8LE PATRIOTE RÉSISTANT
N° 915 - janvier 2017
8mémoire
Dans le Danemark occupé
Services secrets nazis contre Résistance
Le Danemark a tenu une place à part parmi les pays d’Europe occidentale occupés par les nazis. En eet, lors de l’invasion brutale et arbitraire
des troupes allemandes, le 9 avril 1940, le roi et le gouvernement, au lieu de fuir vers la Grande-Bretagne ou un autre pays ami, restèrent en place,
empêchant la création d’un régime militaire d’occupation, tel qu’il exista dans la plupart des autres pays. Lambassade dAllemagne restait la
représentante du gouvernement nazi. Cest donc à travers ses services, que les ordres et exigences hitlériens étaient transmis aux autorités danoises.
Dès les premiers jours, de nouveaux
représentants des services de Berlin
furent envoyés à Copenhague,
comme le haut-gradé SS et jusque- adjoint
au « Président de Police de Berlin », Paul
Kanstein, dont le rôle devait être dassurer
la sécurité des troupes doccupation par la
garantie et le maintien de lordre public.
Il retrouva à lambassade le représentant
de la Gestapo, ainsi que le chef désigné du
« Service de sécurité » (Sicherheitsdienst,
SD, créé par Himmler dès 1931), nommé
au Danemark depuis seulement quelques
jours, Hans Pahl. Titre ociel de ce dernier :
« attaché culturel ». Rien de tout cela ne cor-
respondait à une prise de pouvoir directe.
Au mois d’at, puis à nouveau à l’automne,
des tentatives de renverser le gouvernement
eurent lieu, qui échouèrent. La coexistence
était xée, au moins pour un certain temps.
Lambassade nazie à Copenhague, en de-
hors de son rôle ociel de représentation du
gouvernement allemand, abritait bien enten-
du les envoyés de diverses administrations
nazies. C’est seulement en octobre 1939 que
la présence inocielle (verdeckt) du SD au
sein de cette ambassade avait été concréti-
sée, comme ailleurs dans le monde, à la suite
dun accord entre le ministère des Aaires
étrangères de Ribbentrop, et Himmler et
Heydrich. Limplantation de services secrets
nazis navait pas attendu. La Gestapo avait
une représentation depuis 1936. Jusqu’en
1940, pour le SD, c’est le responsable du SD
de Kiel, ville frontalière allemande, Eberhard
Löw, qui avait assuré la recherche des contacts
à l’intérieur du Danemark. Le 13 avril 1940
il fut convoqà Berlin au RSHA et reçut
lordre de mettre sur pied une commission
« Pays germaniques occupés », dont il diri-
gerait la branche « Danemark », ce qui le
conduisait entre autres à prendre en mains
les contacts avec le parti nazi danois et les
autres milieux de droite et d'extrême-droite.
Lambassade de Copenhague fut réorga-
nisée et vit son personnel grandement aug-
menter à la suite de loccupation du pays.
Un service nouveau chargé des questions
dadministration et de politique intérieure
créa les Sections C (Police) et D (SD). La
Section C était chargée des rapports avec la
police danoise, et un total de 7 sous- sections
s’occupaient du contre-espionnage, de la sur-
veillance des frontières et de la « lutte contre
lennemi ». Ici il s’agissait essentiellement de
surveiller les émigrants allemands, commu-
nistes, Juifs et francs-maçons. Pour agir, ce
service était dépendant dorganismes dispo-
sant, contrairement à lui, de moyens de po-
lice : lAbwehr (militaire) ou le SD. La Section
D, quant à elle, dirigée par un spécialiste SS
chevronné des questions danoises, Hans
Pahl, était composée de deux secteurs, lun
chargé des contacts avec le monde politique
danois, entre autres avec le parti nazi da-
nois connu des Allemands comme DNSAP,
lautre, consacré aux « tâches spéciales », créé
en 1941, était vouée à des activités nettement
plus clandestines. Son chef s’appelait Hans
Wäsche, et son activité essentielle consistait
à mettre sur pied un réseau d’agents du SD
dans le pays. Wäsche avait aussi un contact
direct avec un certain nombre de responsables
ociels danois, comme le chef du service de
renseignements danois, Hubert Gilbert (un
Allemand émig), ou le patron du Bureau
des visas de la police danoise, Vilhelm Leifer.
