Dans le Danemark occupé Services secrets nazis contre résistance

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mémoire
LE PATRIOTE RÉSISTANT
N° 915 - janvier 2017
Dans le danemark occupé
services secrets nazis contre résistance
Le Danemark a tenu une place à part parmi les pays d’Europe occidentale occupés par les nazis. En effet, lors de l’invasion brutale et arbitraire
des troupes allemandes, le 9 avril 1940, le roi et le gouvernement, au lieu de fuir vers la Grande-Bretagne ou un autre pays ami, restèrent en place,
empêchant la création d’un régime militaire d’occupation, tel qu’il exista dans la plupart des autres pays. L’ambassade d’Allemagne restait la
représentante du gouvernement nazi. C’est donc à travers ses services, que les ordres et exigences hitlériens étaient transmis aux autorités danoises.
D
ès les premiers jours, de nouveaux
représentants des services de Berlin
furent envoyés à Copenhague,
comme le haut-gradé SS et jusque-là ­adjoint
au « Président de Police de Berlin », Paul
Kanstein, dont le rôle devait être d’assurer
la sécurité des troupes d’occupation par la
garantie et le maintien de l’ordre public.
Il retrouva à l’ambassade le représentant
de la Gestapo, ainsi que le chef désigné du
« Service de sécurité » (Sicherheitsdienst,
SD, créé par Himmler dès 1931), nommé
au Danemark depuis seulement quelques
jours, Hans Pahl. Titre officiel de ce ­dernier :
« ­attaché culturel ». Rien de tout cela ne correspondait à une prise de pouvoir directe.
Au mois d’août, puis à nouveau à l’automne,
des tentatives de renverser le gouvernement
eurent lieu, qui échouèrent. La coexistence
était fixée, au moins pour un certain temps.
L’ambassade nazie à Copenhague, en dehors de son rôle officiel de représentation du
gouvernement allemand, abritait bien entendu les envoyés de diverses administrations
nazies. C’est seulement en octobre 1939 que
la présence inofficielle (verdeckt) du SD au
sein de cette ambassade avait été concrétisée, comme ailleurs dans le monde, à la suite
d’un accord entre le ministère des Affaires
étrangères de Ribbentrop, et Himmler et
Heydrich. L’implantation de services secrets
nazis n’avait pas attendu. La Gestapo avait
une représentation depuis 1936. Jusqu’en
1940, pour le SD, c’est le responsable du SD
de Kiel, ville frontalière allemande, Eberhard
Löw, qui avait assuré la recherche des contacts
à l’intérieur du Danemark. Le 13 avril 1940
il fut convoqué à Berlin au RSHA et reçut
l’ordre de mettre sur pied une commission
« Pays germaniques occupés », dont il dirigerait la branche « Danemark », ce qui le
conduisait entre autres à prendre en mains
les contacts avec le parti nazi danois et les
autres milieux de droite et d'extrême-droite.
L’ambassade de Copenhague fut réorganisée et vit son personnel grandement augmenter à la suite de l’occupation du pays.
Un service nouveau chargé des questions
d’administration et de politique intérieure
créa les Sections C (Police) et D (SD). La
Section C était chargée des rapports avec la
­police danoise, et un total de 7 sous-­sections
­s’occupaient du contre-espionnage, de la surveillance des frontières et de la « lutte contre
l’ennemi ». Ici il s’agissait essentiellement de
surveiller les émigrants allemands, communistes, Juifs et francs-maçons. Pour agir, ce
service était dépendant d’organismes disposant, ­contrairement à lui, de moyens de police : l’Abwehr (militaire) ou le SD. La Section
D, quant à elle, dirigée par un spécialiste SS
chevronné des questions danoises, Hans
Pahl, était composée de deux secteurs, l’un
chargé des contacts avec le monde politique
danois, entre autres avec le parti nazi danois connu des Allemands comme DNSAP,
l’autre, consacré aux « tâches spéciales », créé
en 1941, était vouée à des activités nettement
plus clandestines. Son chef s’appelait Hans
Wäsche, et son activité essentielle consistait
à mettre sur pied un réseau d’agents du SD
dans le pays. Wäsche avait aussi un contact
direct avec un certain nombre de responsables
officiels danois, comme le chef du service de
renseignements danois, Hubert Gilbert (un
Allemand émigré), ou le patron du Bureau
des visas de la police danoise, Vilhelm Leifer.
