8 mémoire LE PATRIOTE RÉSISTANT N° 915 - janvier 2017 Dans le danemark occupé services secrets nazis contre résistance Le Danemark a tenu une place à part parmi les pays d’Europe occidentale occupés par les nazis. En effet, lors de l’invasion brutale et arbitraire des troupes allemandes, le 9 avril 1940, le roi et le gouvernement, au lieu de fuir vers la Grande-Bretagne ou un autre pays ami, restèrent en place, empêchant la création d’un régime militaire d’occupation, tel qu’il exista dans la plupart des autres pays. L’ambassade d’Allemagne restait la représentante du gouvernement nazi. C’est donc à travers ses services, que les ordres et exigences hitlériens étaient transmis aux autorités danoises. D ès les premiers jours, de nouveaux représentants des services de Berlin furent envoyés à Copenhague, comme le haut-gradé SS et jusque-là ­adjoint au « Président de Police de Berlin », Paul Kanstein, dont le rôle devait être d’assurer la sécurité des troupes d’occupation par la garantie et le maintien de l’ordre public. Il retrouva à l’ambassade le représentant de la Gestapo, ainsi que le chef désigné du « Service de sécurité » (Sicherheitsdienst, SD, créé par Himmler dès 1931), nommé au Danemark depuis seulement quelques jours, Hans Pahl. Titre officiel de ce ­dernier : « ­attaché culturel ». Rien de tout cela ne correspondait à une prise de pouvoir directe. Au mois d’août, puis à nouveau à l’automne, des tentatives de renverser le gouvernement eurent lieu, qui échouèrent. La coexistence était fixée, au moins pour un certain temps. L’ambassade nazie à Copenhague, en dehors de son rôle officiel de représentation du gouvernement allemand, abritait bien entendu les envoyés de diverses administrations nazies. C’est seulement en octobre 1939 que la présence inofficielle (verdeckt) du SD au sein de cette ambassade avait été concrétisée, comme ailleurs dans le monde, à la suite d’un accord entre le ministère des Affaires étrangères de Ribbentrop, et Himmler et Heydrich. L’implantation de services secrets nazis n’avait pas attendu. La Gestapo avait une représentation depuis 1936. Jusqu’en 1940, pour le SD, c’est le responsable du SD de Kiel, ville frontalière allemande, Eberhard Löw, qui avait assuré la recherche des contacts à l’intérieur du Danemark. Le 13 avril 1940 il fut convoqué à Berlin au RSHA et reçut l’ordre de mettre sur pied une commission « Pays germaniques occupés », dont il dirigerait la branche « Danemark », ce qui le conduisait entre autres à prendre en mains les contacts avec le parti nazi danois et les autres milieux de droite et d'extrême-droite. L’ambassade de Copenhague fut réorganisée et vit son personnel grandement augmenter à la suite de l’occupation du pays. Un service nouveau chargé des questions d’administration et de politique intérieure créa les Sections C (Police) et D (SD). La Section C était chargée des rapports avec la ­police danoise, et un total de 7 sous-­sections ­s’occupaient du contre-espionnage, de la surveillance des frontières et de la « lutte contre l’ennemi ». Ici il s’agissait essentiellement de surveiller les émigrants allemands, communistes, Juifs et francs-maçons. Pour agir, ce service était dépendant d’organismes disposant, ­contrairement à lui, de moyens de police : l’Abwehr (militaire) ou le SD. La Section D, quant à elle, dirigée par un spécialiste SS chevronné des questions danoises, Hans Pahl, était composée de deux secteurs, l’un chargé des contacts avec le monde politique danois, entre autres avec le parti nazi danois connu des Allemands comme DNSAP, l’autre, consacré aux « tâches spéciales », créé en 1941, était vouée à des activités nettement plus clandestines. Son chef s’appelait Hans Wäsche, et son activité essentielle consistait à mettre sur pied un réseau d’agents du SD dans le pays. Wäsche avait aussi un contact direct avec un certain nombre de responsables officiels danois, comme le chef du service de renseignements danois, Hubert Gilbert (un Allemand émigré), ou le patron du Bureau des visas de la police danoise, Vilhelm Leifer. Grâce à celui-ci, aucun voyage de citoyen danois en Suède ne pouvait lui échapper (1). Pourtant les deux branches de la Section D ne disposaient entre 1940 et l’été 1943 que d’une douzaine de personnes, en dehors des agents danois qu’ils