Grâce à celui-ci, aucun voyage de citoyen
danois en Suède ne pouvait lui échapper
(1).
Pourtant les deux branches de la Section D
ne disposaient entre 1940 et lété 1943 que
dune douzaine de personnes, en dehors des
agents danois quils avaient recrutés.
Émissions clandestines
vers Londres
Loccupation du Danemark par la Wehrmacht
s’était bien entendu accompagnée dune vo-
lonté de prise en mains aussi stricte que pos-
sible de la population et de ladministration
danoises. Au premier plan se situait la neu-
tralisation des forces armées danoises et de
leurs services de renseignement. Cest lAbwehr
qui était chargée de cette prise en mains, et
elle s’acquitta de cette tâche avec des résul-
tats divers. En particulier, les Allemands ne
semblent pas s’être rendu compte que les ser-
vices secrets de larmée de terre et de la ma-
rine danoises s’étaient pratiquement mises
au service de leurs collègues britanniques, et
feraient tout ce qui leur serait possible pour
nuire à loccu pant nazi. Cette coopération se
poursuivit jusqu’à la grande réorganisation
des forces de police nazies au Danemark de
lété 1943. Dans un autre domaine, par contre,
lAbwehr se montra plus ecace. Assez tôt
dans loccupation du Danemark, les services
secrets britanniques avaient cherché à en-
voyer et à implanter des agents dans le pays.
Le SOE (Special Operations Executive) avait
réussi à parachuter des opérateurs radio qui
devraient transmettre les informations re-
cueillies par des informateurs, locaux ou eux-
mêmes parachutés. Au début de lété 1942,
lAbwehr réussit à repérer les émissions clan-
destines vers Londres, et le premier émetteur
fut découvert début septembre, ce qui mit n
momentanément à cette activité.
Quant au SD, c’est à partir davril 1941
que son activité commença à prendre une
véritable ampleur. Hans Wäsche, qui avait
une formation denseignant, était arrivé à
Copenhague en avril 1941 pour organi-
ser une exposition culturelle de la « Société
nordique » et resta au sein du service cultu-
rel de lambassade, chargé des contacts avec
le monde culturel danois. Chargé également
de « missions spéciales », il était responsable
des contacts avec des informateurs danois
comme Gilbert ou Leifer, dont nous avons déjà
parlé. Il mit sur pied un groupe de travail de
« Scandinavologie », appelé ARGESKA, dont
les publications devaient favoriser un climat
favorable à lAllemagne parmi leurs lecteurs,
mais qui servait en fait de couverture à un
seau d’une dizaine d’agents danois du SD,
nancé de Berlin par le RSHA. Deux de ces
agents réussirent ainsi en septembre 1942 à
démasquer un groupe de résistance qui pu-
bliait depuis décembre 1941 une feuille clan-
destine, « Les Danois libres », qui en était
arrivée à tirer chaque mois 5 000 exemplaires.
Entre septembre et novembre, une trentaine
darrestations eurent lieu, suivies de procès
et de condamnations au début de 1943 (2).
Sous diverses formes, la Résistance danoise
se manifestait, grati ; tracts, publications
plus ou moins régulières, sabotages plus ou
moins importants, sous forme d’actions in-
dividuelles ou dans le cadre de structures
clandestines. Le gouvernement en ayant
obtenu lautorisation des Allemands, des
élections générales furent organisées en
mars 1943, qui rent apparaître dassez bons
résultats pour les tendances favorables aux
nazis. Des grèves importantes eurent lieu
en réponse, et un mouvement de désobéis-
sance civile menaçant de se développer, les
autorités doccupation procédèrent à la dis-
solution du gouvernement et décrétèrent la
loi martiale dans le pays le 29 août, entraî-
nant une forte diminution des activités de
résistance. Celles-ci reprirent bientôt, deve-
nant rapidement plus violentes et sanglantes.