Grâce à celui-ci, aucun voyage de citoyen
danois en Suède ne pouvait lui échapper (1).
Pourtant les deux branches de la Section D
ne disposaient entre 1940 et l’été 1943 que
d’une douzaine de personnes, en dehors des
agents danois qu’ils avaient recrutés.
émissions clandestines
vers Londres
L’occupation du Danemark par la Wehrmacht
s’était bien entendu accompagnée d’une volonté de prise en mains aussi stricte que possible de la population et de l’administration
danoises. Au premier plan se situait la neutralisation des forces armées danoises et de
leurs services de renseignement. C’est l’Abwehr
qui était chargée de cette prise en mains, et
elle s’acquitta de cette tâche avec des résultats divers. En particulier, les Allemands ne
semblent pas s’être rendu compte que les services secrets de l’armée de terre et de la marine danoises s’étaient pratiquement mises
au service de leurs collègues britanniques, et
feraient tout ce qui leur serait possible pour
nuire à l’occu­pant nazi. Cette coopération se
poursuivit jusqu’à la grande réorganisation
des forces de ­police nazies au Danemark de
l’été 1943. Dans un autre domaine, par contre,
l’Abwehr se montra plus efficace. Assez tôt
dans l’occupation du Danemark, les services
secrets britanniques avaient cherché à envoyer et à implanter des agents dans le pays.
Le SOE (Special Operations Executive) avait
réussi à parachuter des opérateurs radio qui
devraient transmettre les informations recueillies par des informateurs, ­locaux ou euxmêmes parachutés. Au début de l’été 1942,
l’Abwehr réussit à repérer les émissions clandestines vers Londres, et le premier émetteur
fut découvert début septembre, ce qui mit fin
­momentanément à cette activité.
Quant au SD, c’est à partir d’avril 1941
que son activité commença à prendre une
véritable ampleur. Hans Wäsche, qui avait
une formation d’enseignant, était arrivé à
Copenhague en avril 1941 pour organiser une exposition culturelle de la « Société
Pendant l'occupation allemande, le roi Christian X devint un puissant symbole
de souveraineté nationale. Cette photo fut prise le 26 septembre 1940.
­nordique » et resta au sein du service culturel de l’ambassade, chargé des contacts avec
le monde culturel danois. Chargé également
de « missions spéciales », il était responsable
des contacts avec des informateurs danois
comme Gilbert ou Leifer, dont nous avons déjà
parlé. Il mit sur pied un groupe de travail de
« Scandinavologie », appelé ARGESKA, dont
les publications devaient favoriser un climat
favorable à l’Allemagne parmi leurs lecteurs,
mais qui servait en fait de couverture à un
réseau d’une dizaine d’agents danois du SD,
financé de Berlin par le RSHA. Deux de ces
agents réussirent ainsi en septembre 1942 à
démasquer un groupe de résistance qui publiait depuis décembre 1941 une feuille clandestine, « Les Danois libres », qui en était
arrivée à tirer chaque mois 5 000 exemplaires.
Entre ­septembre et novembre, une trentaine
d’arrestations eurent lieu, ­suivies de procès
et de condamnations au début de 1943 (2).
Sous diverses formes, la Résistance danoise
se manifestait, graffiti ; tracts, publications
plus ou moins régulières, sabotages plus ou
moins importants, sous forme d’actions individuelles ou dans le cadre de structures
clandestines. Le gouvernement en ayant
obtenu l’autorisation des Allemands, des
élections générales furent organisées en
mars 1943, qui firent apparaître d’assez bons
résultats pour les tendances favorables aux
nazis. Des grèves importantes eurent lieu
en réponse, et un mouvement de désobéissance civile menaçant de se développer, les
autorités d’occupation procédèrent à la dissolution du gouvernement et décrétèrent la
loi martiale dans le pays le 29 août, entraînant une forte diminution des activités de
résistance. Celles-ci reprirent bientôt, devenant rapidement plus violentes et sanglantes.
