Introduction 1. Le caractère de la philosophie présocratique Le point

Introduction
a history of philosophy is impossible
John Burnet
1. Le caractère de la philosophie présocratique
Le point de départ pour la présente recherche était la curio-
sité de voir dans quelle mesure il est vrai que la philosophie dite
présocratique est, comme on l’entend habituellement, orientée sur
la nbF4H. Certains fragments des philosophes dits philosophes de
la nature semblent n’y avoir presque aucun trait. Dans un nombre
des textes on aperçoit en revanche leur intérêt pour les questions
anthropologiques, y compris celles de l’affectivité. Une analyse
plus détaillée a montré qu’à partir du langage des Présocratiques
on décèle un vocabulaire des sentiments concrets jusqu’à pouvoir
identifier plusieurs groupes de sentiments, tels que joies, tris-
tesses, craintes, colères, dépressions, désirs, folies, soucis, hontes,
courages, haines et amitiés/amours. Mais ces résultats ne vont pas
être présentés ici
1
, le but de ce livre étant de discuter le sentiment
même, la notion ou la catégorie sentiment.
Pour ce qui est des Présocratiques, en les appelant les philo-
sophes de la nature et certains spécialistes insistent sur le fait
que les Présocratiques s’intéressaient uniquement à la nbF4H –,
1
J’envisage de leur consacrer une autre publication. En attendant, on peut
noter la parution récente de l’ouvrage de D. Konstan, The Emotions of the
Ancient Greeks ... qui traite des sentiments particuliers répartis en 11 groupes.
Comme le titre l’indique les Présocratiques n’y sont pas traités mais le livre est à
évoquer à cause de son explicite distinction qui importe ici: particular emotions
or the category of emotion itself (p. ix). La problématique de l’affectivité
comprend donc au moins ces deux perspectives distinctes: la première vise les
sentiments particuliers, la seconde se rapporte au terme sentiment, ainsi qu’aux
problèmes de l’affectivité comprise de façon générale, par exemple les modes du
sentiment et ses dynamismes. La même distinction se trouve également in: R. So-
rabji, Emotion and Peace of Mind ... , p. 1: This book is about emotion in ancient
philosophy, not about particular emotions, but about what emotion is in general
(...), mais les Présocratiques n’y sont pas examinés.
SUR LE SENTIMENT CHEZ LES PRESOCRATIQUES
10
on nie leur intérêt pour l’anthropologie. S’il arrive d’autre part
qu’on leur reconnaisse cet intérêt, on le limite au domaine de la
raison seule
1
.
A la lumière de l’affectivité on étudie depuis vingt ans
environ les philosophes post–socratiques. De plus en plus de
travaux découvrent ce terrain jadis négligé
2
et le plus de chances
eut Aristote dont les vues sur l’affectivité ont été analysées en
premier
3
. En ce qui concerne Platon, il y a des études plus
récentes
4
.
N’y aurait–il alors aucune étude sur l’affectivité avant
Platon
5
? Si. Apparemment il y en aurait trois. La plus récente – S.
1
B. Williams, Shame and Necessity, p. 28: (...) to think that the Greeks
had from the beginning a tendency to see character and emotional dispositions
in intellectual terms (...).
2
Pour la plupart il s’agit des travaux publiés en anglais et se rapportant à la
philosophie hellénistique. Cf. J. Annas, Hellenistic Philosophy of Mind (avec un
chapitre The Emotions, pp. 103–120, dans la partie consacrée aux Stoïciens et un
autre 9. Emotions and Feelings, pp. 189–199, dans la partie sur The Epicureans),
J. Annas, The Morality of Happiness (le premier auteur analyest Aristote), J.
Brunschwig & M. C. Nussbaum (éd.), Passions & Perceptions ... , M. C. Nuss-
baum, The Therapy of Desire ... , J. Sihvola & T. Engberg–Pedersen (éd.), The
Emotions in Hellenistic Philosophy ou encore le livre déjà mentionné de R. So-
rabji, Emotion and Peace of Mind ... .
3
Toujours en anglais: W. W. Fortenbaugh, Aristotle on Emotion ... (Aris-
tote y est étudpour sa théorie générale des sentiments), M. C. Nussbaum, The
fragility of goodness ... (Aristote mais aussi la tragédie et Platon), E. S. Belfiore,
Tragic Pleasures. Aristotle on Plot and Emotion (contenant comme 3
e
partie:
Pity and Fear avec, entre autres, le chapitre 6: Fear, Pity, and Shame in
Aristotle’s Philosophy et le chapitre 7: Tragic Emotion). On peut citer encore,
mais il s’agit d’un article, S. R. Leighton, Aristotle and the Emotions.
4
Limitées au terme thymos: L. Palumbo, Eros Phobos Epithymia. Sulla
natura dell’emozione in alcuni dialoghi di Platone, J. Frère, Ardeur et colère. Le
thumos platonicien. Cf. aussi les articles de R. Hursthouse, Plato on the
emotions et de H. Ioannidi, Contribution à l’étude de la doctrine platonicienne
du thymos.