Ainsi larrestation dun saboteur commu-
niste, et les tortures inhumaines quil avait
Pendant l'occupation allemande, le roi Christian X devint un puissant symbole
de souveraineté nationale. Cette photo fut prise le 26 septembre 1940.
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mémoire
subies, fut « punie » le 9 octobre par lin-
cendie d’un catrès prisé des soldats de la
Wehrmacht à Copenhague, qui pourtant ne
t pas de victimes. La mort du résistant tor-
tuune dizaine de jours plus tard entraîna
le 27 octobre un nouvel attentat à la bombe
contre un autre café prisé de la Wehrmacht,
avec cette fois 4 morts et 40 blessés sérieux.
Devant ce début descalade, les responsables
de la Résistance décidèrent le 29 octobre
1943 dinterdire la poursuite dattentats vi-
sant les occupants allemands. Par contre,
liquider des traîtres danois restait inscrit
au programme des résistants.
Répondre à la terreur
par la « contre-terreur »
La décision des responsables de la Résistance
nétait pas connue des Allemands, et elle ne
parvint sans doute pas facilement aux mili-
tants sur le terrain. Quoi quil en soit, le re-
trait de la loi martiale le 6 octobre coïncida
avec une recrudescence nouvelle de lactivité
de résistance, et en octobre 1943 le nombre de
sabotages tourna autour de 80. En particulier
ceux des 9 et 27 octobre poussèrent les res-
ponsables berlinois du RSHA à souhaiter des
mesures brutales immédiates. Le plénipo-
tentiaire du Reich (Reichsbevollmächtigter)
Werner Best et le responsable du SD le Dr
Rudolf Mildner n’y étaient pas favorables,
et parvinrent à éviter des décisions, dange-
reuses à leurs yeux, entre autres sous pré-
texte du manque deectifs. Mais lidée de
mesures de « contre-terreur » restait pré-
sente, et faisait l’objet de réexions pratiques
au sein des services, en particulier de celui
de Hans Wäsche.
Dans la nuit du 17 au 18 novembre, un
groupe de résistance soutenu et formé par
des membres du SOE t sauter un pont
stratégique de chemin de fer sur la ligne nord-
sud du pays. Par ailleurs, et sans lien entre les
deux, un soldat allemand fut le même jour
attaqué à Copenhague. Ces deux faits entraî-
nèrent de violentes réactions à Berlin, et Best
se sentit obligé le 20 novembre de tenter de
convaincre Himmler du danger de contre-
mesures disproportionnées, qui risquaient
de braquer encore plus la popu lation contre
loccupant. Best adressa le même jour un -
légramme à Ribbentrop dans le même sens,
se sachant soutenu dans son opinion par les
chefs au Danemark de la Gestapo (Homann)
comme du SD (Günther Pancke).
Aucun succès : le 5 décembre, Pancke fut
convoqué au quartier général de Himmler
en Prusse orientale, et il se t violemment
laver la tête par son chef qui lui donna l'ordre
de lancer enn la « contre-terreur », c’est-
à-dire « que pour chaque attentat ennemi
un attentat équivalent contre des membres
des groupes terroristes ou leurs auxiliaires,
complices, soutiens nanciers, etc. serait exé-
cuté… et que chaque sabotage se verrait ré-
pondre par un ou plusieurs sabotages contre
des objectifs importants pour ladversaire ».
Après le retour de Pancke, Mildner cessa
de s’opposer à cette politique et demanda
que soit dressée une liste dobjets de repré-
sailles possibles. Une liste dadversaires à éli-
miner éventuellement avait déjà été dressée
en octobre. Elle fut mise à jour. On dénit
comme première victime possible le pasteur
et dirigeant nationaliste danois Kaj Munk,
également dramaturge et politicien connu.