Ainsi l’arrestation d’un saboteur communiste, et les tortures inhumaines qu’il avait
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N° 915 - janvier 2017
subies, fut « punie » le 9 octobre par l’incendie d’un café très prisé des soldats de la
Wehrmacht à Copenhague, qui pourtant ne
fit pas de victimes. La mort du résistant torturé une dizaine de jours plus tard entraîna
le 27 octobre un nouvel ­attentat à la bombe
contre un autre café prisé de la Wehrmacht,
avec cette fois 4 morts et 40 blessés sérieux.
Devant ce début d’escalade, les responsables
de la Résistance décidèrent le 29 octobre
1943 d’interdire la poursuite d’attentats visant les occupants allemands. Par contre,
liquider des traîtres danois restait inscrit
au programme des résistants.
Répondre à la terreur
par la « contre-terreur »
La décision des responsables de la Résistance
n’était pas connue des Allemands, et elle ne
parvint sans doute pas facilement aux militants sur le terrain. Quoi qu’il en soit, le retrait de la loi martiale le 6 octobre coïncida
avec une recrudescence nouvelle de l’activité
de résistance, et en octobre 1943 le nombre de
sabotages tourna autour de 80. En ­particulier
ceux des 9 et 27 octobre poussèrent les responsables berlinois du RSHA à souhaiter des
mesures brutales immédiates. Le plénipotentiaire du Reich (Reichsbevollmächtigter)
Werner Best et le responsable du SD le Dr
Rudolf Mildner n’y étaient pas favorables,
et parvinrent à éviter des décisions, dangereuses à leurs yeux, entre autres sous prétexte du manque d’effectifs. Mais l’idée de
mesures de « contre-terreur » restait présente, et faisait l’objet de réflexions pratiques
au sein des services, en particulier de celui
de Hans Wäsche.
Dans la nuit du 17 au 18 novembre, un
groupe de résistance soutenu et formé par
des membres du SOE fit sauter un pont
­stratégique de chemin de fer sur la ligne nordsud du pays. Par ailleurs, et sans lien entre les
deux, un soldat allemand fut le même jour
attaqué à Copenhague. Ces deux faits entraînèrent de violentes réactions à Berlin, et Best
se sentit ­obligé le 20 ­novembre de tenter de
convaincre Himmler du d
­ anger de contremesures disproportionnées, qui risquaient
de braquer encore plus la popu­lation contre
l’occupant. Best adressa le même jour un télégramme à Ribbentrop dans le même sens,
se sachant soutenu dans son opinion par les
chefs au Danemark de la Gestapo (Hoffmann)
comme du SD (Günther Pancke).
Aucun succès : le 5 décembre, Pancke fut
convoqué au quartier général de Himmler
en Prusse orientale, et il se fit violemment
laver la tête par son chef qui lui donna l'ordre
de lancer enfin la « contre-terreur », c’està-dire « que pour chaque attentat ennemi
un attentat équivalent contre des membres
des groupes terroristes ou leurs auxiliaires,
complices, soutiens financiers, etc. serait exécuté… et que chaque sabotage se verrait répondre par un ou plusieurs sabotages contre
des objectifs importants pour l’adversaire ».
Après le retour de Pancke, Mildner cessa
de s’opposer à cette politique et demanda
que soit dressée une liste d’objets de représailles possibles. Une liste d’adversaires à éliminer éventuellement avait déjà été dressée
en octobre. Elle fut mise à jour. On définit
comme première victime possible le pasteur
et dirigeant nationaliste danois Kaj Munk,
également dramaturge et politicien connu.
