La protéine qui aggrave la maladie d`Alzheimer - Fmv

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Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège
La protéine qui aggrave la maladie d'Alzheimer
28/01/14
Chez des souris atteintes de la maladie d'Alzheimer, la surexpression de la protéine ITPKB entraîne une
aggravation de la maladie. De plus, son inhibition dans des neurones de souris en culture limite la production
de peptides amyloïdes responsables de la formation des plaques séniles. Le Professeur Stéphane Schurmans,
directeur du Laboratoire de Génétique Fonctionnelle au GIGA de l'Université de Liège, révèle le fruit de ses
investigations dans une étude publiée dans Brain.
Les gènes détiennent l'information nécessaire à la fabrication des protéines, éléments essentiels à la vie
de nos cellules et donc à la vie tout court. Le séquençage d'un gène permet de connaître la composition
de la protéine qui y est associée mais pas sa fonction. Or les protéines peuvent avoir une multitude de rôles
différents au sein de la cellule puisque l'immense majorité des fonctions cellulaires est assurée par cellesci. Elles peuvent ainsi jouer un rôle structurel, catalytique, de régulation de la compaction de l'ADN, dans la
mobilité de la cellule ou encore dans l'expression des gènes.
Pour étudier la fonction des gènes et des protéines pour lesquelles ils codent, les scientifiques utilisent
différentes techniques. « Par exemple pour les enzymes, on peut s'intéresser aux substrats auxquels elles se
lient, ou au produit qui découle de la réaction que l'enzyme catalyse mais aussi à la vitesse de cette réaction
ou encore tenter de déceler où cette enzyme est exprimée. Toutes ces données permettent d'obtenir des
informations sur la fonction de cette protéine », explique Stéphane Schurmans, Directeur du Laboratoire
de Génétique fonctionnelle au GIGA de l'Université de Liège. « Mais le nec plus ultra est de pouvoir étudier la
fonction des gènes in vivo, c'est-à-dire au niveau d'un animal entier et vivant » poursuit-il. Et c'est précisément
le domaine de recherche de Stéphane Schurmans depuis 1992. Ce dernier modifie génétiquement des
souris de laboratoire afin d'obtenir des lignées de souris knock-out pour des gènes ciblés, c'est à dire chez
lesquelles un gène particulier est invalidé. Une quinzaine de souris knock-out ont ainsi été générées par le
laboratoire.
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Du
système immunitaire au système nerveux
En 2003, Stéphane Schurmans et son équipe obtiennent les premières souris knock-out pour le gène
ITPKB (Inositol 1,4,5 Triphosphate 3-Kinase B). « Nous avons alors découvert que ces souris présentent
un phénotype particulier puisqu'elles n'ont pas de lymphocytes T en périphérie, c'est-à-dire au niveau
des ganglions et de la rate », reprend Stéphane Schurmans. Des études complémentaires ont permis de
montrer que d'autres cellules du système immunitaire, tels que les lymphocytes B, les neutrophiles, les
cellules myéloïdes et les mastocytes, étaient également altérées chez les souris knock-out pour ITPKB. « Ces
résultats démontrent l'importance du rôle de l'enzyme ITPKB dans le système hématopoïétique et dans le
système immunitaire », indique le chercheur. Ainsi, les souris knock-out pour ITPKB ont, en toute logique,
servi à l'étude de la fonction de l'enzyme ITPKB au sein de ces systèmes biologiques.
Mais, en 2006, Stéphane Schurmans prend connaissance d'une étude suédoise et tombe des nues : « les
biopsies effectuées chez des patients atteints de la maladie d'Alzheimer au cours de cette étude révèlent la
présence d'une quantité particulièrement élevée d'ARN messager d'ITPKB au niveau des tissus prélevés».
Une fois remis de ses émotions, Stéphane Schurmans est bien déterminé à creuser la piste du rôle d'ITPKB
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dans la maladie d'Alzheimer. Il contacte alors le Professeur Jean-Pierre Brion de l'Université Libre de
Bruxelles, spécialiste de la maladie d'Alzheimer. « L'idée était de combiner nos deux expertises, la sienne
dans le domaine de cette maladie et la mienne dans le domaine de la fonction d'ITPKB et des souris knockout », explique Stéphane Schurmans.
Plaques séniles et enzyme ITPKB, un lien de cause à effet ?
Ensemble, les deux équipes ont donc décidé d'approfondir la question du rôle d'ITPKB dans la maladie
d'Alzheimer. « L'étude suédoise montrait une quantité élevée d'ARNm d'ITPKB chez les patients mais nous
voulions vérifier si cela coïncidait avec une quantité plus élevée de protéines ITPKB dans le cortex des
patients », explique Stéphane Schurmans. Les échantillons obtenus par le Professeur Jean-Pierre Brion ont
permis aux chercheurs de mener à bien ces investigations et de conclure que la protéine ITPKB était elle aussi
présente en quantité anormalement élevée dans le cortex des patients atteints de la maladie d'Alzheimer. Au
vu de ces résultats très positifs, les scientifiques ont poursuivi leurs travaux afin de déterminer où cette protéine
est exprimée. « Les coupes réalisées à partir du cerveau de patients atteints et décédés montrent qu'ITPKB
est largement localisée au niveau des prolongements des neurones qui entourent les plaques amyloïdes »,
révèle Stéphane Schurmans. Un des signes caractéristiques de la maladie d'Alzheimer est la formation de
plaques amyloïdes, également appelées plaques séniles. « Il s'agit d'agrégats extracellulaires formés à partir
de peptides amyloïdes qui précipitent et forment des plaques entre les neurones. C'est une des causes de
la maladie », reprend le Professeur. En effet, ces plaques séniles empêchent la bonne communication de
l'information d'un neurone à l'autre… « Il faut savoir que les neurones qui entourent les plaques séniles sont
fortement suspectés de sécréter les peptides amyloïdes », ajoute Stéphane Schurmans.