avaient recrutés. émissions clandestines vers Londres L’occupation du Danemark par la Wehrmacht s’était bien entendu accompagnée d’une volonté de prise en mains aussi stricte que possible de la population et de l’administration danoises. Au premier plan se situait la neutralisation des forces armées danoises et de leurs services de renseignement. C’est l’Abwehr qui était chargée de cette prise en mains, et elle s’acquitta de cette tâche avec des résultats divers. En particulier, les Allemands ne semblent pas s’être rendu compte que les services secrets de l’armée de terre et de la marine danoises s’étaient pratiquement mises au service de leurs collègues britanniques, et feraient tout ce qui leur serait possible pour nuire à l’occu­pant nazi. Cette coopération se poursuivit jusqu’à la grande réorganisation des forces de ­police nazies au Danemark de l’été 1943. Dans un autre domaine, par contre, l’Abwehr se montra plus efficace. Assez tôt dans l’occupation du Danemark, les services secrets britanniques avaient cherché à envoyer et à implanter des agents dans le pays. Le SOE (Special Operations Executive) avait réussi à parachuter des opérateurs radio qui devraient transmettre les informations recueillies par des informateurs, ­locaux ou euxmêmes parachutés. Au début de l’été 1942, l’Abwehr réussit à repérer les émissions clandestines vers Londres, et le premier émetteur fut découvert début septembre, ce qui mit fin ­momentanément à cette activité. Quant au SD, c’est à partir d’avril 1941 que son activité commença à prendre une véritable ampleur. Hans Wäsche, qui avait une formation d’enseignant, était arrivé à Copenhague en avril 1941 pour organiser une exposition culturelle de la « Société Pendant l'occupation allemande, le roi Christian X devint un puissant symbole de souveraineté nationale. Cette photo fut prise le 26 septembre 1940. ­nordique » et resta au sein du service culturel de l’ambassade, chargé des contacts avec le monde culturel danois. Chargé également de « missions spéciales », il était responsable des contacts avec des informateurs danois comme Gilbert ou Leifer, dont nous avons déjà parlé. Il mit sur pied un groupe de travail de « Scandinavologie », appelé ARGESKA, dont les publications devaient favoriser un climat favorable à l’Allemagne parmi leurs lecteurs, mais qui servait en fait de couverture à un réseau d’une dizaine d’agents danois du SD, financé de Berlin par le RSHA. Deux de ces agents réussirent ainsi en septembre 1942 à démasquer un groupe de résistance qui publiait depuis décembre 1941 une feuille clandestine, « Les Danois libres », qui en était arrivée à tirer chaque mois 5 000 exemplaires. Entre ­septembre et novembre, une trentaine d’arrestations eurent lieu, ­suivies de procès et de condamnations au début de 1943 (2). Sous diverses formes, la Résistance danoise se manifestait, graffiti ; tracts, publications plus ou moins régulières, sabotages plus ou moins importants, sous forme d’actions individuelles ou dans le cadre de structures clandestines. Le gouvernement en ayant obtenu l’autorisation des Allemands, des élections générales furent organisées en mars 1943, qui firent apparaître d’assez bons résultats pour les tendances favorables aux nazis. Des grèves importantes eurent lieu en réponse, et un mouvement de désobéissance civile menaçant de se développer, les autorités d’occupation procédèrent à la dissolution du gouvernement et décrétèrent la loi martiale dans le pays le 29 août, entraînant une forte diminution des activités de résistance. Celles-ci reprirent bientôt, devenant rapidement plus violentes et sanglantes. Ainsi l’arrestation d’un saboteur communiste, et les tortures inhumaines qu’il avait mémoire N° 915 - janvier 2017 subies, fut « punie » le 9 octobre par l’incendie d’un café très prisé des soldats de la Wehrmacht à Copenhague, qui pourtant ne fit pas de victimes. La mort du résistant torturé une dizaine de jours plus tard entraîna le 27 octobre un nouvel ­attentat à la bombe contre un autre café prisé de la Wehrmacht, avec cette fois 4 morts et 40 blessés sérieux. Devant ce début d’escalade, les responsables de la Résistance décidèrent le 29 octobre 1943 d’interdire la poursuite d’attentats visant les occupants allemands. Par contre, liquider des traîtres danois