En raison de ses prêches enflammés, il lui
avait été interdit en novembre 1943 de prêcher ailleurs que dans sa propre paroisse. Il
avait justement contrevenu à cette interdiction le 5 décembre. également en tête de la
liste des victimes « prioritaires » figurait un
journaliste, Christian Dam.
Dès le 7 décembre, Mildner avait signalé qu’il ne disposait nullement de moyens
suffisants pour les opérations envisagées (à
cette époque, le SD au Danemark disposait
seulement d’une quarantaine d’agents) et
Himmler désigna le lieutenant-colonel SS
Otto Skorzeny, chef du groupe « Sabotage » à
l’Office central de sécurité du Reich (RSHA)
pour diriger la création d’un « Kommando
spécial Danemark », pour lequel celui-ci
choisit comme adjoint Otto Schwerdt, qui
avait déjà été son adjoint lors de ­l’expédition
dans les Abruzzes, au mois de septembre
précédent, qui lui avait permis de libérer Mussolini lors du coup d’état italien.
Pourtant Werner Best, officiellement principal personnage officiel nazi, n’était toujours
pas convaincu de la justesse de la politique
de brutalité. Pour lui, la lutte contre la résistance danoise avait une réelle efficacité. Entre le 15 septembre et le 14 décembre
1943, la Gestapo avait arrêté 169 saboteurs
présumés, ainsi que 424 personnes accusées d’activités illégales, communistes en
général. S’en étaient suivies 11 exécutions
capitales et 184 déportations vers les KZ.
Enfin, le 13 décembre, on mit la main sur
trois agents du SOE. En un mot, la situation
« était sous contrôle » et la « contre-terreur »
superflue… Pourtant deux actions de sabotage spectaculaires du groupe communiste
BOPA contre des entreprises d’armement,
les 20 et 21 décembre, rendirent sa position
intenable, braquant définitivement les plus
hautes autorités nazies.
Le 30 décembre une réunion exceptionnelle au Quartier général d’Hitler réunit,
autour du Führer, Best, Pancke, le chef de
la Wehrmacht au Danemark Général von
Hannecken, Himmler, le chef du RSHA
Kaltenbrunner, avec les principaux chefs de
la Wehrmacht, les généraux Keitel et Jodl.
Seul absent, malade, von Ribbentrop. Dans
un long monologue, Hitler expliqua sa décision : il fallait appliquer au Danemark la
« contre-terreur », les arrestations seraient
traitées selon le mode NN de l’« ordonnance
Keitel » de décembre 1941 pour l’Europe occidentale (dite depuis « Nuit et Brouillard »),
c’est-à-dire que le sort des personnes arrêtées resterait inconnu, de même que l’appartenance et la personnalité des acteurs de
ces opérations. Il fallait éviter de créer des
martyrs, mais répondre à tout attentat par
un attentat équivalent. Déjà, le même jour,
le journaliste Christian Dam avait été abattu chez lui (mais il survécut), comme deux
politiciens conservateurs, qui survécurent
également. Avec l’année 1944 la « contreterreur » nazie s’installait au Danemark.
Durant la quinzaine de mois qui précédèrent la fin de la guerre, le Danemark fut
le théâtre d’une sorte de course-poursuite
entre Résistance et séides du SD, attentats
et assassinats se répondant constamment,
sans que l’un des camps prenne un ­avantage
évident sur l’autre. En tout cas, l’idée initiale des nazis de parvenir à déconsidérer
les résistants en les présentant comme responsables de toutes les destructions, des
vies perdues, de la menace constante de se
trouver au cœur d’un attentat fit, si l’on ose
dire, long feu. Seule la haine de l’occupant
fut attisée, la responsabilité globale des nazis
étant généralement admise par les Danois.
Guerre des cinémas
Déçu de la survie de plusieurs victimes
­ ’attentats, les nazis assassinèrent le pasteur
d
Kai Munk le 4 janvier 1944, mais la conséquence fut une énorme vague de ­réprobation,
qui faisait de lui un héros et martyr. La police
Le Parc du souvenir, et Cimetière du mémorial de Ryvangen, près de Copenhage, fut inauguré en 1950 pour
commémorer résistants et victimes du nazisme à l'endroit même où les nazis exécutaient les résistants capturés.