5
O. Gigon, Les grands problèmes de la philosophie antique qui est un des
rares ouvrages avec une section séparée sur les émotions (III
e
partie, chap. X, pp.
301–312) ne mentionne pas les Présocratiques, excepté Gorgias (p. 302: Les
conséquences pratiques des émotions avaient déjà fait l’objet de discussions
chez les sophistes; c’est ce que nous prouve une page tirée d’un essai du
INTRODUCTION
11
Knuuttila, Emotions in Ancient and Medieval Philosophy
1
séduit pas son titre mais sa première partie (Emotions in Ancient
Philosophy) s’ouvre par 1. 1 Emotions and the Part of the Soul in
Plato’s Republic. Il n’en est pas autrement de J. M. Cooper,
Reason and emotion
2
le titre est fascinant mais c’est un recueil
d’articles les Présocratiques n’apparaissent pas
3
. Le plus
ancien des trois est le livre de J. Frère, Les Grecs et le désir de
l’être
4
. C’est le seul qui traite de l’affectivité chez les Présocra-
tiques, même si l’auteur ne consacre aux Présocratiques que
quelques 80 pages de son livre (soit presque un cinquième
5
)
6
.
Frère exprime sa prise de position dès le début: Il serait
partiel et partial de ne voir dans la philosophie grecque qu’une
philosophie de la raison et de la loi.
7
L’analyse psychologique et
métaphysique de l’affectivité débute avec plusieurs des Présocra-
tiques
8
. Frère se concentre aussi bien sur les termes généraux
comme thumos, phren, noos que sur les sentiments particuliers
9
.
sophiste Gorgias). De manière générale Gigon considère, p. 302: Les historiens
de la philosophie doivent trouver bien étonnant que ni Platon ni Aristote n’aient
prêté une particulière attention au problème des émotions. Quand ils y font
allusion, ce n’est guère qu’en passant. Mais avec l’époque hellénistique, la dis-
cussion sur ce point atteint brusquement, pour ainsi dire, son paroxysme.
1
S. Knuuttila, Emotions in Ancient and Medieval Philosophy.
2
J. M. Cooper, Reason and emotion ... .
3
La 1
ère
partie commence avec Socrates and Plato, ensuite on continue
avec Aristotle (2
e
partie) pour finir avec Hellenistic Philosophy (3
e
partie).
4
J. Frère, Les Grecs et le désir de l’être ... .
5
Le fait est peu vu par C. Gill (dans son compte rendu) qui, même s’il dit,
p. 228: Plato and Aristotle, to whom the book is largely devoted, dans la suite de
son compte rendu ne parle pas du tout des Présocratiques. Toutefois il le -
sume, p. 228, ainsi: it is an important part of F.’s thesis that the Greek search
for being is not a purely rational activity but is also an emotional one (...).
6
Par ailleurs, le titre a été atténué par rapport à la thèse soutenue. Cf. J.
Frère, Les tendances et l’affectivité dans la philosophie grecque, des Présocra-
tiques à Aristote. Présocratiques est désormais remplacé par les Préplatoniciens
et la notion d’affectivité est supprimée.
7
J. Frère, Les Grecs et le désir de l’être ... , p. 3. Cf. aussi p. 15: Pourtant
(...) les penseurs [préplatoniciens] font place à une saine affectivité.
8
J. Frère, Les Grecs et le désir de l’être ... , p. 3.
9
Cf. par exemple les listes données à la p. 17, p. 82, p. 111 etc.
SUR LE SENTIMENT CHEZ LES PRESOCRATIQUES
12
Bien que dans l’Index rerum aucun des mots grecs ne soit traduit
comme sentiment, émotion, la préférence étant donnée à la
perspective volitive (tendance, désir, volonté), dans sa conclusion
Frère définit son livre comme une recherche sur les puissances
affectives de l’âme. Il y dit que: L’une des grandes découvertes
des pionniers de la philosophie en Grèce, c’est que la raison n’a
de sens que par rapport à ce qui, dans l’âme, est autre que la
raison. La raison se heurte aux tendances et aux sentiments (...).
Ce qu’il faut surtout souligner c’est que Frère insiste sur l’irré-
ductibilité radicale des phénomènes d’inclination et de désir au
phénomène de la connaissance réfléchie
1
. Il est dommage que
l’ouvrage de Frère soit souvent ignoré
2
.
