Document 2 : L’importance des présocratiquess dépasse la seule histoire de la philosophie antique.
Ce qui n'est pas vers est prose, et la prose grecque exista à partir du moment où les
progrès de l'écriture permirent aux cités de constituer des archives, des listes de
magistrats, des recueils de lois. Ces documents, que la vanité municipale amplifiait
volontiers en les faisant remonter très haut dans le passé, sont utilisés dès le VIe siècle,
surtout en pays ionien, et servent, en même temps que la tradition orale, à établir des
généalogies et des chroniques, qui ont pour base des calculs tout à fait artificiels de
« générations » de trente ou de quarante ans, et dont les résultats arbitraires ont
longtemps encombré l'histoire des premiers siècles de Rome et de la Grèce. Ces
« enquêtes », d'où est née l'histoire, ne sont pas les seules où se soit exercée la
curiosité des Ioniens. Hécatée de Milet, en même temps qu'une Généalogie, composait
un Voyage autour de la terre, illustré d'une carte. L'univers n'apparaît plus comme un
ensemble de choses dangereuses ou profitables dont il faut conjurer les unes et utiliser
les autres, mais comme un objet d'études désintéressées. À coup sûr, il manque aux
physiciens du vie siècle, comme à tous les savants de l'Antiquité, le sens, non point, à
proprement parler, de l'expérience, mais de la méthode expérimentale, qui analyse le
phénomène à interpréter et en isole les éléments. Ils y suppléent autant que possible par
une curiosité sans cesse en éveil, une observation attentive, et un grand effort logique.
Pour la première fois dans l'histoire de la pensée humaine se manifeste L'idée, fausse
peut-être, mais en tout cas féconde, qu'il convient de chercher à l'univers un principe
originel, que ce soit l'eau, comme le veut Thalès de Milet, ou l'air, comme le prétend
Anaximène ; et, comme il ne s'agit pas seulement d'affirmer ce principe, mais de montrer
comment les choses en découlent, Anaximandre, qui croit à l'existence d'un élément
primitif indéterminé, arrive à formuler des théories grossières, mais audacieuses, qui
rejoignent les hypothèses de Laplace sur la formation du système solaire, et celles de
Lamarck sur le transformisme. Ces méditations sur le principe des choses amènent
Xénophane - un autre Ionien - à concevoir l'existence d'un dieu unique et parfait qui n'a
plus aucun rapport avec les dieux à formes et à passions humaines du polythéisme
d'Homère et d'Hésiode. Abandonnant sa patrie de Colophon pour la Grande-Grèce, il y
fait des disciples, entre autres Parménide, qui, le premier, formule l'opposition entre la
réalité intelligible et l'apparence préparant ainsi la voie aux constructions métaphysiques
des siècles suivants. Un autre grand savant, Pythagore de Samos, quitte, lui aussi, le
publie d'Ionie pour celui des villes de Grande-Grèce, peut-être plus enclin aux sérieuses
spéculations, et il étudie à Crotone, devant des auditeurs enthousiastes, les propriétés du
nombre et de l'étendue. Il enlève à l'arithmétique et à la géométrie le caractère utilitaire
que ces sciences avaient conservé en Égypte et en Babylonie, où elles n'avaient jamais
comporté autre chose que des tables à calculer destinées aux opérations commerciales
et bancaires, et des procédés empiriques pour l'orientation des édifices sacrés et pour
l'établissement d'un cadastre permanent. Il formule les lois qui régissent les rapports des
nombres entre eux, et un grand nombre de théorèmes relatifs aux lignes, aux angles et
aux surfaces. Appliquant ces résultats à l'acoustique et surtout à l'astronomie, il est le
premier à affirmer que la terre est une sphère et non un disque, et tente une explication
géométrique des éclipses, pour lesquelles les savants ne connaissaient encore que les
tables établies par les astronomes babyloniens d'après des listes d'observations
plusieurs fois séculaires. Jean Hatzfeld
Histoire de la Grèce ancienne, 1947
Association ALDÉRAN © - Cycle de cours 4302 : “Les philosophes présocratiques” - 28/12/2013 - page 4