9
La flotte militaire
danoise se saborde !
Dans le cadre de la loi martiale du
29 août 1943, les militaires allemands
ont tenté de mettre la main sur
la marine danoise qui était restée
dans le port de Copenhague. Mais,
comme les marins français à Toulon,
les marins danois ont choisi de se
saborder pour ne pas tomber aux
mains de la Kriegsmarine (sur la photo,
le croiseur Peder Skram, sabordé dans
la base navale d'Holmen). Un total de
52 navires étaient à l’ancre, 32 furent
sabordés, 4 prirent la fuite vers la
Suède, et seuls 14 furent saisis intacts.
La plupart des navires sabordés furent
renfloués ensuite par les Allemands et
15 remis en état et utilisés.
© Musée National d'Histoire Militaire du Danemark
LE PATRIOTE RÉSISTANT
danoise n’eut aucun mal à retracer la culpabilité du SD, mais n’avait ­aucun moyen d’agir
contre des Allemands. Pourtant un rapport
de police explicite tomba aux mains de la
Résistance qui en fit un tract largement diffusé. Les attentats allaient dès lors se succéder : le SD fit ­sauter le siège de l’Asso­ciation
des étudiants danois le 10 ­janvier, le lendemain, c’était le tour du garage de la police
de Copenhague, le 17 sautait une ­fabrique
de crème glacée, dont le chef était présumé antinazi, le 25 janvier, c’était le tour du
Club d’aviron des étudiants. Le 29 janvier,
un résistant important abattit un chef du
SD, mais fut lui-même grièvement blessé.
Tous deux survécurent. Le 29 janvier, un officier de marine allemand fut mortellement
blessé, ce qui entraîna l’assassinat le même
jour d’un officier et d’un policier danois.
En février 1944, les effectifs du SD au
Danemark atteignaient 183 personnes, et
au mois de mars on décida de loger l’ensemble du service dans un bâtiment de proportions adéquates, le « Bâtiment Shell » de
Copenhague. Fin janvier avait débuté une
extraordinaire séquence d’attentats ­visant
tout ce qui touchait au cinéma d
­ anois, les
premiers touchant plusieurs ciné­mas et
centres de production. La première réponse toucha le cinéma Palladium, qui
passait un film allemand. Le 31 mars, c’est
un des principaux cinémas de la capitale,
le Kinopalais qui sautait sur ordre du chef
de la SIPO nazie. Non informé, le chef SD
pensa que la Résistance était coupable et
fit détruire par des SS danois un autre cinéma en représailles. Le 5 avril des résistants étudiants mirent à sac le siège de la
­société nazie de films UFA, sabotant quelque
200 films et bandes d’actualités. On nota
encore quelques « grands coups » de part et
d’autre jusqu’au 25 avril où le plénipotentiaire nazi, le Dr Best, ordonna la fermeture
de tous les ciné­mas de Copenhague lll
mémoire
jusqu’à nouvel ordre, pendant que des
agents du SD faisaient sauter l’immeuble
de la compagnie américaine Paramount,
détruisant des milliers de films. C’était le
point final de la guerre des cinémas, qui
rouvrirent le 29 avril.
Ce n’était nullement la fin du « coup pour
coup » entre Résistance et SD : sabotages,
assassinats, destructions d’immeubles plus
ou moins symboliques, attaques de moyens
de transport publics, échange de « coups »,
comme le 22 juin l’attaque par les communistes du BOPA de la seule entreprise de
fabrication d’armement du pays, qui fut
tota­lement détruite, avec en réponse deux
jours plus tard : la destruction par le SD
du parc d’attractions de Tivoli. Un phénomène nouveau était également apparu
peu à peu côté nazi : une méfiance envers
la police danoise, que l’on soupçonnait de
ne pas ­toujours jouer franc jeu. Après le
débarquement du 6 juin en Normandie, et
la libération de la France, le rôle de la police parisienne durant les préparatifs et les
combats pour la libération de Paris attisa les
inquiétudes. Les chefs de la Wehrmacht et
du SD au Danemark jugèrent indispensable
de dissoudre la police danoise et de réorganiser, sous contrôle, des unités plus sûres.
