Académie de Toulouse Formation continue Sciences économiques et sociales 19 janvier 2006 J.F Lefèvre Farcy Droits sociaux, sécurité et justice sociale. Introduction : Notre modèle de protection sociale, quel diagnostic ? 1- L'invention du Social comme résolution du paradoxe de la modernité 1.1 L'insécurité au fondement du social : 1.1.1 Les protections dans les sociétés sans social 1.1.2 L'émergence du social dans les sociétés d'individus 1.2 Le droit social comme manière d'instituer le Social 1.2.1 Les théories du contrat social : le droit sans social 1.2.2 Protection versus responsabilité : le droit social 1.3 L'accomplissement du Social : propriété sociale et solidarités collectives 1.3.1 Le solidarisme et les services publics 1.3.2 De la propriété sociale à l'Etat social 2- La société du risque ou la destitution du Social 2.1 De la frustration sécuritaire à la société du risque 2.1.1 De la frustration sécuritaire... 2.1.2 La société du risque : risque et modernité réflexive 2.2 Une nouvelle philosophie politique du risque comme refondation de la protection 2.2.1 Le risque comme moyen de repenser le politique et comme principe de gouvernement 2.2.2 Le retour de la responsabilité et de la propriété au coeur du dispositif de protection des individus 2.3 Le gouvernement par l'individualisation : l'individualisation de la protection 2.3.1 La contractualisation : de la loi au contrat, de l' Etat-providence à l'Etat régulateur 2.3.2 Une reféodalisation des protections 3- Pour une nouvelle sécurité sociale ou comment fonder une société de sécurité 3.1 Les pré-requis nécessaires 3.1.1 Se défaire de la tentation sécuritaire 3.1.2 Le principe d'irréversibilité ou la nécessité de refondation du social 3.2 La flexibilité au prix de la protection : modèle d'incitations et Etat social patrimonial 3.2.1 La protection comme variable endogène de la compétitivité 3.2.2 Sécuriser le travailleur :la troisième voie à l'anglaise 3.3 La protection au prix de la flexibilité :la flexicurité 3.3.1 La sécurité dans un " au-delà de l'emploi " au nom d'une conception rénovée de la justice sociale 3.3.2 La sécurisation des trajectoires : le paradigme des marchés transitionnels du travail Objectifs pédagogiques : L'articulation droits sociaux, sécurité et justice sociale trouve pleinement place dans la partie " Intégration et solidarité" du programme de terminale en relation avec les notions en gras : Intégration et solidarité PROGRAMME Protection sociale et solidarités NOTIONS ESSENTIELLES Etat-providence, assurance/assistance, redistribution NOTIONS COMPLEMENTAIRES Risques sociaux, universalisme/communnautarisme Conformément aux recommandations de programme, dans le cadre de la discussion des rapporte entre justice sociale et inégalités, il s'articule : - en amont à : Travail et emploi PROGRAMME NOTIONS ESSENTIELLES NOTIONS COMPLEMENTAIRES Qualification, taylorisme, fordisme, toyotisme, contrat de travail Organisation du travail et emploi Division du travail Croissance, progrès technique et emploi Marché, salariat, coût du travail, marché du travail, chômage, précarité flexibilité Rendements croissants, marchés internes et externes du travail NOTIONS ESSENTIELLES Société démocratique, justice sociale, équité NOTIONS COMPLEMENTAIRES Incitations, méritocratie, exploitation - Stratification sociale et inégalités PROGRAMME Idéal démocratique et inégalités - en aval à : Intégration européenne et politiques économiques et sociales PROGRAMME Les nouveaux cadres de l'action politique NOTIONS ESSENTIELLES Politiques économique, politique monétaire, politique budgétaire, consommations collectives, service public, service universel NOTIONS COMPLEMENTAIRES Coordination des politiques économiques et sociales, déréglementation/nouvelles régulations, subsidiarité Objectifs : Æ de programme Alternativement à une lecture économique dérivée du keynésiannisme laquelle associe rapidement Etatprovidence et redistribution au fondement de notre système de protection sociale, il s'agit de rappeler le caractère fondamentalement social des systèmes de protection. Pour ce faire, en s'appuyant sur la notion de risque social, il s'agit alors de montrer que la protection sociale à travers l'institution du droit social est un élément clé de réponse au problème qui surgit avec l'avènement des sociétés modernes : celui de l'insécurité sociale. Voilà qui justifie au premier chef l'articulation entre protection et