restait inscrit au programme des résistants. Répondre à la terreur par la « contre-terreur » La décision des responsables de la Résistance n’était pas connue des Allemands, et elle ne parvint sans doute pas facilement aux militants sur le terrain. Quoi qu’il en soit, le retrait de la loi martiale le 6 octobre coïncida avec une recrudescence nouvelle de l’activité de résistance, et en octobre 1943 le nombre de sabotages tourna autour de 80. En ­particulier ceux des 9 et 27 octobre poussèrent les responsables berlinois du RSHA à souhaiter des mesures brutales immédiates. Le plénipotentiaire du Reich (Reichsbevollmächtigter) Werner Best et le responsable du SD le Dr Rudolf Mildner n’y étaient pas favorables, et parvinrent à éviter des décisions, dangereuses à leurs yeux, entre autres sous prétexte du manque d’effectifs. Mais l’idée de mesures de « contre-terreur » restait présente, et faisait l’objet de réflexions pratiques au sein des services, en particulier de celui de Hans Wäsche. Dans la nuit du 17 au 18 novembre, un groupe de résistance soutenu et formé par des membres du SOE fit sauter un pont ­stratégique de chemin de fer sur la ligne nordsud du pays. Par ailleurs, et sans lien entre les deux, un soldat allemand fut le même jour attaqué à Copenhague. Ces deux faits entraînèrent de violentes réactions à Berlin, et Best se sentit ­obligé le 20 ­novembre de tenter de convaincre Himmler du d ­ anger de contremesures disproportionnées, qui risquaient de braquer encore plus la popu­lation contre l’occupant. Best adressa le même jour un télégramme à Ribbentrop dans le même sens, se sachant soutenu dans son opinion par les chefs au Danemark de la Gestapo (Hoffmann) comme du SD (Günther Pancke). Aucun succès : le 5 décembre, Pancke fut convoqué au quartier général de Himmler en Prusse orientale, et il se fit violemment laver la tête par son chef qui lui donna l'ordre de lancer enfin la « contre-terreur », c’està-dire « que pour chaque attentat ennemi un attentat équivalent contre des membres des groupes terroristes ou leurs auxiliaires, complices, soutiens financiers, etc. serait exécuté… et que chaque sabotage se verrait répondre par un ou plusieurs sabotages contre des objectifs importants pour l’adversaire ». Après le retour de Pancke, Mildner cessa de s’opposer à cette politique et demanda que soit dressée une liste d’objets de représailles possibles. Une liste d’adversaires à éliminer éventuellement avait déjà été dressée en octobre. Elle fut mise à jour. On définit comme première victime possible le pasteur et dirigeant nationaliste danois Kaj Munk, également dramaturge et politicien connu. En raison de ses prêches enflammés, il lui avait été interdit en novembre 1943 de prêcher ailleurs que dans sa propre paroisse. Il avait justement contrevenu à cette interdiction le 5 décembre. également en tête de la liste des victimes « prioritaires » figurait un journaliste, Christian Dam. Dès le 7 décembre, Mildner avait signalé qu’il ne disposait nullement de moyens suffisants pour les opérations envisagées (à cette époque, le SD au Danemark disposait seulement d’une quarantaine d’agents) et Himmler désigna le lieutenant-colonel SS Otto Skorzeny, chef du groupe « Sabotage » à l’Office central de sécurité du Reich (RSHA) pour diriger la création d’un « Kommando spécial Danemark », pour lequel celui-ci choisit comme adjoint Otto Schwerdt, qui avait déjà été son adjoint lors de ­l’expédition dans les Abruzzes, au mois de septembre précédent, qui lui avait permis de libérer Mussolini lors du coup d’état italien. Pourtant Werner Best, officiellement principal personnage officiel nazi, n’était toujours pas convaincu de la justesse de la politique de brutalité. Pour lui, la lutte contre la résistance danoise avait une réelle efficacité. Entre le 15 septembre et le 14 décembre 1943, la Gestapo avait arrêté 169 saboteurs présumés, ainsi que 424 personnes accusées d’activités illégales, communistes en général. S’en étaient suivies 11 exécutions capitales et 184 déportations vers les KZ. Enfin, le 13 décembre, on mit la main sur trois agents du SOE. En un mot, la situation « était sous contrôle » et la « contre-terreur » superflue… Pourtant deux actions de sabotage spectaculaires du groupe communiste BOPA contre des entreprises