précise en est donnée par le modèle du duopole qui étudie les rapports entre deux producteurs
d’un bien face à une demande exogène. Les actions concernent la fixation des quantités
produites (ou des prix) d’un bien quelconque, les préférences se réduisent aux profits, les
croyances à la fonction de demande. Une expression plus précise encore concerne deux
entreprises qui se partagent le marché d’un bien particulier. La demande anticipée des
consommateurs comme la fonction de production des producteurs adoptent alors une forme
analytique précise, par exemple linéaire.
L’interprétation d’un modèle intervient dès le contexte de la ‘découverte’, qui s’avère très
détaché du contexte ultérieur de la ‘justification’. De plus, le modèle reçoit des interprétations
multivoques, les modélisateurs pouvant cependant s’accorder sur les plus pertinentes. La
variabilité de l’interprétation peut provenir des principes théoriques, lorsque diverses
significations en sont données. Ainsi, la loi du revenu permanent, qui lie la consommation aux
revenus présent et passés, s’interprète comme le fait que la consommation s’ajuste par inertie
sur une moyenne des revenus passés ou s’ajuste sur une anticipation du revenu futur, elle-
même évaluée en fonction des revenus passés. La variabilité peut aussi provenir des données
empiriques, lorsqu’une corrélation entre variables peut recevoir diverses lectures causales.
Ainsi, la relation de Phillips, qui relie inflation et chômage, peut traduire le fait que l’inflation
augmente les coûts de production et diminue l’activité, ou que le chômage fait baisser les
salaires et donc les prix.
Ce langage formel homogène, qui traduit un accord de la profession sur la méthode
économique à suivre, facilite grandement la cumulativité synchronique du savoir. D’une part,
la formalisation favorise la conception des modèles, en suggérant de multiples combinaisons
entre des grandeurs bien répertoriées. Tout modèle adopte une forme modulaire, un module
pouvant aisément être remplacé par un autre sans toucher au reste. Ainsi, les mécanismes
d’enchères sont étudiés en conservant le même comportement des enchérisseurs, mais en
modifiant la règle de fixation des enchères. D’autre part, la formalisation favorise la
validation des modèles, en autorisant des tests qui conduisent à des réfutations strictes ou
simplement statistiques. Tout modèle permet de tester si telle ou telle variable explicative
exerce effectivement une influence sur une variable expliquée et si elle doit y être incorporée.
Ainsi, la consommation de poisson est certes influencée par le prix, mais aussi par des
facteurs météorologiques ou même religieux qui peuvent s’avérer importants.
Cependant, la formalisation est souvent analysée comme une condition nécessaire, mais non
suffisante de la cumulativité. Tout d’abord, un formalisme global peut être récusé en raison de
son inadéquation intrinsèque au problème posé. Ainsi, un psychologisme étroit peut
considérer que le comportement humain n’est guère formalisable, même en termes aléatoires,
du fait de la liberté de choix des acteurs. Ensuite, un formalisme plus spécifique est lui aussi
rejeté en raison de son inadaptation, au moins provisoire, à certains phénomènes. Ainsi, le
cumul du savoir d’un acteur, lorsqu’il est pratiqué sous une forme directement additive, est
critiqué en tant que le savoir est fondamentalement structuré et n’est donc pas simplement
sommable. Enfin, un formalisme va être exclu dans la mesure où il distord par trop
l’interprétation d’un phénomène bien connu par ailleurs. Ainsi, une innovation technologique
peut difficilement être modélisée, comme on a tenté de le faire, par la découverte d’un
procédé qui est potentiellement déjà existant.
2. Modalités diachroniques de la cumulativité