En raison de ses prêches enammés, il lui
avait été interdit en novembre 1943 de prê-
cher ailleurs que dans sa propre paroisse. Il
avait justement contrevenu à cette interdic-
tion le 5 décembre. Également en tête de la
liste des victimes « prioritaires » gurait un
journaliste, Christian Dam.
Dès le 7 décembre, Mildner avait signa-
qu’il ne disposait nullement de moyens
susants pour les opérations envisagées
cette époque, le SD au Danemark disposait
seulement dune quarantaine dagents) et
Himmler désigna le lieutenant-colonel SS
Otto Skorzeny, chef du groupe « Sabotage » à
l’Oce central de curité du Reich (RSHA)
pour diriger la création dun « Kommando
spécial Danemark », pour lequel celui-ci
choisit comme adjoint Otto Schwerdt, qui
avait déjà été son adjoint lors de lexpédition
dans les Abruzzes, au mois de septembre
précédent, qui lui avait permis de libé-
rer Mussolini lors du coup dÉtat italien.
Pourtant Werner Best, ociellement princi-
pal personnage ociel nazi, n’était toujours
pas convaincu de la justesse de la politique
de brutalité. Pour lui, la lutte contre la ré-
sistance danoise avait une réelle ecaci-
té. Entre le 15 septembre et le 14 décembre
1943, la Gestapo avait arrêté 169 saboteurs
présumés, ainsi que 424 personnes accu-
sées dactivités illégales, communistes en
général. S’en étaient suivies 11 exécutions
capitales et 184 déportations vers les KZ.
Enn, le 13 décembre, on mit la main sur
trois agents du SOE. En un mot, la situation
« était sous contrôle » et la « contre-terreur »
superue… Pourtant deux actions de sabo-
tage spectaculaires du groupe communiste
BOPA contre des entreprises darmement,
les 20 et 21 décembre, rendirent sa position
intenable, braquant dénitivement les plus
hautes autorités nazies.
Le 30 décembre une réunion exception-
nelle au Quartier général d’Hitler réunit,
autour du Führer, Best, Pancke, le chef de
la Wehrmacht au Danemark Général von
Hannecken, Himmler, le chef du RSHA
Kaltenbrunner, avec les principaux chefs de
la Wehrmacht, les généraux Keitel et Jodl.
Seul absent, malade, von Ribbentrop. Dans
un long monologue, Hitler expliqua sa dé-
cision : il fallait appliquer au Danemark la
« contre-terreur », les arrestations seraient
traitées selon le mode NN de l« ordonnance
Keitel » de décembre 1941 pour lEurope oc-
cidentale (dite depuis « Nuit et Brouillard »),
c’est-à-dire que le sort des personnes arrê-
tées resterait inconnu, de même que lap-
partenance et la personnalité des acteurs de
ces opérations. Il fallait éviter de créer des
martyrs, mais répondre à tout attentat par
un attentat équivalent. Déjà, le même jour,
le journaliste Christian Dam avait été abat-
tu chez lui (mais il survécut), comme deux
politiciens conservateurs, qui survécurent
également. Avec lannée 1944 la « contre-
terreur » nazie s’installait au Danemark.
Durant la quinzaine de mois qui précé-
dèrent la n de la guerre, le Danemark fut
le théâtre dune sorte de course-poursuite
entre Résistance et séides du SD, attentats
et assassinats se répondant constamment,
sans que lun des camps prenne un avantage
évident sur lautre. En tout cas, lidée ini-
tiale des nazis de parvenir à déconsidérer
les résistants en les présentant comme res-
ponsables de toutes les destructions, des
vies perdues, de la menace constante de se
trouver au cœur d’un attentat t, si lon ose
dire, long feu. Seule la haine de loccupant
fut attisée, la responsabilité globale des nazis
étant généralement admise par les Danois.