d’armement, les 20 et 21 décembre, rendirent sa position intenable, braquant définitivement les plus hautes autorités nazies. Le 30 décembre une réunion exceptionnelle au Quartier général d’Hitler réunit, autour du Führer, Best, Pancke, le chef de la Wehrmacht au Danemark Général von Hannecken, Himmler, le chef du RSHA Kaltenbrunner, avec les principaux chefs de la Wehrmacht, les généraux Keitel et Jodl. Seul absent, malade, von Ribbentrop. Dans un long monologue, Hitler expliqua sa décision : il fallait appliquer au Danemark la « contre-terreur », les arrestations seraient traitées selon le mode NN de l’« ordonnance Keitel » de décembre 1941 pour l’Europe occidentale (dite depuis « Nuit et Brouillard »), c’est-à-dire que le sort des personnes arrêtées resterait inconnu, de même que l’appartenance et la personnalité des acteurs de ces opérations. Il fallait éviter de créer des martyrs, mais répondre à tout attentat par un attentat équivalent. Déjà, le même jour, le journaliste Christian Dam avait été abattu chez lui (mais il survécut), comme deux politiciens conservateurs, qui survécurent également. Avec l’année 1944 la « contreterreur » nazie s’installait au Danemark. Durant la quinzaine de mois qui précédèrent la fin de la guerre, le Danemark fut le théâtre d’une sorte de course-poursuite entre Résistance et séides du SD, attentats et assassinats se répondant constamment, sans que l’un des camps prenne un ­avantage évident sur l’autre. En tout cas, l’idée initiale des nazis de parvenir à déconsidérer les résistants en les présentant comme responsables de toutes les destructions, des vies perdues, de la menace constante de se trouver au cœur d’un attentat fit, si l’on ose dire, long feu. Seule la haine de l’occupant fut attisée, la responsabilité globale des nazis étant généralement admise par les Danois. Guerre des cinémas Déçu de la survie de plusieurs victimes ­ ’attentats, les nazis assassinèrent le pasteur d Kai Munk le 4 janvier 1944, mais la conséquence fut une énorme vague de ­réprobation, qui faisait de lui un héros et martyr. La police Le Parc du souvenir, et Cimetière du mémorial de Ryvangen, près de Copenhage, fut inauguré en 1950 pour commémorer résistants et victimes du nazisme à l'endroit même où les nazis exécutaient les résistants capturés. 9 La flotte militaire danoise se saborde ! Dans le cadre de la loi martiale du 29 août 1943, les militaires allemands ont tenté de mettre la main sur la marine danoise qui était restée dans le port de Copenhague. Mais, comme les marins français à Toulon, les marins danois ont choisi de se saborder pour ne pas tomber aux mains de la Kriegsmarine (sur la photo, le croiseur Peder Skram, sabordé dans la base navale d'Holmen). Un total de 52 navires étaient à l’ancre, 32 furent sabordés, 4 prirent la fuite vers la Suède, et seuls 14 furent saisis intacts. La plupart des navires sabordés furent renfloués ensuite par les Allemands et 15 remis en état et utilisés. © Musée National d'Histoire Militaire du Danemark LE PATRIOTE RÉSISTANT danoise n’eut aucun mal à retracer la culpabilité du SD, mais n’avait ­aucun moyen d’agir contre des Allemands. Pourtant un rapport de police explicite tomba aux mains de la Résistance qui en fit un tract largement diffusé. Les attentats allaient dès lors se succéder : le SD fit ­sauter le siège de l’Asso­ciation des étudiants danois le 10 ­janvier, le lendemain, c’était le tour du garage de la police de Copenhague, le 17 sautait une ­fabrique de crème glacée, dont le chef était présumé antinazi, le 25 janvier, c’était le tour du Club d’aviron des étudiants. Le 29 janvier, un résistant important abattit un chef du SD, mais fut lui-même grièvement blessé. Tous deux survécurent. Le 29 janvier, un officier de marine allemand fut mortellement blessé, ce qui entraîna l’assassinat le même jour d’un officier et d’un policier danois. En février 1944, les effectifs du SD au Danemark atteignaient 183 personnes, et au mois de mars on décida de loger l’ensemble du service dans un bâtiment de proportions adéquates, le « Bâtiment Shell » de Copenhague. Fin janvier avait débuté une extraordinaire séquence d’attentats ­visant tout ce qui touchait au cinéma d ­ anois, les premiers touchant plusieurs ciné­mas et centres de production. La première réponse toucha