solidarité Sans dénier les apports du keynésiannisme, cette lecture permet par ailleurs de fonder l'analyse de la protection sociale dans le champ sociologique à partir de la thématique de l'intégration et des solidarités chère à Durkheim. En effet, en relation directe avec les apports de la sociologie durkheimienne, les réflexions posées fin XIX e, début XXe, par Léon Bourgeois sur le solidarisme, Léon Duguit et Georges Gurvitch sur le droit social, et L. Duguit sur les services publics posent les fondations de notre système assuranciel d'Etat-providence (auquel on pourra préférer avec R. Castel, la notion d'Etat social). Voilà qui permet par ailleurs dans la cadre de l'articulation Etat et cohésion sociale de rappeler que les services publics ne trouvent pas seulement leur raison d'être dans une analyse de défaillances du marché. Æ et d'actualisation des connaissances : Montrer que les évolutions en cours renouvellent le questionnement fondateur des systèmes de protection sociale autour de la question de l'insécurité ( " nouvelle question sociale "). Contrairement à une démarche uniquement descriptive qui consisterait en la façon de G. Esping Andersen à figer l'Etat-providence dans un type donné, en l'occurrence pour le modèle français de protection sociale, un type hybride, le parti est ici pris de montrer qu' au gré des aménagements successifs pour faire face aux défaillances de notre système de protection, c'est bien une autre philosophie du social qui est en jeu. Problématique : Aujourd'hui, les changements opérés au système de protection sociale ne sont pas anodins car nous sommes à un moment de rupture, de " grande transformation " car à un moment pas seulement de " refondation sociale " (D. Kessler /Medef) mais de refondation du Social. - Refondation dans la mesure où elle revoie aux moments fondateurs de l'Etat providence, elle repose la question de la sécurité et de la manière dont on peut y articuler des droits. - et aussi d'une certaine manière à la fondation car elle peut se penser en la matière via les interrogations de philosophie politique sur ce qui fait le lien dans la société (théories du Contrat). Si l'on s'accorde pour dire que notre modernité sociale s'inscrit dans l'articulation droits sécurité et risque, aujourd'hui la dilution de la notion de risque social dans celle plus générale du risque et de la sécurité sociale dans un " champ sécuritaire " plus large conduit à un négation indéniable du social. Alors, d'une certaine manière, tout l'enjeu à venir de l'évolution des systèmes de sécurité et de protection sociale réside dans la capacité des économies et sociétés à préserver le Social et donc, puisque nous sommes à un moment de basculement, véritablement à le refonder dans une nouvelle articulation droits /sécurité et justice sociale. Résumé : Au XIXème siècle, le Social se cristallise dans la tension qu'induisent le processus politique de démocratisation et l'avancée économique confrontée au paupérisme. Le Social s'invente dans mouvement long de l'histoire. Il faut d'abord avec R. Castel rappeler que les sociétés ont d'abord été sans Social, ces sociétés tutélaires, pour lesquelles la réponse au problème de la pauvreté est de nature sécuritaire ( l'image du vagabond) et assistancielle (Loi sur les pauvres, charité pour les indigents invalides selon une " handicapologie " - R. Castel). La réponse moderne à la question des protections et de la sécurité attache sécurité et propriété (Locke) : la propriété devient l'instrument de la protection des individus. Elle s'articule aux théories du Contrat social pour lesquelles les individus souverains, autonomes détenteurs de droits (naturels) font société. Le Social n'apparaît donc pas encore comme catégorie de pensée et d'action car les théories du contrat social institue le droit sans social. L'Etat est pensé comme le garant nécessaire de ces droits et l'individu, lié par contrat est responsable de ses engagements ou de l'inexécution de ceux-ci. C'est par le détachement de cette conception naturaliste des droits que le Social s'invente (J. Donzelot) en dégageant les individus, qui par le lien social sont interdépendants, de la responsabilité d'une situation qui leur échappe (ex : la pauvreté) : ils ne sauraient être tenus responsables par exemple du jeu de la division du travail. Peut alors être pensé un droit social qui protège les individus non propriétaires, le risque auquel ils sont confrontés