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assoiffé permanent. Son désir ne trouve jamais de terme où s’apaiser, au contraire :
chaque atteinte, chaque acquisition d’un objet désiré ne fait que relancer le désir,
le rediriger, parfois même en en accroissant la force. Nous voulons toujours plus,
toujours autre chose que ce que nous possédons, et ce quel que soit l’état de
pauvreté ou d’abondance dans lequel nous nous trouvons. L’homme vit en
permanence au-delà, en avant de lui-même, il est tendu vers, mais la direction n’est
pas définie. Il marche vers l’horizon. Comme le marcheur, il se fixe des objectifs,
des buts, des étapes où passer la nuit. Mais au fond de lui, il est toujours porté vers
cet horizon qui se dérobe en même temps qu’il croit s’en approcher.
Il est évident que nous n’envisageons pas le désir comme une attraction
vague vers un but plus ou moins flou et indéfini. Le désir se fixe sur des objets
précis, il est toujours désir de quelque chose. Mais le fait est que l’atteinte de ces
buts ne constitue jamais un terme à notre désir, mais au contraire nous projette à
nouveau vers d’autres objets. L’homme ne cesse jamais d’être attiré par le poids de
son désir, incapable de trouver le repos dans ces biens déterminés. « En ces choses
point de repos : elles ne sont pas stables, elles s’écoulent (…) Qui peut les saisir,
même quand elles sont présentes ? » dira Saint Augustin
. Le mode d’être de
l’homme est dès lors la poursuite, la recherche, la chasse, la quête. Si
l’insatisfaction est chez l’homme un état de fait, ce n’est pas comme une incapacité
passive et paralysante mais comme un élan dynamique, une course effrénée dans
la quelle le coureur se trouve toujours déjà pris, et n’a de cesse de poursuivre un
but qu’il ne peut jamais atteindre.
Le décalage entre la soif de l’homme et l’incapacité du monde à la combler
semble révélateur d’une dimension supérieure de l’homme. S’il n’était qu’une
partie du monde comme les autres, alors on serait en droit de penser qu’il peut
trouver satisfaction dans les choses qui l’entourent. Mais l’obtention des biens
désirés, dans les faits, creuse le désir lui-même et l’accroit plus qu’elle ne l’apaise,
et celui qui possède ce qu’il désire est plus troublé encore par la crainte de le
perdre, c'est-à-dire par le désir de posséder toujours ces mêmes choses dans
l’avenir. Il semble donc que le désir et l’insatisfaction soient le signe de quelque
chose de plus grand en l’homme. C’est dans cette perspective que la philosophie
SAINT AUGUSTIN, Les Confessions, IV, 10, trad. J. Trabucco, Garnier Flammarion, 1964, p.75