le cinéma Palladium, qui passait un film allemand. Le 31 mars, c’est un des principaux cinémas de la capitale, le Kinopalais qui sautait sur ordre du chef de la SIPO nazie. Non informé, le chef SD pensa que la Résistance était coupable et fit détruire par des SS danois un autre cinéma en représailles. Le 5 avril des résistants étudiants mirent à sac le siège de la ­société nazie de films UFA, sabotant quelque 200 films et bandes d’actualités. On nota encore quelques « grands coups » de part et d’autre jusqu’au 25 avril où le plénipotentiaire nazi, le Dr Best, ordonna la fermeture de tous les ciné­mas de Copenhague lll mémoire jusqu’à nouvel ordre, pendant que des agents du SD faisaient sauter l’immeuble de la compagnie américaine Paramount, détruisant des milliers de films. C’était le point final de la guerre des cinémas, qui rouvrirent le 29 avril. Ce n’était nullement la fin du « coup pour coup » entre Résistance et SD : sabotages, assassinats, destructions d’immeubles plus ou moins symboliques, attaques de moyens de transport publics, échange de « coups », comme le 22 juin l’attaque par les communistes du BOPA de la seule entreprise de fabrication d’armement du pays, qui fut tota­lement détruite, avec en réponse deux jours plus tard : la destruction par le SD du parc d’attractions de Tivoli. Un phénomène nouveau était également apparu peu à peu côté nazi : une méfiance envers la police danoise, que l’on soupçonnait de ne pas ­toujours jouer franc jeu. Après le débarquement du 6 juin en Normandie, et la libération de la France, le rôle de la police parisienne durant les préparatifs et les combats pour la libération de Paris attisa les inquiétudes. Les chefs de la Wehrmacht et du SD au Danemark jugèrent indispensable de dissoudre la police danoise et de réorganiser, sous contrôle, des unités plus sûres. Hitler en donna l’ordre le 12 septembre, il fut exécuté une semaine plus tard. Dans les mois s­ uivants, les coups continuèrent à pleuvoir de part et d’autre. Ainsi le 31 octobre, la RAF bombarda avec succès les bâtiments universitaires qui abritaient la Gestapo, mais c’est seulement le 21 mars 1945 qu’elle détruisit enfin dans un raid ­réclamé depuis longtemps, le bâtiment Shell qui hébergeait le SD, tout en parvenant à laisser intact le grenier, où des résistants détenus devaient servir de bouclier. Jusqu’à la fin d’avril 1945 les « échanges » entre résistants et nazis se poursuivirent, acharnés, et on considère ce dernier mois de guerre, avril 1945, comme le plus sanglant de l’occupation, avec de nombreux règlements de comptes entre Allemands et Danois, comme entre Danois, au point que les dates du 19 au 21 avril sont entrées dans l’histoire du pays comme « Nuit des bombes ». C’est seulement après l’arrivée des troupes anglaises et la capitulation allemande du 5 mai 1945, que le pays retrouva, plus tard que d’autres, une paix encore douloureuse. Jean-Luc Bellanger LE PATRIOTE RÉSISTANT N° 915 - janvier 2017 lll (1) Leifer, par la suite, se rapprocha de la Résistance. Par ailleurs, propriétaire d’un ­bateau de plaisance, il coopéra – contre rétribution – début octobre 1943 au transport de Juifs vers la Suède (environ 2 500 Juifs sur les 8 000 qui habitaient le Danemark furent ainsi évacués juste à la veille de déportations ­massives vers les camps d’extermination). On estime que 95 % des Juifs danois, grâce à de telles opé­rations, survécurent à l’occupation nazie. (2) Les publications clandestines étaient nombreuses. On en comptait, paraît-il, 80 en 1943 et 265 en mars 1945. n Matthias BATH, Der SD in Dänemark 19401945, Heydrichs Elite und der Gegenterror (Le SD au Danemark, L’élite de Heydrich et la « contre-terreur ») Ed. Neuhaus, Berlin, 1945 (non traduit) grève des mineurs 1941 « pas d’carbon pour les boches ! » 100 000 mineurs face à l’occupant. 