Je me dois pourtant de signaler des études et je me limite
aux monographies traitant soit d’un groupe des sentiments, soit
d’un sentiment particulier, soit d’un lexème grec concret. On y
trouve des chapitres ou quelques développement consacrés aux
Présocratiques
3
. Enfin, on peut évoquer des articles ou des
chapitres de livres sur les sujets plus généraux, par exemple sur la
psychologie ou l’éthique anciennes
4
. C’est pourquoi il est curieux
1
J. Frère, Les Grecs et le désir de l’être ... , p. 441. Cf. aussi p. 81: Les
premiers penseurs de la Grece sont aussi des penseurs de l’homme; et comment
penser l’homme sans discerner en lui l’importance des sentiments et du dyna-
misme des désirs? et p. 109: l’unité fondamentale du psychisme.
2
C’est par exemple le cas de Cooper, de Knuuttila et de Konstan.
3
Ce sont par exemple: C. E. von Erffa, Aidos und verwandte Begriffe in
ihrer Entwicklung von Homer bis Demokrit, C. de Heer,
9V6"D
,
gÛ*"\:T<
,
Ð8$4@H
,
gÛJLPZH
, J.–C. Fraisse, Philia ... , J. C. B. Gosling & C. C. W. Taylor,
The Greeks on Pleasure, G. Casertano, Il piacere, l’amore e la morte ... , D. L.
Cairns, Aidōs ... , E. Smoes, Le courage chez les Grecs ... .
4
Cf. A.–E. Chaignet, Histoire de la psychologie ... (une de ses conclusions
concernant la période présocratique est la suivante, p. 134: Nous avons vu le rôle
et l’importance de la Psychologie dans l’histoire de la philosophie antérieure à
Socrate: elle est le fondement de tous les systèmes. Cependant l’ouvrage, même
s’il est disponible on–line, est rarement cité. En ce qui concerne J. Château, Les
grandes psychologies dans l’antiquité le premier auteur traité est Platon), E.
Rohde, Psyche ... , D. B. Claus, Toward the Soul ... , J. de Romilly, „Patience
mon cœur!” ... , S. D. Sullivan, Psychological and Ethical Ideas ... (trois des six
termes que j’analyse y sont examinés, pp. 26–35, pp. 47–52, pp. 67–69). Même
si ce n’est que de manière plus ou moins accessoire, l’affectivité dans la philo-
INTRODUCTION
13
de voir que certains spécialistes nient explicitement la réflexion
philosophique au sujet de l’affectivité avant Platon
1
et que
d’autres sont hésitants à cet égard
2
.
En dehors de cet état de la recherche il existe une raison
supplémentaire pour entreprendre l’analyse des fragments des
Présocratiques à la lumière de l’affectivité. C’est la reprise de la
problématique de l’affectivité dans les sciences humaines
3
. Si les
auteurs retracent l’historique, non seulement ils ne mentionnent
pas les Présocratiques, mais ils ne parlent même pas de la
philosophie grecque ancienne.
2. Problèmes liés aux fragments des Présocratiques
Le fonds étudié se trouve, sauf quelques exceptions
4
, dans
un recueil de Hermann Diels et de Walter Kranz intitulé Die
sophie présocratiques est abordée dans ces ouvrages. Un dernier exemple: à la
Convention della Società Filosofica Italiana intitulé La Filosofia e le Emozioni,
tenue du 26–29 avril 2001 à Urbino, des six exposés relatifs à la philosophie
antique un concernait la philosophie pythagoricienne (G. Cornelli, Filosofia ed
emozioni nella tradizione pitagorica), un la philosophie aristotélicienne (G.
Lombisani, Le emozioni dell’amicizia aristotelica) et trois la philosophie de
Platon: L. Palumbo, Le emozioni e il pensiero nel Fedone di Platone, S. Roton-
daro, Le emozioni del riso in Platone et M. Sehdev, Sogno ed emozioni mella
filosofia platonica (un autre concerne le scepticisme: E. Spinelli, Il doppio fine
dello scettico: fra esercizio del logos e cedimento al pathos). Publiés in: La
filosofia e le emozioni ... .
1
Cf. S. Knuuttila & J. Sihvola, How the Philosophical Analysis of the
Emotions was Introduced, p. 1: The aim of this paper is to delineate the emer-
gence of the philosophical analysis of emotions in Plato and Aristotle. Our main
thesis is that certain philosophical questions pertaining to what might be called
occurrent emotions were first formulated in the works of Plato and Aristotle (...).
2
Par exemple R. C. Solomon, The Philosophy of Emotions, p. 3 évoque
même les Présocratiques parmi ceux qui s’intéressaient à la nature des émotions,
mais puis son historique débute avec Platon et Aristote. Cf. aussi R. C. Solomon,
Introduction, p. 3: Philosophers since Aristotle have explored it [emotion] (...).
3
On a affaire à une vraie mode, surtout en ce qui concerne l’intelligence
émotionnelle. Les noms des auteurs de ces best–sellers sont trop bien connus
pour qu’on soit obligé de les citer ici. D. M. Gross, The Secret History of
Emotion, p. 27 les appelle pop–psychologists.
4
Il s’agit des deux fragments d’Empédocle publiés in: A. Martin & O.
Primavesi, L’Empédocle de Strasbourg.
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