Guerre des cinémas
Déçu de la survie de plusieurs victimes
dattentats, les nazis assassinèrent le pasteur
Kai Munk le 4 janvier 1944, mais la consé-
quence fut une énorme vague de réprobation,
qui faisait de lui un héros et martyr. La police
danoise neut aucun mal à retracer la culpa-
bilité du SD, mais n’avait aucun moyen dagir
contre des Allemands. Pourtant un rapport
de police explicite tomba aux mains de la
Résistance qui en t un tract largement dif-
fusé. Les attentats allaient dès lors se succé-
der : le SD t sauter le siège de lAsso ciation
des étudiants danois le 10 janvier, le lende-
main, c’était le tour du garage de la police
de Copenhague, le 17 sautait une fabrique
de crème glacée, dont le chef était présu-
antinazi, le 25 janvier, c’était le tour du
Club d’aviron des étudiants. Le 29 janvier,
un résistant important abattit un chef du
SD, mais fut lui-même grièvement blessé.
Tous deux survécurent. Le 29 janvier, un of-
cier de marine allemand fut mortellement
blessé, ce qui entraîna l’assassinat le me
jour dun ocier et dun policier danois.
En février 1944, les eectifs du SD au
Danemark atteignaient 183 personnes, et
au mois de mars on décida de loger len-
semble du service dans un bâtiment de pro-
portions adéquates, le « Bâtiment Shell » de
Copenhague. Fin janvier avait débuune
extraordinaire séquence dattentats visant
tout ce qui touchait au cinéma danois, les
premiers touchant plusieurs cimas et
centres de production. La première ré-
ponse toucha le cinéma Palladium, qui
passait un lm allemand. Le 31 mars, c’est
un des principaux cinémas de la capitale,
le Kinopalais qui sautait sur ordre du chef
de la SIPO nazie. Non informé, le chef SD
pensa que la Résistance était coupable et
t détruire par des SS danois un autre ci-
néma en représailles. Le 5 avril des résis-
tants étudiants mirent à sac le siège de la
société nazie de lms UFA, sabotant quelque
200 lms et bandes dactualités. On nota
encore quelques « grands coups » de part et
dautre jusquau 25 avril le plénipotenti-
aire nazi, le Dr Best, ordonna la fermeture
de tous les ciné mas de Copenhague
La otte militaire
danoise se saborde !
Dans le cadre de la loi martiale du
29 août 1943, les militaires allemands
ont tenté de mettre la main sur
la marine danoise qui était restée
dans le port de Copenhague. Mais,
comme les marins français à Toulon,
les marins danois ont choisi de se
saborder pour ne pas tomber aux
mains de la Kriegsmarine (sur la photo,
le croiseur Peder Skram, sabordé dans
la base navale d'Holmen). Un total de
52 navires étaient à lancre, 32 furent
sabordés, 4 prirent la fuite vers la
Suède, et seuls 14 furent saisis intacts.
La plupart des navires sabordés furent
renoués ensuite par les Allemands et
15 remis en état et utilisés.
Le Parc du souvenir, et Cimetière du mémorial de Ryvangen, près de Copenhage, fut inauguré en 1950 pour
commémorer résistants et victimes du nazisme à l'endroit même où les nazis exécutaient les résistants capturés.
© Musée National d'Histoire Militaire du Danemark
lll
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jusqu’à nouvel ordre, pendant que des
agents du SD faisaient sauter limmeuble
de la compagnie américaine Paramount,
détruisant des milliers de lms. C’était le
point nal de la guerre des cinémas, qui
rouvrirent le 29 avril.
Ce nétait nullement la n du « coup pour
coup » entre Résistance et SD : sabotages,
assassinats, destructions dimmeubles plus
ou moins symboliques, attaques de moyens
de transport publics, échange de « coups »,
comme le 22 juin lattaque par les commu-
nistes du BOPA de la seule entreprise de
fabrication darmement du pays, qui fut
tota lement détruite, avec en réponse deux
jours plus tard : la destruction par le SD
du parc dattractions de Tivoli. Un phé-
nomène nouveau était également apparu
peu à peu côté nazi : une méance envers
la police danoise, que lon soupçonnait de
ne pas toujours jouer franc jeu. Après le
débarquement du 6 juin en Normandie, et
la libération de la France, le rôle de la po-
lice parisienne durant les préparatifs et les
combats pour la libération de Paris attisa les
inquiétudes. Les chefs de la Wehrmacht et
du SD au Danemark jugèrent indispensable
de dissoudre la police danoise et de réorga-
niser, sous contrôle, des unités plus res.