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Suite à ces observations, les chercheurs décident d'entamer une étude in vitro sur des neurones de souris en
culture dans lesquels ils surexpriment la protéine ITPKB. Les résultats de cette étude furent à la hauteur des
espérances des chercheurs : une grande partie de ces neurones moururent et le surnageant de cette culture
cellulaire attestait d'une production de peptide amyloïdes fortement augmentée. « Or, ces deux choses sont
précisément des particularités de la maladie d'Alzheimer », précise Stéphane Schurmans.
La surexpression, pas déclenchante mais aggravante
Mais qu'en est-il de l'effet de la surexpression d'ITPKB in vivo ? « Nous avons généré des souris qui
surexpriment l'enzyme ITPKB spécifiquement dans les neurones de l'hippocampe et du cortex cérébral, c'està-dire là où se trouvent les altérations chez les patients atteints de la maladie d'Alzheimer », indique le
scientifique. Toutefois, cette expérience ne mena à aucune observation particulière. « Cela signifie que la
surexpression d'ITPKB à elle seule ne suffit pas pour déclencher la maladie d'Alzheimer et induire la formation
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des plaques séniles ainsi que l'apoptose des neurones », poursuit Stéphane Schurmans. « Cette enzyme ne
joue probablement pas un rôle majeur dans la maladie mais peut-être un rôle de régulation».
Loin d'être découragés pour autant, les chercheurs se sont procurés un modèle de souris développant la
maladie d'Alzheimer de manière fulgurante…en 6 mois ! « Et là bingo, on voit que lorsqu'on surexprime ITPKB
dans les neurones de l'hippocampe et du cortex de ces souris, toutes les caractéristiques de la maladie sont
accentuées », révèle le Professeur. Une grande quantité d'ITPKB dans les tissus concernés par la maladie
d'Alzheimer aggrave donc la pathologie.
Le rôle de l'enzyme ITPKB est de transformer l'inositol triphosphate (IP3) en inositol tetrakisphosphate
(IP4). Dans cette étude publiée dans le journalBrain (1), les chercheurs ont également testé l'effet de la
surexpression de l'enzyme ITPKB lorsque cette dernière est mutée et donc inactive. « Ces expérience ont
montré que, dans ce cas là, les souris ne montraient pas d'aggravation de la maladie », explique Stéphane
Schurmans. « C'est donc l'IP4, le produit de la réaction que cette enzyme catalyse, qui importe. Reste à
savoir comment l'IP4 accentue les caractéristiques de la maladie d'Alzheimer ».
Un inhibiteur en cours de synthèse
Dans un futur proche, les chercheurs comptent s'attaquer à 3 nouveaux volets de cette recherche. Le premier
consistera à essayer de comprendre pourquoi une minorité de patients atteints de la maladie d'Alzheimer ne
présentent pas des niveaux accrus d'ITPKB dans leur cortex et hippocampe. « Nous voudrions ainsi définir les
facteurs génétiques ou autres qui mènent à la surexpression d'ITPKB chez la majorité des patients », indique
Stéphane Schurmans. Un second volet visera à analyser si la surexpression de cette enzyme entraîne chez
l'homme, comme chez la souris, une aggravation de la maladie. Enfin, lors d'expériences préliminaires, les
chercheurs ont démontré que l'utilisation d'un inhibiteur d'ITPKB permet de diminuer la production de peptides
amyloïdes par des neurones en culture. Suite à ces résultats et réalisant le potentiel d'une telle découverte, la
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grande firme pharmaceutique suisse qui développe cet inhibiteur a préféré garder cet inhibiteur en ses murs.
« Nous travaillons actuellement en collaboration avec des chercheurs qui synthétisent un nouvel inhibiteur
d'ITPKB », indique le Professeur. « Si nous pouvons obtenir une grande quantité de cet inhibiteur, nous
pourrons voir quel effet il engendre chez des souris modèles de la maladie d'Alzheimer ». Il faut maintenant
donner du temps à la recherche, investiguer davantage, assembler les pièces du puzzle…Et si celles-ci
s'emboîtent, peut-être qu'un jour ITPKB pourrait devenir une cible pour atténuer la maladie d'Alzheimer ou
en retarder le développement.
(1) V. Stygelbout, K. Leroy, V. Pouillon, K. Ando, E. D'Amico,Y. Jia, H. R. Luo, C. Duyckaerts, C. Erneux,
S. Schurmans and J.-P. Brion. Inositol trisphosphate 3-kinase B is increased in human Alzheimer brain and
exacerbates mouse Alzheimer pathology. Brain. 2014 Jan 8.
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