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n’impacte pas l’école, elle ne la modifie en rien jusqu’à présent. Il est même impossible pour l’heure
d’affirmer que cette réforme réduit la fatigue des élèves, les changements de lieux, d’intervenants,
l’agitation dans les passages entre les différentes activités génèrent même un autre type de fatigue. Or
la réduction de la fatigue était un des objectifs majeurs annoncés.
Après le temps scolaire (plutôt le « temps » que les « rythmes », concept qui n’a pas de sens),
on s’amuse à débattre des notes, de l’écriture à la plume sergent major, etc… A chaque fois, on
s’éloigne des vrais problèmes. En quoi les notes, le stylo, la télévision, le clavier, le tableau blanc
informatique ont changé l’école ? Le débat sur le b-a ba revient à grand pas pour encombrer encore
davantage le paysage… Cette dispersion noie les vrais problèmes et on semble se délecter en
acceptant de s’y plonger. On devient alors complice du conservatisme. Même le débat sur les
inégalités, sur les décrocheurs, sur l’éducation prioritaire, aussi légitimes et importants soient-ils,
contribuent, si l’on n’y prend garde, à chasser des esprits l’exigence de changer l’école elle-même. Si
l’on continue à se focaliser sur des dispositifs, sur les marges du système, on ne touchera pas au
cœur. Pire, on fournira des alibis à ceux qui considèrent que l’école est réservée à des élèves
formatés, et que dès qu’un élève sort du format, il ne relève plus du système, mais de dispositifs, de
moyens parallèles, voire, ce qui est encore pire, du secteur médical. La médicalisation de la difficulté
scolaire est un danger mortel pour l’école.
Dans un tel contexte, il y a peu de chances de donner de l’enthousiasme, de mobiliser les
acteurs éducatifs, de construire le concept d’éducation globale, de progresser dans la réflexion sur
l’éducation et le territoire. D’autant que l’on a perdu beaucoup de temps et qu’il en reste peu.
Les annonces parcellaires, les affichages d’intentions, les brouillons de socle et de
programmes, exercices d’équilibrisme incertain qui permettent de fuir les ruptures nécessaires,
ne peuvent pas être déterminants. Ils sont toujours l’œuvre de théoriciens très éloignés des réalités
du terrain. On peut toujours théoriser, débattre dans l’entre soi, produire de très beaux textes. Si l’on
ignore qu’un enseignant dans une école ne croit plus à rien, est submergé par les écrits, les notes de
service, les tableaux à remplir pour hier, les injonctions en cascade, écrasé par le cumul du projet de
territoire quand ce projet concerne l’école, du projet d’école, du projet de cycle, du socle, des
programmes, on court à l’échec comme cela a été le sort de quasiment toutes les réformes dans
l’histoire de l’école. Quand on ajoute, que, dans un climat de défiance, il faut « se taper » 14 ou 20
pages de notice préparatoire à l’inspection, 10 pages de préparation pour un remplaçant en cas
d’absence, consulter sa messagerie professionnelle sur son ordinateur personnel le soir et le week-
end, rédiger des fiches de préparation selon un modèle imposé par l’inspecteur, différent de celui exigé
par l’inspecteur précédent, alors que, dans le même temps, on parle de simplification administrative, on
ne s’étonne pas que les enseignants ne veuillent plus entendre parler de rien et « font semblant » pour
se fondre dans le règne de l’apparence, après avoir rangé tous les documents au fond d’un tiroir. Ils
continuent à faire comme ils veulent et comme ils savent. Il est vrai que l’appareil est loin d’être sevré
du sarkozisme. L’obéissance est devenue la principale qualité professionnelle, étouffant toute
mobilisation de l’intelligence collective.
Il n’y aura pas de refondation sans rupture avec des pratiques d’un autre temps, il n’y
aura pas d’amélioration de la réussite scolaire sans confiance, sans bonheur d’apprendre et
d’enseigner, sans liberté.
Il n’y aura pas refondation sans changement de climat, de mentalités, de modes de
fonctionnement, de méthodes. Les plus beaux textes et les moyens supplémentaires n’y
changeront rien.