Hitler en donna lordre le 12 septembre, il
fut exécuté une semaine plus tard. Dans les
mois suivants, les coups continuèrent à pleu-
voir de part et dautre. Ainsi le 31 octobre,
la RAF bombarda avec succès les bâtiments
universitaires qui abritaient la Gestapo, mais
c’est seulement le 21 mars 1945 qu’elle dé-
truisit enn dans un raid réclamé depuis
longtemps, le bâtiment Shell qui hébergeait
le SD, tout en parvenant à laisser intact le
grenier, où des résistants détenus devaient
servir de bouclier.
Jusquà la n d’avril 1945 les « échanges »
entre résistants et nazis se poursuivirent,
acharnés, et on considère ce dernier mois
de guerre, avril 1945, comme le plus san-
glant de loccupation, avec de nombreux
règlements de comptes entre Allemands et
Danois, comme entre Danois, au point que
les dates du 19 au 21 avril sont entrées dans
lhistoire du pays comme « Nuit des bombes ».
C’est seulement après larrivée des troupes
anglaises et la capitulation allemande du
5 mai 1945, que le pays retrouva, plus tard
que dautres, une paix encore douloureuse.
jean-luC bellanger
(1) Leifer, par la suite, se rapprocha de la
Résistance. Par ailleurs, propriétaire d’un
bateau de plaisance, il coopéra – contre rétribu-
tion – début octobre 1943 au transport de Juifs
vers la Suède (environ 2 500 Juifs sur les 8 000
qui habitaient le Danemark furent ainsi éva-
cués juste à la veille de déportations massives
vers les camps dextermination). On estime
que 95 % des Juifs danois, grâce à de telles
opé rations, survécurent à loccupation nazie.
(2) Les publications clandestines étaient nom-
breuses. On en comptait, paraît-il, 80 en 1943
et 265 en mars 1945.
n
Matthias BATH, Der SD in Dänemark 1940-
1945, Heydrichs Elite und der Gegenterror
(Le SD au Danemark, Lélite de Heydrich et
la « contre-terreur ») Ed. Neuhaus, Berlin,
1945 (non traduit)
L'asphyxie de deux jeune mineurs (galibots) en septembre
1940 enclenche le processus.
lll
E
n 1941, le Nord-pas-de Calais occu-
pé est en « Zone Interdite », placé
sous administration du comman-
dement militaire de Bruxelles. Pourtant,
les polices et gendarmerie du régime de
Vichy y restent très actives, notamment
pour réprimer les mouvements politiques
et sociaux. Dès 1940, sous la pression des
autoris militaires allemandes mais aussi
pour augmenter leurs prots, les compa-
gnies minières augmentent
les horaires de travail au
détriment des consignes
de curité. Lasphyxie de
deux galibots (jeunes mi-
neurs) en septembre 1940
à Dourges a provoqué des
réactions indignées mal-
gré la volonté de loccupant
de minimiser lévènement.
Dans le même temps, la
disette et les pénuries de
viande, pain, savon – capital
pour un métier particuliè-
rement salissant –, sont de
plus en plus mal suppor-
tées par le peuple mineur,
et notamment les épouses.
Quand en janvier, les
compagnies minières dé-
cident daugmenter le tra-
vail dune demi-journée
hebdomadaire, des grèves
perlées éclatent, réprimées.
Outre les questions sociales,
la collaboration des com-
pagnies avec loccupant et
l’utilisation du charbon du
Nord-Pas-de-Calais dans
lindustrie de guerre al-
lemande sont violem-
ment condamnées par les
mineurs : « Pas dcarbon
pour les Boches » devient
un mot dordre fédérateur
pour les grévistes.