500 000 tonnes de charbon perdues pour la machine de guerre allemande. La grève des mineurs du Nord-Pas-de- Calais, fut la première action de masse de la Résistance. Récit et analyse. E n 1941, le Nord-pas-de Calais occus’étend peu à peu aux concessions de été chassées, elles interceptent les récalpé est en « Zone Interdite », placé Dourges, puis Bully, Noeux, Bruay, Marles, citrants dans les cités. Les menaces prosous administration du commanle Douaisis et le Valenciennois. Au début duisent souvent leur effet. Les autorités dement militaire de Bruxelles. Pourtant, du mois de juin, 91 271 mineurs y partiallemandes reprocheront aux policiers les polices et gendarmerie du régime de français « leur mollesse » à leur égard. De cipent, soit 78 % de l’effectif. Valenciennes, Béthune, Douai, les « komVichy y restent très actives, notamment pour réprimer les mouvements politiques Arrestations, déportations mandanturen » d­ iffusent un communiet sociaux. Dès 1940, sous la pression des Les Allemands ne pouvant supporter qué : « Il est interdit à toutes les femmes autorités militaires allemandes mais aussi un arrêt de travail réagissent aussitôt. Le de se montrer une demi-heure avant la pour augmenter leurs profits, les compabassin est quadrillé. Toutes les fosses sont descente et la remontée des mineurs, à gnies minières augmentent tous les postes, matin, midi et les horaires de travail au soir. Les femmes se rendant détriment des consignes au travail devront être porde sécurité. L’asphyxie de teuses d’un certificat établi deux galibots (jeunes midans les deux langues, délivré neurs) en septembre 1940 par l’employeur, avec le cachet à Dourges a provoqué des de l’entreprise. » Et le général réactions indignées malNiehoff (Generalleutenant de gré la volonté de l’occupant la 371e division d’infantede minimiser l’évènement. rie, Oberfeldkommandant de Dans le même temps, la Lille) ajoute dans une mise en disette et les pénuries de garde aux grévistes : « Si cerviande, pain, savon – ­capital taines améliorations étaient pour un métier particulièpossibles, elles seraient applirement salissant –, sont de quées plus tard, pour qu’il n’y plus en plus mal supporait aucun rapport avec l’exitées par le peuple mineur, gence de la grève. » et notamment les épouses. Le conflit prend fin le 10 juin, Quand en janvier, les entraînant une perte de procompagnies minières déduction de 500 000 tonnes. cident d’augmenter le traLes mineurs la paieront cher. vail d’une demi-journée 325 seront arrêtés, ils apparhebdomadaire, des grèves tiennent tous au Parti comperlées éclatent, r­ éprimées. muniste. Leurs noms ont été Outre les questions sociales, communiqués par certaines la collaboration des comcompagnies minières à la popagnies avec l’occupant et lice et la gendarmerie. 231 seront envoyés dans des camps l’utilisation du charbon du Nord-Pas-de-Calais dans de concentration, 126 n’en rel’industrie de guerre alvinrent pas, 94 seront fusillés comme otages, en représailles lemande sont violemment condamnées par les d’attentats commis contre les ­mineurs : « Pas d’carbon soldats allemands. pour les Boches » devient Dans son ouvrage, l’aurore un mot d’ordre ­fédérateur se lève au pays noir, Auguste Copin décrit ainsi le signal pour les grévistes. L'asphyxie de deux jeune mineurs (galibots) en septembre Après des mouvements de 1940 enclenche le processus. de départ de la grève : « une protestation, des salaires fois de plus, Georges consulte bloqués, le moment est ­arrivé pour une acgardées militairement. Les mineurs sont sa montre, 9 h ! C’est l’instant qu’il s’est tion d’envergure. Le prétexte sera d’ordre interrogés. Dans un premier temps, 160 fixé. Il s’avance à front de taille et crie alimentaire. Encouragé par le succès de personnes dont 47 femmes, emmenées à “arrête ton piqueur !” L’ouvrier repose la grève de 7 000 mineurs belges, à Liège, la caserne Kléber à Lille, sont arrêtées. Les l’outil, étonné. Les autres regardent, indu 17 au 24 mai, des militants présentent forces nazies ont remarqué le rôle importrigués… “On va faire la grève ! Rien à un cahier de revendications à la fosse du tant des femmes depuis le ­déclenchement manger, des journées plus longues, des de la grève. Leur tactique n’a pas chanbrimades toujours plus dures, ça ne peut Dahomey à Montigny. L’essentiel porte plus continuer, ne croyez-vous pas, cagé. Les premiers jours, elles s’installent sur les salaires, l’augmentation de la ration de viande et une réduction du temps à l’entrée des fosses et dissuadent les marades ?” Michel prendra la parole tout de travail. La grève, ­déclenchée le 27 mai, ­ouvriers de travailler. Dès qu’elles en ont à l’heure. Les hommes ont approuvé de la © Le Galibot. Encre de chine de Jean Amblard. Musée de Demain 10