Hitler en donna l’ordre le 12 septembre, il
fut exécuté une semaine plus tard. Dans les
mois s­ uivants, les coups continuèrent à pleuvoir de part et d’autre. Ainsi le 31 octobre,
la RAF bombarda avec succès les bâtiments
universitaires qui abritaient la Gestapo, mais
c’est seulement le 21 mars 1945 qu’elle détruisit enfin dans un raid ­réclamé depuis
longtemps, le bâtiment Shell qui hébergeait
le SD, tout en parvenant à laisser intact le
grenier, où des résistants détenus devaient
servir de bouclier.
Jusqu’à la fin d’avril 1945 les « échanges »
entre résistants et nazis se poursuivirent,
acharnés, et on considère ce dernier mois
de guerre, avril 1945, comme le plus sanglant de l’occupation, avec de nombreux
règlements de comptes entre Allemands et
Danois, comme entre Danois, au point que
les dates du 19 au 21 avril sont entrées dans
l’histoire du pays comme « Nuit des bombes ».
C’est seulement après l’arrivée des troupes
anglaises et la capitulation allemande du
5 mai 1945, que le pays retrouva, plus tard
que d’autres, une paix encore douloureuse.
Jean-Luc Bellanger
LE PATRIOTE RÉSISTANT
N° 915 - janvier 2017
lll
(1) Leifer, par la suite, se rapprocha de la
Résistance. Par ailleurs, propriétaire d’un
­bateau de plaisance, il coopéra – contre rétribution – début octobre 1943 au transport de Juifs
vers la Suède (environ 2 500 Juifs sur les 8 000
qui habitaient le Danemark furent ainsi évacués juste à la veille de déportations ­massives
vers les camps d’extermination). On estime
que 95 % des Juifs danois, grâce à de telles
opé­rations, survécurent à l’occupation nazie.
(2) Les publications clandestines étaient nombreuses. On en comptait, paraît-il, 80 en 1943
et 265 en mars 1945.
n
Matthias BATH, Der SD in Dänemark 19401945, Heydrichs Elite und der Gegenterror
(Le SD au Danemark, L’élite de Heydrich et
la « contre-terreur ») Ed. Neuhaus, Berlin,
1945 (non traduit)
grève des mineurs 1941
« pas d’carbon
pour les boches ! »
100 000 mineurs face à l’occupant. 500 000 tonnes de charbon perdues pour la machine de guerre
allemande. La grève des mineurs du Nord-Pas-de- Calais, fut la première action de masse de la
Résistance. Récit et analyse.
E
n 1941, le Nord-pas-de Calais occus’étend peu à peu aux concessions de
été chassées, elles interceptent les récalpé est en « Zone Interdite », placé
Dourges, puis Bully, Noeux, Bruay, Marles,
citrants dans les cités. Les menaces prosous administration du commanle Douaisis et le Valenciennois. Au début
duisent souvent leur effet. Les autorités
dement militaire de Bruxelles. Pourtant,
du mois de juin, 91 271 mineurs y partiallemandes reprocheront aux policiers
les polices et gendarmerie du régime de
français « leur mollesse » à leur égard. De
cipent, soit 78 % de l’effectif.