est essentiellement social, et la réponse s'impose en termes de protection sociale par l'instauration de droits sociaux. Aujourd'hui, la nouvelle question sociale interroge l'efficacité des systèmes de protection sociale et renouvelle le questionnement sur cette fondation. Les analyse en termes de post-modernité font du risque le principe structurant des sociétés : nos sociétés sont devenues sociétés du risque (U. Beck). Le risque social est ainsi dilué dans une conception plus large du risque qui fait du risque (industriel, écologique, sanitaire, social) la conséquence paradoxale du processus de modernisation : celui-ci génère des risques qu'il est pourtant censé contrôlé. Un nouveau rapport du risque et de la politique est alors posé : puisque le risque est inhérent à la condition existentielle des sociétés d'individus, le risque devient un principe de gouvernement ramené à la dimension des individus, à leur responsabilité. C'est donc dans une individualisation de la protection que doivent s'orienter les réformes des systèmes de protection sociale (D. Kessler). Mais en opérant ainsi par responsabilisation des individus (Rmistes, chômeurs), cette charge libérale plutôt que refonder le Social le destitue voire opère, selon A. Supiot, une nouvelle forme de féodalisation des rapports sociaux par développement de la contractualisation. Ce " gouvernement par l'individualisation " oblige donc à un reflux des droits sociaux et revient à une conception patrimoniale de la protection ( ex : à travers la notion d'employabilité) qui renouvelle la thématique libérale de " l' handicapologie ". L'Etat n'est plus tant protecteur et providence qu' Etat régulateur dans un cadre de gouvernance. Le droit est appelé a être plus procédural ( le contrat) que substantiel (la loi), la justice sociale plus commutative (équité) que distributive (égalité). Comment alors ré instituer le Social ? Il faut d'abord se défaire de toute tentation sécuritaire comme réponse adaptée à la question sociale. Un Etat sécuritaire qui s'attache d'abord à la protection civile n'est pas un Etat social car réactive l'équation par laquelle on dénie le social : classes laborieuses = classes dangereuses. Il faut ensuite prendre acte de l'irréversibilité prise par notre système de protection sociale. Celui-ci, daté, n'est plus apte à apporter des solutions adéquates et durables en termes de protection au regard des mutations structurelles démographiques et économiques. L'espérance de vie augmente, les parcours de vie des individus sont à repenser et ce d'autant que le modèle du plein emploi durable, à durée indéterminée apparaît de plus en plus improbable. Nous sommes à l'ère du " modèle de l'intermittence " (B. Gazier). Il faut donc assurer un nouveau type de protection , celui qui assure les parcours fractionnés et les trajectoires des individus. Deux réponses sont aujourd'hui en suspens : celle qui fait de la compétitivité/flexibilité l'impératif catégorique d'action et qui en contrepartie propose de sécuriser le travailleur en améliorant son employabilité (ex la troisième voie à l'anglaise, les récentes mesures concernant le contrat première embauche du gouvernenemt De Villepin); celle qui fait de la protection de la personne tout au long de sa vie l'impératif d'action et qui en contrepartie propose des solutions en termes de sécurité (modèle danois et marchés transitionnels). Deux versions de la " flexicurité " mais une seule qui préserve le Social comme catégorie nécessaire à la résolution de la tension entre le politique et l'économique et comme accomplissement des sociétés démocratiques par institution de nouveaux droits sociaux. Réferences bibliographiques : L.Assier-Andrieu, " Réflexions sur le droit du " social " ", in Sociétés sans droits, Cités, , n°1, 2000 J. Barthélémy, " La refondation, ou les mérites d'un droit social plus contractuel ", Risques n° 43, septembre 2000 U. Beck, La société du risque. Sur la voie d'une autre modernité, Aubier, coll alto, 2001. O. Blanchard, J.Tirole, " Protection de l'emploi et procédures de licenciement ", Conseil d'analyse économque, La Documentation française 2003. M. Borgetto, P. Lafore, La République sociale. Contribution à l'étude de la question démocratique en France, PUF, 2000.. M. Borgetto, R.Lafore," L'Etat-providence, le droit social et la responsabilité ", Lien social et politiques n° 46, 2001. 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