dysfonctions constatées;
– une intervention intégrative systémique,
adaptée au niveau et orientée vers les processus du développement.
Le contact fréquent avec des enfants et des adolescents sains et malades, des connaissances
spécifiques sur les caractéristiques biologiques
du développement sur la psychologie du comportement, ainsi que sur les aspects socioculturels sous-jacents aux comportements normaux
et perturbés, constituent une base solide pour
l’établissement d’un concept thérapeutique intégratif et interdisciplinaire. La médecine du
sommeil chez les enfants s’inscrit donc parfaitement dans la pédiatrie du développement et
elle occupe une place centrale dans la médecine
de l’enfance et de l’adolescence. Une bonne
connaissance dans ce domaine permet aux pédiatres de disposer des compétences nécessaires
à une prise en charge exhaustive et de se positionner simultanément comme spécialistes de
l’enfant et de l’adolescent, dans l’optique des besoins spécifiques liés à leur âge et à leur stade de
développement et de leurs attentes en matière
de soins, d’empathie et d’accompagnement.
La médecine du sommeil chez les enfants peut
ainsi être considérée comme une messagère
appelant à donner à la pédiatrie du développement une place centrale dans la formation postgraduée des spécialistes en médecine de l’enfant
et de l’adolescent.
Références
Correspondance:
Prof. Felix H. Sennhauser
Medizinische
Universitäts-Kinderklinik
Kinderspital
Steinwiesstrasse 75
CH-8032 Zürich
[email protected]
(secrétariat)
1 Jenni OG, Fuhrer HZ, Iglowstein I, Molinari L, Largo RH. A
longitudinal study of bedsharing and sleep problems among
Swiss children in the first 10 years of life. Pediatrics. 2005;
115:233–40.
2 Waking up to the importance of sleep. Nature. 2005;437
(7063):1207.
3 Stickgold R. Sleep-dependent memory consolidation. Nature.
2005;437(7063):1272–8.
4 Walker MP, Stickgold R. Sleep, memory, and plasticity. Ann
Rev Psychol. 2006;57:139–66.
5 Kheirandish L, Gozal D. Neurocognitive dysfunction in children with sleep disorders. Dev Sci. 2006;9(4):388–99.
6 Iglowstein I, Jenni OG, Molinari L, Largo RH. Sleep duration
from infancy to adolescence: reference values and generational trends. Pediatrics. 2003;111(2):302–7.
7 Jenni OG, LeBourgeois MK. Understanding sleep-wake regulation and sleep disorders during childhood: the value of
a model. Curr Opin Psychiatry. 2006;19(3):282–7.
8 Jenni OG, O’Connor BB. Children’s sleep: an interplay
between culture and biology. Pediatrics. 2005;115(1 Suppl):
204–16.
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