nellement «l’Obscur ». Dénonçant la vanité de l’individu tenté de s’élever au-dessus
du divin, il définit la sagesse par la fusion de la pensée personnelle dans la pensée uni-
verselle. Penseur du début du Vesiècle, Héraclite aurait été influencé par l’Égypte et
son culte de Rê; mais son attitude moniste, ionienne, qui consiste à prendre le feu
comme principe primordial des choses, lui viendrait peut-être aussi du culte d’Apollon
pratiqué à Delphes; dieu dont seul il se réclame ouvertement, lui qui était déjà descen-
dant d’une lignée de prêtres-rois. Né à Éphèse, Héraclite était fier et méprisant pour le
peuple qui avait banni son ami Hermodore; il refusa les fonctions politiques que ses
concitoyens lui proposaient. Son œuvre, La Nature, se divise en trois livres qui traitent
de l’Univers, de l’État, de la Religion. Les fragments restants (Garnier-Flammarion),
ainsi que l’ouvrage de Diogène Laërce Vie, doctrines et sentences des philosophes illus-
trés, permettent d’approcher sa pensée.
◗La mobilité de l’être est une thèse centrale. «Le devenir tout entier est une lutte»,
énonce le fragment 8, qui affirme que «tout se fait par discorde». Le devenir est sem-
blable à un fleuve où nous ne retournerions pas nous baigner deux fois dans la même eau.
C’est la réalité du temps qui, semblable à un enfant-roi, jouerait aux dés avec nos vies.
◗La guerre, comme toute chose dans la nature, est le lieu de l’opposition de forces
contraires. Elle est utile et bénéfique car, sans elle, rien ne naîtrait. «Le combat est père
et roi de toutes choses», dit le fragment 10. Le statut social (homme libre ou esclave)
et la valeur morale (courageux ou lâche) proviennent de la guerre; et avec raison « ceux
qui sont morts au combat sont honorés» (fragment 24).
◗Le relativisme quant à l’identité et la valeur des choses est la conséquence logique
de la mobilité de l’être. Ainsi «les ânes préfèrent la paille à l’or» (fragment 9) et l’eau
de mer, potable pour les poissons, demeure imbuvable et nuisible pour les hommes
(fragment 61). Et si «pour Dieu tout est beau, bon et juste; les hommes tiennent
certaines choses pour justes et d’autres pour injustes» (fragment 102).
◗Il faut affirmer l’identité des contraires et l’unité de l’être. Les contraires s’accor-
dent et la discordance crée la plus belle harmonie. La nature est le lieu d’une har-
monie invisible provenant de tensions tour à tour tendues et détendues comme celles
de la lyre ou de l’arc: harmonie de forces opposées. La loi divine divise et unit les
contraires, rendant impossible la prévalence d’un élément sur un autre: la stabilité du
monde est assurée.
◗En conséquence, «tout est un» (fragment 56). Le jour et la nuit sont une seule et
même chose; et aussi l’ombre et la lumière, le mal et le bien. D’ailleurs, en faisant souf-
frir les médecins font le bien (fragment 58). Le changement d’une chose la transforme
en son contraire et prouve l’identité profonde de l’Être (vie et mort, jeunesse et
vieillesse, etc.).
◗Le Devenir est continuelle métamorphose de l’Être. Le froid devient le chaud et le
chaud froid, l’humide sec et le sec humide. «Les âmes deviennent eau, l’eau de la terre,
mais de la terre vint l’eau et de l’eau l’âme» (fragment 36).
B. La noblesse du feu et le mépris de la foule
◗Le feu du soleil est chaque jour nouveau. Le monde est un feu vivant, éternel, qui
se transforme en mer, puis en terre et en vent. Le monde est périodiquement ramené en
arrière et consumé par le feu (fragment 30).
◗Le feu gouverne l’univers et tout sera jugé par lui selon la loi du destin. Le feu est
l’élément par lequel tout s’échange en son contraire, fondant l’unité de l’Être comme le
chemin qui monte et celui qui descend ne font qu’un (fragment 60).
◗Une morale aristocratique et ascétique accompagne ces conceptions. Si la raison
est commune à tous les hommes, peu s’en servent. Le vulgaire croit à une intelligence
particulière à chacun et préfère adresser des prières à des statues «comme si l’on par-
lait à des maisons» (fragment 5). Les hommes entendent sans comprendre, ressemblent
à des sourds ou à des dormeurs. L’instruction n’apprend pas l’intelligence, réservée à
celui qui se fait par lui-même.
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