Après des mouvements de
protestation, des salaires
bloqués, le moment est arrivé pour une ac-
tion denvergure. Le prétexte sera d’ordre
alimentaire. Encouragé par le succès de
la grève de 7 000 mineurs belges, à Liège,
du 17 au 24 mai, des militants présentent
un cahier de revendications à la fosse du
Dahomey à Montigny. Lessentiel porte
sur les salaires, laugmentation de la ra-
tion de viande et une réduction du temps
de travail. La grève, déclenchée le 27 mai,
s’étend peu à peu aux concessions de
Dourges, puis Bully, Noeux, Bruay, Marles,
le Douaisis et le Valenciennois. Au début
du mois de juin, 91 271 mineurs y parti-
cipent, soit 78 % de leectif.
Arrestations, déportations
Les Allemands ne pouvant supporter
un arrêt de travail réagissent aussitôt. Le
bassin est quadrillé. Toutes les fosses sont
gardées militairement. Les mineurs sont
interrogés. Dans un premier temps, 160
personnes dont 47 femmes, emmenées à
la caserne Kléber à Lille, sont arrêtées. Les
forces nazies ont remarqué le rôle impor-
tant des femmes depuis le déclenchement
de la grève. Leur tactique n’a pas chan-
gé. Les premiers jours, elles s’installent
à lentrée des fosses et dissuadent les
ouvriers de travailler. Dès quelles en ont
été chassées, elles interceptent les récal-
citrants dans les cités. Les menaces pro-
duisent souvent leur eet. Les autorités
allemandes reprocheront aux policiers
français « leur mollesse » à leur égard. De
Valenciennes, thune, Douai, les « Kom-
mandanturen » diusent un communi-
qué : « Il est interdit à toutes les femmes
de se montrer une demi-heure avant la
descente et la remontée des mineurs, à
tous les postes, matin, midi et
soir. Les femmes se rendant
au travail devront être por-
teuses d’un certicat établi
dans les deux langues, délivré
par lemployeur, avec le cachet
de l’entreprise. » Et le général
Nieho (Generalleutenant de
la 371
e
division dinfante-
rie, Oberfeldkommandant de
Lille) ajoute dans une mise en
garde aux grévistes : « Si cer-
taines améliorations étaient
possibles, elles seraient appli-
quées plus tard, pour quil n’y
ait aucun rapport avec l’exi-
gence de la grève. »
Le conit prend n le 10 juin,
entraînant une perte de pro-
duction de 500 000 tonnes.
Les mineurs la paieront cher.
325 seront arrêtés, ils appar-
tiennent tous au Parti com-
muniste. Leurs noms ont été
communiqués par certaines
compagnies minières à la po-
lice et la gendarmerie. 231 se-
ront envoyés dans des camps
de concentration, 126 n’en re-
vinrent pas, 94 seront fusillés
comme otages, en représailles
dattentats commis contre les
soldats allemands.
Dans son ouvrage, Laurore
se lève au pays noir, Auguste
Copin décrit ainsi le signal
de départ de la grève : « une
fois de plus, Georges consulte
sa montre, 9 h ! C’est linstant quil sest
xé. Il savance à front de taille et crie
arrête ton piqueur !” Louvrier repose
loutil, étonné. Les autres regardent, in-
trigués… “On va faire la grève ! Rien à
manger, des journées plus longues, des
brimades toujours plus dures, ça ne peut
plus continuer, ne croyez-vous pas, ca-
marades ?” Michel prendra la parole tout
à lheure. Les hommes ont approuvé de la
100 000 mineurs face à l’occupant. 500 000 tonnes de charbon perdues pour la machine de guerre
allemande. La grève des mineurs du Nord-Pas-de- Calais, fut la première action de masse de la
Résistance. Récit et analyse.
gve des mineurs 1941
« Pas d ’ca rbon
pour les boches ! »
© Le Galibot. Encre de chine de Jean Amblard. Mue de Demain
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