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LE PATRIOTE RÉSISTANT
N° 915 - janvier 2017 9
mémoire
subies, fut « punie » le 9 octobre par l’in-
cendie d’un café très prisé des soldats de la
Wehrmacht à Copenhague, qui pourtant ne
t pas de victimes. La mort du résistant tor-
turé une dizaine de jours plus tard entraîna
le 27 octobre un nouvel attentat à la bombe
contre un autre café prisé de la Wehrmacht,
avec cette fois 4 morts et 40 blessés sérieux.
Devant ce début d’escalade, les responsables
de la Résistance décidèrent le 29 octobre
1943 d’interdire la poursuite d’attentats vi-
sant les occupants allemands. Par contre,
liquider des traîtres danois restait inscrit
au programme des résistants.
Répondre à la terreur
par la « contre-terreur »
La décision des responsables de la Résistance
n’était pas connue des Allemands, et elle ne
parvint sans doute pas facilement aux mili-
tants sur le terrain. Quoi qu’il en soit, le re-
trait de la loi martiale le 6 octobre coïncida
avec une recrudescence nouvelle de l’activité
de résistance, et en octobre 1943 le nombre de
sabotages tourna autour de 80. En particulier
ceux des 9 et 27 octobre poussèrent les res-
ponsables berlinois du RSHA à souhaiter des
mesures brutales immédiates. Le plénipo-
tentiaire du Reich (Reichsbevollmächtigter)
Werner Best et le responsable du SD le Dr
Rudolf Mildner n’y étaient pas favorables,
et parvinrent à éviter des décisions, dange-
reuses à leurs yeux, entre autres sous pré-
texte du manque d’eectifs. Mais l’idée de
mesures de « contre-terreur » restait pré-
sente, et faisait l’objet de réexions pratiques
au sein des services, en particulier de celui
de Hans Wäsche.
Dans la nuit du 17 au 18 novembre, un
groupe de résistance soutenu et formé par
des membres du SOE t sauter un pont
stratégique de chemin de fer sur la ligne nord-
sud du pays. Par ailleurs, et sans lien entre les
deux, un soldat allemand fut le même jour
attaqué à Copenhague. Ces deux faits entraî-
nèrent de violentes réactions à Berlin, et Best
se sentit obligé le 20 novembre de tenter de
convaincre Himmler du danger de contre-
mesures disproportionnées, qui risquaient
de braquer encore plus la popu lation contre
l’occupant. Best adressa le même jour un té-
légramme à Ribbentrop dans le même sens,
se sachant soutenu dans son opinion par les
chefs au Danemark de la Gestapo (Homann)
comme du SD (Günther Pancke).
Aucun succès : le 5 décembre, Pancke fut
convoqué au quartier général de Himmler
en Prusse orientale, et il se t violemment
laver la tête par son chef qui lui donna l'ordre
de lancer enn la « contre-terreur », c’est-
à-dire « que pour chaque attentat ennemi
un attentat équivalent contre des membres
des groupes terroristes ou leurs auxiliaires,
complices, soutiens nanciers, etc. serait exé-
cuté… et que chaque sabotage se verrait ré-
pondre par un ou plusieurs sabotages contre
des objectifs importants pour l’adversaire ».
Après le retour de Pancke, Mildner cessa
de s’opposer à cette politique et demanda
que soit dressée une liste d’objets de repré-
sailles possibles. Une liste d’adversaires à éli-
miner éventuellement avait déjà été dressée
en octobre. Elle fut mise à jour. On dénit
comme première victime possible le pasteur
et dirigeant nationaliste danois Kaj Munk,
également dramaturge et politicien connu.
En raison de ses prêches enammés, il lui
avait été interdit en novembre 1943 de prê-
cher ailleurs que dans sa propre paroisse. Il
avait justement contrevenu à cette interdic-
tion le 5 décembre. Également en tête de la
liste des victimes « prioritaires » gurait un
journaliste, Christian Dam.
Dès le 7 décembre, Mildner avait signa-
lé qu’il ne disposait nullement de moyens
susants pour les opérations envisagées (à
cette époque, le SD au Danemark disposait
seulement d’une quarantaine d’agents) et
Himmler désigna le lieutenant-colonel SS
Otto Skorzeny, chef du groupe « Sabotage » à
l’Oce central de sécurité du Reich (RSHA)
pour diriger la création d’un « Kommando
spécial Danemark », pour lequel celui-ci
choisit comme adjoint Otto Schwerdt, qui
avait déjà été son adjoint lors de l’expédition
dans les Abruzzes, au mois de septembre
précédent, qui lui avait permis de libé-
rer Mussolini lors du coup d’État italien.
Pourtant Werner Best, ociellement princi-
pal personnage ociel nazi, n’était toujours
pas convaincu de la justesse de la politique
de brutalité. Pour lui, la lutte contre la ré-
sistance danoise avait une réelle ecaci-
té. Entre le 15 septembre et le 14 décembre
1943, la Gestapo avait arrêté 169 saboteurs
présumés, ainsi que 424 personnes accu-
sées d’activités illégales, communistes en
général. S’en étaient suivies 11 exécutions
capitales et 184 déportations vers les KZ.
Enn, le 13 décembre, on mit la main sur
trois agents du SOE. En un mot, la situation
« était sous contrôle » et la « contre-terreur »
superue… Pourtant deux actions de sabo-
tage spectaculaires du groupe communiste
BOPA contre des entreprises d’armement,
les 20 et 21 décembre, rendirent sa position
intenable, braquant dénitivement les plus
hautes autorités nazies.