Valenciennes, Béthune, Douai, les « komVichy y restent très actives, notamment
pour réprimer les mouvements politiques
Arrestations, déportations mandanturen » d­ iffusent un communiet sociaux. Dès 1940, sous la pression des
Les Allemands ne pouvant supporter
qué : « Il est interdit à toutes les femmes
autorités militaires allemandes mais aussi
un arrêt de travail réagissent aussitôt. Le
de se montrer une demi-heure avant la
pour augmenter leurs profits, les compabassin est quadrillé. Toutes les fosses sont
descente et la remontée des mineurs, à
gnies minières augmentent
tous les postes, matin, midi et
les horaires de travail au
soir. Les femmes se rendant
détriment des consignes
au travail devront être porde sécurité. L’asphyxie de
teuses d’un certificat établi
deux galibots (jeunes midans les deux langues, délivré
neurs) en septembre 1940
par l’employeur, avec le cachet
à Dourges a provoqué des
de l’entreprise. » Et le général
réactions indignées malNiehoff (Generalleutenant de
gré la volonté de l’occupant
la 371e division d’infantede minimiser l’évènement.
rie, Oberfeldkommandant de
Dans le même temps, la
Lille) ajoute dans une mise en
disette et les pénuries de
garde aux grévistes : « Si cerviande, pain, savon – ­capital
taines améliorations étaient
pour un métier particulièpossibles, elles seraient applirement salissant –, sont de
quées plus tard, pour qu’il n’y
plus en plus mal supporait aucun rapport avec l’exitées par le peuple mineur,
gence de la grève. »
et notamment les épouses.
Le conflit prend fin le 10 juin,
Quand en janvier, les
entraînant une perte de procompagnies minières déduction de 500 000 tonnes.
cident d’augmenter le traLes mineurs la paieront cher.
vail d’une demi-journée
325 seront arrêtés, ils apparhebdomadaire, des grèves
tiennent tous au Parti comperlées éclatent, r­ éprimées.
muniste. Leurs noms ont été
Outre les questions sociales,
communiqués par certaines
la collaboration des comcompagnies minières à la popagnies avec l’occupant et
lice et la gendarmerie. 231 seront envoyés dans des camps
l’utilisation du charbon du
Nord-Pas-de-Calais dans
de concentration, 126 n’en rel’industrie de guerre alvinrent pas, 94 seront fusillés
comme otages, en représailles
lemande sont violemment condamnées par les
d’attentats commis contre les
­mineurs : « Pas d’carbon
soldats allemands.
pour les Boches » devient
Dans son ouvrage, l’aurore
un mot d’ordre ­fédérateur
se lève au pays noir, Auguste
Copin décrit ainsi le signal
pour les grévistes.
L'asphyxie de deux jeune mineurs (galibots) en septembre
Après des mouvements de 1940 enclenche le processus.
de départ de la grève : « une
protestation, des salaires
fois de plus, Georges consulte
bloqués, le moment est ­arrivé pour une acgardées militairement. Les mineurs sont
sa montre, 9 h ! C’est l’instant qu’il s’est
tion d’envergure. Le prétexte sera d’ordre
interrogés. Dans un premier temps, 160
fixé. Il s’avance à front de taille et crie
alimentaire. Encouragé par le succès de
personnes dont 47 femmes, emmenées à
“arrête ton piqueur !” L’ouvrier repose
la grève de 7 000 mineurs belges, à Liège,
la caserne Kléber à Lille, sont arrêtées. Les
l’outil, étonné. Les autres regardent, indu 17 au 24 mai, des militants présentent
forces nazies ont remarqué le rôle importrigués… “On va faire la grève ! Rien à
un cahier de revendications à la fosse du
tant des femmes depuis le ­déclenchement
manger, des journées plus longues, des
de la grève. Leur tactique n’a pas chanbrimades toujours plus dures, ça ne peut
Dahomey à Montigny. L’essentiel porte
plus continuer, ne croyez-vous pas, cagé. Les premiers jours, elles s’installent
sur les salaires, l’augmentation de la ration de viande et une réduction du temps
à l’entrée des fosses et dissuadent les
marades ?” Michel prendra la parole tout
de travail. La grève, ­déclenchée le 27 mai,
­ouvriers de travailler. Dès qu’elles en ont
à l’heure. Les hommes ont approuvé de la
© Le Galibot. Encre de chine de Jean Amblard. Musée de Demain
10
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