Le 30 décembre une réunion exception-
nelle au Quartier général d’Hitler réunit,
autour du Führer, Best, Pancke, le chef de
la Wehrmacht au Danemark Général von
Hannecken, Himmler, le chef du RSHA
Kaltenbrunner, avec les principaux chefs de
la Wehrmacht, les généraux Keitel et Jodl.
Seul absent, malade, von Ribbentrop. Dans
un long monologue, Hitler expliqua sa dé-
cision : il fallait appliquer au Danemark la
« contre-terreur », les arrestations seraient
traitées selon le mode NN de l’« ordonnance
Keitel » de décembre 1941 pour l’Europe oc-
cidentale (dite depuis « Nuit et Brouillard »),
c’est-à-dire que le sort des personnes arrê-
tées resterait inconnu, de même que l’ap-
partenance et la personnalité des acteurs de
ces opérations. Il fallait éviter de créer des
martyrs, mais répondre à tout attentat par
un attentat équivalent. Déjà, le même jour,
le journaliste Christian Dam avait été abat-
tu chez lui (mais il survécut), comme deux
politiciens conservateurs, qui survécurent
également. Avec l’année 1944 la « contre-
terreur » nazie s’installait au Danemark.
Durant la quinzaine de mois qui précé-
dèrent la n de la guerre, le Danemark fut
le théâtre d’une sorte de course-poursuite
entre Résistance et séides du SD, attentats
et assassinats se répondant constamment,
sans que l’un des camps prenne un avantage
évident sur l’autre. En tout cas, l’idée ini-
tiale des nazis de parvenir à déconsidérer
les résistants en les présentant comme res-
ponsables de toutes les destructions, des
vies perdues, de la menace constante de se
trouver au cœur d’un attentat t, si l’on ose
dire, long feu. Seule la haine de l’occupant
fut attisée, la responsabilité globale des nazis
étant généralement admise par les Danois.
Guerre des cinémas
Déçu de la survie de plusieurs victimes
d’attentats, les nazis assassinèrent le pasteur
Kai Munk le 4 janvier 1944, mais la consé-
quence fut une énorme vague de réprobation,
qui faisait de lui un héros et martyr. La police
danoise n’eut aucun mal à retracer la culpa-
bilité du SD, mais n’avait aucun moyen d’agir
contre des Allemands. Pourtant un rapport
de police explicite tomba aux mains de la
Résistance qui en t un tract largement dif-
fusé. Les attentats allaient dès lors se succé-
der : le SD t sauter le siège de l’Asso ciation
des étudiants danois le 10 janvier, le lende-
main, c’était le tour du garage de la police
de Copenhague, le 17 sautait une fabrique
de crème glacée, dont le chef était présu-
mé antinazi, le 25 janvier, c’était le tour du
Club d’aviron des étudiants. Le 29 janvier,
un résistant important abattit un chef du
SD, mais fut lui-même grièvement blessé.
Tous deux survécurent. Le 29 janvier, un of-
cier de marine allemand fut mortellement
blessé, ce qui entraîna l’assassinat le même
jour d’un ocier et d’un policier danois.
En février 1944, les eectifs du SD au
Danemark atteignaient 183 personnes, et
au mois de mars on décida de loger l’en-
semble du service dans un bâtiment de pro-
portions adéquates, le « Bâtiment Shell » de
Copenhague. Fin janvier avait débuté une
extraordinaire séquence d’attentats visant
tout ce qui touchait au cinéma danois, les
premiers touchant plusieurs ciné mas et
centres de production. La première ré-
ponse toucha le cinéma Palladium, qui
passait un lm allemand. Le 31 mars, c’est
un des principaux cinémas de la capitale,
le Kinopalais qui sautait sur ordre du chef
de la SIPO nazie. Non informé, le chef SD
pensa que la Résistance était coupable et
t détruire par des SS danois un autre ci-
néma en représailles. Le 5 avril des résis-
tants étudiants mirent à sac le siège de la
société nazie de lms UFA, sabotant quelque
200 lms et bandes d’actualités. On nota
encore quelques « grands coups » de part et
d’autre jusqu’au 25 avril où le plénipotenti-
aire nazi, le Dr Best, ordonna la fermeture
de tous les ciné mas de Copenhague
La otte militaire
danoise se saborde !
Dans le cadre de la loi martiale du
29 août 1943, les militaires allemands
ont tenté de mettre la main sur
la marine danoise qui était restée
dans le port de Copenhague. Mais,
comme les marins français à Toulon,
les marins danois ont choisi de se
saborder pour ne pas tomber aux
mains de la Kriegsmarine (sur la photo,
le croiseur Peder Skram, sabordé dans
la base navale d'Holmen). Un total de
52 navires étaient à l’ancre, 32 furent
sabordés, 4 prirent la fuite vers la
Suède, et seuls 14 furent saisis intacts.
La plupart des navires sabordés furent
renoués ensuite par les Allemands et
15 remis en état et utilisés.
Le Parc du souvenir, et Cimetière du mémorial de Ryvangen, près de Copenhage, fut inauguré en 1950 pour
commémorer résistants et victimes du nazisme à l'endroit même où les nazis exécutaient les résistants capturés.
© Musée National d'Histoire Militaire du Danemark
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